Description
trimestriel
n° 20
Janvier 2012
« Capitole » : la flèche rouge de Toulouse
:HIKRTE=WU^^U]:?a@a@c@k@k;
M 07942
– 20 –
F:
9,90
– RD
Trains de légende
Trains de légende
Le Capitole
Dans sa composition rouge avec BB 9200, le «Capitole» franchit le Tarn à Montauban (juillet 1967).
Y. Broncard
G. Rannou/coll. Y. Broncard
Le «Capitole» avec CC 6500 et voitures grand confort en gare de Toulouse (juin 1983).
Événement
– 30 ans de publicité TGV
p.6
Dossier
– « Capitole »: la flèche rouge de Toulouse
p.14
– 1960-1990: trente ans de règne
p.16
– Le dépôt de Paris-Sud-Ouest au temps du «Capitole»
p.25
– De Paris à Toulouse avec le « Capitole »
p.28
Urbain
– Le prémétro, une fausse bonne idée au secours
du tramway
p.44
Infrastructure
– Le réseau ferré français à son extension maximale.
La «toile d’araignée» des années 1920
p.58
Feuilleton
– Sur les rails du souvenir (3): Saint-Denis, ici Saint-Denis!p.74
Bonnes feuilles
– Les dépôts vapeur du Sud-Ouest
p.92
– Les Cheminots dans la Résistance
p.98
Livres
– Après 30 ans de TGV et de LGV, le temps des histoires
et des bilans
– La SNCF et la Shoah. Le procès G. Lipietz contre État et SNCFp.110
– Notes de lecture
DIRECTEUR DE LA PUBLICATION
Vincent Lalu
DIRECTRICE ADMINISTRATIVE
ET FINANCIÈRE
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RÉDACTEUR EN CHEF
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CONSEIL ÉDITORIAL
Bernard Collardey,
Dominique Paris, Georges Ribeill
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ET MISE EN PAGES
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Marie-Laure Le Fessant
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Attal, André Victor
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VENTE AU NUMÉRO
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INFORMATIQUE & PRODUCTION
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Informatique: Ali Dahmani
Prépresse: Simon Raby.
IMPRESSION
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Imprimé en France.
Historail
est une publication
des Éditions La Vie du Rail,
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de 2 043 200 euros.
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D’ADMINISTRATION
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Tél.: 01 49 70 12 00
Fax: 01 48 74 37 98
Le titre
Historail
a été retenu
avec l’autorisation du musée
du chemin de fer HistoRail
de Saint-Léonard-de-Noblat
Sommaire
Janvier 2012
Historail
Photo de couverture: le « Capitole », dans sa légendaire composition rouge, à Vigeois, en Corrèze,
non loin de Brive-la-Gaillarde, en octobre 1968 (Photorail).
Janvier 2012
Historail
Tout en restant sur le slogan «Prenez le temps d’aller vite», on peut juger de l’amélioration graphique permise par le nouveau logo SNCF carmillon, qui a remplacé
avantageusement, à partir de 2005, le logo « à casquette », très décrié. Du reste, avec ce nouveau logo, la SNCF «relève la tête» et la nouvelle identité de l’entreprise
sera désormais bien présente sur la communication publicitaire, alors qu’auparavant l’accent était mis sur les marques. Dans le contexte de concurrence qui se profile,
la SNCF se doit de s’afficher fièrement et faire savoir que c’est bien elle le chef d’orchestre du concept TGV…
Documents TBWA
Dossier
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Historail
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Offrant pour la première fois en France la vitesse de 200 km/h
en service régulier, faisant sensation avec sa livrée rouge
appliqué sur un matériel pourtant classique, le
Capitole
va marquer pour longtemps les esprits et constituer un premier
pas dans la marche de la SNCF vers la grande vitesse.
« Capitole »:
la flèche
rouge de Toulouse
Marquage en lettre
d’or, livrée rouge qui
tranche avec le vert
wagon jusque-là
omniprésent,
le «Capitole»
est le train de
prestige de la fin
des années 1960.
M. Mertens/Doc.
Charraud/Doc.
Dossier
16-
Historail
Janvier 2012
La création du
Capitole
au service d’hiver 1960-1961 est le résultat
d’une évolution technique et commerciale de la jeune SNCF,
dans sa 22
année, dont cinq ans de guerre. Et des conséquences
de cette évolution sur la relation Paris – Toulouse. Mais l’arrivée
du TGV mettra fin à cette belle et prestigieuse aventure.
trente ans de règne
Arrêt technique
de la rame toute
rutilante du
« Capitole» en gare
de Toury, entre
Étampes et Orléans,
peu avant la mise
en service régulier,
en 1967,
Dossier
[ «Capitole»: la flèche rouge de Toulouse ]
Les 2D2, dont les performances
furent remarquables entre Paris,
Bordeaux et Hendaye, ne permirent
pas d’atteindre les mêmes résultats
sur l’artère toulousaine. À cet
égard, le record de vitesse à
183 km/h de la 2D2 5104 en tête
d’un train de 180 t entre Blois et
Saint-Pierre-des-Corps, en 1938, s’il
démontra bien la forte puissance
embarquée par cette machine pro-
totype (5500 ch unihoraire), n’en
effaçait pas pour autant les défauts
énoncés ci-dessus.
Il fallait donc trouver un autre
concept. C’est ce qui fut fait entre
1946 et 1957, en une dizaine d’an-
nées! Un travail impressionnant,
une suite de succès, en continu,
avec, au bout de ces efforts, le
point haut de l’épopée du 1500V.
Le résultat le plus marquant fut la
mise en route d’un train à grande
vitesse sur un itinéraire national
mais au profil et au tracé souvent
plus proches d’une ligne régionale,
à faible rayon de courbes et à fortes
rampes: le
Capitole!
Le premier acte de cette révolution
commença là où il devait commen-
cer, sur la ligne Paris – Toulouse,
entre Brive et Montauban! Les
ingénieurs de la SNCF avaient bien
compris le problème et faisaient
face à la difficulté, sans se déro-
ber! Et leur première décision
comportait déjà en elle la solution.
Cette décision fut de construire
deux types nouveaux de machines
pour enfin maîtriser la puissance de
traction sur l’un des itinéraires les
plus difficiles du réseau électrifié de
France. C’est ainsi qu’apparut pour
la première fois le type des CC sur
les rails français! Avec la superbe
CC 6001 en 1946, qui fut suivie, en
1948, par un second prototype,
dédié lui aussi à la traction de trains
lourds sur les rampes de Brive –
Montauban, mais selon un schéma
de type BB: la BB 6002.
