Description
Historail
Historail
Tout ce que vous voulez savoir sur l’histoire du rail
N° 1
mars
n° 1
mars2007
Les 70ans de la SNCF
Historail
Mars 2007
Historail
Editorial
I
Du dialogue naît la lumière
I
Il y a un peu plus de dix ans naissait
Rail Passion
. Il avait été dit que l’histoire
y occuperait une bonne place. La promesse a été tenue. J’en suis le témoin, puisque
j’alimentais personnellement la rubrique. Mais force est de constater
qu’au fil des ans celle-ci s’est étiolée jusqu’à ne plus apparaître que très
occasionnellement.
Il était donc temps de rendre à l’histoire ferroviaire
la place qu’elle mérite,
et de renouer ainsi avec une longue tradition héritée
de
La Vie du Rail
. La sagesse aurait sans doute voulu de l’associer de nouveau à
Rail Passion
. Nous avons pris le risque d’aller au-delà en lui consacrant un nouveau
magazine. Car, ne nous voilons pas la face, il y a risque tant l’offre est abondante
sur le marché, disséminée, certes, mais bien réelle. Aussi, pour gagner notre pari,
je m’adresse directement à vous.
Ce magazine est le vôtre.
Il doit répondre
à vos attentes. A vous ne nous faire connaître vos desiderata. Et osez la critique.
Du dialogue naît la lumière,dit-on.
Mais pour ce premier numéro, il nous a bien fallu trancher.
Comme vous l’avez
constaté, nous avons essayé de diversifier les entrées
. Par conviction et goût
personnel, par défi aussi, j’ai pris le parti, en dépit des mises en garde
des uns et des autres, et ils sont nombreux, de rompre radicalement avec cette idée
que notre lectorat, présent et futur, ne jure que par le matériel et la traction.
J’estime, en effet, que c’est faire peu de cas de tous ceux pour qui le chemin de fer
ne se limite pas à un domaine particulier, aussi attractif et fascinant soit-il,
j’en conviens.
Des locomotives, il y en aura, je m’y engage, mais sans trop.
Peut-être fais-je fausse route. A vous, là aussi, de nous le faire savoir.
Lancer un nouveau magazine est toujours une aventure. Et, comme telle, source
de nombreuses interrogations. Dire que la première lecture m’a pleinement satisfait
serait un mensonge. Des imperfections, il y en a. Des manques aussi.
Nous essaierons d’y remédier dans les prochains numéros. Toujours avec votre aide.
Enfin, pour terminer, un petit mot du titre.
Certains ne manqueront pas de faire
le rapprochement avec «HistoRail», le musée limousin du chemin de fer basé
à Saint-Léonard-de-Noblat, non loin de Limoges. Avec raison. Aussi ne serons-nous
jamais assez reconnaissants à Jacques Ragon, son président-fondateur,
de nous avoir gracieusement autorisés de reprendre à notre compte un intitulé qui,
avouons-le, cadre parfaitement avec notre ambition.
Bruno Carrière
Coll. LVDR
Evénement
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Mars 2007
«E
coutez, vous allez venir au
Nord, vous êtes le dix-sep-
tième attaché, vous ne serez jamais
ingénieur. Vous n’irez pas plus loin,
il faudra chercher autre chose, parce
que vous n’avez aucun avenir là-
dedans!
» C’est en ces termes, peu
encourageants, que M. Lefebvre,
ingénieur en chef de la compagnie
au service de la Voie, accueille Raoul
Dautry. La proposition n’est guère
alléchante: un métier dur, 200
francs par mois, dont 10 francs pour
la retraite, quatre jours de congés
par an. Qu’importe, sorti un an plus
tôt de Polytechnique par la petite
porte (144
sur 247), réfractaire à la
vie militaire, notre homme n’a d’au-
tre choix. De fait, c’est en qualité
de simple attaché au service de la
Voie qu’il débute sa carrière de che-
minot le 1
octobre 1903, versé aux
travaux de remaniement général de
la gare du Nord.
Vingt-cinq ans plus tard, change-
ment de décor. Dautry est désor-
mais l’un des cadres les plus brillants
de la compagnie. Ingénieur en chef
de l’Entretien, il est devenu aussi
l’un des experts gouvernementaux
les plus écoutés en matière de poli-
tique d’urbanisme (en 1925, le
Conseil national économique lui
confie une étude sur les moyens à
mettre en œuvre pour résoudre le
problème du logement en France)
et des transports (en 1927, le même
conseil lui commande un audit sur
l’état de l’aéronautique marchande
française). En octobre 1928, récem-
ment nommé à
la tête du tout
nouveau minis-
tère de l’Air,
Laurent Eynac
songe à Dautry pour son secrétariat
général. Approché par André Tar-
dieu, ministre des Travaux publics,
il accepte. Les deux hommes sont
sur le point de se quitter lorsque Tar-
dieu avoue avec amertume : «
C’est
dommage qu’au lieu de vous céder
à Laurent Eynac, je ne vous garde
pas près de moi pour remettre en
ordre le réseau des chemins de fer
de l’Etat!
» La réponse de Dautry
est instantanée: «
Monsieur le
Ministre, entre quelque chose qui
est mon métier et quelque chose
qui ne l’est pas, je vous rends l’Avia-
tion et accepte votre dernière
offre!
Au Nord, sa décision est très mal
accueillie. Le passage d’un réseau
privé à un réseau d’Etat est un crime
de haute trahison dans les temps
mêmes où la menace d’une natio-
nalisation des chemins de fer pèse
plus fortement que jamais. «
N’im-
porte quel homme du Nord vaut
mieux qu’un directeur de l’Etat
lui assène, furieux, le directeur de
l’Exploitation, Paul-Emile Javary, qui
refuse de le laisser partir. Seule une
intervention personnelle de Tardieu
et de Raymond Poincaré, président
du Conseil, auprès du baron
Edouard de Rothschild permet à
Dautry de recouvrer sa liberté. Non
sans mal. «
Vous l’envoyez au casse-
pipe!
», déclare le baron aux deux
hommes avant de céder à leur
requête.
Par décret du 17 octobre 1928,
Raoul Dautry est nommé directeur
général du réseau de l’Etat à comp-
ter du 1
novembre. A quoi pense
Dautry en pénétrant le jour dit, aux
aurores, dans le bureau directorial
de la gare Saint-Lazare où pas
Novembre 1928.
Dautry prend les rê
Tout s’est joué entre deux portes en quelques
minutes. Cheminot convaincu, Raoul Dautry n’a pas
hésité un instant à accepter la direction du réseau
de l’Etat en lieu et place d’un poste plus gratifiant…
Pour en savoir plus
Rémi Baudouï,
Raoul Dautry,
1880-1951. Le technocrate de la
République,
Balland, 1992.
MEURISSE
Evénement
[ novembre 1928. Dautry prend les rênes du rése
moins de sept directeurs l’ont pré-
cédé en vingt ans? A son devan-
cier, Nicolas Leroux, en poste depuis
1926, brutalement remercié pour
avoir commandé, faute de pouvoir
faire mieux, des voitures en bois à
la place de voitures métalliques? Le
réseau de l’Etat a le triste privilège
d’être le plus déficitaire. Les écono-
mies budgétaires imposées au mal-
heureux Leroux doivent être ampli-
fiées. L’établissement d’une logique
de ren tabilité privée, c’est ce que
Tardieu attend de lui. Dans les
milieux politiques, chacun applau-
dit à la nomination de Dautry. Au
sein du réseau de l’Etat, les avis
sont plus partagés. Si les petits che-
minots se disent sensibles à sa poli-
tique sociale (n’est-il pas l’homme
des cités-jardins du Nord?), les
cadres ressentent cette «révolu-
tion de palais» comme un camou-
flet discréditant leur politique ferro-
viaire. Dans les couloirs, les com-
mentaires vont bon train: trop
jeune (48 ans), pas sorti dans la
botte de l’X, pas même ingénieur
des Ponts et Chaussées! Même
division chez les syndicalistes. Les
uns attendent de voir; les autres,
communistes de la CGTU en tête,
ne cachent pas leur réticence.
Mise en garde à nos camarades
du réseau de l’Etat
», c’est sous ce
titre que
La Tribune des cheminots
publie dans son numéro du 15 jan-
vier 1929 un long article de Tour-
nemaire, secrétaire général de
l’Union des syndicats unitaires du
réseau Nord. Sa conclusion est cin-
glante: «
Ne considérez pas Dautry
comme un grand réalisateur capa-
ble d’apporter des satisfactions au
petit personnel, mais plutôt comme
l’homme à la main de fer dans un
gant de velours qui essaiera de les
faire produire davantage et à meil-
leur marché, sans qu’ils en retirent
personnellement des avantages.
Dautry décide de jouer la prudence.
Au lieu d’engager immédiatement
le bras de fer, il juge plus utile de se
consacrer à la décoration de son
bureau. Un tour du propriétaire lui
révèle quelques surprises. Dans le
coffre-fort de la direction, un pli
secret, relatif à la mobilisation mili-
taire, trône, ostensiblement déca-
cheté, à côté d’une carte du réseau
pointant les chefs de gare assidus
aux messes dominicales! Non loin
de là, une petite pièce, toujours fer-
mée à clé, abrite un salon de coif-
fure, legs d’un des précédents loca-
taires. Sur ses ordres, son bureau est
aussitôt rafraîchi. Les lourdes ten-
tures vert bouteille sont remisées et
laissent la place à des murs fraîche-
ment repeints en clair sur lesquels
sont accrochés une carte du réseau
et de grands encarts, pour l’heure
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«N’importe quel homme du Nord vaut mieux
qu’un directeur de l’Etat !»
C’est de la gare
Saint-Lazare que
Raoul Dautry
veillait à la
bonne marche
du réseau et
de ses hommes.
COLL. LVDR
P
ressenti pour s’occuper
du secrétariat général
du ministère de l’Air, Raoul
Dautry opte au dernier
moment pour les chemins
de fer de l’Etat, dont il prend
la direction le 17 octobre
1928. Si ses nouvelles
fonctions occupent l’essentiel
de son temps, il est amené,
dès 1931, à s’occuper d’autres
dossiers touchant
les difficultés rencontrées par
l’Aéropostale (il sera
à l’origine de la création en
1933 de la Société centrale
pour l’exploitation des lignes
aériennes/SCELA, future Air
France) et la Transatlantique.
En 1934, il devient conseiller
technique de Gaston
Doumergue, puis, en 1935,
de Pierre Laval. Tenu à l’écart
du débat sur la nationalisation
des chemins de fer par Léon
Blum, il remet sa démission
de directeur général du réseau
de l’Etat le 11juin 1937.
Bien que siégeant au conseil
d’administration de
la nouvelle SNCF parmi
«les personnes ayant rendu
des services éminents au
chemin de fer», il rompt
définitivement avec sa famille
d’origine. Placé à la tête de la Société française Hispano-
Suiza, il refuse tour à tour de travailler au redressement
d’Air France et de prendre en main les destinées du
Centre national de la recherche scientifique appliquée.
Son opposition farouche aux accords de Munich et la
déclaration de guerre à l’Allemagne précipitent son
retour sur le devant de la scène. Nommé ministre de
l’Armement le 13 septembre 1938, il réorganise
l’ensemble de la production mais, conséquence des
retards accumulés depuis plusieurs années, ne peut
répondre à temps aux besoins. Partisan de la poursuite
des hostilités, il se retire dans sa propriété de Lourmarin
(au cœur du Luberon) après la prise en main des affaires
par le maréchal Pétain le 16juin 1940. Son dernier geste
est d’assurer le transbordement depuis Bordeaux
jusqu’en Angleterre du stock d’eau lourde acquis par
ses soins auprès de la Norvège en février.
Rallié à de Gaulle fin 1942, il refuse cependant
de rejoindre Londres. Il œuvre alors au sein de diverses
sociétés: Compagnie internationale des wagons-lits,
Société générale des chemins de fer économiques, etc.
Au lendemain du débarquement de Normandie de juin
1944, il espère au mieux la présidence de la SNCF,
au pire la direction du rééquipement du pays. Il doit
se contenter du Secours national qu’il réorganise
et rebaptise Secours social. Insuffisant. Son insistance
incite de Gaulle à lui céder le 16 novembre 1944
le portefeuille de la Reconstruc tion et de l’Urbanisme.
Débarqué par Félix Gouin le26 janvier 1946, il se replie
sur ses fonctions d’administrateur général
du Commissariat à l’énergie atomique (CEA) que lui a
confiées de Gaulle peu avant son départ par décret
du 6janvier. Il les assure jusqu’à sa mort, survenue
à Lourmarin le 21août 1951.
Evénement
[ novembre 1928. Dautry prend les rênes du rése
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Au service de l’Etat
LAPI/ROGER-VIOLLET
Raoul Dautry
hérite fin 1944
du portefeuille
de la
Reconstruction
et de
l’Urbanisme
au sein du
Gouvernement
provisoire
de Charles
de Gaulle.
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Evénement
[ novembre 1928. Dautry prend les rênes du rése
Q
uatre heures du matin, l’express
Paris-Saint-Brieuc vient de quitter la
petite gare de Châtelaudren. Le bruit du
train s’éloigne et laisse place au silence de
la nuit. A cette heure, les voyageurs qui
s’arrêtent à cette station bretonne sont
plutôt rares. Un quidam, emmitouflé dans
un grand manteau, un chapeau melon sur
la tête, dont l’apparence est celle d’un
homme d’affaires parisien, a fait l’effort
de descendre. Les voies franchies, il se
dirige vers la gare. Cherchant à pénétrer
dans les bureaux interdits au public, il fait
le tour des bâtiments comme ferait un
maraudeur désireux de crocheter la ser-
rure la plus banale. La négligence d’un
cheminot facilite ses desseins, une porte
n’a pas été fermée à clé… Sur le coup des
huit heures arrive le chef de gare, pour-
tant chargé du service de nuit. En péné-
trant dans son bureau, il aperçoit un petit
homme blotti dans son fauteuil:
Mais qu’est-ce que vous faites là?
– Apprenez mon ami que je suis chargé
de mettre de l’ordre dans le réseau de
l’Etat. Aujourd’hui, je suis chef de gare de
Châtelaudren, mais vous, vous ne l’êtes
plus à partir de cet instant!
Dans la riante et verte vallée de Sainte-
Gauburge règne une certaine douceur de
vivre. Entre deux trains, son chef de gare
se rend au café le plus proche, pour jouer
à la belote. Dautry a choisi cette paisible
bourgade de Normandie pour inspecter
les lignes secondaires. Arrivé sur place, le
directeur général demande à rencontrer
le chef de gare: «
Il vient de partir en
face.
» Au bistrot, il s’approche des
joueurs, émet des conseils avisés en
attendant la fin de la partie. Abordant
l’homme à la casquette étoilée, il décline
son identité: «
Raoul Dautry, directeur
général du réseau de l’Etat. Mon brave,
allons maintenant visiter les lieux d’ai-
sance!
» Les cabinets étant repoussants,
le chef de gare, natif de la région, est
muté, le mois suivant, dans une petite
gare de la Haute-Loire.
Pour Dautry, les tournées sur le tas sont
une occasion incomparable de pénétrer
les esprits, de peser les connaissances,
d’apprécier les intelligences, de sentir le
goût qu’un jeune homme a de l’action, de
l’étude et de la création…
» En somme un
bain de jouvence pour celui qui ne rêve
que de stimuler les énergies défaillantes.
Une marotte aux vertus providentielles, si
l’on en juge par le retentissement de ces
histoires sur le réseau de l’Etat. En clouant
au pilori, de façon spectaculaire, les mem-
bres nonchalants de la famille des chemi-
nots, Dautry laisse planer sur chacun la
menace de la sanction. Ces anecdotes
abondamment colportées font le tour du
réseau. Le plus humble garde-barrière
vivant loin du tintamarre de la ville les
connaît toutes. Dautry est rassuré. La
crainte qu’elles inspirent empêcherait le
cantonnier de somnoler au bord de la voie
qu’il répare. Un système de parade est mis
au point. Dès l’annonce du départ de «la
superbe Mountain» du train directorial, le
La « dautrite », maladie des cheminots
Un inspecteur
s’assure de la
bonne exécution
du service
d’une équipe
de conduite…
FOHANNO/LVDR
Raoul Dautry aimait se rendre
sur le terrain incognito afin
de juger lui-même le travail
de son personnel. Gare
au contrevenant, la sanction
était immédiate.
Confort
L
e 28 octobre 1904, le tribunal
correctionnel de Versailles se
penche sur l’affaire H., un attaché à
la bibliothèque de la Chambre des
députés, poursuivi par la compagnie
du Midi pour infraction à la police
des chemins de fer. Son crime?
Avoir tiré le signal d’alarme sans rai-
son plausible. Un examen attentif
des faits donne pourtant raison à
l’accusé qui est aussitôt acquitté. De
fait, pris en cours de route d’un
besoin «naturel et irrésistible», et
constatant que la voiture de 3
classe dans laquelle il avait pris place
était dépourvue de cabinets d’ai-
sances, monsieurH. n’avait eu d’au-
tre solution que de stopper le train
en rase campagne pour se précipiter
à bord d’une voiture de 1
classe
qui, seule, lui avait offert «le
buen
retiro
» indispensable. Relayée dans
ses colonnes par le
Petit Journal
l’affaire suffit à relancer une polé-
mique née dans les années 1860 et
non encore résolue. Chacun appor-
tant sa pièce au dossier,
Bourguignon
, journal d’Auxerre, se
fait un plaisir de rappeler comment
un ingénieur, de retour d’Amérique,
avait soumis, en 1870, à Jules Petiet,
alors directeur de la compagnie du
Nord, un projet de voiture à couloir
avec toilette à l’une des extrémi tés:
L’excellent homme, penché sur le
plan qui lui révélait tous les détails
de la voiture nouvelle, avec ses
mesures les plus minutieuses, aper-
çut l’endroit réservé aux ablutions,
et au reste. Le reste était représenté
par un rond discrètement tracé.
Qu’est-ce que c’est ça?
fit M.Petiet
en levant sur son audacieux visiteur
des yeux ingénus, et en mettant le
doigt sur le rond.
Ça, monsieur le directeur, mais c’est
le petit endroit.
Le petit endroit ?
reprit l’homme
des âges anciens avec un haut-le-
corps.
Quel petit endroit ?
Mais, monsieur le directeur, c’est
pour…
Compris ! Vous voulez instituer des
ch…
(sic)
dans mes voitures ! Rempor-
tez ça, mon ami. Vous êtes toqué ! »
L’anecdote vaut ce qu’elle vaut, mais
elle est révélatrice de la résistance des
milieux ferroviaires (français) à l’amé-
nagement, puis à la généralisation de
lieux d’aisances dans les trains. Que
ce soit la compagnie du Nord qui en
fasse les frais n’est pas non plus in-
nocent, personne n’ignorant qu’elle
était la plus farouche opposante à
leur introduction. Qu’en était-il vrai-
ment? A l’origine, aucune disposi-
tion législative n’impose aux chemins
de fer de doter leur matériel de «wa-
ter-closets», appellation communé-
ment retenue par l’Admi nistration.
Aucune règle non plus pour les gares,
seuls endroits, pourtant, où les voya-
geurs peuvent espérer trouver une
solution décente à leurs problèmes.
Seules les plus importantes sont équi-
pées d’urinoirs et de latrines. Là en-
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Historail
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Les «water-closets» dans
les trains, une réalité tardive
Il faut attendre 1904 pour
que l’obligation soit faite
aux compagnies de doter de
toilettes les trains effectuant
un parcours d’au moins deux
heures sans arrêt.
Tirer le signal
d’alarme en cas
de besoin,
se précipiter
à l’arrêt vers
le fourgon de
queue aménagé
à cet effet ou
opter pour les
toilettes de gare
au risque
de rester sur
le quai… autant
de situations
risibles.
Illustrations S. LUCAS
Confort
[ les «water-closets» dans les trains, une réalité ta
pour Amiens «
qui se plaint qu’on lui
ait refusé à Clermont de retarder le
départ du train pour attendre une
jeune fille prise d’un violent accès de
diarrhée
». Sommé de s’expliquer, le
Nord répond que les agents de la
gare de Clermont «
ont eu tort de ne
pas se montrer plus complaisants, et
[qu’] ils ont été invités à user d’une
certaine tolérance à l’avenir
». Le cas
n’est pas si isolé puisque E.Delattre
l’évoque déjà en 1858 dans son ma-
nuel sur les
Tribulations des voyageurs
et des expéditeurs en chemin de fer
A la question de savoir si la compa-
gnie est alors dans l’obligation d’offrir
à la victime une place sans supplé-
ment de prix dans le convoi suivant, il
répond: «
En droit strict, la compa-
gnie peut refuser si le billet précisait
l’heure ou le numéro du train. Encore
faut-il excepter le cas où l’indisposi-
tion serait assez grave pour compor-
ter le caractère de force majeure.
Mais un pareil rigorisme n’est pas,
heureusement, dans nos mœurs.
Tous les chefs de gare laissent le voya-
geur abandonné remonter dans le
convoi suivant, sans exiger un nou-
veau prix.
L’enquête de 1861
C’est en 1861, dans le cadre de sa
grande
Enquête sur l’exploitation et la
construction des chemins de fer
, que
l’Administration évoque ouvertement
la question de l’aménagement de
water-closets dans les trains en de-
mandant aux différentes compagnies
de la renseigner sur leurs initiatives
en la matière. Publiées en 1863, les
réponses montrent que, dans leur
majorité, les compagnies ne sont pas
restées inactives. Seules deux d’entre
elles font preuve d’une intransigeance
absolue: celle des Ardennes qui in-
voque la faible longueur des dépla-
cements sur son réseau, et le Nord
qui entend ne s’engager dans cette
voie «
que lorsqu’on aura découvert
un système satisfaisant
». Les autres
compagnies font savoir, outre le fait
que beaucoup de leurs coupés-lits
disposent déjà de commodités, gé-
néralement un vase en gutta-percha
caché sous le coussin de place assise,
qu’elles poursuivent des essais en vue
de doter les trains express d’une voi-
ture spécialement aménagée à cet ef-
fet, à l’exemple de ce qui se fait déjà
en Allemagne. En fait, il s’agit tout
bonnement d’établir un water-closet
16-
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Voiture Midi
avec deux
compartiments
de 1
re
classe et
deux coupés
disposant
chacun de leurs
toilettes.
