Difficile d’avoir une approche laïque de la gratuité des transports publics, pour reprendre l’expression de Jean-Pierre Orfeuil, professeur émérite à l’Université Gustave Eiffel. Alors que Montpellier, septième ville de France, a basculer juste avant Noël, les transports gratuits font toujours débat.
A Montpellier, les élus ont décidé de plonger dans le grand bain de la gratuité. La promesse de campagne de Michaël Delafosse, maire et président socialiste de la métropole (500 000 habitants), a finit par se réaliser : jeudi 21 décembre, l’ensemble des habitants sont montés sans payer à bord des tramways, des bus et bientôt des bus à haut niveau de service. Un passe gratuité en poche. La mesure était en place pour les résidents, les week-end depuis 2020, puis tous les jours depuis 2021 pour les moins de 18 ans et les plus de 65 ans. « Nous osons maintenant la gratuité universelle », s’enorgueillit Julie Frêche, vice-présidente de la collectivité locale (lire son interview). Les non-métropolitains continueront d’acheter des billets ou un abonnement.
A gauche, à droite, le sujet de la gratuité a fini par s’imposer pour les transports publics et ne s’embarrasse plus des étiquettes politiques des élus locaux. La mesure est électoralement payante et immanquablement, il y a davantage de passagers dans les bus et les tramways quand ils sont gratuits. A Aubagne, la fréquentation a doublé. A Dunkerque, elle a bondi de 125 % en cinq ans. Il est vrai que la ville du Nord partait de loin.
Pour Arnaud Passalacqua, coprésident de l’Observatoire des villes du transport gratuit, « C’est clairement une marque politique. A Dunkerque, la différenciation par la gratuité a permis au maire de l’époque, Patrice Vergriete (nommé en juillet 2023 ministre du Logement, NDLR), de prendre la lumière. ça plaît à l’électeur alors que ce n’est pas vraiment une demande des usagers », avance-t-il. Quand Bruno Bernard, vice-président écologiste de la métropole de Lyon rejette la gratuité, estimant qu’elle mettrait en péril les investissements nécessaires au développement des transports (la billetterie rapporte 55 % des ressources du réseau), Joanna Rolland, maire et présidente socialiste de la métropole de Nantes s’interroge sur son extension au-delà des week-end, et n’ira finalement pas plus loin. A Paris, Anne Hidalgo y avait pensé, Valérie Pécresse, présidente de région et d’Ile-de-France Mobilités, avait vite éteint l’étincelle avec une étude affirmant que le coût serait énorme pour les contribuables : 500 euros par an pour chaque ménage francilien. Un an avant les élections municipales de 2020, la maire de Paris s’était contentée de rendre les transports publics gratuits aux enfants de 4 à 11 ans ainsi qu’aux Parisiens handicapés de moins de 20 ans. Aujourd’hui, une quarantaine de villes ont fait le choix de la gratuité, à 100 % ou partiellement (voir la carte ci-dessous).
Objectiver le débat
Ses détracteurs affirment que la mesure est injouable si l’on veut préserver le fragile équilibre financier de ce service public déjà fortement subventionné. Elle serait même contre-productive car là où les villes ont opté pour des bus gratuits, ce sont les piétons et les cyclistes qui se sont rués à bord. Pas les automobilistes.
Une étude conduite en 2020 par Frédéric Héran, maître de conférence à l’université de Lille, sur les effets de la gratuité dunkerquoise, révélait que la voiture avait reculé de 3 % en un an dans la ville nordiste, la marche de 3 %, et les déplacements à vélo de 12 %. Bref, les transports gratuits auraient un impact sur le report modal, mais pas celui que l’on escomptait… « Pour avancer des vrais chiffres sur le report modal, il nous faut attendre la prochaine grande enquête ménage prévue en 2024.
Et dans tous les cas, les changements de comportement, c’est du temps long », rétorque Vanessa Delevoye, directrice de l’innovation à l’Agence d’urbanisme de Dunkerque. Insistant sur le motif avant tout social de la gratuité mise en place en 2018 : « On ne lui demandait pas de changer les comportements en faveur des transports publics, mais selon la dernière étude de l’Observatoire, en 2022, on s’aperçoit qu’il y a enfin des cadres dans nos bus : pas parce que c’est gratuit, mais parce que c’est plus simple », ajoute-t-elle. Wojciech Keblowski, chercheur en urbanisme à l’Université libre de Bruxelles et membre du comité scientifique de l’Observatoire des villes du transport gratuit, ose quant à lui des comparaisons extrêmes : après tout, les ascenseurs urbains, ou les parcs publics sont gratuits, peut-on lire dans ses articles.
De leur côté, les anti-gratuité craignent qu’elle ne tue les transports publics en les paupérisant, alors qu’un mur d’investissement et de dépenses de fonctionnement se dressent devant les autorités organisatrices de la mobilité. « Au final, si vous n’avez pas une vision complète, une stratégie et un programme d’investissement pour permettre d’augmenter la qualité des transports publics, alors introduire uniquement la gratuité n’est pas une bonne idée », affirmait mi-2023, François Bausch, ancien vice-premier ministre du Luxembourg. Le pays est passé en 2020 à la gratuité totale de tous les transports ! Il en a les moyens… En attendant, pour les Montpelliérains, le cadeau de Noël de leur maire, ce sont des transports 100% gratuits.