Ces deux locomotives donnèrent
entière satisfaction, permettant la
mise en œuvre régulière de convois
de 750 t à 105 km/h, qui était la
vitesse limite de ces deux machines,
sur la grande ligne Limoges –
Montauban, dans de très bonnes
conditions de fiabilité, d’accéléra-
tion et de freinage. Leur succès
démontrait à l’évidence la perti-
18-
Historail
Janvier 2012
Deux vues
du premier
« Capitole», équipé
de voitures DEV
inox de 1
classe,
qui a circulé de
1960 à 1967, ci-
contre au départ de
Toulouse-Matabiau
et, en dessous,
au départ de
Paris-Austerlitz.
F. Fontaine/Doc.
L. Pilloux/Doc.
Janvier 2012
Historail
nence des types CC et BB, et
ouvrait la voie à la généralisation de
ces deux modèles dans les cahiers
des charges des futures motrices
à construire dans le cadre des pro-
grammes d’électrification à venir.
Prenant la suite de la première CC,
la CC 6001, les CC 7001 et 7002
sortirent d’usine en 1949, tandis que
les 2D2 9100, dernière extrapolation
du modèle ancien, le type 2D2,
étaient livrées en 1950 et 1951.
Du côté des BB, les prototypes 9001
à 9004 commencèrent leurs essais
entre 1952 et 1954, au moment
même où les CC 7101 à 58 débu-
taient leur carrière. La dernière sera
livrée en 1955. Deux ans plus tard,
en 1957, apparaissait la première
BB 9200. Trois ans plus tard, le
Capitole
entamait son règne avec
l’une d’elles en tête, à 150 km/h,
une vitesse alors autorisée seule-
ment pour le rapide le
Mistral!
En 1970, une CC 6500 prendra le
relais. Trois ans plus tôt, l’ancêtre des
CC 6500 disparaissait: la CC 6001
fut réformée en 1967, année où le
Capitole
accéda aux 200 km/h!
Trois ans après la CC 6001, la
deuxième CC apparaissait donc,
numérotée 7001. Puis moins d’un
an se passa entre la naissance des
CC 7001 et 2 et celle des 2D2
9100, un an encore entre la der-
nière 2D2 livrée et la première
CC 7100, et deux ans seulement
entre la dernière CC et la première
BB 9200! La révolution de la trac-
tion des trains rapides, avec le pas-
sage du type 2D2 au type BB,
se sera produite et pleinement
réalisée en moins de 10 ans.
La commande faite en 1946 par la
SNCF d’une première tranche ferme
de 35 2D2 9100, suivie de tranches
optionnelles pouvant porter jusqu’à
65 autres unités, n’atteindra jamais
le numéro 9200! Mais ce chiffre ne
fut pas perdu pour tout le monde:
il devint même le numéro d’une
série emblématique, non plus de
2D2, mais de BB, celle qui permit au
Capitole
d’exister, les BB 9200!
Durant cette période, on assiste à
une frénésie d’essais en tous
genres. En mai 1952, la CC 7001
abat ses 30000 km entre Paris et
Dijon; en août, la CC 7101 établit
un record de 46776 km en un
mois. Il sera battu en juillet 1953
par la 2D2 5549, avec 49171 km,
puis par la 2D2 5547 avec
50464km. Les 2D2 9100 relèvent
alors le défi, avec 51657 km pour
le mois de mars 1954.
Mais voilà que la CC 7147, lancée
dans une épreuve d’endurance au
long cours, entre le 1
mai et le
6 décembre 1955, atteint en juillet
63 426 km! Parallèlement se dérou-
lent les records de vitesse, en février
1954 avec la CC 7121 à 243 km/h,
et en mars 1955, qui voit le
331 km/h des CC 7107 et BB 9004!
La course aux « bonnes marches »
est lancée. Après des essais répétés
où elle peut atteindre sans difficulté
les 180 km/h, la CC 7001 couvre
le 26 mai 1949 Paris – Bordeaux à la
moyenne de 131 km/h. Le 5 sep-
tembre 1950, la 2D2 9102, excep-
tionnellement autorisée à rouler à
150 km/h, effectue le trajet Paris –
Dijon à 137 km/h! Et les trains
réguliers en service commercial
semblent vouloir se prendre au jeu,
dans une étonnante émulation: le
26 août 1956, la 2D2 5547, en tête
Sud-Express
(limité à 140 km/h),
effectue la liaison Paris-Austerlitz –
Bordeaux-Saint-Jean à la moyenne
de 124 km/h!
C’est dans ce contexte qu’est créé
Capitole
Sur le plan commercial, il s’agit de
viser les déplacements profession-
nels d’une population qui s’ouvre
de plus en plus à des marchés
Lors des fortes
pointes,
le «Capitole»
doit être doublé
d’un train
supplémentaire,
comme ici,
au départ
de Paris-Austerlitz.
F. Fontaine/Doc.
Janvier 2012
Historail
tématisation de rapides de 2
et de
classe, de plus en plus équipés
des nouvelles voitures Corail, va
fortement rapprocher le grand
public du standard « haut de
gamme » des
Capitole
, au moins
en terme de design – car, dans la
réalité, les voitures grand confort
resteront sans doute comme le
nec
plus ultra
de ces années-là.
Aussi, au service d’été 1982, le
Capitole
intègre-t-il dans sa compo-
sition des voitures Corail de
classe. Puis le parc des voitures
grand confort est partiellement
transformé en voitures grand
confort de 2
classe. Le
Capitole
redevient plus présentable!
Mais la fin approche inexorable-
ment: après avoir perdu sa qualité
de TEE, le
Capitole
s’effacera défi-
nitivement à l’arrivée des TGV au
début des années 1990, laissant
derrière lui une ligne Paris –
Limoges – Montauban – Toulouse
orpheline. Dès lors en effet,
Toulouse n’est plus principalement
desservi par l’artère classique
Orléans – Montauban, où s’illustra
Capitole
. Les TGV, utilisant la
LGV Atlantique entre l’Île-de-
France et Tours, sont rabattus à
partir de cette ville sur la grande
ligne Paris – Bordeaux
Poitiers
et Angoulême, puis empruntent
l’itinéraire Bordeaux – Montauban
par Agen pour rejoindre Toulouse.