Présenté
à l’Exposition
de 1889,
ce matériel
rappelle encore
les voitures
de luxe d’antan
(RGCF, octobre
1889).
Voiture PO
de 1
re
classe à
intercirculation
latérales
et à bogies.
Egalement
exposé en 1889,
ce matériel
préfigure déjà la
solution (WC en
bout) qui sera
adoptée à terme
(RGCF, janvier
1891).
Arch.
LVDR
Arch.
LVDR
dans le fourgon à bagages, avec une
petite antichambre attenante en
guise de cabinet d’attente. L’inten-
tion y est, mais le résultat peu pro-
bant. Et pour cause! «
Le voyageur
qui a pris place dans le cabinet à une
station,
explique Charles Couche
dans son traité sur les
Voie, matériel
roulant et exploitation technique des
chemins de fe
r publié en 1867,
est
forcé d’y rester jusqu’à la station sui-
vante, et cette obligation est si peu
séduisante qu’il y a peu d’exemples
en France de voyageurs qui s’y soient
résignés. Les femmes l’accepteraient
plus difficilement encore.
De cette réticence, la compagnie du
Nord tire un argument à son refus
de multiplier ce type de matériel. A
l’Administration qui lui fait remar-
quer que la présence d’un fourgon
ou d’une voiture munis d’un water-
closet lui aurait évité d’être pris à par-
tie par ce voyageur et sa fille oubliés
sur le quai de la gare de Clermont,
elle rétorque: «
L’expérience de plu-
sieurs années faite avec les voitures à
water-closets qui entrent dans la
composition de certains trains ex-
press de notre service intérieur a dé-
montré que le public ne fait presque
jamais usage des installations qui lui
sont offertes: il préfère user aux sta-
tions d’une tolérance de quelques
minutes que, sauf dans le cas regret-
table visé par la plainte, les chefs de
gare ne refusent jamais, plutôt que
d’effectuer le trajet entre deux sta-
tions dans le compartiment d’attente
qui précède les water-closets en
abandonnant ses bagages et ses ef-
fets à l’indiscrétion possible de per-
sonnes certaines de ne pas être dé-
rangées jusqu’à la station suivante.
Le PO est moins catégorique. En
1864, il informe ses actionnaires que
depuis un an «
des wagons compor-
tant un compartiment de water-clo-
set
» sont incorporés à titre d’essai
dans les trains express Paris-Bor-
deaux. S’agit-il de simples fourgons
ou de voitures? Impossible de ré-
pondre. Seule certitude, l’indicateur
horaire Chaix de mai 1869 indique
à l’attention des voyageurs la pré-
sence de ces «wagons» dans les
trains express et les trains-poste qui
circulent sur la ligne de Paris à Bor-
deaux. Une mesure qui, toujours se-
lon l’indicateur Chaix, est étendue
aux lignes Paris-Toulouse en 1886,
Paris-Nantes et Paris-Agen en 1904.
La mention de ce service ne dispa-
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Historail
rdive ]
Autre matériel
de l’Exposition
de 1889, cette
voiture Est
de 1
re
classe
à couloir latéral
partiel et
toilettes
centrales est
caractéristique
des
tâtonnements
des compagnies
en la matière
(RGCF, décembre
1889).
Arch. L
VDR
Confort
[ les «water-closets» dans les trains, une réalité ta
raîtra qu’en mai 1905. L’Est adopte à
son tour la solution du fourgon pour
ses trains rapides, mais en 1878 seu-
lement et à raison de deux unités
par rame, une en tête et une en
queue. Reste qu’au terme de l’en-
quête lancée en 1861, et bien que
l’Administration ait clairement re-
commandé aux compagnies la gé-
néralisation de l’emploi des water-
closets à bord des trains, la question
est pratiquement occultée en France
alors que, partout ailleurs en Europe,
des progrès notables sont enregis-
trés. Il est vrai que l’enjeu est de
taille. Couche reconnaît que si ces
aménagements sont commodes,
ils aboutissent toujours à sacrifier
des places; considération très im-
portante pour les express, les seuls
cependant pour lesquels les water-
closets aient une utilité réelle à cause
de la rareté et la brièveté des arrêts,
et de la longueur des trajets effec-
tués par la plupart des voyageurs.
Pour le bien-être
des voyageurs
Il faut attendre plus de quinze ans
pour qu’une circulaire ministérielle en
date du 3avril 1879 vienne rappeler
aux compagnies que, si l’introduction
de water-closets dans les trains ne
saurait être imposée comme une des
obligations résultant du cahier des
charges ou des règlements, cette me-
sure s’impose «
par l’intérêt qu’elle
présente au point de vue du bien-être
des voyageurs
». L’appel est entendu.
Un an plus tôt, plusieurs matériels do-
tés de toilettes avaient été présentés
dans le cadre de l’Exposition univer-
selle de Paris. Une note rédigée à ce
propos rappelait les raisons de cette
présence: «
La suppression des ar-
rêts sur de longs parcours, 100 à
120kilomètres, et la brièveté des ar-
rêts conservés, ont fait sentir le be-
soin de créer, soit dans les voitures
mêmes, soit dans les fourgons des
trains rapides, des water-closets dont
le public put faire usage en marche.
Parmi ces matériels, un fourgon du
PO et une voiture de 1
classe du
Midi à quatre compartiments et
deux cabinets de toilette water-clo-
18-
Historail
Mars 2007
S
i l’on excepte les matériels de la CIWL,
les water-closets ne font leur appari-
tion dans les voitures de nos trains que
dans les années 1880. L’un des principaux
obstacles à leur installation est l’implan-
tation des compartiments qui occupent
alors toute la largeur des caisses et empê-
chent toute communication entre eux. Les
premières expériences ont donc consisté à
limiter l’usage des water-closets à un nom-
bre très restreint de compartiments, ceux-
ci ne pouvant leur être qu’attenants. En
fait, la règle était d’un water-closet par
voiture, réservé à un compartiment, au
mieux à deux.
Ce qui explique que leur usage ait été gé-
néralement réservé aux compartiments
«salons-lits» dont les occupants pouvaient
s’enorgueillir de disposer ainsi de toilettes
véritablement privées.
On comprend aisément qu’il était impensa-
ble de doter chaque compartiment d’une
telle installation sans compromettre gra-
vement la capacité d’accueil des voitures.
La solution est venue de l’adoption du
couloir latéral. Deux conceptions s’oppo-
saient: la première associait ce couloir à
l’intercirculation, c’est-à-dire la possibi-
lité de passer d’une voiture à l’autre; la
seconde refusait cette option. Dans le
premier cas, le couloir courait de bout en
bout de la caisse. Dans le second cas, il
n’était que partiel, les extrémités de la
voiture continuant d’être occupées par
deux compartiments de configuration
large. La montée et la descente des voya-
geurs s’effectuaient par les extrémités
dans le cas des voitures dotées d’un cou-
loir latéral, par l’emprunt des portes
latérales ouvrant sur chaque comparti-
ment dans celui des voitures limitées à
un couloir partiel.
Cette dernière conception est retenue en
1886 par la compagnie de l’Est, soucieuse
«de pouvoir intercaler dans la composi-
tion de ses trains express […] des voitures
offrant aux voyageurs un cabinet de toi-
lette avec water-closet accessible de tous
les compartiments de la voiture».
rapport aux expériences précédentes qui
imposaient d’ouvrir le local abritant le
water-closet directement dans le compar-
timent contigu, la compagnie entendait
l’isoler autant que possible des comparti-
ments en raison de la gêne occasionnée
par les
«odeurs»
et pour ménager la
pudeur des voyageurs car, dans la situa-
tion présente,
«lorsque l’on est obligé de
s’y rendre, c’est ostensiblement qu’il faut
le faire»
et
«quitter la place que l’on
occupe pour pénétrer immédiatement
dans un water-closet contigu répugnera
toujours à nombre de voyageurs. Une
transition est nécessaire et semble heu-
reusement offerte sous forme de prome-
nade dans un couloir».
En 1888, elle
décide donc la construction de dix voi-
tures de 1
classe à deux essieux et qua-
tre compartiments (deux à six places et
deux à sept) réunis par un couloir latéral
partiel permettant l’accès à un cabinet de
toilette aménagé au centre de la caisse.
«On réalise ainsi l’avantage de conserver
un isolement relatif des voyageurs, tout
en ne perdant qu’une très faible partie
des places utilisables de la voiture».
Le succès rencontré par ce matériel – un
exemplaire (la A102 type 1888) figure à
l’Exposition universelle de 1889 –, incite
la compagnie de l’Est à se lancer dans la
construction, pour ses express intérieurs,
à partir de 1895 et 1896, de voitures de
classe (à cinq compartiments) puis de
classe (à six compartiments) dérivées
du modèle type 1888. Sa démarche est
suivie par ses consœurs. A l’exemple des
chemins de fer de l’Etat, qui entrepren-
Ménager la pudeur des voyageurs
Des toilettes, oui. Mais où?
L’adoption des voitures
à couloir latéral avec WC en
bout permettra de vaincre
l’appréhension des voyageurs
à s’exposer.
sets
», ceux-ci étant intercalés entre
deux de ces compartiments. Mais
seuls les trains les plus rapides, géné-
ralement réservés à la clientèle de
classe, bénéficient de l’attention
des compagnies. Pour preuve, un
vœu du Conseil général de l’Hérault
visant à étendre la mesure à l’ensem-
ble des trains, et notamment aux om-
nibus, est repoussé en 1881 par l’Ad-
ministration qui se contente
d’ex hor ter les compagnies à indiquer
l’entrée des water-closets dans les
gares «
d’une manière plus apparente
qu’elle n’est actuellement
».
Quelques années plus tard, l’Admi-
nistration revient à la charge. Non
qu’elle ait des reproches à formuler
aux compagnies, bien au contraire,
mais pour leur demander plus d’ef-
forts encore. En effet, dans sa cir-
culaire du 29novembre 1887, celle-
ci reconnaît que de nombreux trains
express et directs ont été pourvus
de water-closets, soit par le sacrifice
d’un ou plusieurs compartiments,
soit par l’aménagement de four-
gons; que dans les gares, des ins-
criptions plus lisibles et plus précises
renseignent désormais les voya-
geurs. Toutefois, elle estime ces di-
verses dispositions insuffisantes et
pense qu’il y a lieu, toujours dans
l’intérêt de la santé et du bien-être
des voyageurs, de compléter les
améliorations déjà apportées. Elle
recommande d’équiper en priorité
les trains à longs parcours et, plus
précisément, tous les trains «
marchent pendant plus de deux
heures, sans stationnement d’au
moins dix minutes
». Trop coûteux
répondent les compagnies. Qu’on
opte pour la transformation de ma-
tériels existants ou pour la construc-
tion de nouvelles voitures, la dé-
pense serait hors de proportion avec
le but à atteindre. Le Nord précise
que la mesure, si elle était appli-
quée, toucherait 133 de ses trains
et exigerait de dépenser près de
200000francs dans la première al-
ternative, plus d’un million dans la
seconde. Il rappelle, en outre, que
l’absence de water-closets dans ses
trains n’a jamais soulevé de récla-
mations de la part du public «
Mars 2007
Historail
rdive ]
nent en 1902 la transformation
«par
allongement»
de 80 voitures anciennes
de toutes classes avec couloir partiel et
water-closet,
«permettant aux voyageurs
de tous les compartiments d’accéder à ce
water-closet».
Entre-temps, les voitures à couloir
continu conçues pour permettre l’inter-
circulation s’étaient elles aussi imposées.
Les premières sont à mettre à l’actif des
chemins de fer de l’Etat, du PO et du
PLM. Ce dernier annonce en 1889 la
construction dans ses ateliers de
«neuf
voitures à voyageurs de trois types diffé-
rents destinées à (ses) trains rapides à
longs parcours sans arrêt, et munies pour
ce motif de cabinets de toilette».
S’inspirant du
«système américain»
, ces
voitures de 19 à 20 mètres, sont montées
sur bogies. Deux ont un couloir latéral
permettant
«l’intercommunication».
troisième n’a pas de couloir longitudinal,
mais comprend six compartiments de
sept places, reliés deux à deux par un pas-
sage donnant sur un cabinet de toilette
et deux compartiments de fauteuils-lits.
En 1892, le PLM met en service une nou-
velle série de voitures de 1
classe à qua-
tre compartiments et de 2
classe à cinq
compartiments, à couloir latéral et inter-
circulation, mais à trois essieux cette fois-
ci:
«A l’une des extrémités de la voiture,
le retour du couloir conduit à un water-
closet ; à l’autre extrémité, il se termine
par un siège mis à la disposition des voya-
geurs […]. Le couloir et le water-closet
sont en acajou pour la 1
classe et en
pitchpin pour la 2
classe.»
Les chemins de fer de l’Etat prennent la
décision de commander trois voitures à
bogies de 17mètres, à couloir latéral et
intercirculation en 1887. Ces véhicules
devaient répondre à deux critères: per-
mettre la circulation d’un bout à l’autre
de chaque voiture et, au besoin, d’une
voiture à l’autre; rendre accessibles aux
voyageurs les water-closets en cours de
marche. Les trois voitures (une pour
chaque classe) sont livrées en décembre
1888 et
«placées dans un même train
avec des voitures ordinaires, de façon à
permettre au public de manifester ses
préférences pour l’un ou l’autre type».
Quatre autres voitures sont commandées
cette même année, dont trois figurent à
l’Exposition universelle de 1889: une de
classe à six compartiments de six
places, une de 2
classe à sept comparti-
ments de huit places et une de 3
classe à
huit compartiments de dix places. Mais si
les voitures de 1
et de 2
classe sont
dotées de deux water-closets avec réser-
voir d’eau, l’un pour les dames, l’autre
pour les hommes (implantés à l’une des
extrémités de la caisse, ils sont contigus
l’un de l’autre), la voiture de 3
classe ne
dispose que d’un seul water-closet
dépourvu de réservoir d’eau (implanté à
l’une des extrémités, il est flanqué du
local alloué à la guérite du frein).
L’ensemble de ces voitures (trois de 1
cl.,
deux de 2
cl. et deux de 3
cl.) est mis en
service entre Paris et Royan l’été et entre
Paris et Bordeaux l’hiver. Vivement
appréciées du public, leur nombre sera
progressivement augmenté pour attein-
dre le nombre de 77 fin 1901 (25 de 1
cl.,
27 de 2
cl. et 25 de 3
cl.).
L’Exposition universelle de 1889 permet
aussi au PO de dévoiler l’une de ses cinq
voitures de 1
classe à bogies, couloir laté-
ral et intercirculation affectées à ses trains
rapides de Paris à Bordeaux. Chacune offre
à chaque extrémité un water-closet, un
pour les dames, l’autre pour les hommes.
Prenant modèle sur ses devancières, la
compagnie de l’Est se dote aussi, à la fin
des années 1890, de voitures de 1
et de
classe à couloir latéral et intercircula-
tion pour faciliter le service des douanes
et celui des wagons-restaurants toujours
plus nombreux. Mais, après réflexion, elle
écarte la solution de voitures à bogies,
d’une capacité trop importante pour les
besoins de ses services, pour retenir celles
à deux ou trois essieux. Ces voitures de
quatre compartiments à six places (1
cl.)
ou à huit places (2
cl.) sont équipées cha-
cune d’un cabinet de toilette placé à
l’une des extrémités. La compagnie de
l’Est n’entrera en possession de ses pre-
miers véhicules à bogies qu’en 1904, tou-
jours dotés d’un seul water-closet en
dépit d’un nombre de places plus élevé:
six compartiments de six places et un
Confort
[ les «water-closets» dans les trains, une réalité ta
qu’en fait les voyageurs n’usent
pour ainsi dire jamais des installa-
tions qui leur sont offertes
». Sa let-
tre date du 13janvier 1888, un an
donc avant que n’éclate l’affaire de
Clermont qui, nous l’avons vu, loin
d’ébranler ses convictions, le
conforte dans son idée. D’ailleurs,
l’Administration finit par admettre
le point de vue des compagnies et,
par circulaire du 11août 1890, ac-
cepte l’idée que l’installation de wa-
ter-closets dans les trains à grands
parcours se fasse progressivement
lors du passage aux ateliers des ma-
tériels concernés ou à l’occasion de
commandes à venir, notamment
celles de voitures à couloir et toi-
lettes en bout. De fait, les compa-
gnies s’engagent dans cette voie et
expérimentent les voitures à couloir
latéral, avec et ou sans intercircula-
tion, qui permet à tous les voya-
geurs d’accéder aux toilettes amé-
nagées au centre de la caisse ou en
bout de couloir. D’anciennes voi-
tures sont transformées afin de ré-
pondre à ces nouvelles exigences.
Les chemins de fer de l’Etat, le PO,
le PLM, l’Est sont les plus actifs.
Mais leur action reste globalement
insuffisante. Aussi, l’Administration
finit-elle par se fâcher pour de bon.
Une exigence
de l’Administration
Le 7juillet 1904, remarquant «
les commodités offertes aux voya-
geurs français sont restées dans un
état d’infériorité regrettable par rap-
port à celles dont bénéficient la plu-
part des pays étrangers
», elle exige:
un, que, dans un délai d’un an maxi-
mum, tous les trains effectuant un
parcours de deux heures ne compor-
tant aucun arrêt de dix minutes
soient dotés d’un water-closet au
moins; deux, que, dans un délai de
trois ans, ces mêmes trains soient
munis d’un water-closet par classe.
Les compagnies protestent, arguent
que l’emploi de fourgons spécialisés
n’a jamais donné les résultats es-
comptés et assurent que leur situa-
tion financière n’autorise pas une
généralisation des voitures à couloir,
notamment pour la 3
classe. En re-
tour, elles proposent un assouplisse-
ment de la règle des dix minutes qui,
revue à la baisse, permettrait de di-
minuer le nombre des trains touchés
par la mesure édictée, quitte, par ail-
leurs, à augmenter la durée de sta-
tionnement de certains autres trains
afin de ménager aux voyageurs des
plages horaires plus importantes
pour se rendre aux lieux d’aisances
des gares traversées. Mais l’Admi-
nistration repousse la combinaison,
estimant que le chiffre de dix mi-
nutes réservé aux stationnements les
plus importants a toujours été consi-
déré comme un minimum et
qu’augmenter la durée des autres
arrêts risquerait de jeter le trouble
dans le service des correspondances.
Elle conteste aussi la hauteur de l’in-
20-
Historail
Mars 2007
Voiture PLM de
1
re
classe à
intercirculation
livrée en 1892.
De même
conception que
ses aînées de
1889, mais à
trois essieux, elle
n’offre qu’un
seul WC (RGCF,
juillet 1893).
Arch. L
VDR
Arch. L
VDR
Voiture PLM
de 1
re
classe
à quatre
compartiments
communiquant
deux à deux
par un passage
sur lequel
ouvre un WC.
Comtemporaines
des précédentes,
elles sont autant
appréciées
des voyageurs
(RGCF,
novembre 1895).
Mars 2007
Historail
rdive ]
vestissement auquel les compagnies
font référence, leur rappelant à juste
titre que depuis 1898, date à la-
quelle elles ont été officiellement
sensibilisées aux avantages des voi-
tures à couloir, ce type de matériel
a connu une large diffusion et qu’en
conséquence, le nombre nécessaire
à l’accomplissement des consignes
contenues dans sa circulaire est at-
teint. Aussi, par une circulaire du
6avril 1905, invite-t-elle une der-
nière fois les compagnies à se plier à
ses directives. Curieusement, c’est
le Nord, jusqu’alors le plus réticent
des réseaux, qui fait montre de la
plus grande célérité: le 13avril, il
informe le ministre qu’il prépare sans
plus attendre une commande de
100voitures de 3
classe à couloir
partiel de huit compartiments et
deux water-closets partagés en deux
groupes! Il aura donc fallu attendre
le début du siècle dernier pour que
l’introduction de water-closets dans
les trains, disposition jugée naturelle
aujourd’hui, devienne une réalité en
France.
Bruno CARRIERE
Voiture PLM
de 3
e
classe à
couloir latéral.
L’absence
d’intercirculation
explique la
position centrale
des WC. Comme
pour les autres
matériels,
chaque
compartiment
ouvre
directement sur
le quai par ses
deux portières
latérales.
Arch. L
VDR
S
uite aux protestations
de la clientèle ne pouvant
utiliser les toilettes (trop
souvent condamnées pour
fonctionnement défectueux)
de leurs toutes nouvelles
automotrices 4024/4124
(entre autres), les Chemins
de fer autrichiens (ÖBB) ont
dû, tout récemment, faire
arrêter à titre exceptionnel des
trains assurés avec ces types de
matériel dans des gares où ils
n’avaient pas d’arrêt régulier.
Histoire de permettre
simplement aux voyageurs de
se soulager… Ainsi, le
22décembre dernier, le train
2703, en provenance de
Wiener Neustadt et à
destination de Graz, devait-il
s’arrêter, lui-aussi, en gare
d’Aspang pour un «arrêt pipi»
inopiné, après que
150voyageurs aient fait part
de leur mécontentement,
toutes les toilettes de la rame
étant condamnées. Quinze
d’entre eux descendirent à
Aspang pour se ruer vers
l’unique WC de la gare,
infligeant au train huit minutes
de retard. Notre confrère
Eisenbahn Österreich, qui
relate ces faits avec humour,
souligne que de tels «arrêts
pipi» conduisent souvent, par
effet «boule de neige», à un
«désheurement» massif des
circulations, et il ne manque
pas de stigmatiser cet étonnant
retour en arrière, comme à
l’époque où les voitures ne
comportaient pas de
toilettes…
Philippe Hérissé
Nouveaux arrêts pipi
dans l’Empire de la valse
Destin
22-
Historail
Mars 2007
Jean-François Cail.
Du sucre aux locomotives
L’une
des dernières
Crampton
construites
en 1859 pour
le compte
du Chemin
de fer du Nord.
Mars 2007
Historail
exigence du défunt était que son
successeur rembourse sa part à ses
deux filles en dix ans, ce qui sera fait.