Le tout prend 5 heures, soit 56 min
de moins que le
Capitole
Le prix de ces 56 min n’est pas
négligeable et touche tous les
acteurs de l’épopée du
Capitole!
Paris-Austerlitz en premier lieu, qui
perd son statut de grande gare
parisienne, car lui échappent non
seulement les liaisons Paris –
Bordeaux (le départ des TGV
s’effectue en gare Montparnasse),
En haut,
le «Capitole» 1030
dans la neige, entre
Juvisy et Étampes,
en mars 1970.
Ci-dessus à gauche,
arrêt du
«Capitole»
du soir en gare
de Limoges-
Bénédictins,
en octobre 1970.
Ci-dessus à droite,
l’intérieur d’une
voiture UIC
du «Capitole».
Pilloux/Doc.
L. Pilloux/Doc.
G. Rannou/coll. Y. Broncard
26-
Historail
Janvier 2012
dises, de messageries, de banlieue,
les omnibus, les express et les
raides, sans oublier les autorails qui
venaient aussi à Ivry pour y relayer
et assurer les pleins des réservoirs à
la station d’essence… Alors que
l’entretien et le garage des rames
de banlieue allaient déménager
vers Les Ardoines et que les Z 5300
allaient progressivement y constituer
un parc homogène en remplaçant
les Z 5100 et les Z 4100, le site d’Ivry
se concentrait sur le reste des engins
de traction électrique et diesel
(l’automotrice Z 4400 conservée
pour assurer les dessertes ouvrières
sur le triage de Brétigny étant entre-
tenue, comme les autres automo-
trices, sur le site des Ardoines).
Au début des années 1970, quand
arrivent les CC 6500 pour élargir les
missions à plus de 160 km/h, ce sont
plus de vingt types de machines dif-
férents qui coexistent dans les trois
secteurs du dépôt: sur le gril princi-
pal avec son chariot transbordeur,
côté ville, permettant de classer
les machines et donnant accès
aux voies de l’atelier; sur les voies
de l’atelier des engins électriques;
enfin, sur celles de l’atelier des
engins thermiques, à proximité de la
plaque tournante de l’ancien dépôt
vapeur, utilisée sporadiquement (à
bras d’hommes), car il n’avait pas
été jugé nécessaire de la motoriser.
La variété était encore accrue par
les passages en révision, qui entraî-
naient souvent des modifications
visibles: suppression des portes
frontales de communication pour
certaines machines fonctionnant en
UM; suppression des jupes de bas
de caisse (pour faciliter l’entretien
et réduire la corrosion) des CC 7100,
des 2D2 « ventrues » des séries 500
et 700, puis des BB 9200, qui com-
mencèrent ainsi à perdre de leur
élégance initiale; mise en place de
traverses équipées pour recevoir ce
fameux accrochage automatique
universel qui n’est toujours pas là…
Les livrées elles aussi évoluaient,
du vert plus clair apparaissant sur les
anciennes séries, de même que,
parfois, des moustaches et un sigle
rond SNCF sous forme d’un macaron
métallique, imitant celui des engins
livrés dans les décennies 1950-1960.
Ce fut le cas en particulier des
2D2 5400 et des BB 300 et BB 900…
Apposé sur un petit bâtiment joux-
tant la fosse du chariot transbordeur,
servant de bureau au surveillant
chargé de la réception des machines
à l’arrivée et de leur garage, un
grand tableau, en plein vent, était
consciencieusement mis à jour au fur
et à mesure du passage des engins,
à la main bien sûr, et à la craie.
Face aux numéros des trains à assu-
rer, il fallait renseigner, dans un
cadre resté libre, l’identité de la
motrice désignée. La disposition des
essieux n’était pas précisée, l’agent
chargé de l’écriture se contentant
d’inscrire un numéro: par exemple,
9257 pour la BB 9257… Et même,
pour les 2D2 du PO, c’était simple-
ment 528 pour 5528…
Ce grand tableau était scindé en
deux parties, avec les trains réguliers
d’une part, et les trains facultatifs
d’autre part. La partie trains réguliers
était en majorité couverte par des
machines modernes CC 7000/7100,
BB 9200, CC 6500, BB 9400 (pour
les navettes réversibles Paris – Orléans
et Tours), BB 8500. On retrouvait en
plus grand nombre les engins plus
anciens dans la partie des trains
facultatifs: 2D2, BB 100, 300, 900,
4200/4700, 4100/4600… Quant aux
machines de manœuvre, elles étaient
bien présentes sur les voies, mais
ne figuraient pas sur le tableau. On
pouvait voir encore des BB 1200, les
fameuses « boîtes à sel » monoca-
bines et modernisées bicabines (1),
les deux BB 1000 monocabines (2)
et enfin des BB 1/80, 200, 1500 et
En ce qui concerne les locomotives
de ligne, dans les temps reculés du
premier et du deuxième
Capitole
sur-
tout, mais encore avec le troisième,
la compatibilité des matériels (de
traction et remorqués) permettait
une grande souplesse dans la mise
en œuvre des moyens. Des substitu-
tions de machines de types différents
étaient possibles jusqu’au dernier
moment avant le départ du train…
Certes, il existait des limites dans
l’utilisation des engins en fonction
de leurs performances et de leurs
équipements: puissance, vitesse,
dispositifs d’antipatinage, freinage
rhéostatique ou non, ou par récupé-
ration, et en fonction des caracté-
Dossier
[ «Capitole»: la flèche rouge de Toulouse ]
L’intérieur d’un hall
d’atelier à Ivry:
près de quatre
décennies séparent
la 2D25500 visible
au fond des deux
CC6500.
J. Andreu
Dossier
[ «Capitole»: la flèche rouge de Toulouse ]
quai. Je demeurais sur la plate-
forme de la dernière voiture. De là,
rien ne m’échappait du panorama
ferroviaire. Nous étions alors au
temps des débuts, quand seul exis-
tait le
Capitole
du soir. Celui-ci
remontait les rames immobiles,
sagement en attente de départ,
puis nous arrivions au niveau des
machines déjà mises en tête… Je
ne manquais jamais la 2D2 du
modeste Paris – Orléans, régulière-
ment assuré par l’une des cinq
Waterman 5300, car je savais cette
série promise à une fin prochaine.
Boulevard-Masséna
Puis c’était Boulevard-Masséna, et
immanquablement, comme à chaque
passage, le souvenir en flash du
premier Paris – Bordeaux (assuré par
une automotrice Z 4100!) ouvrant
la reprise du trafic après la grève
générale de mai-juin 1968.
C’était au temps où les trains de
banlieue marquaient l’arrêt le long
d’antiques quais desservant autre-
fois la Petite Ceinture. Elle passait
juste au-dessus, et on la rejoignait
par des passerelles jetées sur la
marée des voies montantes et des-
cendantes charriant un incessant
trafic de trains en partance ou en
provenance du grand Sud-Ouest de
l’époque, entièrement desservi par
la gare d’Austerlitz. Ce trafic était
doublé par les allées et venues
des rames de voyageurs vides que
de vieilles biquettes tiraient ou
poussaient entre les chantiers de
Boulevard-Masséna et les quais de
la grande gare parisienne. Il y avait
également un triage à Boulevard-
Masséna, avec sa bosse et ses mer-
veilleux spécialistes acrobates qui
défaisaient les attelages entre les
groupes de wagons à séparer, dans
la montée de la butte, à l’aide de
longs manches souples ressemblant
à des cannes à pêche…
Puis défilaient le dépôt d’Ivry-sur-
Seine, la gare d’Ivry-sur-Seine, celle
de Vitry-sur-Seine, la modeste
halte des Ardoines (où ne s’arrê-
taient que quelques trains, matin
et soir), avec en retrait les ateliers
du matériel moteur de Vitry,
construits par le PO à l’époque des
grandes électrifications, et, à côté
le fameux banc d’essais où sont
passées toutes les gloires de la
traction vapeur, diesel et élec-
trique. Ensuite venait la vaste
courbe majestueuse de Choisy-le-
Roi, prise à 130 km/h. Aux Ardoines,
nous avions en effet déjà atteint la
limite de la vitesse autorisée sur
cette section de ligne.
La Grande Ceinture
et Juvisy
Après l’habituelle partie de cache-
cache avec la Grande Ceinture,
entre le poste R d’Orly où elle
disparaissait et sa résurgence entre
Ablon et Athis-Mons, venait la
traversée en trombe de Juvisy. Au
passage, le
Capitole
bousculait les
itinéraires compliqués des voies se
dispersant dans les entrelacs des
faisceaux du triage. Puis les rails du
Sud-Est s’approchaient de plus en
plus de nous, de façon tangentielle
jusqu’au bâtiment de la gare, judi-
cieusement située entre le réseau
Sud-Est et le réseau Sud-Ouest, qui
se rejoignaient en ce point singulier.
Là, à l’activité du triage recevant des
trains de toute la France
via
les
différents itinéraires de la Grande
Ceinture, s’ajoutait un croisement
permanent entre les nombreux flux
de voyageurs en correspondance,
grâce à ce carrefour essentiel qu’a
toujours été Juvisy: desservie par
les gares de Lyon, d’Orsay, de
30-
Historail
Janvier 2012
L. Pilloux/Doc.
L. Pilloux/Doc.
Départ du
«Capitole» à Paris-
Austerlitz en 1967;
noter sur le chariot
de la marchande de
journaux la publicité
pour le fameux
«Chaix».
Dossier
[ «Capitole»: la flèche rouge de Toulouse ]
Dourdan, et inversement se retrou-
vaient pour rejoindre Paris en un
seul convoi.
Il y avait également un dépôt, une
petite remise et un gril, où séjour-
naient engins de manœuvre et loco-
motives en coupure, ainsi que l’au-
tomotrice chargée de distribuer les
personnels à leurs différents postes
de travail, sur le site très étendu des
installations ferroviaires de Brétigny,
en particulier les faisceaux de voies
parallèles à la ligne d’Étampes.
Chamarande… Étréchy… Une tran-
sition, de la banlieue à la grande
banlieue, à l’approche de la pro-
vince. Un élargissement progressif
de l’horizon, et davantage d’air
dans les poumons. Insensiblement,
la contrainte de l’agglomération
urbaine se desserrait, et l’on se pre-
nait à respirer plus calmement, plus
profondément.
Voici Étampes. Le
Capitole
diminuait
son effort pour traverser cette gare
à la vitesse de 120km/h.
La rampe d’Étampes
Sitôt la gare passée, nous nous
engagions dans la rampe d’Étampes,
préfiguration de ces reliefs sau-
vages que nous allions devoir
affronter ultérieurement sur les
marches du Massif central. Cette
rampe de 10 km atteint les 8 ‰
sur plus de 6 km dans la montée
d’Étampes vers la gare suivante,
Guillerval. C’est le prix à payer pour
hisser la voie ferrée de la vallée de
la Juine, constituante du bassin de
la Seine, jusqu’au niveau de la
grande plaine de la Beauce.
Un moment historique indéniable
fut la construction par la compagnie
du Paris-Orléans de la grande ligne
ouvrant le passage plein sud de
Paris vers le Sud-Ouest, par tran-
chées et viaducs successifs. Les plus
âgés d’entre nous ne peuvent pas
se rappeler sans émotion l’époque
où la troisième voie n’avait pas
encore été ajoutée dans la rampe.
On assistait là à l’activité intense
d’une noria de « biquettes » assu-
rant la pousse non attelée des
convois les plus lourds et redescen-
dant ensuite de Guillerval haut-le-
pied ou en trains de machines vers
Étampes et recommencer…
C’est ainsi, que, bien calé dans
mon fauteuil, je pouvais savourer la
traversée d’Étampes. Je saluais son
petit dépôt où attendaient les BB
chargées de la pousse des trains de
marchandises, tandis que, « mettant
toute la gomme », notre machine
développait sa pleine puissance
pour franchir la fameuse rampe de
8 ‰, laissant sur le côté gauche s’en
32-
Historail
Janvier 2012
G. Rannou/coll. Y. Broncard
En avril 1976, à
Paris-Austerlitz, le
«Capitole» régulier
du soir, au centre,
avec une rame TEE
grand confort,
côtoyant un
supplémentaire
composé de
matériel UIC rouge.
Dossier
[ «Capitole»: la flèche rouge de Toulouse ]
fut donné le nom d’aérotrain, un
train de science-fiction. Sans aucun
doute ce rail monumental devait-il
servir de rampe de lancement pour
engins interstellaires.
Vraisembla-
blement, les ancêtres de nos futurs
fameux TER!
Puis la cathédrale d’Orléans s’ap-
prochait à l’horizon.
Après Cercottes, il fallait donc reve-
nir à 150 km/h, puis à 90 km/h pour
la zone Les Aubrais-Orléans.