Un an plus tard, la société et ses sa-
tellites emploient quelque 2500ou-
vriers, tant en France qu’à l’étran-
ger. Ses ateliers de Chaillot font
l’admiration de tous. On peut ainsi
lire dans le
Journal des chemins de
fer et des usines
du 18décembre
1847 que, «
à la vue des chaudières
faites par cette maison, un célèbre
ingénieur anglais, en ce moment à
Paris, disait hautement, il y a
quelques jours, que les ouvriers an-
glais devraient venir apprendre en
France à travailler la chaudronne-
rie
».
Un bel agencement que la Révolu-
tion de 1848 menace de ruiner. Ou-
tre la crise économique qui influe sur
le volant des commandes, les ou-
vriers mécaniciens des ateliers de
Chaillot se mettent en grève et ob-
tiennent de la Commis sion du gou-
vernement pour le travail, présidée
par Louis Blanc, théoricien du socia-
lisme, de pouvoir créer entre eux
une association assurant un partage
équitable du travail à tous ses mem-
bres au cas où l’ouvrage viendrait à
manquer et de porter la diminution
du temps du travail journalier arrêtée
par les nouvelles autorités d’une
heure à deux heures (soit de onze à
neuf heures). Cail s’incline, met à la
disposition de l’association ses ate-
liers et les matières premières, mais
refuse de se mêler de l’exécution du
travail, se contentant de lui passer
commande des travaux pour un prix
convenu d’avance. La décision de
l’association de niveler les salaires in-
cite alors les meilleurs ouvriers à
quitter l’entreprise, tandis que l’ab-
sentéisme pour cause de manifesta-
tions s’envole. La production s’ef-
fondre, la démoralisation est
générale. Le 9juillet, après trois mois
d’expérience, l’association, en fail-
lite, est dissoute sans réclamation de
la part des ouvriers.
Contraint momentanément de s’en-
fuir sous le coup de menaces, Cail
reprend les rênes de l’entreprise,
s’acquitte des sommes dues aux
créanciers, utilisant ses ressources
personnelles et faisant appel à l’em-
prunt pour relancer l’activité. Ses
capacités, son honorabilité suffisent
à rétablir la confiance: les actions
émises à 500francs montent rapi-
dement à 900francs. Le succès ren-
contré lors de l’Expo sition de 1849
qui, pour la première fois, met en
lumière l’activité liée au chemin de
fer, confirme le redressement. Il est
temps pour notre homme de s’af-
firmer définitivement: le 6juin
1850 est fondée la Société J.-F.Cail
et Cie, société en commandite sim-
ple par actions dont il s’attribue les
trois quarts du capital, le quart res-
tant se répartissant entre une poi-
gnée d’investisseurs. Parmi eux,
Louis Cheylus, un vieux collabo-
rateur hissé au rang de gérant
aux côtés de Jean-François Cail.
Avec le second Empire s’ouvre une
longue période de prospérité dont
l’entreprise va habilement tirer pro-
fit. Dès 1852, la maison de Bruxelles
ouvre une première succursale en
Russie méridionale, à Smela, puis
une autre l’année suivante à Denain
“Les ouvriers anglais devraient venir apprendre
en France à travailler la chaudronnerie”
La forge
de Grenelle,
la plus grande
usine de Paris
au XIX
e
siècle.
Tournage
et forage
de canons
à Grenelle
en 1870.
Doc.
LVDR
Destin
[ Jean-François Cail. Du sucre aux locomotives ]
26-
Historail
Mars 2007
L
’activité ferroviaire de Derosne et Cail
remonte à 1845, année de la livraison
de sept locomotives de type Clapeyron
au petit chemin de fer de Lille et Valen-
ciennes à la frontière. Dans les trois an-
nées qui suivent, la société fournit 48ma-
chines de type Stephenson à la
Compagnie du Nord. Les ateliers du quai
de Billy se chargent de leur construction,
mais tout en sollicitant les autres sites de
la maison: Denain pour la fourniture des
chaudières et des roues, Grenelle pour
celle des pièces de forge. Les ateliers du
quai de Billy n’étant pas reliés au réseau
ferré, c’est par la route, à travers Paris,
que les pièces détachées (châssis d’une
part, chaudières de l’autre) sont livrées à
demeure. Une opération lourde qui se
perpétuera jusqu’en 1866, date à la-
quelle, après la destruction des ateliers
par le feu, le montage des locomotives
est reporté sur le site de Grenelle qui pré-
sente bientôt l’avantage d’être raccordé à
la ligne de la Petite Ceinture.
Entre-temps, tous les regards s’étaient
tournés vers la Belgique où, depuis 1846,
deux drôles de machines venues d’Angle-
terre circulaient entre Namur et Liège.
Baptisées du nom des deux villes, elles im-
pressionnaient tant par leur silhouette
pour le moins inhabituelle (l’essieu mo-
teur était placé en arrière du foyer de fa-
çon à pouvoir abaisser la chaudière et
agrandir le diamètre des roues motrices)
que par leurs performances (les grandes
roues motrices de deux mètres et plus, as-
sociées à la grande stabilité de l’ensem-
ble, leur permettaient d’atteindre
100km/h). A la recherche d’une notoriété
que ses compatriotes semblaient vouloir
lui refuser, leur concepteur, l’ingénieur an-
glais Thomas Russell Crampton, avait dé-
posé un brevet en France dès le 24 octo-
bre de la même année. Séduit, l’ingénieur
en chef du matériel roulant de la Compa-
gnie du Nord, Jules Petiet, commande
douze machines de ce type à la Société
Derosne et Cail, qui acquiert en exclusi-
vité et pour quinze ans la licence d’exploi-
tation du brevet en question. L’accord pré-
voit le paiement d’une redevance de
100livres par locomotive, soit
2500 francs, une goutte d’eau comparé
au prix de vente d’une telle machine fixé
à 58000 francs.
Revues et corrigées par Houel, ingénieur
en chef de la maison Derosne et Cail, les
premières Crampton sont livrées au Nord
en 1848-1849 (n
122 à 133). La pre-
mière serait entrée en service le 25fé-
vrier 1849 à l’occasion de l’inauguration,
par le président Louis-Napoléon Bona-
parte (futur Napoléon III), de la ligne
Compiègne-Noyon, une autre trônant la
même année à l’Exposition publique des
industries françaises. Employées aux ra-
pides Paris-Calais, elles seront autorisées
à rouler à 120km/h par décret du 30juil-
let 1853. Les Compagnies de Paris à
Strasbourg (Est) en 1852 et de Paris à
Lyon (PLM) en 1854 se laissent à leur tour
tenter. Au total, les ateliers du quai de
Billy construiront 125 Crampton de 1848
à 1859. Seules deux commandes lui
échapperont: une de 10unités confiée
par le PLM à Schneider et une autre de
20unités attribuée par l’Est à Koechlin.
Le musée de Mulhouse abrite aujourd’hui
une des machines qui ont fait la renom-
mée de Cail et Cie: la n°80 le
Conti-
nent
de la Compagnie de Paris à Stras-
bourg. Couronnement de cette intrusion
dans le monde ferroviaire, les établisse-
ments sont plébiscités lors de l’Exposi-
tion universelle de 1855, obtenant une
Grande Médaille d’Honneur accompa-
gnée de la mention «
pour services ex-
ceptionnels rendus aux chemins de fer
pour l’importance et la qualité de leur
fabrication de locomotives…
Cette même année, Jean-François Cail
vient en aide à Basile Parent et Pierre Scha-
ken, deux entrepreneurs de travaux pu-
blics belges, placés depuis peu à la tête
des ateliers d’Oullins (créés en 1844 par
Alphonse Clément-Désormes) par le
Grand Central, en construisant 15loco-
motives pour leur compte. Un service qui
lui vaut de perdre dans l’immédiat son in-
génieur en chef Houel, «invité» à pren-
dre la direction de la nouvelle régie d’Oul-
lins conjointement avec Caillet, mais
prépare un rapprochement bénéfique. En
effet, suite à la faillite du Grand Central
en 1857, le PLM, nouveau propriétaire des
ateliers d’Oullins, avait informé Parent et
Schaken du non-renouvellement de leur
bail. Ces derniers, soucieux de poursuivre
leur activité, fondent alors, le 6septembre
1861, une nouvelle société sous la raison
sociale Parent, Schaken, Caillet et Cie avec
création d’une usine de locomotives à
Fives, non loin de Lille, et un atelier de
wagonnage à Givors. Au mois de novem-
L’homme des Crampton
Cail obtient pour quinze ans l’exclusivité de
la construction des Crampton en France
Arch. LVDR
Destin
[ Jean-François Cail. Du sucre aux locomotives ]
(qui se dote de deux nouveaux ate-
liers à Douai et à Valenciennes), aux-
quelles se greffent de nouvelles suc-
cursales aux îles Bourbon (la
Réunion) et Maurice. Plus de
4000ouvriers travaillent désormais
pour Cail à travers le monde. La di-
versification de ses activités se pour-
suit: navigation fluviale, épurations
de charbon par le lavage, outillages
de forges… Les récompenses obte-
nues lors des expositions industrielles
nationales et internationales se suc-
cèdent. Dans sa série sur
Les
Grandes Usines
, publiée en 1867,
Julien Turgan rappelle fort justement
que le nom de Cail «
est connu non
seulement en France, où l’on voit
sans cesse la mention Cail et Cie ins-
crite sur les locomotives d’une partie
de nos chemins, sur les parapets de
nos ponts de fer, sur les presses de
notre Monnaie et sur une foule de
machines de toutes formes et de
tout usage, mais encore dans tous
les pays du globe où s’exportent et
se dressent les admirables appareils
à sucre dont cette maison s’est ac-
quis particulièrement le privilège
L’année 1861voit l’alliance de Cail
avec la société Parent-Schaken-Cail-
let et Cie, un de ses principaux
concurrents sur le marché ferroviaire,
les deux constructeurs se partageant
notamment la fabrication des loco-
motives commandées à l’une ou
l’autre firme. Cette entente est à
l’origine de la Compagnie de Fives-
Lille, créée quatre ans plus tard.
Dans la nuit du 15 au 16décembre
1865, une partie des ateliers du quai
de Billy (Chaillot) est ravagée par les
flammes. L’occasion pour Jean-Fran-
çois Cail de les transférer à Grenelle.
Nouveau siège social de l’entreprise,
Grenelle est alors présenté comme
la plus grande usine de Paris.
Riche, Cail l’est assurément. Outre
ses intérêts industriels et agricoles, il
possède à Paris un hôtel particulier
boulevard Malesherbes (érigé en
1865, il abrite depuis 1926 la mairie
du VIII
arrondissement) et de nom-
breux immeubles de rapport situés
dans des quartiers prisés de la bour-
geoisie. Il entreprend même en 1869
la construction d’un château dans
son domaine de la Briche. A sa mort,
sa fortune s’élève à près de 28mil-
lions de francs de l’époque. Une
somme à mettre en parallèle avec le
seuil des 500
francs qui faisaient
de vous un homme riche sous le se-
cond Empire. Néanmoins, bon fils,
bon époux, bon père, il conserve
jusqu’au bout les manières simples
héritées de ses origines. Il est vrai que
la seule passion qu’on lui connaisse
est le travail. N’aimait-il pas répéter
28-
Historail
Mars 2007
De son vivant,
Cail fut
le premier
fabricant
mondial
de matériel pour
les sucreries.
Pour recevoir
ses visiteurs,
J.-F. Cail
engagea
la construction
du château de la
Briche en 1869,
qui ne fut
achevé que
six ans après
sa mort.
A droite,
son tombeau au
Père-Lachaise.
permettra en effet de substituer à
un nombre restreint de trains rapides
à vapeur sur Lille, sur Bruxelles et sur
Liège […] des relations par automo-
trices plus rapides que nos trains les
plus rapides et plus nombreuses,
sans augmentation de la dépense
totale de mise en marche, grâce à
une réduction du prix de revient ki-
lométrique. Cela nous garantira de la
concurrence automobile sur terre et
dans l’air, cette dernière étant gre-
vée des temps perdus aux deux ex-
trémités du parcours par les trajets
entre les aérodromes et les villes
qu’ils desservent. Les mêmes auto-
motrices permettront d’envisager la
création de communications rapides
sur des relations où elles n’auraient
qu’une clientèle insuffisante pour
payer la mise en route d’un train à
vapeur; d’où une source de recettes
nettes nouvelles correspondant à des
voyages nouveaux que nous ne pou-
vons attendre que du transport of-
fert au voyageur.
La mise aux essais, en octobre 1932,
du prototype allemand SVT877
passé à la postérité sous le nom de
Fliegender Hamburger
(Hambour-
geois volant), et l’impact internatio-
nal des résultats obtenus – l’auto-
motrice atteint rapidement la vitesse
Mars 2007
Historail
/ TAR, stars de la région Nord
Septembre 1936,
deux TAR 36
couplés pour
un essai
stationnent sur
l’embranche-
ment de l’usine
de la Franco-
Belge à Raismes.
STÉ FRANCO-BELGE/COLL. PH. ROYER
Mars 2007
Historail
bitraires de la Deutsche Reichsbahn
lors de la débâcle de l’été 1944,
amoindrissent considérablement le
parc des TAR: 10 des 23 motrices
sont détruites par faits de guerre
(XF1001, 1102, 1104, 1116) ou
égarées hors du territoire national
(XF1003, 1004, 1107, 1109, 1110,
1111). De quoi, néanmoins, recons-
tituer huit rames (un TAR34 et sept
TAR36) dont l’utilité se fait plus
pressante en raison de la pénurie
de charbon. Ainsi, dès la fin de
1944, une première, accessible seu-
lement aux porteurs d’un ordre de
mission, est en mesure d’assurer en
4 heures 30 une liaison Paris-Lille
via
Laon, Tergnier, Busigny, Cam-
brai et Douai (311/304).
Le 19mars 1945, alors que deux
couples d’express vapeur détournés
par Epluches et Persan-Beaumont
recommencent à rouler par l’itiné-
raire normal en plus de 7heures,
un second aller-retour de TAR est
mis en marche
via
Cambrai et Va-
lenciennes cette fois-ci (307/312).
Le 6 mai 1946, des TAR sont appelés
sur la région Sud-Est afin de prendre
en charge une relation accélérée Pa-
ris-Lyon (41/42). En dépit des nom-
breux ralentissements dus aux tra-
vaux de reconstruction, le temps de
trajet est de 6heures 35, perfor-
mance qui constitue alors le record
européen de distance parcourue
sans arrêt. En octobre 1947, grâce à
l’augmentation
des vitesses au –
to risées sur cer-
tains tronçons
(140
puis
150km/h), et
malgré la gêne
occasionnée
cette fois-ci par
les chantiers
d’électrification,
ce temps est ra-
mené à 5heures
07. Le 1
juillet
1948, un second
aller-retour Paris-
Lyon est confié
aux TAR (43/44),
ce qui permet
de quitter la capitale le matin et d’y
revenir en soirée. Cet aller-retour
disparaît pourtant dès l’année sui-
vante. Au service d’été 1950, un
nouveau gain de temps met Paris à
4heures 55 de Lyon. Les TAR sur-
classent alors de 61minutes le ra-
pide1
Mistral
, tracté électriquement
de Laroche à Dijon.
la région Nord ]
Remise des TAR
du dépôt de
La Chapelle.
Gare du Nord
dans les années
1950. Un TAR
en partance
pour Lille et
Tourcoing.
Coll. YMT
Y. BRONCARD
36
La Vie du Rail – 3 octobre 2012
PORTFOLIO
« Peut-être le bonheur n’est-il
que dans les gares »
, avançait
l’écrivain Georges Pérec. Le
bonheur de partir en tout cas.
Dès les débuts du chemin de
fer, des affiches ont invité les
voyageurs à aller voir ailleurs
si le bonheur y est. Elles sont
l’œuvre d’artistes qui, depuis
le temps des grandes compa-
gnies, ont illustré les charmes
de destinations balnéaires ou
enneigées, de villégiatures
élégantes, d’exotiques desti-
nations. Elles ont mis en
avant, à mesure, les perfor-
mances des machines nou-
velles, les temps de parcours
records, le confort, vanté l’am-
biance à bord des grands
trains…
L’art de l’affiche, le graphisme,
la typographie ont évolué
avec les progrès ferroviaires.
L’exceptionnelle collection de
La Vie du Rail
en témoigne à
travers quelque 250affiches
des maîtres du genre: Cas-
sandre, Villemot, Savignac,
Dali… Elle les met à la dispo-
sition du public dans des re-
productions de haute qualité
que vous aurez plaisir à pos-
séder chez vous.
Tout comme vous pouvez pro-
fiter de reproductions d’une
collection remarquable d’af-
fiches de cinéma. Au fil du
temps,
La Vie du Rail
l’a
constituée, grâce à une poli-
tique suivie d’achats des œu-
vres. Des classiques du sep-
tième art où le train joue les
premiers rôles. De
La Bataille
du rail
au
Dernier métro
en
passant par
Un tramway
nommé Désir
et quantité
d’autres. Quant aux amateurs
de photo ferroviaire, le site
Photorail réunit pour eux un
choix inédit de quelque…
50000 images.
Des tirages proposés dans dif-
férentes dimensions. À offrir
ou à s’offrir. Affiches touris-
tiques, affiches de cinéma dis-
ponibles à La Boutique de La
Vie du Rail, gare Saint-Lazare
à Paris ou en ligne sur
www.photorail.fr
TÊTES D’AFFICHE DU VOYAGE
ET TOILES DE MAÎTRES DU CINÉMA
La Vie du Rail – 3 octobre 2012
37
La plage de Calvi, Corse, de Roger Broders.
38
La Vie du Rail – 3 octobre 2012
PORTFOLIO
La Bête humaine de Jean Renoir, avec Jean Gabin et Simone Simon
Remorqué par la 241 P 3, de Nevers,
le train 1111 Paris-Austerlitz – Nîmes démarre en
direction de Bourges, Vierzon, le 28 août 1967 à 11h03.
PORTFOLIO
Le Jean-Jacques Rousseau à Boujailles, Doubs, Franche-Comté, avec un temps fréquent dans la région…
La Vie du Rail
– 3 octobre 2012
Broncard / PHOTORAIL
La Vie du Rail
– 3 octobre 2012
Chemins de fer de l’Ouest, ligne des Invalides vers Meudon.
Chemins de fer du Nord, Boulogne-sur-Mer, saison 1889.
Chemins de fer de l’Ouest Paris – Londres via Rouen et Dieppe.
Chemins de fer de l’Est, traversée des Vosges, avec la vue prise du Hohneck et la mention
des tramways électriques.
par des Dietrich depuis sa réactiva-
tion en 1947, puis par des Bugatti.
Ce retour le long des berges de
l’Oise et de la Meuse n’est, une fois
encore, que de courte durée
puisqu’un an plus tard la DB intro-
duit à leur place une rame VT08
avec prolongement de Liège à Dort-
mund sous l’étiquette «Paris-
Ruhr». Un retrait compensé par la
création, en octobre 1953, d’une
relation Paris-Amsterdam (125/128)
qui raccourcit le temps de trajet sur
les 547kilomètres de 7heures 10
(meilleur train rapide vapeur) à
6heures 02.
Toujours en 1953, la région Nord
met en marche, durant la semaine,
une quatrième fréquence en soirée
sur Paris-Lille-Tourcoing (332/345)
qui offre la particularité, après tête-
à-queue en gare de Paris-Nord, de
gagner en charge celle de Paris-Lyon
par la Petite Ceinture où elle sta-
tionne de 19h30 à 19h55. Dans
cette gare, elle donne correspon-
dance sur les rapides 7 (Rome-Ex-
press), 3 (Train-Bleu), 19 (Paris-Côte
d’Azur) et relève le 54 en prove-
nance de Marseille et de Lyon.
Si les moteurs Maybach de 410ch
équipant les XF1112, 1114, 1117
peuvent être poussés sans problème
à 430 ch, il est reconnu souhaitable
de remplacer ceux usés des XF1103,
1107 par un moteur MGO réglé à
la puissance de 430ch, la motrice
XF1110 étant, elle, placée en at-
tente d’amortissement. Cette modi-
fication, intervenue en 1954, est as-
sortie de l’apposition de moustaches
jaunes sur les extrémités des caisses
des motrices.
Au service d’été 1955, une rame
TAR est affectée à un aller-retour Pa-
ris-Dunkerque (389/390). Le chant
Matériel
[ les trains automoteurs rapides / TAR, stars de
42-
Historail
Mars 2007
Des TAR pour la banlieue parisienne ?
En 1936, la Compagnie du Nord se
propose d’acquérir quatre rames triples
(M + R + M) destinées au service de
la banlieue parisienne. Revenant sur
sa décision, elle opte en 1937 pour trois
rames quadruples (M + R + R + M) dites
TAR 38. Son ambition était de faire partir
ensemble deux ou trois rames TAR de
la gare de Paris-Nord pour économiser
les sillons dans la zone très chargée
de l’avant-gare. Ces rames se seraient
dirigées vers Pontoise, Valmondois
et Montsoult, avec désaccouplement
en cours de route dans les gares
de bifurcation. Mais, bien qu’autorisée
à construire ces rames, la Compagnie
revient bientôt à son idée première!
La SNCF mettra fin au projet de trains
automoteurs de banlieue (TAB) en 1939.
Cette décision n’empêche pas la Division
des études d’autorails (DEA) d’étudier le
réaménagement de deux remorques TAR
36 en 3
classe, chacune offrant 96 places
assises (cinq sièges de front) et 44 places
debout. Des deux remorques prototypes
prévues (numérotées RZ 3021 et 3022 et
dites TAR 39), une seule voit le jour en
1941 (la RZ 3022), réalisée par les ateliers
de la SNCF probablement par
transformation de la RZ 3015. Encore
qu’il soit possible qu’elle provienne
d’une construction entamée par la
Société Franco-Belge au titre des TAB.
Bien que toujours à l’effectif de 1956, il
ne semble pas que ce véhicule ait fait
l’objet d’une exploitation commerciale.
1948, Laroche-
Migennes.
Rencontre entre
le TAR 36 n° 42
Paris-Lyon et le
diesel 262 AD 1
en tête du
Riviera Express
Vintimille-Paris.
F. FENINO/LVDR
1937-2007
Une septuagénaire alerte,
la SNCF
En ce début d’année, adressant ses vœux aux cheminots, Anne-Marie
Idrac, président de la SNCF, déclarait:
«Deux événements majeurs
feront de 2007 une année exceptionnelle: la mise en service du TGV
Est-européen, le 10 juin, et la célébration des 70 ans de la SNCF. C’est
un fort symbole de voir notre plus belle modernité, technologique et de
services, plonger ses racines dans notre riche et authentique histoire.»