La suite du voyage
C’est ensuite, un peu plus tôt ou
un peu plus tard suivant les saisons
et la durée du jour, que notre
BB 9200, infatigable – puis après
elle, à partir de 1970, notre
CC 6500 –, et derrière elle le
apitole
du soir, étaient peu à peu
cernés par la nuit. Venaient alors
pour moi de longs moments de
rêverie, entrecoupés de « grands
bols d’air » à la descente sur le quai
des quelques rares gares où notre
rapide faisait halte, jusqu’à Tou-
louse.
Même les plus mauvais jours ne
résistaient pas à l’ambiance béné-
fique du voyage, comme portée
par la puissance du déplacement.
Entraîné par la force de la traction,
je me sentais de taille à résoudre
toutes les difficultés!
Au passage, je saluais les lumières
des grandes gares où tous les
autres trains devaient s’arrêter: Les
Aubrais, Vierzon, ou Châteauroux,
avant qu’à notre tour nous stop-
pions à Limoges.
Il y avait en nous encore un peu
de ce prestige du Sud-Express,
avec sa voiture Pullman, de ce
monde à part des « grands express
européens », comme c’était écrit
sur les voitures armoriées de
Orient-Express,
Nord-Express
ou de
La Flèche-d’Or…
Le
Capitole
du matin
Avec le
Capitole
du matin, c’était
différent, moins de rêveries et plus
d’observations de ligne! À cet
égard, sa mise en service fut une
merveilleuse occasion de vivre au
rythme du
Capitole
, non plus de
nuit pour une large part, mais en
plein jour. Le choix entre ces deux
34-
Historail
Janvier 2012
Charraud/Doc.
Y. Broncard
Dans le secteur de
Saint-Jory, près de
Toulouse, contraste
entre un antique
signal du block
ex-Midi Paul et
Ducousso
(blockPD) et
la rame rutilante
du «Capitole».
Ci-contre, une
BB9200 rouge
en juillet 1967,
au dépôt d’Ivry.
Janvier 2012
Historail
trains était aussi une aubaine. Cette
double possibilité permettait de sai-
sir soit des impressions nocturnes et
intimistes dans le halo du
Capitole
du soir se projetant à travers les
ténèbres, soit une autre vision, pré-
cise et plus « documentaire », car
diurne, avec le
Capitole
du matin…
L’un et l’autre voyage constituant
deux aventures contrastées, don-
nant un relief particulier à l’« aven-
ture du
Capitole
Sur l’axe d’Orléans
à Toulouse
Nous voici engagés sur l’artère de
Toulouse. Impression de calme.
Après l’animation du tronc com-
mun entre Paris-Austerlitz et la gare
de passage des Aubrais, c’est un
double effet qui opère, de rétrécis-
sement sur deux voies d’abord, de
renfermement sur soi ensuite, après
les vastes étendues de la plaine de
la Beauce et les généreuses installa-
tions du triage des Aubrais. Presque
un effet de solitude aussi, une fois
les divers raccordements de la zone
d’Orléans franchis. Un
Capitole
laissé à lui-même. Au beau milieu
d’une dense forêt de bouleaux.
Mais le spectacle à ce moment-là
n’est plus dans le paysage. Il se
concentre sur le rapide, qui va bien-
tôt réaliser son exploit quotidien!
À la bifurcation de Châteauneuf-
sur-Loire, le plafond est relevé à
130 km/h, puis à 160 km/h sur
3 km, avant d’arriver sur la section
de ligne mythique des 200 km/h.
Et cela, après un effort soutenu
de la machine, pour l’essentiel en
rampe, encore une fois! Le
Capitole
retrouve les 170 km/h qu’il
avait atteints à Angerville et tenus
jusqu’à Cercottes.
Mais au lieu de stabiliser la vitesse,
le conducteur électricien est passé
en système de vitesse programmée.
Il a affiché une vitesse de 200 km/h.
Et c’est le système embarqué qui
assure désormais la montée en puis-
sance et en vitesse du convoi. Dans
la cabine de conduite, les chiffres
défilent: 180 km/h, 190 km/h… À
La Ferté-Saint-Aubin, le
Capitole
est lancé à 200 km/h!
Depuis un moment, nous roulons
donc déjà sur le tronçon historique,
le tronçon où, pour la première fois,
la vitesse commerciale de 200 km/h
a été atteinte et pratiquée quoti-
diennement. Et ce fut notre
Capitole
dans sa première version
rouge qui a réalisé cet exploit entre
1967 et 1970. Nous filons donc, à
200 km/h, sous les petits portiques
de caténaires particuliers à cet
endroit, rendus célèbres par la per-
L. Pilloux/Doc.
Passage du
«Capitole» dans le
paysage rocailleux
traversé par la ligne
au sud de Souillac,
en octobre 1970.
Janvier 2012
Historail
En juin 1967, le «Capitole» sur un viaduc à proximité de Cahors; entre cette ville et Brive,
la ligne Paris- Toulouse est tracée sur les flancs de la vallée de la Vézère: un beau paysage,
certes, mais un tracé terriblement sinueux qui grève les temps de parcours.
L. Pilloux/Doc.
formance de notre rapide. Des por-
tiques qui semblent se rapprocher de
plus en plus vite et se jeter sur nous avec
une véhémence qu’on ne leur connais-
sait pas auparavant!
La traversée de la Sologne
à 200 km/h
La Ferté-Saint-Aubin, Lamotte-
Beuvron, des noms qui fleurent bon la
campagne de Sologne. Voici Salbris,
avec un coup de chapeau au Blanc –
Argent, qui défend bien sa peau: un
coup bref d’avertisseur, comme un clin
d’œil du train à grande vitesse qui salue
affectueusement au passage son petit
frère bien plus sage.
Cette section de ligne, où de nombreux
essais préalables se sont déroulés les
années précédentes, est bien connue,
mais elle n’a pas l’aura de la fameuse
ligne des Landes du record de vitesse à
331 km/h. C’est que ce qui se produit
maintenant est bien différent du record
de 1955. L’événement d’alors avait
toutes les caractéristiques d’une action
spectaculaire: unique, extraordinaire,
aux limites du possible… Et cela dans un
cadre grandiose, ouvert sur le ciel élargi
dans la généreuse lumière du Sud, sur
une scène dessinée par ces étranges
supports de caténaires de la Compagnie
du Midi, mythiques!
Alors qu’aujourd’hui le
Capitole
roule
tous les jours sur cette ligne très sobre,
et ce n’est qu’à 200 km/h: on entre
dans les jours « ordinaires ». Quant au
cadre, il est à peu près l’opposé de celui
des Landes: une longue ligne droite,
certes, mais sans visibilité, entourée
qu’elle est d’une épaisse forêt qui la
serre de près et semble cacher ces trains
qui passent là sans être vus. Même les
supports de caténaires paraissent limités
dans leur esthétique, vraiment réduits à
leur rôle pratique, sans style, simplement
fonctionnels. On retrouve bien là encore
cette caractéristique de la ligne et donc
Capitole
aussi, même s’il est d’un très
beau rouge vif: la modestie, presque
la confidentialité! On est très loin des
grandes radiales renommées, et de leurs
trains célèbres. Paris – Hendaye ou Paris –
Nice, avec le
Sud-Express
et le
Train-Bleu
ou le
Mistral…
Moins connu du grand
public, c’est vrai, mais très apprécié,
aimé, par ceux qui le prenaient et pou-
vaient donc comprendre ce qu’il était
vraiment: un train moderne relevant les
défis d’une ligne relativement défavori-
sée par son tracé, son profil, son envi-
ronnement reculé, essentiellement rural,
son économie agricole et régionale sans
commune mesure avec les grands cen-
tres nationaux ou internationaux reliés
par les plus importantes radiales rayon-
nant de la capitale. Et aussi un exemple
de ce que le progrès pouvait apporter à
des territoires jusque-là en retrait, sans
pour cela les déstabiliser et les urbaniser
à grand renfort d’infrastructures et de
béton.
Mais l’ivresse de la vitesse ne doit pas
nous entraîner au-delà des limites de la
zone à 200 km/h. Dans la rampe de
Theillay, il faut freiner jusqu’à 150 km/h.
Puis c’est la bouche du tunnel des
Alouettes; là, il faut user de notre aver-
tisseur, c’est le règlement. À ce moment,
il est bon d’être dans la cabine de
conduite, car l’impression est forte: le
rapide s’engouffre dans l’étroit passage
du souterrain, sous la voûte mystérieuse
éclairée d’une lumière étrange, diffusée
de façon syncopée par les vingt et un
jours qui y sont pratiqués. On n’échappe
pas alors à la plaisanterie habituelle des
mécanos, quand ils s’adressent à un néo-
phyte: « C’est le tunnel le plus long du
monde, vous savez pourquoi? Parce qu’il
faut vingt et un jours pour le traverser! »
Vierzon
Là-dessus, le carrefour de Vierzon s’an-
nonce. Le train doit abandonner son
allure de croisière pour rejoindre les
Janvier 2012
Historail
Vienne, la longue ligne venant
d’Ussel
Meymac par la vallée de
la Vienne nous rejoint sur la gauche.
Nous quittons les monts d’Ambazac
pour la plaine, et, après avoir
absorbé la ligne de Poitiers par
l’étoile de Dorat, arrivant sur notre
droite, c’est l’entrée triomphale dans
le temple ferroviaire des Bénédictins,
Limoges, notre premier arrêt!
Limoges-Bénédictins
Limoges-Bénédictins se présente
en majesté au PK 401,190, sur un
vaste plan qui lui est réservé. La
gare ici est magnifiée à la façon des
bâtiments les plus sacrés: entre le
ciel et l’eau, sa réalité et son reflet,
elle évoque les temples du lointain
Orient, moyen ou même extrême,
les pagodes ou les mosquées, les
palais ou les mausolées, régnant sur
des esplanades dégagées entourées
de bassins. Son grand hall couronné
d’une coupole aux vastes baies
arrondies n’est pas sans rappeler la
basilique Sainte-Sophie, à Istanbul.
Pour prendre son train, il faut des-
cendre de la passerelle monumen-
tale qui réunit les deux côtés de
l’emprise ferroviaire et, au-delà,
rejoint les deux parties de la ville
coupées en deux depuis l’arrivée du
chemin de fer. Cette disposition,
assez rare au moment de la
construction de cette gare, va pro-
gressivement se répandre et se
généraliser quand les cités vont
méthodiquement absorber le rail
devenu une réserve foncière.
La voie ferrée va ainsi peu à peu
être canalisée, comme cela était
F. Lanoue
Y. Broncard
En haut, symbole
de la mutation
des années 1980,
les voitures grand
confort ont changé
de livrée et vont
perdre leur
labellisation Trans
Europ Express; le
«Capitole» devient
progressivement
un train classique.
Ci-contre, en
banlieue sud-ouest,
en juin 1971, la
queue d’une rame
grand confort
assurant le TEE
«Capitole».
Dossier
[ «Capitole»: la flèche rouge de Toulouse ]
déjà arrivé aux rivières transformées
en canaux puis en grands collec-
teurs rassemblant les divers chemi-
nements des eaux usées par la ville.
Une ville qui trouve ainsi le moyen
de recréer son unité en réparant le
tissu urbain autrefois mis à mal par
les diverses saignées pratiquées
pour laisser passer les trains.
À Limoges, on changeait souvent
de locomotive, de conducteur, et
même on changeait d’air! Car dans
la lointaine nature qu’on allait
traverser, l’architecture n’avait plus
droit de cité. On pénétrait dans un
autre univers, fait de gorges et de
montagnes abruptes, de voies
ferrées torturées dans les méandres
et les tranchées tourmentées de
l’indomptable Vézère. C’était alors
un autre règne, barbare, étranger, à
l’opposé des splendeurs de la por-
celaine, du savoir-vivre et de l’ordre
bourgeois, symbolisés par la gare
des Bénédictins!
Quand on laisse Limoges derrière
soi et que l’on descend vers le sud,
cet espace perd ses caractéristiques
urbaines et agricoles. Plus de villes,
plus de cultures, mais la nature,
sauvage et cachée, peu accessible,
sinon par cette voie ferrée improba-
ble qui descend vers Brive, Cahors,
Montauban et Toulouse…
Sur les sommets
Après le tunnel des Bénédictins, qui
ferme la sortie sud de la gare du
même nom, nous nous avançons
sur la bifurcation dite d’Uzerche, au
confluent de la ligne de Périgueux
et de celle de Montauban. C’est le
lieu où les deux
Capitole
du matin
se croisent s’ils sont à l’heure.