Trois mois plus tard, si l’ouverture prochaine de la ligne nouvelle
alimente régulièrement l’actualité, force est de constater que la commé-
moration de la création de la SNCF (convention du 31 août 1937) est
encore fort peu médiatisée. Nul doute, cependant, qu’elle trouvera d’ici
peu la place qu’elle mérite. Mais, sans plus attendre, nous avons pris le
parti d’une première approche de l’événement sur lequel nous aurons
certainement l’occasion de revenir pour en approfondir certains aspects.
Survoler en quelques pages 70 ans d’une histoire aussi dense que celle
de la SNCF n’est pas un exercice facile. Georges Ribeill, historien et
sociologue, directeur de recherche à l’Ecole nationale des ponts et
chaussées, a accepté de relever le défi. Conscient, toutefois, de la part
de subjectivité qui a pu guider ses choix, il attend des lecteurs qu’ils
réagissent, prêt à croiser le fer s’il le faut. Fidèle en cela à son souci
d’appréhender au plus près la réalité des faits par le dialogue.
Collectif,
«Le statut des
chemins de fer
français et leurs
rapports avec l’Etat
(1908-1982)»,
in AHICF
, HS n°4,
février 1996.
Louis Armand,
Propos ferroviaires
Fayard, 1970.
Message
pour ma patrie
professionnelle
Les Amis de
Louis Armand, 1974.
Roger Guibert,
La SNCF,
cette inconnue
octobre 1969.
Georges Ribeill,
Les cours
successifs d’une
entreprise publique
(1937-1981)
Développement
Aménagement,
1982.
Collectif,
«Les très grandes
vitesses
ferroviaires en
France»,
in AHICF
n°12-13, 1995.
• Il y a 70ans naissait la SNCF.
p. 46
• Comment ont-ils vécu la nationalisation?
p. 56
•Un leader cégétiste face à la création de la SNCF,
Pierre Sémard.
p. 60
• L’héritage des compagnies.
p. 64
• En feuilletant l’album d’une dame septuagénaire.
p. 68
• D’une présidence à l’autre, galerie de portraits.
p. 78
Dossier
46-
Historail
Mars 2007
Paris, le 31août 1937
Monsieur le Président,
La loi du 30juin 1937 a autorisé le
gouvernement à prendre par décret
des mesures en vue d’assurer le re-
dressement financier.
Parmi les plus importantes de celles-ci,
doit figurer la réorganisation des ré-
seaux de chemins de fer. Tel est l’ob-
jet du présent décret que nous sou-
mettons à votre haute approbation;
ses dispositions principales approu-
vent une convention passée aux ef-
fets annoncés ci-dessus avec les an-
ciennes compagnies concessionnaires
des chemins de fer d’intérêt général.
Nous vous prions d’agréer, Monsieur
le Président, l’hommage de notre
profond respect.
Le président du Conseil,
Camille Chautemps
Le ministre des Travaux publics,
Henri Queuille
Le ministre des Finances,
Georges Bonnet.
Un mois d’âpres
discussions
L
es dés sont jetés: la Société
nationale des chemins de fer est
née. En vérité, ils auraient pu l’être
plus tôt, à deux reprises: une pre-
mière fois au lendemain même de
la Grande Guerre, la seconde fois
au tout début des années 1930,
chaque fois à l’initiative des socia-
listes
(voir encadré)
C’est dire si la «nationalisation»
était dans l’air du temps. Mais les
esprits n’y étaient pas préparés. En
fait la classe politique devait attendre
que la situation financière des ré-
seaux atteigne un point de non-re-
tour pour se résigner à l’inévitable.
Encore devait-elle opter pour un
«compromis», la nationalisation,
au sens strict du terme, n’ayant été
rendue effective qu’en… 1983!
Que la réforme des chemins de fer
soit intervenue au moment du Front
populaire n’est en définitive qu’un ha-
sard de l’histoire, même si les circons-
tances politiques ont pu peser sur la
décision finale. Chose curieuse, en ef-
fet, c’est sous le gouvernement à ma-
jorité radicale de Camille Chautemps
(les radicaux étant par principe hos-
tiles à toute nationalisation), et non
sous le gouvernement de Léon Blum,
que l’on procéda à la plus importante
«nationalisation» du Front populaire.
Les radicaux au secours
des compagnies?
Mais revenons au point de départ.
De 1929 à 1935, le déficit des ré-
seaux ne cesse de prendre des pro-
portions alarmantes en dépit des ef-
forts déployés tant par l’Etat que par
les compagnies afin d’équilibrer les
comptes. Aussi, n’est-ce pas sans in-
quiétude que ces dernières assistent
au triomphe du Front populaire, et
notamment des socialistes, aux élec-
tions des 2avril et 3mai 1936 (1).
De fait, Léon Blum argue des résul-
tats pour réclamer le pouvoir: «
parti socialiste est devenu le parti le
plus puissant, non seulement de la
majorité, mais de la Chambre en-
tière
», proclame-t-il.
Or personne n’a oublié la position
défendue par les socialistes en ma-
tière ferroviaire dans les années
1931-1932. Certes, la nationalisa-
tion des chemins de fer n’est pas au
programme du Front populaire pu-
blié le 10janvier 1936, mais pour
des raisons de pure stratégie électo-
rale. En effet, aux socialistes qui in-
sistent sur les réformes de structure
(nationalisation), les communistes,
pour qui l’essentiel est de présenter
un front uni face à la montée des
fascismes, rétorquent que de telles
mesures risquent d’effrayer les
classes moyennes dont il s’agit d’ob-
tenir le soutien. Avis partagé par les
radicaux, bien entendu.
Ce qui explique qu’une seule nationa-
lisation soit à l’ordre du jour: celle des
industries d’armement (au titre de la
défense de la paix), réalisée le 11août
1936, encore que partiellement.
La présence des socialistes au pou-
voir n’en est pas moins une menace
permanente pour les compagnies,
d’autant que les lois sociales votées
les 20 et 21juin, sans contrepartie
au chapitre des recettes, accroissent
encore leurs charges.
En fait, le seul élément temporisa-
teur réside dans la «réserve» des
radicaux qui, garants de la majorité
de la gauche, font comme toujours
figure d’arbitres. Chacun sait, en ef-
fet, qu’allié «naturel» des socia-
listes lorsqu’il s’agit de défendre la
république parlementaire contre les
Il y a 70 ans naissait la SNCF
Au terme de vingt années
de tergiversations et d’un mois
de discussions, les représentants
des grandes compagnies signent
le 31 août 1937 la convention
portant la nationalisation
des chemins de fer.
Pour en savoir plus
•
François Caron,
Histoire de l’exploitation
d’un grand réseau, La compagnie des che-
mins de fer du Nord, 1846-1937.
Mouton,
1973.
•
François Caron,
Histoire des chemins de fer
en France (1883-1937),
t. II, Fayard, 2005.
•
Jean Kalmbacher,
La Convention du 31
août 1937. Elaboration et première période
d’application,
in
Le Statut des chemins de fer
français et leurs rapports avec l’Etat 1908-
1982,Revue d’histoire des chemins de fer
(AHICF), hors série n°4, février 1996.
•
Georges Ribeill,
La nationalisation des che-
mins de fer (1937) : rupture et continuité,
Les nationalisations de la Libération, de l’uto-
pie au compromis,
Presses de la FNSP, 1987.
Page de droite,
conçue par
Marcelle Hirtz et
Paul Martial, la
première affiche
publicitaire
éditée par la
SNCF en 1938.
Mars 2007
Historail
Coll.
LVDR
Mars 2007
Historail
quant à son statut et qui le fut aussi
dans son application, servit en partie
de modèle, quelques années plus
tard, à René Mayer lorsqu’il eut à
bâtir le statut de la Convention de
1937 qui allait fonder la SNCF. (5)
L’initiative de René Mayer est loin,
cependant, de faire l’unanimité des
dirigeants des réseaux. Nombreux
encore, en effet, sont ceux qui conti-
nuent à croire naïvement que la na-
tionalisation n’est pas la seule issue
possible. Marcel Peschaud, ancien se-
crétaire général du comité de direc-
tion des grands réseaux, estime, par
exemple, qu’un nouvel amendement
à la convention de 1921 pourrait ré-
gler la question. Ce à quoi Mayer ré-
pond qu’une telle procédure «
ne fe-
rait pas ressortir une novation suffi-
sante pour donner une satisfaction
d’ordre politique à la majorité de la
Chambre
». Sur ce point, Mayer se
montre très ferme. Selon lui, la
mystique de la nationalisation
» est
si forte que le gouvernement n’a
d’autre exutoire que de réaliser la fu-
A
vant la guerre, déjà, des voix s’élèvent pour
réclamer la révision amiable des conventions
de 1883 qui régissent alors les chemins de fer,
quelques-unes même parlent de «rachat» par
l’Etat – le concept de «nationalisation» n’est
encore que très rarement énoncé – à l’exemple
de ce qui s’était fait en 1908 pour la Compagnie
de l’Ouest, lourdement déficitaire.
Il est certain que la «réquisition» des réseaux
en 1914, placés sous une tutelle unique, ne peut
qu’inciter les pouvoirs publics à œuvrer en ce
sens. Une commission gouvernementale travaille
d’ailleurs sur la question depuis octobre 1917.
Rendues en juillet 1918, ses conclusions
répondent en tous points à leur attente.
Mais il n’est encore nullement envisagé d’évincer
les compagnies concessionnaires.
Cette virtualité, la CGT, elle, ne l’exclut pas.
Elle en revendique même ouvertement
l’application dès 1919, par le biais d’une
«nationalisation industrielle». Ainsi, rompant
avec le discours traditionnel de
«l’usine aux ouvriers», la centrale
syndicale n’hésite pas à préconiser
une voie nouvelle qui diverge aussi
sensiblement de la «nationalisation
étatiste». Dans les deux cas, l’Etat
est propriétaire du service public
«nationalisé», mais tandis que
dans le second système il gère
directement ce service, dans le
premier, il a recours à un organisme
indépendant qui, selon les termes
mêmes de Léon Jouhaux, «doit jouir
de l’autonomie financière et de
l’autonomie administrative».
Deux propositions de loi sont faites en ce sens
au nom du parti socialiste: une première,
le 19avril 1919, par Albert Thomas, ancien
ministre de l’Armement et futur président du
Bureau international du travail (elle ne sera
jamais examinée); la seconde, le 30juillet 1920,
par Léon Blum dont ce sont là les premières
armes parlementaires (discutée à la Chambre
le 24décembre, elle est repoussée par 435voix
contre 119).
La situation financière des compagnies, proches
de la faillite, n’écarte pourtant pas une telle
issue. En 1921, Yves le Trocquer, alors ministre
des Travaux publics, reconnaîtra honnêtement
«qu’il fallait ou racheter les réseaux, ou leur
donner les moyens de vivre». Pour l’heure,
toujours persuadés que tout le système de crédit
français repose sur la bonne tenue des actions
ferroviaires, les pouvoirs publics optent pour
la seconde solution. Le revers des socialistes
aux élections de novembre 1919 et l’arrivée
aux affaires d’hommes de droite, attachés,
en matière économique, à l’orthodoxie libérale,
l’échec aussi de la grève générale de 1920,
confortent leur choix.
La convention du 28juin 1921 apporte donc
au problème ferroviaire une solution de
«compromis» (la première). L’Etat
sauve les réseaux de la banqueroute
en prenant à sa charge et leurs dettes
de guerre et leurs dépenses
de reconstruction. En contrepartie,
les compagnies s’engagent
à perpétuer, dans la mesure
du possible, et en concordance avec
les intérêts généraux du pays, l’unité
d’exploitation qui avait été de règle
tout au long du conflit.
Deux organismes sont chargés de la
coordination: pour l’un, des réseaux
entre eux (Conseil de direction
des grands réseaux), pour l’autre,
entre les réseaux et l’Etat (Conseil supérieur des
chemins de fer). Elles acceptent, en outre, d’être
financièrement solidaires, les réseaux prospères
devant se porter au secours des réseaux
déficitaires, un «fonds commun» étant chargé
de collecter puis de redistribuer les excédents.
En 1919 et 1931, déjà
Le socialiste
Albert Thomas
qui fut parmi
les premiers,
en 1919, à
réclamer la
nationalisation
des réseaux.
KEYSTONE
P
as de titres excessifs dans la presse datée du
septembre 1937 au lendemain de la publica-
tion du décret portant création de la SNCF.
L’événement partage la «une» avec le conflit sino-
japonais, la guerre d’Espagne, l’agitation politique
en Belgique, le championnat du monde de boxe
entre Joe Louis et Tommy Farr.
Pas de réactions incisives non plus. Chacun se
conforte dans ses idées.
Le Populaire
, organe de la
SFIO, met l’accent sur la fin du «
règne des magnats
du rail
» et de la «
domination des grands manitous
du rail
».
L’Huma nité
ne cache pas sa déception –
Les Rothschild n’ont pas lieu d’être particulière-
ment mécontents des nouvelles dispositions finan-
cières
» – et parle de «
rachat sans nationalisation
par opposition à la «
nationalisation avec rachat
Le Temps
reste dans l’expectative: «
… fille de la
politique, la SNCF sera ce que la politique voudra
Le Populaire
Disons-le tout de suite: la convention signée avec les
Réseaux et le décret qui consacre cette convention
sont loin d’être parfaits. Nous aurions désiré mieux.
(…) Cependant, cette convention, telle qu’elle est –
nous pouvons le reconnaître très franchement – nous
donne satisfaction et peut être acceptée avec soula-
gement par l’ensemble des travailleurs.
Le Figaro
A vrai dire, les traits de la future Société nationale
ne sont pas encore fixés. On sait seulement que
l’Etat en détiendra la majorité. Cette emprise a plus
de signification symbolique que de portée réelle. Ce
qui compte surtout, c’est l’usage qui sera fait des
prérogatives que s’arrogent les pouvoirs publics (…).
Si la Société nationale des chemins de fer, sous la
conduite d’un chef capable d’embrasser son immen-
sité, est gérée selon les règles techniques rigou-
reuses, qui s’imposent à n’importe quelle entreprise
publique ou privée, elle rendra service à la France.
Autrement, ce sera une boîte de Pandore.
L’Ère Nouvelle
Pas un exposé sur le problème budgétaire, depuis
des années, qui ne s’achevât par cette phrase:
«Tout cela sans oublier le déficit des chemins de
fer». On ne prenait point le ministère des Finances
sans se voir accrocher ce boulet aux pieds (…). On
attendait Chautemps au problème des chemins de
fer. Il l’a résolu de façon magistrale. La France a un
bon timonier.
L’Action Française
MM. Chautemps et Queuille n’ont point osé grever
les finances publiques par un rachat des concessions.
Ils ont bien fait. Mais M. Camille Chautemps a
manqué de courage et de persévérance (…). Sa
Société nationale des chemins de fer est une cote
mal taillée. Sans doute obligataires et actionnaires,
pour l’instant, sont-ils sauvegardés. Sans doute les
dividendes restent-ils garantis. Sans doute encore
les sociétés demeurent-t-elles propriétaires de leurs
terrains, constructions et immeubles. Mais… mais…
l’Etat disposant de la majorité des actions n’est-il
point un jour ou l’autre autorisé à affirmer son
arbitraire? Que vaudra la solution Chau temps sous
un gouvernement autoritaire Léon Blum, Vincent
Auriol ou Maurice Thorez ? Ce sont là des éventua-
lités qu’il faut considérer.
Le Temps
L’on ne saurait constater sans mélancolie ni, hélas !
envisager sans appréhension la disparition d’un
mode de gestion des voies ferrées qui avait fait ses
preuves au cours d’un siècle entier (…). A ce régime
qui s’était révélé bienfaisant et qui ne fut point sans
grandeur, succède un régime étatiste assez voisin de
celui de la nationalisation pure et simple (…). Le
nouveau régime de chemins de fer est issu de la poli-
tique socialisante du Front populaire, il est une satis-
faction donnée aux éléments extrémistes de la for-
mation électorale au pouvoir (…).
Dans la presse…
Arch. LVDR
Mars 2007
Historail
Mars 2007
Historail
Matériel et de la Traction du Nord.
Le 9 novembre étaient nommés à leur
tour, à la tête:
– du service du Mouvement, Goursat,
ingénieur en chef de l’Exploitation du
Nord ;
– du service du Matériel, Jean Levy, chef
du service du Matériel et de la Traction
de l’Etat;
– du service des Installations fixes,
Porchez, chef du service de la Voie, des
Bâtiments et de la Construction des
lignes nouvelles de l’Etat.
Le schéma directeur avait prévu aussi de
remplacer les anciens réseaux par cinq
régions dont les sièges étaient maintenus
à Paris, de façon à entretenir une liaison
étroite avec les services centraux. Leurs
directeurs furent connus le 24novembre,
avec: pour le Nord, Cambournac ; l’Est,
Renard ; le Sud-Est, Jourdain; le Sud-
Ouest, Epinay ; l’Ouest, Legoux. L’Est et le
Sud-Est étaient dotés, chacun, d’une sous-
direction ayant pour siège Strasbourg
(pour la prise en compte des particularités
de l’ancien réseau de l’AL) et Marseille (en
raison de l’étendue de la région mère).
Chaque région comprenait en outre trois
grands services (Exploitation, Matériel et
Traction, Voie et Bâtiments), composés
chacun de divisions, de subdivisions et
d’arrondissements. Le 24 novembre aussi,
Surleau, directeur général adjoint, était
chargé de l’installation des services cen-
traux pour le 1
janvier 1938.
La direction générale et le secrétariat
général (auxquels on adjoignit le service
du Personnel) se réservèrent, comme
point de chute, les locaux de la direction
générale du PLM, 88 rue Saint-Lazare, la
plus somptueuse. De même, certains ser-
vices centraux optèrent pour quelques-
unes des autres directions générales des
compagnies: le service Commercial, pour
celle du Midi, 54 boulevard Haussmann;
les services de l’Organisation technique
et du Mouvement, pour celle la direction
du PO-Midi, 8 rue de Londres; le service
du Matériel, pour celle de l’Etat, 20 rue
de Rome. Pour sa part, le service des
Installations fixes se vit octroyer le siège
du comité de direction des grands
réseaux, 42 rue de Châteaudun.
La question de la passation des pouvoirs
s’était posée très tôt. Dès le 7octobre, en
effet, les ingénieurs de la Voie des diffé-
rents réseaux, réunis en conférence,
avaient jugé «
qu’il ne pouvait être ques-
tion, pour le moment, de faire modifier
les inscriptions sur les façades principales
des bâtiments des gares, en vue de faire
disparaître les noms des anciens
réseaux
». Problème résolu le 12octobre:
ce jour-là, le conseil d’administration
adopte officiellement le sigle «SNCF».
Très vite aussi, on avait eu le souci de l’uni-
fication. Témoin cette lettre de Robert Le
Besnerais à Henry-Gréard, directeur géné-
ral du PO-Midi, en date du 2décembre:
Dans le but d’amorcer aussi rapidement
que possible l’unification de la réglemen-
tation des divers réseaux, je vous serais
obligé, à partir de maintenant, de ne plus
soumettre au ministre de modifications de
textes homologués actuellement en
vigueur sur votre réseau qu’après mon
accord préalable.
Quant au personnel, il était couvert par
l’article 38 de la convention: «
Tous les
agents des grands réseaux en activité de
service au 31décembre 1937 seront incor-
porés, à partir du 1
janvier 1938, dans les
cadres du personnel de la Société natio-
nale, avec le même échelon, la même
échelle et la même ancienneté que ceux
dont ils jouissaient sur leur réseau.
Mais, pour ne pas aggraver le problème
d’un personnel déjà pléthorique, recom-
mandation est faite le 1
er
octobre aux
réseaux de ne plus recruter de personnel
nouveau sans l’accord préalable de la
nouvelle société.
Simultanément, elle poursuivait l’élabora-
tion de son cahier des charges et de ses
statuts, ratifiés le 9décembre par l’assem-
blée générale des actionnaires et entéri-
presse, exprime sa satisfaction: «
me réjouis que le problème de la ré-
organisation des chemins de fer, qui
était depuis si longtemps et vaine-
ment débattu, ait pu être réglé par
nous, non par les voies de la coerci-
tion, mais par la méthode pacifique
de la convention… Nous avons évité
le double écueil de laisser dominer
l’intérêt public par des intérêts parti-
culiers ou de soumettre les chemins
de fer à un régime de bureaucratie
étatique…
» Loin des projecteurs,
René Mayer écrit: «
Je peux enfin
prendre des vacances; je n’en puis
plus, mais j’ai gagné. (10)
Bruno CARRIERE
(1) Notre propos n’est pas ici de retracer
l’histoire de la fin des compagnies (traité
dans notre n°1841), ni d’entrer dans les
détails juridiques ou financiers de la négo-
ciation. Nous avons cherché à situer l’événe-
ment dans le contexte politique et à recréer
l’atmosphère qui entoura les discussions.
(2) Denise Mayer,
René Mayer. Études, té-
moignages, documents,
PUF, 1983.
(3) Guy de Rothschild,
Témoignage adressé
à Mme René Mayer
[op. cit. in (2)].
(4) Mayer avait «guidé» Pomaret dans sa
préparation au concours du Conseil d’Etat.
(5) Notice sur la fondation d’Air France
[op. cit. in (2)].
(6) Georges Bonnet,
Vingt ans de vie poli-
tique, 1918-1938, De Clemenceau à Dala-
dier,
Fayard, 1969.
(7) En 1932, Tirard avait été d’avis d’en-
gager le dialogue avec l’Etat et de propo-
ser des échantillons de solution.
(8) André Moreau-Néret.
René Mayer, de la
Convention de 1937
[op. cit. in (2)].
(9) Les ordres du jour du Comité de direc-
tion des grands réseaux étaient préparés
par la conférence des directeurs, réunion
des directeurs des réseaux privés et des ré-
seaux d’Etat. Dautry semble avoir été par-
tisan d’une réforme plus «radicale» qui
aurait éliminé les compagnies.
(10) Cette étude est une reprise d’un arti-
cle publié dans
La Vie du Rail
n°2125 du
31/12/1987 à l’occasion du cinquantenaire
de la SNCF.
Robert
Le Besnerais,
premier
directeur
général,
de 1937 à 1944.
Coll. LVDR
Mars 2007
Historail
rouchement attaché à son réseau,
les particularismes restaient très
forts. Les dirigeants eux-mêmes sou-
tenaient que la pluralité des réseaux
créait une saine émulation.
La Convention signée, l’opinion,
comme presque toujours en France
lors de réformes, n’a pas caché son
scepticisme. Nombreux étaient ceux
qui pensaient que le déficit se perpé-
tuerait sous un autre nom. Les chro-
niqueurs brocardèrent allègrement
le sigle SNCF,
Sucrons-Nous Chers
Frères
, pouvait-on lire, ou encore
Sauvons-Nous Chères Fripouilles
Cela dit, la moquerie mise à part, je
crois que l’homme de la rue a ac-
cueilli la «nationalisation» comme
une réforme sensée, puisque modé-
rée. Si critiques il y a eu, ce furent
davantage des critiques de forme
que de fond. Les cheminots, bien
sûr, ont regretté la disparition «phy-
sique» des compagnies. Il faut re-
connaître que ce sont les épreuves
nées de la guerre, survenue deux ans
à peine après la signature de la
Convention, qui ont véritablement
scellé la SNCF. C’est alors que l’es-
prit cheminot a pris le dessus et que
D
es bruits, divers et nombreux, ont
couru à l’époque sur cette nationalisation.
Dans les dépôts et les gros centres, le bouche
à oreille fonctionnait à plein. Pour certains,
tel Albert Cametz, entré en 1925 à l’âge
de treize ans comme apprenti au dépôt
de Longwy, la première réaction face
à ce proche changement s’est traduite par
un sentiment de satisfaction.
«Fonctionnaire», un mot presque magique
à ses yeux. Le titre surtout comptait.
Pour nous, passer fonctionnaires, cela
représentait quelque chose. Nous étions
jusqu’alors ouvriers et nous allions devenir
employés de l’Etat. C’était synonyme
de sécurité de l’emploi, de congés payés,
d’avantages comme les primes de travail,
de nuit, de naissance pour chaque enfant…
En apprenant leur simple assimilation
aux fonctionnaires et non leur intégration
dans l’administration, des craintes se firent
jour. «
Nous avions un peu peur que l’on nous
joue des “entourloupes” et de ne pas
bénéficier de tout cela.
» Craintes qui
s’estompèrent rapidement: ces fameux
avantages seraient les mêmes.
Un mot magique: fonctionnaire!
Dessinée par
Paul Colin en
1947, cette
affiche affirme
de manière
catégorique
la principale
vocation du
chemin de fer.
Coll. LVDR
Mars 2007
Historail
assumée par le vice-président repré-
sentant l’Etat, Grimpret.
Le premier directeur général de la
SNCF a été Robert Le Besnerais, di-
recteur de l’Exploitation au Nord, qui
avait secondé René Mayer dans ses
pourparlers avec le gouvernement.
Le Besnerais était essentiellement un
homme de cabinet, un homme de
réflexion, à l’esprit clair et lucide, un
organisateur… Un homme fait pour
les situations délicates. Et la mise en
place de la SNCF a été une affaire
délicate. D’ailleurs, l’une des grandes
chances de la SNCF fut d’avoir tou-
jours l’homme qu’il fallait au mo-
ment où il le fallait. C’est ainsi que
Lemaire, à qui incomba, après
guerre, la charge de reconstruire le
réseau, était, à l’inverse de Le Bes-
nerais, son prédécesseur, un homme
de chantier, un homme qu’il était
rare de trouver dans son bureau.
La SNCF s’est érigée sur les struc-
tures juridiques et administratives
existantes qui, d’ailleurs, ne diffé-
raient pas sensiblement d’un réseau
à l’autre, même entre réseau privé
et réseau d’Etat. Par contre, les
consignes et règlements internes
étaient loin d’être alignés. Et cette
œuvre de longue haleine ne put être
réalisée que très progressivement.
La première mesure fut de fusion-
ner les services centraux de chaque
réseau. Les sept directions générales
furent amalgamées en une direction
unique, les sept services de la voie
en un seul service, etc.
Bien sûr, humainement, cela n’a pas
été sans problèmes ni difficultés. Si
au niveau du personnel d’exécution,
ces problèmes et ces difficultés ont
été relativement peu perçus du fait
que, couvert par son statut, il ne
pouvait être directement affecté par
la nouvelle organisation, par contre,
au niveau du personnel d’encadre-
ment, il a fallu tout le tact et l’habi-
leté des premiers dirigeants pour
ménager la susceptibilité de chacun.
Les nominations aux nouvelles direc-
tions sont néanmoins intervenues
très tôt afin de permettre aux res-
ponsables de rendre opérationnels
leurs services dès le 1
janvier 1938.
En réalité, la «grande valse» a eu
lieu, non pas le 1
, mais le 2janvier.
Mais, là encore, n’ont été pratique-
ment concernés que les services cen-
traux dont certains prirent, d’ailleurs,
possession des anciennes directions
générales des compagnies. Le Com-
mercial a investi la direction générale
du Midi, le Matériel celle de l’Est, etc.
sans trop de désordre, malgré tout.
Sur le terrain, par contre, il n’y a eu
aucun cafouillage. Le personnel était
à sa place. Il a tout bonnement
changé de casquette, un point c’est
tout. Le service, lui, n’a subi, au dé-
part, aucune modification importante.
Propos recueillis par
Bruno CARRIERE
E
n 1937, Pierre Barry travaillait
au bureau d’études des locomotives
du service central du Matériel et de
la Traction de la Compagnie de l’Est.
Quand la nouvelle de la
nationalisation a été connue, début
septembre, avec les risques de mutation
qu’elle comportait pour les bureaux
d’études, une majorité de dessinateurs
se sont mis à rechercher les moyens
d’échapper à une mutation, les uns
arguant qu’ils étaient propriétaires
d’un pavillon en banlieue est, les autres
qu’ils avaient des enfants scolarisés ne
pouvant changer d’école. Il faut préciser
qu’à cette époque, chacun rentrait
déjeunez chez soi, en proche banlieue,
les trains ayant des horaires établis à cet
effet. Cela n’a pas empêché le couperet
de tomber. Ça s’est mijoté dans
le secret. Environ la moitié des agents
du bureau qui ne pouvaient invoquer
les motifs ci-dessus ont été mutés
à la nouvelle Division des études
de locomotives, installée dans les locaux
de la région Sud-Est de la nouvelle SNCF,
les autres restants à l’Est pour constituer
un bureau de dessin chargé des
questions d’entretien des matériels
régionaux. Un seul n’alla pas à la DEL:
moi… Je ne l’ai su qu’au dernier
moment. J’étais absent du bureau
d’études depuis quelques jours. Je passe
un soir rendre compte à l’ingénieur
de ma mission. Au détour de la
conversation, il me glisse: “Au fait, vous
êtes désigné pour aller à la Division
des études des autorails (DEA).
Puis-je faire une remarque, lui dis-je.
Non, il n’y a rien à dire…” En fait, la
mise en place des nouveaux organismes
ne s’est faite que progressivement.
Ainsi, je ne me suis présenté à la DEA,
44 rue de Rome, que le 3février 1938.
Le chef adjoint de la division (lui-même
venu de l’ex-PLM) me renvoya aussitôt:
“Je ne peux vous prendre maintenant,
les locaux destinés à la division n’étant
pas encore libérés par l’Ouest… Revenez
le 1
mars.” J’ai donc repris le chemin
du 162 faubourg Saint-Martin où le chef
d’études me dit que je ne faisais plus
partie de son personnel. Mais il m’a
autorisé à occuper une place. Pour me
distraire, j’ai entrepris la lecture de
Revue générale des chemins de fer,
empruntée à la bibliothèque du service.
Le 1
mars, retour à la DEA qui
s’organisait lentement. Après avoir été
en bascule entre diverses branches du
service pendant une dizaine de jours,
j’ai été interpelé par l’inspecteur
divisionnaire (ex-Etat) qui venait de
prendre en charge la section d’essais des
autorails pour l’ensemble de la SNCF:
“Vous faisiez des essais d’autorails à
l’Est?
Oui.
Je vous embauche.”
Et le 15 mars, je me suis retrouvé au
dépôt de Versailles-Matelots en face du
premier autorail de Dietrich à gazogène
que j’allais promener avec des fortunes
diverses sur la ligne de Granville.
Le problème
des personnes déplacées
Dossier
E
n décembre 1935, lors d’un
congrès fédéral commun, les
deux fédérations de cheminots –
confédérée (affiliée à la CGT de Léon
Jouhaux) et unitaire (affiliée à la
CGTU de Gaston Monmousseau) –
fusionnent. La direction nationale de
la nouvelle Fédération nationale des
travailleurs des chemins de fer est
désormais paritaire, partagée entre
Jean Jarrigion et
Pierre Semard.
Dans le nouveau
contextedel’alliancepolitique
réalisée à gauche sous la bannière
du Front populaire, incluant
jusqu’aux radicaux-socialistes, les
élections
législativesde
mai1936ont assuré un triomphe
éclatant à cette coalition. Même si
le parti communiste refuse de par-
ticiper au gouvernement Blum issu
de cette nouvelle donne, de pro-
fondes
réformes
vont
êtreengagées. Hormis les nationa-
lisations des industries liées à la
défense (usines d’armement et
aéronautiques), le programme du
Front populaire n’a pas mis à l’or-
dre du jour la nationalisation des
grands services publics: électricité,
gaz, eau, chemins de fer, etc.
La Fédération des cheminots ne
s’associe pas à la vague des grandes
grèves (avec occupation des lieux
de travail) qui paralyse le secteur
privé, moins bien loti de manière
générale que les secteurs public et
concédé, et qui contribue à soutenir
le gouvernement Blum chargé de
négocier avec le patronat les
grandes mesures sociales annon-
cées (des 21 jours de congés payés
aux 40 heures hebdomadaires). A
l’issue d’une réunion au domicile de
Blum entre délégués de la
Fédération et des membres du gou-
vernement, il avait été convenu, en
effet, que les cheminots ne se join-
draient pas aux grèves afin de ne
pas gêner l’action du gouverne-
ment. En contrepartie, celui-ci
devait intervenir directement auprès
du Comité de direction des chemins
de fer (l’instance regroupant les
cinq compagnies et deux réseaux
face à leur tutelle politique) pour
l’octroi immédiat aux cheminots des
mesures sociales promises (1).
Le processus politique qui s’engage
fin 1936 vers une refonte radicale
du régime des chemins de fer fran-
çais ne doit rien à une quelconque
pression syndicale. C’est plutôt,
paradoxalement même, à l’invita-
tion du centre-gauche que sont
entreprises les premières réflexions
sur les scénarios qui permettraient
aux réseaux de sortir de leur
marasme économique et de leur
déroute financière. Quant à la com-
pagnie du Nord, la plus puissante –
et la plus influente aussi – des com-
pagnies privées (celle des
Rothschild), elle mène campagne
auprès des administrateurs du rail
pour leur faire accepter de se
décharger du boulet de la «gestion
désintéressée» d’un chemin de fer
dont on n’imagine plus possible le
redressement financier. Rappelons
que si, en vertu de la convention
financière de 1921, les actionnaires
sont assurés de toucher chaque
année un dividende minimum
garanti, l’Etat faisant l’avance des
fonds de la garantie d’intérêt, le
déficit du fonds commun – ce
«trou commun» selon l’heureuse
formule du sénateur Jeanneney –
ne cesse de se creuser chaque
année, les réseaux bénéficiaires ne
parvenant plus à éponger les pertes
des réseaux déficitaires. De fait, la
dette partagée des compagnies à
l’égard de l’Etat n’a cessé d’empirer
depuis le début des années 1930,
atteignant 35 milliards début 1937.
Bref, au printemps 1937, tandis
que les réseaux finissent d’engager
les 80000recrues que leur impose,
malgré eux, la mise en œuvre des
40heures, la Compagnie du Nord
entend bien saisir l’opportunité de
la pause du gouvernement Blum
pour aller vers une «nationalisa-
tion». Ceci afin d’éviter le pire,
telle la déchéance (sans dédomma-
gement) ou l’étatisation des com-
pagnies privées (avec éviction de
leurs administrateurs). Comme l’a
dit le vice-président du Nord, René
Mayer, devenu le porte-parole et
très habile négociateur politique
des compagnies, le temps était
venu de sacrifier à «
la mystique de
la nationalisation
», tenant le cabi-
net centre-gauche de Chautemps
pour un interlocuteur modéré, le
seul à pouvoir céder aisément aux
intérêts à préserver lors de cette
délicate opération.
Ce cabinet ayant obtenu les pleins
pouvoirs jusqu’au 31août, et
échappant de ce fait à tout contrôle
ou contrepoids d’une majorité par-
lementaire bien ancrée à gauche, les
mois de juillet et août constituent la
«fenêtre de tir» opportune à ne
pas louper, côté compagnies…
Ainsi, pendant que les Français et
leurs parlementaires sont en
vacances, se déroulent au ministère
60-
Historail
Mars 2007
Un leader cégétiste face à la création
Bien que ses troupes soient
absentes des grandes grèves
de 1936, Pierre Semard prend
position le 20 juillet pour une
«nationalisation industrialisée»
alors que les négociations
battent leur plein.
Pierre Semard
(1887-1942),
secrétaire
général de
la Fédération
réunifiée
des cheminots
de 1935 à 1939.
Doc. LVDR
Dossier
[un leader cégétiste face à la création de la SNCF,
Voyons plus largement la ques-
tion de la réorganisation et ce qui
est envisagé.
Il y a trois solutions qui avaient été
examinées sous le gouvernement de
Blum, par notre ami Bedouce
[le
ministre socialiste des Travaux
publics].
Trois solutions puisque le
rachat pur et simple n’a pas été pris
en considération, et pour cause:
l’indemnité d’éviction à payer serait
considérable; on
ne la chiffre pas
encore en milliards.
(…) De même a été
écartée la nationa-
lisation industriali-
sée, tout au moins
telle qu’elle a été
proposée par la
CGT
[en 1920, l’un
des motifs de la
grève générale de
mai]
et telle qu’elle
a été proposée
dans le rapport de
Jules Moch en
[député socialiste, en charge
du dossier ferroviaire].
Voyonslestrois solutions possi-
bles.
Première solution: une simple révi-
sion de la convention de 1921,
sous forme d’un avenant (…).
Deuxiè me solu tion: la création
d’une socié té mixte, enlevant par-
tiellement aux Compagnies leur
pouvoir absolu de gestionnaires et
renforçant l’autorité de l’Etat par
sa représentation dans la société
mixte, tout en maintenant en fonc-
tion les conseils d’administration
des Compagnies. Troisième solu-
tion: création d’une Socié té géné-
rale des chemins de fer, qui entraî-
nerait la suppression des Conseils
d’administration, donnerait dans le
Conseil de la société, la majorité
aux représentants de l’Etat,des
usagers de modeste condition et
du personnel.
Telles sont les trois solutions.
Pourquoi pas la troisième
solution, la «nationali-
sation industrialisée»?
Nous disons, nous, avec la CGT, que
l’Etat ne doit pas être à la fois proprié-
taire et gestionnaire d’une entreprise.
La gestion doit appartenir à un orga-
nisme particulier, au sein duquel l’Etat
s’assure une représentation détermi-
née. C’est donc la nationalisation
industrialisée que nous réclamons.
Quels sont les principes essentiels
qui sont à la base de cette nationa-
lisation industrialisée?
1 –
L’Etat acquiert la propriété de
tout le matériel, des biens mobiliers
et immobiliers. On peut même aller
jusqu’à la reprise du domaine privé
des réseaux.
2 –
L’Etat transforme les actions en
obligations; ou encore il sert aux
actionnaires un intérêt moyen cal-
culé, par exemple, sur les cinq der-
nières années, et il rachète en fin
de concession. La première solution
a notre sympathie (…).
3 –
L’Etat crée un Conseil de gestion
à base tripartite, comportant des
représentants de l’Etat et des
grandes collectivités, des représen-
tants des usagers – on entend des
usagers de modeste condition – et
des représentants du personnel.
Toute la question est de savoir si,
dans un tel Conseil de gestion, une
forte majorité appartiendra aux
représentants de l’Etat, du person-
nel et des petites gens. Sans cela, ce
serait l’échec, même avec la forme
de la nationalisation industrialisée.
Ce Conseil désigne le Comité tech-
nique d’exploitation où, à côté des
ingénieurs-directeurs du réseau
national et des directions régionales,
siègent les représentants du person-
nel désignés par la Fédération natio-
nale des cheminots et par sa filiale,
la Fédération des cadres
».
A la suite des exposés des deux
secrétaires généraux, se prononçant
en faveur de cette «
nationalisation
industrialisée
» des chemins de fer
qui, seule, en permettra «
l’exploita-
tion rationnelle et économique
», la
Commission exécutive adopte à
l’unanimité et à l’adresse du cabinet
Chautemps et de son ministre des
Travaux publics, Queuille, en charge
de la négociation avec les compa-
gnies, la résolution suivante:
Elle demande au gouvernement
de ne pas s’en tenir à des demi-
mesures telles que la création
d’une société mixte, maintenant la
structure actuelle des réseaux et de
leurs conseils d’administration,
mesures qui perpétueraient la mau-
vaise gestion des réseaux.
Toutefois, dans l’hypothèse où la
nationalisation industrialisée des
chemins de fer – qui demeure l’ob-
jectif principal de la Fédération –
serait considérée comme impossible
dans la période actuelle, la Commis –
sion exécutive se prononce:
1 –
Pour la dénonciation définitive
de la convention de 1921.
2 –
Pour la création d’une «Société
nationale des chemins de fer» uni-
fiant complètement les divers
réseaux, supprimant leurs conseils
d’administration et assurant dans le
Conseil de la nouvelle société une
forte majorité aux représentants de
l’Etat, des usagers de petite condi-
tion et du personnel.
La Commission exécutive déclare
que si la réorganisation des chemins
de fer est réalisée sur ces bases, la
Fédération est disposée à donner le
concours de ses militants au Conseil
de la Société nationale des chemins
de fer. Ceux-ci, désignés par le
Conseil fédéral, tout en prenant leur
part de responsabilité dans la ges-
tion des chemins de fer, auraient
pour mission de défendre les inté-
rêts de la collectivité en général et
du personnel en particulier.
Evidemment, la SNCF échappe à la
nationalisation industrialisée
sou haitée par la Fédération, résul-
tant plutôt de l’une de ces «
demi-
mesures
» qu’elle jugeait toutefois
acceptable. Comme promis, elle
accepte d’être représentée au sein
de son conseil d’administration: les
quatre sièges parmi les 33 qui lui
sont réservés, sont occupés par
Liaud, Jarrigion, Semard et Jacquet
(représentant la Fédération des
cadres). C’est donc de manière avi-
sée, à l’épreuve pratique de la
«participation» aux sommets de
cette SNCF, que la Fédération allait
déchanter assez rapidement…
Georges RIBEILL
62-
Historail
Mars 2007
Brochure
reprenant
les idées sur la
nationalisation
défendues
par Semard
et Jarrigion le
20juillet 1936.
64-
Historail
Mars 2007
E
n dépit des réformes de fonctionnement inaugu-
rées après guerre, le déficit des compagnies ne
cesse de se creuser à partir de 1930, alimenté par l’ag-
gravation de la crise économique, pour atteindre près
de 4 milliards en 1936. Placées alors en position d’ac-
cusées devant l’opinion publique, leur sort est rapide-
ment réglé… Reste, que nonobstant leurs difficultés
financières, les compagnies ont poursuivi parallèle-
ment, et sans relâche, la modernisation de leur réseau
et trouvé les solutions pour contrecarrer la concurrence
de la route, mais aussi de la navigation intérieure.
Ainsi, à côté des innovations techniques qui ont touché
la voie et le matériel, ont-elles développé des pratiques
commerciales conquérantes en l’absence desquelles la
débâcle aurait été plus grave encore. Alors que,
jusqu’au début du siècle dernier, fortes de leur quasi-
monopole des transports, leur politique était de laisser
venir à elles voyageurs et marchandises, à partir des
années 1920, elles vont au-devant du client. Un savoir-
faire et un état d’esprit que la toute jeune SNCF adop-
tera en intégrant les personnels en place, masquant ses
difficultés de gestion derrière une image de modernité,
symbolisée aujourd’hui par le TGV.
L’héritage
des compagnies
Le train
aérodynamique
du PLM en gare
de Paris-Lyon
en 1937.
Le carénage
des machines
est dans l’air
du temps.
Arch. LVDR
Dossier
François KOLLAR/Bibl. Forney
François KOLLAR/Bibl. Forney
Arch. LVDR
66-
Historail
Mars 2007
La voie
se modernise
Chantier de renouvellement
de voie.
Débat sur l’adoption
de rails de grande longueur,
essais de traverses
métalliques et béton…
jamais la voie n’a fait l’objet
d’autant d’attentions.
Mais c’est surtout dans
les méthodes d’entretien et
de renouvellement
que les progrès sont
les plus spectaculaires grâce
notamment à la
mécanisation des opérations.
Les gares
s’émancipent
La gare de Versailles
Chantiers
inaugurée en
1932. Fini les gares
construites d’après
catalogue. Umbdenstock,
Cassan, Philippot, Pacon,
les architectes donnent libre
cours à leur imagination
avec recours massif au
béton, à l’acier et aux
briques de verre. Les deux
courants, régionaliste et
moderne, cohabitent.
Plus de sécurité
Poste d’aiguillage électrique
des Batignolles.
La sécurisation du système
ferroviaire s’amplifie.
Unification
de la signalisation
(dite «Verlant»),
développement des systèmes
assurant l’espacement des
trains (block automatique,
dispatching-system).
L’électricité appliquée
aux postes d’aiguillage
conduit à une coordination
plus efficace
entre la signalisation
et les aiguillages.