Aujourd’hui, c’est le cas, notre équi-
valent venant de Toulouse-Matabiau
montre son nez, et les deux rames
identiques se saluent silencieuse-
ment. Nous sommes ici dans le
cas typique du train « qui peut en
cacher un autre », les deux convois
sont semblables et ne diffèrent que
par leurs directions opposées.
Et maintenant, sans attendre, com-
mence une belle rampe de 10 ‰. Le
Capitole
a devant lui 43km de rampe
et va se hisser de près de 200 m
jusqu’au sommet de la ligne Paris –
Toulouse, à l’altitude de 443 m. Mais,
à la différence de ce que nous avons
vécu entre Étampes et Angerville, et
entre Orléans et La Ferté-Saint-Aubin,
la BB 9200 ne va pas accélérer dans
la montée et atteindre les 170 ou les
200 km/h! Car le tracé de la ligne ne
le permet pas. Nous serons constam-
ment limités à 110 ou à 115 km/h
durant toute la longueur de la
rampe, et ensuite aussi dans la des-
cente vers Allassac – hormis une
brève section autorisée à 125 km/h.
Ensuite, une fois Allassac passé, se
succéderont des tronçons à 120 et
130 km/h jusqu’à Brive.
De tunnel en viaduc, de pont en
tranchée, notre train va grimper,
absorber des courbes et des contre-
courbes incessantes et dévaler des
descentes à travers des paysages
grandioses comme sortis d’une
Préhistoire qui ici serait demeurée
en vie, vie minérale et végétale
régnant sur l’espace et le temps!
En cabine, le mécano ne cessera de
tractionner que pour freiner, et de
freiner que pour tractionner…
Poursuivant sa descente vers le sud
de la France, le
Capitole
franchit
encore deux limites géographiques
et symboliques: au niveau de La
Porcherie, au sommet de notre
ascension, nous traversons la ligne
de partage des eaux entre la Loire et
la Dordogne, et en même temps
passons du département de la
Haute-Vienne à celui de la Corrèze.
La difficile traversée
des gorges de la Vézère
Alors arrive Uzerche, dominant
la vallée de la Vézère, rivière ô com-
bien sévère. Le
Capitole
va s’y
40-
Historail
Janvier 2012
Les deux types
d’aménagements
des voitures TEE
grand confort du
«Capitole» à partir
de 1970: à gauche,
le compartiment et
à droite la version
«coach» avec
couloir central.
Photos L. Pilloux/Doc.
Janvier 2012
Historail
faufiler et suivre avec courage son
parcours sauvage, un long moment,
entre les parois étroites de
gorges n’acceptant que la rivière et
son vaillant cavalier, le courageux
Capitole
. Jusqu’à Allassac, où il
reprendra sa liberté. Pour l’instant,
le
Capitole
flirte avec la Vézère. Des
filets d’eau, des rochers se suspen-
dent un instant à nos yeux, tandis
qu’une courbe serrée s’ouvre sou-
dain sur une autre perspective,
interrompue à son tour bientôt par
la bouche d’un tunnel nous plon-
geant dans l’humide obscurité…
Pour retrouver de nouveau la
lumière quelques instants après.
Apercevoir un coin de ciel, entre
deux parois de roches écorchées,
pour retomber dans la dense ver-
dure immaculée dominant tout
Le carrefour de Brive-
la-Gaillarde
Capitole
entre en gare de Brive,
PK 499,959, où il va procéder à
son deuxième arrêt depuis Paris.
Pourquoi « la Gaillarde »? Est-ce à
cause de l’importance de ses instal-
lations ferroviaires qui s’éparpillent
tout autour de la gare et de son
puissant poste B commandant à
tout un ensemble d’itinéraires?
Non, ce surnom, inclus dans la
dénomination officielle de la ville,
remonte plus loin dans le temps.
Il évoque le courage et la ténacité
des gens d’ici, qui, dans la longue
histoire de leur commune, ont eu
beaucoup à se battre et ont été sou-
vent assiégés par des envahisseurs
voulant forcer la porte du Quercy et
du Périgord.
Et cette « gaillardise », on la retrouve
encore, maintenant, en 1968,
avec une insolente santé ferroviaire:
celle d’un carrefour animé, en
correspondance avec un réseau de
lignes transversales reliant Brive à
Périgueux, au Buisson, à Limoges par
Saint-Yrieix, à Clermont-Ferrand, à
Saint-Denis-près-Martel, à Bort-les-
Orgues, à Aurillac, à Capdenac et,
au-delà, à Albi, à Rodez, à Mende et
à Millau. Au centre de ce dispositif,
un dépôt, avec des machines titu-
laires et même un atelier du Matériel
et de la Traction assurant le suivi de
certaines séries d’engins moteurs, et
aussi un triage!
Il s’agit du triage d’Estavel.
Constitué d’un faisceau unique de
30 voies, il est disposé en impasse,
faute de place, les terrains plats
étant rares à cet endroit! Les
manœuvres sont donc assurées
Le «Capitole»
à l’arrêt à Limoges,
avec des voitures
grand confort,
mais une Sybic,
BB26000,
à la place de
l’emblématique
CC6500.
F. Lanoue
Janvier 2012
Historail
à Albias et accoster le Tarn à son
tour, qu’il franchit à Fonneuve, juste
avant de rejoindre la ligne de
Bordeaux qui arrive sur la droite.
C’en est désormais fini: le
Capitole
ne va plus rencontrer d’obstacles
sur sa route.
Arrivant à Montauban, il aura des-
cendu 123mdepuis Montpezat,
sur 35 km, pour une partie parcou-
rue à 160 km/h depuis Caussade,
une vitesse qu’il n’avait pas eu l’oc-
casion d’atteindre depuis long-
temps! Et déjà, il faut ralentir pour
l’avant-dernier arrêt du parcours,
Montauban-Ville-Bourbon.
De Montauban
à Toulouse
De Montauban à Toulouse, les
choses paraissent bien faciles par
rapport aux difficultés rencontrées
« dans la montagne »: le
Capitole
roule sur une ligne de plaine, à
160 km/h. Remontant la Garonne,
nous nous rapprochons de Toulouse.
En compagnie du canal du Midi, qui
va nous suivre fidèlement jusqu’à
notre arrivée, le
Capitole
longe le
vaste triage de Saint-Jory.
À sa sortie, peu avant la petite gare
de Lacourtensourt, nous constatons
qu’une troisième voie banalisée est
venue renforcer les capacités de la
ligne, chose bien rare depuis que
nous avons quitté la Beauce.