Dossier
[ l’héritage des compagnies ]
C
onçue à l’été 1937 et venue au
monde le 1
janvier 1938, la
SNCF, en dépit de son changement
de statut juridique le 1
janvier
1983, est perçue comme un acteur
public important de l’histoire écono-
mique et sociale française. Long-
temps, elle a symbolisé des techno-
logies de pointe, soulignées par des
records popularisés, et fait figure de
plus important employeur, hors la
fonction publique étatique, de très
nombreuses familles françaises
comptant un ou plusieurs cheminots
parmi les leurs.
Mais cette longévité singulière – rap-
pelons que EDF, GDF, Charbonnages
de France, la RNUR et la RATP, autres
grandes entreprises publiques
«âgées», sont nées après-guerre –
ne s’explique pas par une vie de tout
repos, une croissance paisible. En
réalité, ponctuant le cours de ses
soixante-dix ans d’existence, plu-
sieurs tournants, avec des hauts et
des bas, voire des ruptures, ont déli-
mité des étapes bien contrastées.
L’exercice qui suit consiste à isoler
ces étapes et à les caractériser au
mieux. Cette rétrospective est donc
aussi une interprétation historique
et, comme telle, fondée sur une
analyse forcément discutable. Ce
qui appelle éventuellement le débat,
voire la controverse.
Hormis l’échéance institutionnelle
de 1982, inscrite dès 1937 dans les
statuts de la SNCF, les facteurs, les
conjonctures qui ont déterminé ces
ruptures et rebonds sont naturelle-
ment d’origine externe à l’entre-
prise, à la croisée de deux grands
mécanismes: l’un d’ordre écono-
mique, le marché; l’autre d’ordre
politique, le poids de la tutelle sur
un service public confié à une entre-
prise publique. En effet, la SNCF ne
vit pas seulement de son marché,
elle est aussi tributaire de l’Etat-
patron qui la subventionne ou l’in-
demnise. Ses ressources provien-
nent de ses clients, voyageurs et
chargeurs, mais aussi des nom-
breuses compensations publiques
aux missions non rentables qu’elle
accomplit à la demande des autori-
tés publiques.
En fait, en 1938, les deux méca-
nismes sont assez simples avec:
d’un côté, un marché des transports
régionaux, nationaux et internatio-
naux, largement dominé par le rail;
de l’autre, un Etat de tutelle
via
ministère des Travaux publics (puis
des Transports, rattaché enfin à
l’Equipement). Sept décennies plus
tard, le schéma s’est grandement
complexifié. L’offre des transports
s’est diversifiée dans un paysage
concurrentiel, le rail étant battu en
brèche par l’automobile et le
camion, l’autoroute, l’avion de ligne
intérieure ou moyen-courrier. De
moins en moins jacobin, l’Etat fran-
çais a doté les Régions de compé-
tences en matière de transports
régionaux: sous leurs habits nou-
veaux, Transilien en Ile-de-France et
TER en province constituent de nou-
veaux services publics bien caractéri-
sés par un cahier des charges, des
subventions d’équilibre ou des
conventions d’exploitation périodi-
quement renouvelables. D’un autre
côté, l’Europe communautaire a été
dotée de pouvoirs supranationaux,
votés par le Parlement européen et
mis en œuvre par la Commission de
Bruxelles au fort pouvoir d’initiative.
Alors que le Marché commun, érigé
en 1958 par le Traité de Rome, s’ac-
commodait de barrières protection-
nistes, l’axiome de la libre circulation
des capitaux, des hommes et des
marchandises, consacré par l’ouver-
ture totale des frontières de l’Europe
en 1993, a fondé un régime de libre
et équitable concurrence censé ser-
vir les intérêts du consommateur. Le
temps des opérateurs historiques
intégrés et monopolistiques a ainsi
été progressivement condamné à
disparaître au nom des tables de la
loi européenne. Tout au long de
cette trame historique de soixante-
dix ans, la SNCF a été forcée de
s’adapter. Avançons un découpage
en huit périodes, que synthétise le
tableau page 76.
1938-1939
de la délicate fusion
des anciens réseaux
aux stigmates durables
de naissance
Née opérationnellement le
janvier 1938 de la fusion de cinq
compagnies privées et deux
réseaux d’Etat, sans aucune réduc-
tion d’effectifs, la SNCF sera affec-
tée durablement dans sa physiolo-
gie future par les stigmates de cet
amalgame accompli en douceur. Il
a fallu agréger sept états-majors
parisiens en un seul, au prix donc
de la création d’un nouveau niveau
de direction intermédiaire. Sous la
direction générale et ses services
centraux fonctionnels (Mouve-
ment, Matériel, Installations fixes,
Personnel, Commercial, Finances,
Approvisionnements, Organisation
technique, Retraites) s’intercalent
cinq directions régionales (Est,
Nord, Ouest, Sud-Ouest et Sud-Est)
au sein desquelles un directeur de
l’Exploitation et trois chefs de ser-
vice supervisent des arrondisse-
ments spécialisés (EX, MT ou VB).
C’est là que l’on retrouve le gros
des états-majors des anciens
réseaux qui, à l’exception du PLM
et du PO, conservent leur siège
administratif parisien. Dans les
locaux libérés par ces deux der-
nières compagnies s’installe l’es-
Mars 2007
Historail
dame septuagénaire
70 ans de SNCF divisés
en huit périodes pour mieux
comprendre les grandes
évolutions de l’entreprise.
Un exercice difficile qui n’exclut
pas les jugements personnels.
Contruites à plus
de 300 unités
entre 1942 et
1952, les 141 P
appartiennent
aux machines
dites
«unifiées»,
nées de la
volonté de
rationalisation
de la SNCF.
Mars 2007
Historail
peu généreux, malthusien en fait.
Plutôt au double visage, ambiva-
lent donc. D’un côté, la SNCF pro-
fitera toujours de la tutelle bien-
veillante du ministère des Trans-
ports: les polytechniciens du corps
des Ponts et Chaussées, auxquels
échoira en général la Direction des
chemins de fer (fondue au début
des années 1970 en une plus large
Direction des transports terrestres),
seront fort solidaires des projets
techniques et de réformes promus
par leurs camarades, nombreux
dans les états-majors de la SNCF.
De l’autre,
via
les contributions de
l’Etat à l’équilibrage de certains
comptes de la SNCF,
via
ses
concours financiers aux investisse-
ments lourds (projets d’électrifica-
tion, lignes nouvelles…), Rivoli puis
Bercy exercera toujours un
contrôle sourcilleux sur les
dépenses d’une maison réputée
pour la propension de ses ingé-
nieurs à développer de beaux jou-
joux ferroviaires, plus coûteux que
rentables. Longtemps absents de la
SNCF, les inspecteurs des finances
ne se priveront pas de freiner cer-
taines ardeurs budgétivores éma-
nant de l’entreprise, fussent-elles
stimulées par le ministère des
Transports, ou parfois celui de l’In-
dustrie. La SNCF héritera des com-
pagnies la culture de l’autonomie
technologique: ce ne sont pas les
constructeurs ferroviaires qui inno-
vent et proposent sur catalogue
leurs derniers modèles de locomo-
tives, c’est la Direction du Matériel
qui les conçoit et passe commande
aux constructeurs le marché de
leur fabrication, d’ailleurs parfois
en partie sous-traitée à la
«concurrence» afin de lisser les
courbes de charge.
1940-1944
, l’arme
stratégique ferroviaire
aguerrie et unifiée
à l’épreuve de la guerre
Paradoxalement, en gommant ses
frontières internes régionales insti-
tutionnelles, l’épreuve de la guerre,
puis de l’occupation, contribue à
forger l’unité de la SNCF confron-
tée aux nouveaux flux et courants
de trafics largement commandés
par les autorités militaires, fran-
çaises d’abord, allemandes ensuite,
prioritaires en tout état de cause! Il
revient à l’ingénieur de la Voie,
Maurice Lemaire, d’être l’artisan
dynamique de la première recons-
truction du rail: celle qui a suc-
cédé, dès l’armistice signé, aux des-
tructions massives des voies et
ouvrages d’art détruits dans la zone
des combats, victimes des mines du
Génie français ou de l’explosion
des bombes allemandes… Alors
que, faute de carburants et de
pneumatiques, les transports civils
automobiles, privés et publics, sont
condamnés à une régression que
ne peut compenser l’âge d’or des
gazogènes et du vélo, la SNCF
retrouve une extraordinaire situa-
tion de monopole grâce à son parc
de locomotives vapeur et élec-
triques, mieux protégé des prélève-
ments imposés par les Allemands
que ses wagons marchandises.
Néanmoins les priorités allemandes
laissent une place réduite aux circu-
lations commerciales. Si tous les
trafics de la SNCF enregistrent des
records historiques, les voyageurs,
eux, souffrent cruellement,
contraints de s’entasser faute
d’une offre suffisante. Côté ateliers
du Matériel, la pression est forte
pour réduire les temps d’immobili-
sation des voitures et wagons
endommagés ou en révision, tout
comme l’est celle visant la chasse
au «wagon qui dort» sur les voies
de débord des gares de marchan-
dises. Et, faute de cuivre, les chan-
tiers d’électrification de Paris-Lyon
sont suspendus. Inversement, dans
les directions techniques centrales,
les ingénieurs ont largement le
temps de penser à l’après-guerre
en misant sur l’inévitable effet de
«table rase» qui résultera des
bombardements préventifs des
nœuds ferroviaires et des combats
de la libération du territoire, pour
concevoir d’importantes réformes
techniques et commerciales.
1944-1949
la «seconde bataille
du rail»: reconstruction
et «américanisation»
A peine sortie d’une première
«bataille du rail», célébrée média-
tiquement après-guerre, la SNCF
fait face à un second défi, celui de
la reconstruction. Au service de la
fameuse «bataille de la produc-
tion» à laquelle invite le Parti com-
muniste, mineurs et cheminots
sont en première ligne: sans char-
bon et sans chemin de fer, la
reprise des industries est impossi-
ble. La présence des communistes
au gouvernement conforte un état
d’esprit de collaboration inédit à la
L’électrification
de la ligne
Paris-Lyon
en 1949-1952
a contribué
au renouveau
du rail français.
MAUFROID/SP SNCF
Huit grands chapitres dans l’histoire de la SNCF
Période
Durée
Contexte général
Innovations, événements symboles et slogans
1938-1939
2 ans
De Munich à la «drôle de guerre»
Normalisation, «Notre Métier»
1940-1944
5 ans
Guerre et occupation
Mobilisation, réquisition, bataille du rail
1944-1949
5 ans
Bataille de la production
Reconstruction, électrification Paris-Lyon
1949-1966
17 ans
Les «trente glorieuses»
Productivité, «progrès technique»,
automatisation
1966-1974
8 ans
La fin de l’Etat-patron (rapport Nora)
Contrat Etat/SNCF ; «progrès managériaux et commerciaux»,
autonomie de gestion,
marketing et prospective, projet TGV-Sud-Est
1974-1982
8 ans
Chocs pétroliers,
Planification, service de l’Action régionale
la récession économique,
le «trou d’air» du rail
1982-1994
12 ans
LOTI (1983),
Planification, service de l’Action régionale
directives européennes (91/440)
Régions et TER, lancement du TGV Sud-Est,
yield
management, Socrate (1993)
1994-2007…
13 ans
RFF (1997),
Engagements commerciaux:
Régions et Stif autorités organisatrices
la qualité «au service des clients».
Changement de siège, la désintégration de la SNCF, TGVmania.
Fret: partenariats entre réseaux
Dossier
[ en feuilletant l’album d’une dame septuagénaire ]
dans un labyrinthe tarifaire et
horaire, est incité en fonction de sa
capacité contributive – le plus fort
prix qu’il est disposé à payer pour
accomplir son voyage – à aider la
SNCF à remplir au mieux tous les
TGV, ceux vides des heures creuses
comme ceux bien garnis de la
pointe horaire des TGV d’affaires.
Manipulation impossible sans la
réservation obligatoire, un impéra-
tif technique du
yield
management
que la SNCF dissimule sous couvert
de bien-être: «
Pour votre confort,
la réservation est obligatoire à bord
des TGV
», tel est l’argument dou-
teux, si ce n’est fallacieux, asséné
au client. Le décret du 21juillet
1994, qui affranchit la SNCF du
tarif kilométrique au profit d’un
tarif commercial ajusté pour
chaque relation en fonction de l’of-
fre et des tarifs de la concurrence,
consacre une rupture historique
quant à son autonomie commer-
ciale. Ce dont profite le premier le
TGV-Nord, inauguré un an plus tôt.
Ainsi est mise en route la «révolu-
tion TGV» qui, grâce au très bon
rendement économique de la liai-
son Paris-Sud-Est, fait figure de
nouvelle «vache à lait». La
TGVmania qui s’ensuit prend sa
source dans ce double succès tech-
nique et commercial, alors que les
modèles économiques appliqués
aux nombreux projets de ligne à
grande vitesse que chaque région
sollicite révèlent une rentabilité
limitée voire douteuse. Dans cette
étourdissante TGVmania sont
entraînés plus largement tous les
acteurs politiques et industriels,
sans oublier les élus régionaux, hor-
mis les financiers. L’on se refuse à
mesurer l’endettement faramineux
de la SNCF qui en résulte… En
revanche, l’entreprise intégrée
qu’est la SNCF résiste très forte-
ment aux assauts de la Commission
européenne qui, brandissant la
fameuse directive 91/440, cherche
76-
Historail
Mars 2007
Les années 1990
ont été
marquées par
l’explosion des
services TER.
C. BESNARD/LVDR
Mars 2007
Historail
à imposer à tous les exploitants
nationaux historiques la séparation
institutionnelle, comptable ou
fonctionnelle de leurs activités en
entités plus ou moins autonomes,
dont l’entretien et la gestion de l’in-
frastructure… Si le système TGV
français est bon pour être exploité
commercialement ou exporté
industriellement au-delà des fron-
tières de l’Hexagone, pas question
de céder à la pression de Bruxelles
ou de suivre la voie de la désinté-
gration admise par d’autres réseaux
voisins. Ce qui est bon chez nous
est sûrement aussi bon à l’étranger,
mais pas l’inverse: la SNCF dirige
ainsi le clan contre-révolutionnaire,
quitte à passer pour le mauvais
élève de la classe européenne. La
promotion, en 1993, du Service de
l’Action régionale au statut de
Direction révèle aussi l’intérêt poli-
tique porté aux relations contrac-
tuelles avec les Régions. Sur tous
ces fronts, le président Jacques
Fournier mène un combat vigou-
reux!
1994-2007…
reconquête des clients
et ouverture résignée
à la concurrence
Les vertus stimulantes et euphori-
santes de la TGVmania ne suffisent
cependant pas à résoudre tous les
problèmes de la SNCF. Le nouveau
président Bergougnoux ramène l’en-
treprise aux dures réalités d’un endet-
tement colossal (pour moitié imputa-
ble aux infrastructures nouvelles) et
d’une exploitation du réseau clas-
sique déficitaire: son redressement
ne peut venir à 100% de l’interven-
tion de l’Etat lui-même surendetté,
mais passe bien par une meilleure
adéquation du service proposé aux
clientèles voyageurs et marchandises,
de sa qualité notamment, et de sa
régularité tout particulièrement. La
«dynamique de reconquête de la
clientèle» s’impose, ce qui signifie
redynamisation de l’action commer-
ciale et engagements professionnels
de toute la chaîne des agents de la
production sur «la qualité, clé de la
productivité». Rappelant que
«l’Etat
nous aidera [seulement et alors] si
nous commençons cette recon-
quête»,
Bergougnoux signe là une
sorte de révolution copernicienne:
c’est du client que viendra le salut
et non plus de l’Etat-providence! Le
contrat de plan à l’étude est donc
centré sur une aide étatique doré-
navant indexée sur les bons résul-
tats de la SNCF… Dévoilée, cette
panacée, l’un des thèmes du conflit
social majeur de l’hiver 1995, est
rejetée. On sait la suite: en externe,
le chantier politique du désendette-
ment conduit à la création de RFF
en 1997 (compromis institutionnel,
RFF, gestionnaire de l’infrastructure,
préserve les compétences d’entre-
tien de la SNCF sous-traitées et la
soulage sur le plan comptable de sa
dette); en interne, l’ardent Le
Floch-Prigent développe les thèmes
de son prédécesseur: le client n’est
plus toutefois un concept écono-
mique abstrait, il existe bien en
chair et en os, aux troupes chemi-
notes d’aller à sa rencontre!
Le grand virage culturel ainsi impulsé
est poursuivi par Gallois. Projet
industriel boussole et moteur de la
«reconquête des trafics», réforme
des structures opérationnelles,
ouverture et métissage culturel du
recrutement aux deux extrêmes de la
hiérarchie, concentration des établis-
sements: tout cela contribue à
Les 25 ans
du TGV fêtés
au Trocadéro en
septembre 2006
a consacré la
«TGVmania»
ambiante.
P. LAVAL/LVDR
une peau de chagrin. Une fois l’ar-
mistice signé et la France occupée,
alors que s’installe le régime de
Vichy, la prise du pouvoir par
Laval, l’appel à ses côtés au nou-
veau secrétariat d’Etat aux Com-
munications du même Berthelot,
orientent la SNCF vers un nouveau
cours technocratique, subordonné
il est vrai à des impératifs poli-
tiques et non plus commerciaux.
C’est officiellement «pour raison
de santé» que Guinand, âgé de
64 ans, est diplomatiquement
poussé à la retraite…
Pierre Fournier
(1940-1946),
le dernier
«épuré» de la SNCF
Laval peut ainsi recaser l’un de ses
anciens conseillers techniques:
l’inspecteur des finances Fournier
qui, gouverneur de la Banque de
France depuis 1937, s’est rendu
indésirable aux yeux des Allemands
par son zèle à vider les coffres et à
mettre à l’abri le stock d’or avant
leur arrivée. Le monde ferroviaire
ne lui est cependant pas totale-
ment étranger puisqu’il était
chargé en 1929 de l’audit des
comptes des chemins de fer fran-
çais. Il aura, tout comme Berthelot
et Le Besnerais, à subir et gérer les
très fortes exigences de l’occupant
vis-à-vis de la SNCF, dont tous les
moyens doivent servir en priorité
les besoins militaires allemands
(trains en cours d’opération, ravi-
taillement, permissionnaires, etc.),
mais aussi les trafics croissants de
marchandises en direction de l’Alle-
magne qui relèvent du pillage éco-
nomique de la France. Sans oublier
les prélèvements vers l’Allemagne
d’agents, de wagons et même de
rails exigés pour satisfaire les
besoins militaires et civils de la
Reichsbahn. Posture politiquement
très délicate donc, à quoi s’ajoute
la pression permanente combinée
des polices de Vichy et allemande
pour épurer la SNCF de ses agents
suspectés d’être restés fidèles à leur
engagement communiste d’avant-
guerre. A la Libération, un
concours de circonstances et de
calculs épargne momentanément à
Fournier le sort de ses deux princi-
paux interlocuteurs: la condamna-
tion par la Haute Cour de justice de
l’ancien ministre Berthelot et la
mise à l’écart en douceur du direc-
teur général Le Besnerais.
Marcel Flouret
(1946-1949),
le premier président
«issu de la Résistance»
C’est en août 1946, peu de temps
avant l’expiration de son mandat,
que des «affaires» de guerre non
classées rattrapent Fournier. Celui-
ci, discrètement mais fermement,
est contraint à la démission par son
ministre de tutelle, le socialiste
Jules Moch. Socialiste, Flouret pré-
sente des titres politiques alors suf-
fisants pour être parachuté à la
tête de la SNCF en pleine recons-
truction: préfet clandestin de la
Seine depuis février 1944, premier
préfet de Paris libéré, «sa qualité
de résistant le désignait particuliè-
rement pour devenir le grand chef
d’une corporation qui, dès le
10août 1944, déclenchait la grève
générale, prélude de l’insurrection
nationale». En fait, cet ancien
polytechnicien, administrateur en
1937 des Chemins de fer de l’Etat,
promu président de chambre à la
Cour des comptes deux mois après
sa prise de fonction à la SNCF, se
révèle incapable de gérer une
entreprise publique budgétivore
suspectée de prodigalités sociales
et dont le déficit, comblé chaque
année aux frais de la République,
ne cesse de croître. Inadmissible
aux yeux de Pineau, cet autre
socialiste qui, membre d’un gou-
vernement prônant la rigueur,
décide de «débarquer» sans
ménagement le président de la
SNCF pour incompétence, ainsi
que son directeur général Lemaire
qui, attaché à rebâtir le réseau,
avait pourtant conquis la sympa-
thie des cheminots…
Pierre Tissier
(1949-1955),
le plus jeune président
C’est un autre résistant (et très dis-
cret socialiste) qui le remplace. Fils
du très honorable et respecté vice-
président du Conseil d’Etat de
1928 à 1937 Théodore Tissier, lui-
même entré au Conseil d’Etat à
22ans, il rejoint à Londres de
Gaulle qui en fait son jeune chef
d’Etat-major. Après-guerre, il suit
Mars 2007
Historail
Doc. LVDR/Banque de France
Doc. LVDR
DUBRUILLE/Doc. LVDR
Mars 2007
Historail
publiques. Grande cause politique
dont témoigne son ouvrage à suc-
cès,
Le train, l’Europe et le service
public
(Odile Jacob, 1993). De ce
point de vue, comme l’avait été
Tissier en son temps, Fournier
relève des présidents «militants
déclarés» qui ont tenté de conci-
lier leurs convictions politiques de
l’intérêt général avec leur mission
de défense de la SNCF et de sa
culture de service public.
Jean Bergougnoux
(1994-1995),
«le plus économiste,
le moins cheminot»
des présidents
L’alternance politique a servi à la
droite pour remplacer Fournier,
arrivé au terme de son mandat, par
Bergougnoux, un autre manager
d’entreprise publique. Ce polytech-
nicien, administrateur de l’INSEE,
s’était fait remarquer à EDF où,
entré en 1970, il avait poursuivi
une brillante carrière d’économiste
jusqu’aux fonctions de directeur
général (1987-94). Son expérience
de la politique commerciale et tari-
faire de cette entreprise et les bons
résultats financiers obtenus l’ont
sans doute désigné pour transférer
son savoir-faire à une SNCF plom-
bée par ses comptes, fût-ce une
entreprise publique bien plus expo-
sée à la concurrence que ne l’était
EDF… C’est le premier président à
souligner la priorité absolue que
constitue «la satisfaction de notre
clientèle», à appeler une
«démarche qualité» au cœur de la
«dynamique de reconquête du
marché». Au cours de deux vidéo-
conférences à grande au dience
interne (6octobre 1994 et 3octo-
bre 1995), il lance puis réactive une
croisade auprès des agents qu’il
invite à se mobiliser dans ce sens, à
réviser leur culture cheminote en y
introduisant les termes nouveaux
de qualité du service et de produc-
tivité… Le dossier du désendette-
ment de la SNCF, enfin pris à bras-
le-corps par la tutelle, est l’objet
central d’un contrat de plan en pro-
jet. Lorsque celui-ci est dévoilé à
l’automne 1995 à des organisa-
tions syndicales sommées à brefs
délais de l’examiner, doublé du
«plan Juppé» de réforme autori-
taire des régimes sociaux, le feu est
mis aux poudres et un mouvement
social de grande ampleur et de
longue durée mobilise dans la rue
non seulement les cheminots, mais
aussi des salariés du secteur privé,
tous déterminés à refuser le plan
Juppé. De l’entêtement du Premier
ministre, Bergougnoux fait les frais
politiques en décembre, «démis-
sionné» sans façon à titre com-
mode de bouc émissaire…
Loïc Le Floch-
Prigent
(1995-1996),
le premier président
saisi par les «affaires»
et embastillé
La prompte nomination par Juppé,
à la tête de la SNCF, de Le Floch-Pri-
gent, ancien président de Rhône-
Poulenc (1982-1986) puis d’Elf-
Aquitaine (1983-1993), président
de GDF depuis 1993, provoque un
indéniable effet de surprise. Mana-
ger marqué à gauche, mais routier
éprouvé au plus haut niveau du
secteur public, Le Floch-Prigent
accepte de présider aux destinées
de la SNCF, non sans avoir au préa-
lable alerté sa tutelle des enquêtes
judiciaires dont il fait l’objet en tant
qu’ancien patron d’Elf et exigé
d’avoir les coudées franches pour
redresser l’entreprise nationale…
Après un rapide état des lieux, Le
Floch-Prigent entreprend de pro-
fondes «révolutions». Comme son
prédécesseur, il rappelle que la
SNCF ne vit que grâce à ses
«clients» et, conscient du carac-
tère abstrait ou lointain que revêt
ce terme auprès de nombreux
agents, il décide de mettre en
œuvre une politique d’engage-
ments auprès des clients, non plus
à base de slogans abstraits et sté-
réotypés, mais concrètement et
localement définis par de véritables
face-à-face. Plutôt que de négocier
avec l’Etat un énième contrat de
plan voué à la proclamation for-
melle de bonnes intentions, il fait
accepter son remplacement par un
«projet industriel». Ce dernier,
débattu et arrêté en interne, avalisé
par la tutelle, doit être le moteur
d’engagements et de mobilisations
internes, décliné dans tous les com-
partiments de l’entreprise tout en
embrayant sur une priorité, «le ser-
vice des clients pour la reconquête
des trafics». Le Floch-Prigent
entend ainsi briser la technocratie
polytechnicienne qui dirige sans
sanction la SNCF et saper les fonda-
tions historiques de la culture jugée
par trop conservatrice de chemi-
nots que leur statut protecteur
éloigne de toute confrontation res-
ponsabilisante avec les clientèles.
Alors qu’il appelle à ses côtés
d’énergiques «seconds couteaux»
et que maints cadres supérieurs
mûrs sont brutalement remerciés,
plusieurs bouleversements illustrent
un virage historique atteignant
l’institution et la culture de l’entre-
prise dans leur essence, tels le
remue-ménage opéré dans l’orga-
SIPA
GUEZ/AFP
Dossier
[ d’une présidence à l’autre, galerie de portraits ]
84-
Historail
Mars 2007
Tableau synoptique des 15 présidents successifs
Nomination par :
chef de
Période de
gouvernement,
Naissance,
Formation,
Age en début et
Durée
prise de fonction
ministère
décès
corps
fin de mandat
d’exercice
des Finances,
du mandat
ministère
des Transports
Pierre Guinand
Septembre 1937
Chautemps (Rad.),
1876, Lyon ; 1944
X-Génie 1896
61 – 64 ans
36 mois
Bonnet (Rad.),
Queuille (Rad.)
Pierre Fournier
12 septembre 1940
Laval, Bouthillier,
1892, Lyon ; 1972
Sciences Po.
48 – 54 ans
72 mois
Berthelot
puis Inspection
des Finances
Marcel Flouret
3 septembre 1946
Bidault (MRP),
1892, Bergerac ;
X-Air 1912
54 – 57 ans
32 mois
Schumann (MRP),
Moch (SFIO)
Pierre Tissier
13 mai 1949
Queuille (Rad.),
1903, Bagneux ;
Conseil d’Etat
46 – 52 ans
69 mois
Reynaud (Indép.),
(1925)
Pineau (SFIO)
Louis Armand
février 1955
Mendès-France (rad.),
1905, Cruseilles
X-Mines 1924
50 – 53 ans
36 mois
Edgar Faure (Rad.),
(Hte-Savoie) ;
Chaban-Delmas (Rad.)
André Ségalat
23 janvier 1958
Gaillard (Rad.),
1910, Paris ;
Conseil d’Etat
48 – 65 ans
211 mois
Pflimlin (MRP),
(1937)
Bonnefous (UDSR)
Jacques Pélissier
septembre 1975
Chirac (UDR),
1917, Versailles
INA, puis
58 – 64 ans
72 mois
Fourcade,
Corps préfectoral
Galley (UDR)
André Chadeau
septembre 1981
Mauroy (PS),
1927, Perols-sur-
IEP, puis Corps
54 – 58 ans
60 mois
Delors (PS),
Vézère (Corrèze)
préfectoral
Fiterman (PCF)
Philippe Essig
19 septembre 1985
Fabius (PS),
1933, Paris (8
X-Ponts 1951
52 – 55 ans
30 mois
Bérégovoy (PS),
Quilès (PS)
Philippe
29 février 1988
Chirac (RPR),
1935, Saumur
ENA 1959, puis
53 – 53 ans
6mois
Rouvillois
Balladur (RPR),
Inspection des
Méhaignerie (UDF-CDS)
Finances
Jacques Fournier
24 août 1988
Rocard (PS),
1929, Epinal
ENA 1953,
59-65ans
68 mois
Bérégovoy (PS),
puis Conseil d’Etat
Delebarre (PS)
(1953)
Jean
7 mai 1994
Balladur,
1939, Caudéran
X-ENSAE 1959
55 – 56 ans
16 mois
Bergougnoux
Alphandéry, Bosson
(Gironde)
Loïc
20 décembre 1995
Juppé, Arthuis,
1943, Brest
Institut national
52 – 53 ans
6 mois
Le Floch-Prigent
Pons
polytechnique de
Grenoble, Université
du Missouri
Louis Gallois
24 juillet 1996
Juppé, Arthuis, Pons1944, Montauban
HEC, ENA 1972
52 – 62 ans
120 mois
Anne-Marie Idrac
12 juillet 2006
de Villepin, Breton, 1951, Saint-Brieuc
ENA 1974
55 ans – ?
Perben
Mars 2007
Historail
nigramme ou le déménagement
décidé du siège de la SNCF, perçu
comme le désuet palais florentin
dont les mystérieux cabinets et pla-
cards dorés abritent les princes
comploteurs et leurs cadavres…
Lorsque la juge d’instruction Eva
Joly débarque au siège le 4juillet
1996 et que le soir même il est mis
en examen et écroué, Le Floch-Pri-
gent est sans doute le moins surpris
de cet événement. Le passage-
éclair à la SNCF de ce président à
poigne, décrié ou adulé, n’a du
moins laissé personne indifférent!
En quelques mois, le nouveau cours
irréversible de la SNCF entrepris par
Bergougnoux a pris un sacré coup
d’accélérateur.
Louis Gallois
(1996-2006),
à la croisée
des feux, le plus
«souple et aguerri»
Lorsque Juppé choisit Gallois, son
ancien camarade de promotion à
l’ENA, pour remplacer Le Floch-Pri-
gent, le choix par un gouvernement
de droite d’un homme de gauche
pour gouverner une poudrière
sociale redoutée n’est plus consi-
déré comme incongru. Engagé aux
côtés de Chevènement dans divers
postes gouvernementaux, la double
culture de Gallois (HEC en 1966
puis ENA en 1970-72), en fait
autant un serviteur de l’Etat qu’un
stratège industriel ayant déjà à son
actif la direction de la Snecma
(1989) et de l’Aérospatiale (1992).
Lot de consolation pour Le Floch-
Prigent embastillé, Gallois se
réclame de ses méthodes et slogans
mobilisateurs pour conduire la
SNCF à «
une charnière de son his-
toire
»: telle l’opération
De meil-
leurs services dès demain
ou les
campagnes d’engagements à tous
les niveaux de l’entreprise vis-à-vis
de ses clientèles, voyageurs et char-
geurs. En 1996, son défi interne –
faire de la SNCF d’ici cinq ans «
l’en-
treprise de service public de réfé-
rence en France et en Europe
» – ne
sera pas gagné. Coopération et par-
tenariats équilibrés plutôt que com-
pétition avec les autres opérateurs
historiques, telle la DB AG notam-
ment, constituent une pharmaco-
pée homéopathique et non le
remède de cheval que nécessite
sans doute un tel challenge! Mais il
est vrai que Gallois se trouve à la
croisée de nombreux feux politiques
et sociaux: injonctions bruxelloises
d’ouverture du marché ferroviaire
domestique, pression pour amputer
la SNCF du domaine foncier reve-
nant à RFF (Réseau ferré de France),
restrictions budgétaires de l’Etat-
patron, promesses présidentielles
d’instaurer un service minimum
garanti, menace de réforme du
régime spécial des retraites de che-
minots, pression revendicative inex-
tinguible des syndicats cheminots…
Rappelé au sauvetage de EADS
(qu’il a dirigé de 1992 à 1996), la
longévité remarquable à la tête de
la SNCF de Gallois révèle sa capacité
de décideur plus pragmatique que
doctrinaire, homme de compromis,
dont l’échine souple et le cuir
tanné, aguerris, ont fait un remar-
quable amortisseur des coups pris
entre marteau et enclume.
Anne-Marie Idrac
(2006-?),
première
femme, politique aussi
En confiant à la présidente de la
RATP sa succession, c’est sans
doute une accélération dans l’exé-
cution de la feuille de route tracée
par Gallois qui est attendue de la
tutelle. La compétence ferroviaire
de Madame Idrac s’est alimentée à
plusieurs sources fort distinctes
mais de haut niveau. Enarque,
affectée au ministère de l’Equipe-
ment en 1974, elle accède à la
Direction des transports terrestres
sous le gouvernement Balladur
(1993-95) avant d’être nommée
secrétaire d’Etat aux Transports aux
côtés du ministre d’Etat Pons sous
le gouvernement de Juppé. En
2002 enfin, elle accède à la gestion
d’une entreprise publique, la RATP.
Parallèlement, cette femme haut
fonctionnaire s’est engagée politi-
quement à plusieurs reprises sous
la bannière de l’UDF, élue en région
parisienne députée, puis conseillère
régionale.
Madame Idrac n’est donc pas incon-
nue des cheminots, puisque c’est
elle qui procéda, avec Bernard Pons,
à la réforme de la SNCF décidée en
1996, donna jour à RFF en 1997 et
cautionna le tournant historique de
la SNCF impulsé par Le Floch-Pri-
gent. Forte de l’expérience du sys-
tème d’alarme sociale développé
avec succès par la RATP, sans doute
relancera-t-elle ce délicat dossier à la
SNCF une fois les élections présiden-
tielles passées… Les capacités
d’amortisseur politique et social qui
ont caractérisé le mandat de son
prédécesseur seront-elles toujours
de mise de la part d’une femme que
l’orthodoxie politique libérale et la
riche expérience gestionnaire
acquise risquent de muer en «dame
de fer» bien moins souple?
Georges RIBEILL
Christophe RECOURA/LVDR
Marc CARÉMANTRANT
Curiosité
P
our asseoir le volet nucléaire de
sa politique énergétique, le
5juillet 1956, le président du
Conseil Guy Mollet invite à l’As-
semblée nationale le haut-commis-
saire à l’énergie atomique Francis
Perrin, ainsi que le président de la
Commission de l’équipement
industriel rattachée à ce même
Commissariat, Louis Armand, prési-
dent de la SNCF depuis un an. La
responsabilité de cette commission,
«organe mobilisateur de l’industrie
française», lui avait été confiée en
1951 par le président du Conseil,
Félix Gaillard. Puis, en 1955, Louis
Armand avait été choisi pour prési-
der à Bruxelles un groupe d’experts
européens. C’est dire que le diri-
geant ferroviaire, ingénieur au
prestigieux Corps des Mines qui
concentrait la réflexion énergétique
française, était devenu aussi un
éminent expert nucléaire.
En 1956 donc, il est temps que la
France se mobilise: tel est le mes-
sage qu’il revient de faire passer
auprès des députés. Les Améri-
cains, après avoir testé un sous-
marin atomique, le
Nautilus
, sont
passés à la construction en série.
Les Soviétiques ont mis en chantier
un brise-glace atomique de
44000chevaux. Les Anglais
seraient en quête de renseigne-
ments outre-Atlantique pour
construire une flotte atomique.
Déjà les Russes auraient fait voler
un avion atomique, et les grandes
firmes aéronautiques américaines
ont signé des contrats de
recherche… Ainsi, «
un départ
vient d’être pris par les colosses et
86-
Historail
Mars 2007
Il y a 50 ans, Louis Armand était
appelé à se prononcer en tant
qu’expert nucléaire sur l’avenir
de la locomotive atomique.
Ci-dessus,
esquisse d’un
«écorché» de
la locomotive
atomique
projetée par
les Américains.
Louis Armand: l’avenir
sera nucléaire, mais
sans locomotives atomiques!
Mémoire
[ le Centre des archives historiques de la SNCF ]
92-
Historail
Mars 2007
ARCHIVES DU MANS/RÉF. 67 LM 1/36
Clientèle
94-
Historail
Mars 2007
L
a «nationalisation» des che-
mins de fer se référait à un fonc-
tionnement plus démocratique
qu’il ne l’avait été du temps des
puissantes compagnies privées,
peu enclines à écouter leurs clien-
tèles… Un arrêté ministériel du
4août 1938 institua donc des
conférences trimestrielles des usa-
gers, inspirées de l’heureux exem-
ple du Réseau de l’Etat:
Art. 1
. – Il est institué auprès de la
SNCF des conférences d’usagers
dont le fonctionnement sera assuré
conformément aux dispositions
antérieurement prévues par les lois
et arrêtés instituant et réglemen-
tant les conférences d’usagers sur
le réseau de l’Etat.
Art. 2. – La désignation des divers
membres de ces conférences sera
effectuée par le Ministre et sur pro-
position du Président du Conseil
d’administration de la SNCF.
Le Réseau de l’Etat,
pionnier de l’écoute
des usagers
C’est toute une série d’articles de la
loi de finances du 13 juillet 1911
qui vient préciser l’Administration
des chemins de fer de l’Etat issus
du rachat de la Compagnie de
l’Ouest en 1908 et de sa fusion
avec le premier et petit réseau
d’Etat constitué en 1878
(Charente, Vendée…). L’article 62
institue notamment des confé-
rences des chefs de service locaux
auxquelles «
assistent à époque fixe
des représentants des conseils
généraux, des chambres de com-
merce, des associations agricoles,
des abonnés et des représentants
de commerce de l’arrondissement
du chemin de fer
».
Une loi du 22 juin 1931 vient
améliorer le dispositif des confé-
rences trimestrielles d’arrondisse-
ment ainsi créées en 1911, en
ajoutant à la liste susdite les
chambres d’agriculture, les fédé-
rations régionales des syndicats
d’initiative, les chambres d’indus-
1939: la voix des usagers
enfin écoutée puis entendue?
Amorcées en 1911 par l’Administration
des chemins de fer de l’Etat,
les conférences des usagers sont étendues
en 1939aux 42arrondissements
d’Exploitation de la SNCF, avant
de disparaître au moment de la guerre.
Paris-Austerlitz,
1939.
Photos F. FÉNINO/LVDR
Clientèle
[ 1939:la voix des usagers enfin écoutée puis
96-
Historail
Mars 2007
Question n°1
M.Bertrand*
Modifications apportées le
15mai 1939 à l’horaire du train
163Z.
Contrairement à ce que pense le
demandeur, cet autorail n’a pas été
créé pour prendre à Montereau les
voyageurs venant de Paris par le
train133 et les distribuer dans les
petites gares.
Il a pour but le ramassage des voya-
geurs pour le train direct101 de
Montereau à Sens et la distribution
dans les petites gares entre Sens et
Joigny des voyageurs venus du
train101.
Il ne paraît pas opportun de modi-
fier l’horaire actuel.
Question n° 2
MM.Bonte**, Marcoz***
Amélioration du confort des
voitures des rames réversibles,
difficulté d’accès dans ces voi-
tures et mauvais fonctionne-
ment des portes.
Il ne sera plus construit, à l’avenir,
de matériel de ce type.
M.Marcoz précise les difficultés
rencontrées, pour accéder aux voi-
tures de l’extérieur, le loqueteau de
la porte coulissante étant placé
trop haut.
Cette situation sera portée à la
connaissance du Service du
Matériel.
M.Marcoz signale que, parfois, les
portes ne sont pas fermées toute la
durée du trajet, entre Paris et
Brunoy notamment.
Le Président renseigne la
Conférence sur les conditions dans
lesquelles, d’après le règlement, les
portes doivent être fermées. Il fera
les recommandations utiles aux
agents intéressés pour que ce
règlement soit strictement observé.
Question n°3
MM.Bonte, Marcoz
Suppression des arrêts entre
Villeneuve-Saint-Georges et
Paris et
vice versa
aux trains en
provenance ou à destination des
au-delà de Villeneuve-Saint-
Georges.
Le Président indique les conditions
de desserte des gares intéressées, et
il donne communication d’une let-
tre de M.Benoist Léon qui proteste
contre la suppression des arrêts
demandés par MM. Bonte et
Marcoz.
Question n° 4
MM.Bonte, Marcoz
Accélération du train 1318.
On examinera s’il est possible de
modifier les marches de ce train de
façon qu’il puisse arriver à Paris
avant 10h.
Question n°5
MM.Bonte, Marcoz
Fermeture des portières aux
trains impairs du soir ayant un
arrêt à Villeneuve-Saint-
Georges.
Des recommandations seront
faites pour que les portières soient
fermées avec toute la célérité
désirable.
Question n°6
M. Maringes
Enregistrement des bagages de
ou pour une ligne dont le trafic
voyageurs est supprimé et rem-
placé par des cars.
Cette question n’est pas de la
compétence de la Conférence des
usagers.
*Bertrand, maire de Sens; **Bonte,
abonné, Paris; ***Marcoz, abonné,
Brunoy
Un commentaire s’impose à l’évi-
dence: qu’elles soient d’essence
bureaucratique (incompétence) ou
technocratique (impossibilité ou
examen différé), les réponses aux
questions traitées n’ont pas
apporté grande satisfaction immé-
diate aux
desiderata
exprimés. Les
questions non-inscrites obtien-
dront-elles meilleure satisfaction?
1°) Demande de M.Benoist
(Associations agricoles de Seine-et-
Marne):
«Réduction du tarif applicable
aux gadoues.»
Cette question n’est pas de la com-
pétence de la Conférence.
2°) Demandes de M.Sinturel
(Fédération des syndicats d’initia-
tive de Seine-et-Marne):
Questions posées, avis et observations
Paris-
Montparnasse,
1939.
Photos F. FÉNINO/LVDR
Conjoncture
L
’année 1974 appartient aux
dates qui sont déjà entrées dans
les manuels d’histoire de la France.
On le sait, c’est la fin des bien
nommées «trente glorieuses»
(Fourastié), d’un long
trend
croissance économique dans le jar-
gon des conjoncturistes. Tributaire
du mouvement économique, cette
année-là, la SNCF enregistre son
record historique absolu en trafic
marchandises: elle a transporté
266millions de tonnes et 77,1mil-
liards de tonnes kilométriques (1).
Comme l’analyse le directeur géné-
ral de la SNCF, Paul Gentil, com-
mentant à chaud l’exercice 1974,
le trafic de marchandises a connu
une hausse sensible puisqu’il a
dépassé de 4,3% celui de l’année
1973. Toutefois, après avoir pro-
gressé rapidement pendant le pre-
mier semestre (à la fin duquel son
volume dépassait de près de 7%
Port
de Dunkerque
en 1967. Train
de bois destiné
aux papeteries
Beghin
de Corbehem.
NEUMANN/LVDR
98-
Historail
Mars 2007
En 1974, le trafic marchandises
atteint des sommets.
Les résultats du dernier trimestre
annoncent un retournement,
conséquence du premier
choc pétrolier. Début d’une
longue descente aux enfers…
Fret SNCF 1974: les dessous d’
Conjoncture
[ fret SNCF 1974: les dessous d’un millésime
100-
Historail
Mars 2007
SNCF Rapport d’activité 1975
Mars 2007
Historail
nagement (XIII
arrondissement).
Malheureusement, leur emplace-
ment le long des voies ferrées
embarrasse considérablement le
maître d’ouvrage, la SEMAPA.
Celle-ci avait d’abord envisagé de
raser purement et simplement l’ou-
vrage afin de pouvoir recouvrir
l’emprise d’une vaste dalle, comme
le prévoyait le plan d’urbanisme
d’origine. Heureusement, la crise
de l’immobilier des années 1990 a
permis de différer les travaux, pro-
tégeant
de facto
le bâtiment histo-
rique. Toutefois, la reprise de l’opé-
ration urbaine avait à nouveau fait
craindre le pire pour la sauvegarde
de cet édifice majeur du patrimoine
industriel de l’entre-deux-guerres
jusqu’à ce que – autre rebondisse-
ment – l’Etablissement public pour
le Palais de justice de Paris (EPPJP)
décide d’installer dans la halle le
nouveau tribunal de grande ins-
tance (TGI) de Paris et sa salle des
pas perdus, contre la volonté de la
ville de Paris. Cela étant, espérons
que le plan de l’EPPJP aboutisse car
les «messageries d’Austerlitz»
illustrent avec brio la vitalité de cet
«art de l’ingénieur» qui allie inti-
mement avant-garde technique,
fonctionnalité formelle et créativité
esthétique.
Une esthétique
du rendement industriel
Exécuté pour le compte de la
Compagnie du Paris-Orléans, le
bâtiment témoigne du niveau
ultime de développement des
sociétés privées de chemin de fer
avant leur nationalisation, en 1937.
Longue de quelque 300m, la halle
présente des dimensions adaptées
à l’échelle qu’atteignent alors les
trains de colis et marchandises
venant quotidiennement alimenter
la capitale. De surcroît, sa configu-
ration volumétrique illustre les der-
nières techniques de l’organisation
du travail – désormais «rationa-
lisé» – que les entreprises les plus
innovantes promeuvent dans l’en-
tre-deux-guerres. Un bref retour
sur la genèse du projet permet de
bien le saisir et, en conséquence,
de comprendre l’enjeu patrimonial
de l’édifice exploité depuis la
Libération par le Sernam.
C’est en 1913 que le PO envisage
la réalisation de nouvelles message-
ries pour remplacer celles en acti-
vité, devenues trop exiguës au
regard de l’augmentation exponen-
tielle du trafic géré par la compa-
gnie (2). Sous-dimensionnées, ces
dernières engendrent notamment
des retards considérables, surtout
en ce qui concerne la livraison des
denrées fraîches aux commerçants
Mécanisation et
rationalisation
des tâches,
tel était l’objet
du bâtiment
aujourd’hui
exploité
par le Sernam.
Nello GIAMBI
(implantées aux halles centrales). La
Première Guerre mondiale ajourne
le chantier qui devient impératif
dans les années vingt. Le PO solli-
cite deux de ses services internes
pour élaborer la conception du pro-
gramme et le cahier des charges,
en vue d’un appel d’offres aux
constructeurs:
– le service des Travaux, responsa-
ble des équipements de la compa-
gnie, qui propose de réaliser de
simples auvents pour couvrir les
opérations de transbordement
«trains-camions» des colis;
– le service de l’Exploitation, en
charge de l’organisation du travail,
qui opte pour un projet beaucoup
plus ambitieux: une vaste halle,
haute d’un étage, afin de faire face
à la croissance future des marchan-
dises à transborder.
Promue par l’ingénieur Sabouret,
cette seconde solution préconise,
de surcroît, de surélever une partie
de la nef nord (création d’un
second étage) et de l’équiper d’un
chemin de roulement pour y instal-
ler un dispositif mécanisé d’ache-
minement et de stockage des petits
colis. Pour Sabouret, la construc-
tion de ces nouvelles messageries
offre une occasion à ne pas man-
quer afin d’appliquer au pro-
gramme les méthodes modernes
d’organisation du travail.
Sur la base de la mécanisation et de
la rationalisation des tâches, de
telles méthodes visent évidemment
l’augmentation de la productivité
des ouvriers. Il s’agit d’une poli-
tique qui ne correspond nullement
à un souci ponctuel lié à la nouvelle
construction mais, au contraire,
conditionne les décisions de la
direction du PO à l’échelle de tout
son réseau. Au même moment, par
exemple, la compagnie entame
l’électrification de ses voies. Elle
réalise aussi, à Saint-Pierre-des-
Corps (près de Tours), un immense
«magasin général» (1924-1926)
destiné à centraliser en un seul éta-
blissement – au lieu de cinq aupa-
ravant – les pièces détachées
nécessaires à l’entretien de tout le
matériel roulant de l’entreprise.
Un projet
particulièrement
ambitieux
Cependant, la querelle entre les
deux services centraux devient
progressivement si rude qu’elle
nécessite l’arbitrage du président
de la compagnie, Magne, qui
retient la solution prônée par l’in-
génieur Sabouret. Il n’autorise
toutefois pas la réalisation de tous
les travaux détaillés dans le pré-
projet. C’est ainsi que la construc-
tion du plancher de l’étage est
différée jusqu’à ce que les circons-
tances rendent celui-ci indispensa-
ble. En attendant, seule est pro-
grammée l’exécution, sur les
piliers, des corbeaux qui serviront,
le cas échéant, à l’extension de la
halle.
Ce bref rappel de la genèse de
l’édifice prouve déjà le caractère
exceptionnel du programme. On
observe – premier trait remarqua-
ble – qu’il correspond au parti le
plus ambitieux des pré-projets éla-
borés par les services centraux.
Seconde caractéristique essen-
tielle: sa volumétrie illustre nette-
ment la politique d’optimisation
de la productivité que le PO
applique alors à ses équipements
puisque, rappelons-le, une partie
de la nef nord doit être surélevée
pour le stockage des colis achemi-
nés mécaniquement, grâce à l’im-
plantation d’un chemin de roule-
ment. A ce titre, le béton des mes-
sageries d’Austerlitz est modelé à
l’aune des représentations de la
rationalité technico-économique
des années vingt.
Mars 2007
Historail
Pour en savoir plus
•
Association Eugène Freyssinet,
Eugène Freyssinet,
une révolution dans l’art de construire,
Presse de l’Ecole
nationale des Ponts et chaussées, 2004
•
Ch. Dantin,
Les nouvelles halles du service des messa-
geries de la gare de Paris-Austerlitz, Le Génie Civil,
janvier 1930, p. 29-32.
•
José Ordonez,
Eugène Freyssinet,
Grupo 2 C éditeur,
Modelées selon
un élégant profil
pyramidal, les
piles intérieures
ont été conçues
pour recevoir
ultérieurement
un étage
supplémentaire.
Nello GIAMBI
Mars 2007
Historail
Une telle qualité est notamment
fondée sur l’emploi de méthodes
constructives particulièrement
innovantes que Freyssinet a mises
au point au fil de ses projets. A la
suite de l’expérience pionnière des
hangars à dirigeables d’Orly (1923),
il utilise ici son fameux procédé de
vibration du béton, d’où l’excellent
état actuel de l’ouvrage qui n’a
jamais nécessité de lourds travaux
d’entretien depuis 1929. On ne
peut qu’être frappé par l’aspect et
la sensualité du béton de la halle
qui a gardé avec une incroyable
plasticité l’empreinte des coffrages
en bois qui l’ont modelé. La trace
des planches cloutées, la fibre
même du bois avec ses nœuds sont
fidèlement restituées, imprimant
une tapisserie végétale dans l’intra-
dos des voûtes.
Un béton de lumière
La halle peut se lire comme un
ouvrage reprenant les inventions
élaborées par Freyssinet avant
1929: nervures raidisseuses à l’ex-
trados des voûtes, béton vibré et
chauffé, composition savamment
contrôlée (dosée) du matériau,
emploi de cintres roulants, concep-
tion spécifique des coffrages en
bois cloutés, étude approfondie de
la morphologie des voiles pour en
augmenter la résistance sans sur-
croît de matière. Autant de procé-
dés qui sont rapidement devenus
des éléments de la culture
constructive universelle et qui fon-
dent, entre autres, la valeur patri-
moniale des messageries, qui en
livrent une synthèse unique dans la
mesure où elle représente le der-
nier édifice élaboré par Freyssinet
pour la société Limousin. Cela dit,
le projet ne constitue pas seule-
ment un «testament» technolo-
gique, il présente aussi des solu-
tions structurales inédites et parti-
culièrement innovantes qui témoi-
gnent de la capacité d’invention
hors norme que Freyssinet sait
déployer lorsqu’il s’agit de relever
les défis techniques inédits exigés
par les nouveaux programmes
modernes.
Des auvents innovants
Dans le cas des messageries du PO,
la principale difficulté réside dans la
conception des auvents extérieurs
suspendus (4,50m et 8,50m de
portée). C’est principalement ce
problème technique qui a été pris en
compte par le maître d’ouvrage lors
du concours d’entreprises en raison
de leur coût et des conséquences
sensibles de leur configuration en
termes de fonctionnalité et de stabi-
lité structurale.
Les activités abritées par la halle
nécessitent un éclairage naturel
abondant ainsi que des travées exté-
rieures assez hautes pour accueillir
les camions sans être gêné par les
voiles en porte-à-faux. Or, cette
double exigence remet en question
la conception courante des auvents
dans les années vingt dans la
mesure où leur configuration et
leurs dispositifs de soutien et de rai-
dissement conduisent soit à obs-
truer partiellement les baies de
façade, soit à entraver partiellement
«l’accostage» des véhicules ache-
minant colis et marchandises.
Dans son projet, Freyssinet est par-
venu à résoudre ce problème fonc-
Depuis
sa livraison
en 1929,
l’infrastructure
n’a pas bougé
d’un pouce.
Nello GIAMBI
Nello GIAMBI
Patrimoine
[ les «messageries d’Austerlitz» ]
tionnel grâce à une solution tech-
nique alliant innovation et élégance
formelle. D’une part, il place les
voiles en porte-à-faux selon un
schéma inédit puisqu’il accole la
rive courbe des auvents aux longs
pans alors que les autres construc-
teurs opèrent toujours leur jonction
par leur rive rectiligne, à l’instar des
messageries du PLM construites par
la société Boussiron à la même
époque. D’autre part, Freyssinet
emploie de fins voiles cylindriques
(5cm d’épaisseur) dont les tirants
obliques de soutien se trouvent
sensiblement allégés dans la
mesure où une partie des auvents
est encastrée dans les épaisses tra-
vées de façade, au point que les
voiles traversent et émergent à l’in-
térieur du volume de la halle
.
manière dont Freyssinet résout
ensuite le problème formel et visuel
que pose, au niveau de la façade
interne de la halle, la relation entre
la fine coque courbe et la travée
rectiligne nous permet d’apprécier
son talent de plasticien.
Une application
historique
de la précontrainte
La conception des auvents com-
porte une autre innovation, capi-
tale celle-ci, car elle représente une
application pionnière et historique
de la technologie du «béton pré-
contraint» que Freyssinet élabore
au même moment. En effet, les
voiles en porte-à-faux constituent
un ensemble monolithe qui s’étend
sur toute la longueur des façades,
soit 300m. Une telle structure pose
un délicat problème de stabilité
puisqu’elle se doit d’être quasiment
parfaite. Freyssinet y remédie à
l’aide de tirants métalliques d’un
nouveau type car, contrairement à
ce qui se fait alors, ils ne sont pas
mis en œuvre sous forme de dispo-
sitifs «passifs» comme la culture
constructive du moment les réalise
couramment mais, en revanche,
sous forme de structures dyna-
miques. L’ingénieur les a en effet
«prétendus» avant leur décof-
frage à l’aide d’un «système
d’écrous» de son invention
.
Procédé inédit, simple et brillant,
l’idée de la prétension des tirants
est brevetée dès juin 1928. Elle
illustre en fait une application
directe des réflexions contempo-
raines que Freyssinet développe
sur la précontrainte du béton.
Pour preuve, soulignons que l’in-
génieur dépose le brevet fonda-
teur de la précontrainte du béton
en octobre 1928, c’est-à-dire au
même moment que celui concer-
nant les tirants prétendus exploi-
tés à Austerlitz. Dans ce contexte,
il est clair que la halle fait figure
de jalon fondamental dans la
genèse de la précontrainte, tech-
nologie devenue universelle (3).
La halle représente par ailleurs un
tournant décisif dans la carrière
de Freyssinet, dans la mesure où
elle marque la fin de sa collabora-
tion avec les Etablissements
Limousin et son fondateur, Claude
Limousin (1880-1953). On
connaît les raisons qui l’ont
conduit à quitter l’entreprise:
Freyssinet entendait y développer
la précontrainte à l’échelle indus-
trielle mais l’entrepreneur s’y
opposa. Les dernières négocia-
tions entre les deux hommes ont
lieu pendant l’édification des mes-
sageries alors même que le projet
propose déjà de facto une appli-
cation maîtrisée du concept de la
précontrainte. Mais cela n’in-
fluencera pas la position de
Limousin qui ne croit pas à l’ave-
nir commercial et industriel de la
nouvelle technologie.
Une réception
particulièrement favorable
L’intérêt historique et patrimonial
des messageries d’Austerlitz s’ap-
préhende enfin à l’aune de sa
réception contemporaine. Or, à ce
propos, on constate que celle-ci est
immédiate et très positive, tant au
niveau national qu’international.
Dès la phase du projet, le génie
militaire de Lorient s’informe
auprès du maître d’ouvrage de la
conception novatrice des auvents.
Au même moment, la municipa-
lité de Nantes prend contact avec
les Etablis sements Limousin pour
la création de son nouveau mar-
ché couvert (abritant aussi une
salle des fêtes): il est réalisé par
l’entreprise quelques années plus
tard (1936) selon un parti inspiré
des messageries.
La presse technique nationale fait
un large écho à la réalisation de
Freyssinet. Le PO lui-même va se
charger de sa médiatisation au
niveau international. Dans le
Bulletin de l’association internatio-
nale du Congrès des chemins de
fer
(1929), la compagnie expose
en détail la technique inédite des
auvents prétendus (4). Le bâtiment
figure également dans l’un des
principaux cours sur le béton armé
professé dans l’entre-deux-guerres
112-
Historail
Mars 2007
Au cœur des
préoccupations
de Freyssinet,
les auvents
représentent
une application
pionnière de
la technologie
du béton
précontraint.
Photos Nello GIAMBI
L
a justice parisienne est trop à l’étroit dans ses
locaux de l’île de la Cité, un constat déjà ancien
que plus personne aujourd’hui ne conteste. De fait,
voilà plus de dix ans maintenant que l’idée d’un nou-
veau tribunal de grande instance fait son chemin. Et
que, depuis 2004, l’Etablissement public du Palais de
justice de Paris (EPPJP) se consacre à trouver un site.
L’Etat ayant exprimé sa préférence pour celui de
Tolbiac (ZAC de Paris Rive Gauche) en janvier 2005,
l’EPPJP lance six mois plus tard un concours d’idées
international. Comme son intitulé l’indique, il ne
s’agit encore de choisir le futur projet du TGI, mais de
susciter des réflexions. Le concours provoque une
forte participation internationale: sur 275 projets
remis, 139 émanent de l’étranger (34pays sont repré-
sentés). De plus, ouvert à tous, il permet aux étudiants
(75projets) de se frotter aux professionnels (200).
Réuni les 24, 25 et 26novembre 2006, le jury décide de
distinguer cinq projets lauréats chez les premiers et
trois chez les seconds. L’ensemble des projets a fait
l’objet, du 15 janvier au 28février dernier, d’une expo-
sition («Tolbiac : la Justice dans la Cité») dans la salle
des pas perdus du Palais de justice de l’île de la Cité.
www.competitionparisjustice.com
275 projets pour le nouveau
Palais de justice de Paris
à l’Ecole des travaux publics (ETP),
celui d’Espitallier et Régimbal.
Dans l’édition de 1943, les auteurs
publient le projet d’Austerlitz à
côté de celui des Etablissements
Boussiron, réalisé à la même
époque et selon un programme
similaire (pour le compte du PLM à
la gare de Lyon). Edifiante, la com-
paraison entre les deux message-
ries prouve sans équivoque le
caractère exceptionnel de l’édifice
du PO, tant sur le plan technique
qu’architectural: les auvents de la
halle du PLM, de conception tradi-
tionnelle, suivent un parti d’une
lourdeur qui contraste sensible-
ment avec la pureté et la finesse
des voiles de Freyssinet.
Il n’est donc pas étonnant que
cette halle soit devenue dans l’en-
tre-deux-guerres une référence de
premier ordre, non seulement pour
les constructeurs mais aussi pour
les maîtres d’ouvrage. On peut le
mesurer dans l’article que Marcel
Fauconnier, directeur des travaux
de la Compagnie du métropolitain
de Paris (CMP), publie en 1931
dans
Le Génie civil
à propos des
ateliers qu’il fait construire (5).
S’expliquant sur le choix de la solu-
tion constructive qu’il adopte pour
ses équipements – structure en
béton avec sheds en coques –,
Fauconnier cite la halle d’Austerlitz
comme exemplaire, et ce à double
titre : d’une part, en tant que réali-
sation remarquable entièrement en
béton armé et, d’autre part,
comme ouvrage marquant pour sa
couverture en «voûtes droites à
lanterneau central».
EPPJP
EPPJP
Deux des
trois projets
primés de la
catégorie des
professionnels.
Qu’il s’agisse des
Espagnols Josep
Fuses et Joan
Viader (en haut)
ou de l’agence
3Box/Pacôme
Bommier
(en bas), les
messageries sont
appelées à faire
office de salle
des pas perdus.
(1) Cet article synthétise l’étude histo-
rique et patrimoniale de l’édifice, com-
mandée par la SEMAPA à l’auteur (N.
Nogue,
Les messageries d’Austerlitz.
Etude historique et patrimoniale,
SEMAPA, juillet 2003). Le terme de
«messageries» désigne une halle où sont
acheminés, par trains, colis et autres mar-
chandises pour transbordement sur
camions et acheminement à leurs desti-
nataires.
(2) Les premières messageries étaient
situées sur un autre emplacement
contigu à la gare d’Austerlitz.
(3) Freyssinet avait déjà expérimenté l’em-
ploi de tirants prétendus mais sous une
forme plus complexe pour les voûtes des
hangars aéronautiques de la base mili-
taire de Palyvestre (1926).
(4)
Bulletin international du Congrès des
chemins de fer,
vol.XI, Bruxelles,
Weissenbuch éd., 1929, p.719.
(5) Marcel Fauconnier,
Les nouveaux ate-
liers du Métropolitain de Paris à la Porte
Mars 2007
Historail
Livres
– JOSÉ BANAUDO
Le train de
la Mer de Glace
Après deux volumes
consacrés à la construction
et à l’exploitation de la ligne
à voie étroite reliant Saint-
Gervais-les-Bains Le Fayet à
Martigny, en Suisse, l’auteur
poursuit ici l’exploration des
trains du Mont-Blanc. Il jette
ici son dévolu sur le chemin
de fer à crémaillère de
Chamonix au Montenvers.
Concédé en 1897, mais
ouvert seulement en 1908,
il rencontre un succès
immédiat jamais démenti
depuis. Au lendemain de la
Seconde Guerre mondiale,
la nécessité d’augmenter la
capacité de la ligne conduit
à adopter la traction
électrique, chose faite en
1954. Enfin, dernière étape,
un service régulier assuré
tout au long de l’année est
inauguré à l’hiver 1993-94.
Une étude des installations
fixes et du matériel roulant
complète l’ouvrage.
Editions du Cabri.
En vente à
La Vie du Rail
Réf.: 120886.
Prix: 45euros
– ST. JUSTENS,
D. VAN DER SPEK
Rail Atlas Vicinal
Conçu pour être le
complément d’une étude
parue en langue anglaise
il y a vingt ans, cet ouvrage
se présente comme un livre
de référence. Destiné tant
aux néophytes qu’aux
lecteurs avertis, il permet
une recherche aisée
de l’information concernant
une ligne ou un groupe
de lignes de la défunte
Société nationale des
chemins de fer vicinaux
belges (SNCV). De fait,
grâce aux cartes et tableaux
reprenant par le détail dates
d’ouverture, d’électrification,
de fermeture, d’éradication
pour la période de 1885
à 1991, ce travail, pour
le moins pointilleux, permet
de mieux cerner un réseau
qui, à l’époque de sa pleine
expansion, dans les années
1920, comptait plusieurs
milliers de kilomètres
de lignes.
Rail Memories
12, rue Bettlange, 9657
Harlange, Luxembourg
railmemories@hotmail.com
– BERNARD BATHIAT
Autorails
et Michelines
Ce petit livre dont
l’illustration fait tout l’intérêt
(c’est le propre de la
collection) nous permet de
redécouvrir des matériels
dont notre mémoire n’a plus
qu’un lointain souvenir, voire
aucun. Comme ce curieux
Decauville
(ZZy25101)
construit à deux exemplaires
en 1935 pour le réseau de
l’Etat et dont la silhouette
n’est pas sans rappeler un
certain TGV ! Il est vrai que
la grande diversité des types
d’autorails – près d’une
cinquantaine – livrés avant
guerre a de quoi nous
désorienter. Précisons que
l’auteur a essentiellement
centré son étude sur cette
période, passant en revue
les parcs des différents
réseaux (plus deux chapitres
consacrés, l’un aux
automotrices à vapeur
et à essence, l’autre aux
Michelines), les autorails
de la SNCF n’ayant droit
qu’à quelques pages.
Editions Alan Sutton.
Collection «Mémoire
en images». En vente
La Vie du Rail
Réf. : 120899.
Prix : 25,90euros
– M.-FR. CHARRIER,
EL. FELLER
L’action sociale
à la SNCF 1945-1985
Après un précédent ouvrage
portant sur la création dès
la fin du XIX
siècle
de services sociaux au sein
des compagnies ferroviaires
et leur développement
jusqu’en 1944 (éditions érès,
2001), ce livre prolonge
l’enquête jusqu’au transfert
aux comités d’entreprise
d’une partie de la gestion
des activités sociales et
culturelles. Elaborée par un
groupe de professionnelles
de l’action sociale, cette
étude se veut avant tout
un témoignage reposant
sur la centaine d’entretiens
menés pendant dix ans
auprès d’anciens du service
et de l’entreprise, et
complétés par l’exploitation
des archives internes.
Editions érès. 23euros
114-
Historail
Mars 2007
COMMANDEZ PAR COURRIER
LA VIE DU RAIL
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24 heures sur 24, 7 jours sur 7
e livre traite de la célèbre voie ferrée, au
tracé sinueux et riche de nombreux ouvrages
d’art, de Paris Bastille à Verneuil-l’Etang,
appelée aussi ligne de Vincennes. Dans ce bel
ouvrage, les lecteurs retrouveront les 131 TB,
conçues spécialement pour ce service, puis les
141 TB avec des rames tractées et réversibles,
ainsi que quelques circulations insolites. Tout y
rappelle le train des guinguettes vers Nogent
et la Marne, que les Parisiens prenaient
d’assaut le dimanche, journée la plus chargée
quant au trafic. La plupart des vues sont en
couleurs et absolument inédites ; elles
proviennent des collections de l’auteur et de
Jean Bazot.
Format : 320 mm x 240 mm.160 pages.
Réf. : 110 186
Paris
La ligne de Vincennes
Inoubliables panaches
48,00
48,00
Par Didier Leroy