Alors, les ralentissements se succè-
dent, nous passons le triage de
Toulouse-Raynal (destination des
trains de messagerie), sur notre
droite, tandis qu’arrive à gauche, à
la bifurcation du lac Crémon, le
grand itinéraire à voie unique de
Saint-Sulpice, qui dessert Mazamet,
Albi et Rodez, Capdenac et Figeac,
Aurillac et Bort-les-Orgues…
Enfin, sur la gauche, signe de l’arri-
vée au terminus du
Capitole
, les ins-
tallations du dépôt des machines
tout proche, avec ses autorails
rouge et crème et ses 2D2 vert
foncé, parmi lesquelles dominent les
700, dont Toulouse est le dépôt titu-
laire. Voici les quais, la marquise
et l’arrêt: nous sommes arrivés au
terme du voyage, en gare de
Toulouse-Matabiau. La BB 9200 est
resplendissante, comme si l’exploit
qu’elle vient d’accomplir n’était
qu’une formalité. Bravo tout de
même pour ces 713 km parcourus
en 6 heures, dans les conditions
acrobatiques que nous venons de
vivre et qui font le vrai charme du
chemin de fer!
Jacques ANDREU
Photos G. Rannou/coll. Y. Broncard
En juin 1973,
on constate
une parfaite
homogénéité entre
la rame grand
confort TEE du
«Capitole» et la
machine CC6500
à sa tête, les livrées
ayant été conçues
dans ce sens
dès l’origine.
Janvier 2012
Historail
Q
uand le tramway est tombé en
disgrâce, il est rapidement
apparu pour beaucoup comme un
gêneur. Sa place sur la chaussée
revendiquée par d’autres véhicules est
devenue problématique. Dans notre
pays, la solution la plus radicale a été
appliquée et on l’a simplement sup-
primé. Ailleurs, on a tenté de le pré-
server en le faisant disparaître de la
surface. Ses mauvaises performances
au milieu de la circulation automo-
bile, aussi bien que la gêne qu’il était
censé provoquer ont donné l’idée de
l’enterrer. Dans cette nouvelle infra-
structure réservée, le tramway peut
alors retrouver une vitesse commer-
ciale importante favorisée par l’amé-
nagement de stations souterraines de
type métro. Généralement, les tun-
nels construits à un gabarit généreux
permettent d’envisager une éventuelle
conversion au métro lourd. Ce concept
qui va se généraliser dans un certain
nombre de métropoles durant les
années 1960 est celui du prémétro.
Dans la majorité des cas, le tramway
est simplement enterré dans les
centres où sa circulation en surface est
jugée encombrante. En périphérie, il
retrouve sa place sur la chaussée, par-
fois dans des sites propres aménagés.
Anvers, Charleroi ou encore Vienne
ont utilisé cette formule. La circula-
tion en souterrain des tramways passe
généralement par la mise en service
d’un matériel spécifique qui répond
aux contraintes d’une telle exploita-
tion. Il peut s’agir notamment de tenir
compte d’interstations plus longues,
du gabarit particulier des tunnels ou
de modes de captation différents pour
s’affranchir de la caténaire.
Au-delà d’un simple enfouissement
du tram, le prémétro est parfois le
prélude à la mise en service d’un
métro lourd, bien que cette conver-
sion se soit finalement avérée peu fré-
quente. C’est notamment le choix qui
a été fait à Bruxellesdès la construc-
tion des premiers tunnels. Longtemps
le métro est apparu comme le but
ultime à atteindre pour de nom-
breuses agglomérations. Faire partie
de ce club restreint était signe de
prospérité et d’importance. Le cas de
Bruxelles est à ce titre symptomatique.
La capitale de la Belgique dispose en
effet au sortir de la Seconde Guerre
mondiale d’un important réseau de
transport. Les lignes de tramways
desservent tous les quartiers de ville
et les trams vicinaux poussent loin au-
delà des limites de l’agglomération.
Cet excellent réseau avait-il besoin
d’être remplacé par un métro? On
peut bien sûr raisonner en terme de
capacité et répondre qu’un métro si
court soit-il aura toujours un débit plus
important que le tramway le plus
long. Lors de l’Exposition Universelle
de 1958, le transport va être intégra-
lement assuré par les tramways et les
autobusdont les services sont adaptés
pour la circonstance. Au Heysel, on
créera même une importante gare de
tramways, démontrant la capacité
d’adaptation du réseau. Cet événe-
ment planétaire pouvait donner des
indications précieuses sur la réelle
nécessité de construire un métro à
Bruxelles. Il faut préciser que depuis
le début des années 1950, la ville
avait engagé le renouvellement de
son parc de tramway et que les
idée au secours du tramway
Que faire du tramway dans la ville? À l’heure de l’explosion automobile
et des embouteillages, les réseaux qui ont conservé des trams dans
les années 1960 ont cru trouver la solution en les enterrant. Faire disparaître
le tramway allait-il le sauver? Retour sur une étonnante idée passée
de mode, notamment au travers de l’exemple bruxellois, un «cas d’école».
N. Neumann/LVDR
En page de gauche:
la trémie
du prémétro
de Bruxelles, station
Lemonnier, non loin
de la gare du Midi,
en avril 1992.
Le 17 décembre
1969 à la station
Schuman,
inauguration
de la première ligne
de prémétro
bruxelloise; cette
motrice monocaisse
série 7100 paraît
bien petite
dans les vastes
infrastructures,
elles ont été
dimensionnées pour
le futur métro lourd.
Janvier 2012
Historail
construites par La Brugeoise et Nivelles
sur la base des motrices PCC déjà en
service. Métros légers avant la conver-
sion au mode lourd, elles permettent
de transporter 158 voyageurs dans
des rames d’une longueur de 21m.
Les différents tronçons du prémétro
vont connaître des destinées diffé-
rentes. Le20septembre 1976,la pre-
mière ligne de métro est ouverte sur
une longueur de 11,6km. À cette
occasion, les sections de prémétro sont
converties à l’exploitation métro. Le
2octobre 1988, on inaugure la ligne 2
avec réutilisation des tronçons de pré-
métro compris entre Rogier et Louise.
Deux autres sections importantes sont
pour l’heure restées inachevées. Sur
l’axe de la Grande Ceinture, seules
quatre stations du prémétro sont en
service entre Diamant et Boileau, la
correspondance se faisant avec le
métro au carrefour Montgomery. Un
terminus souterrain y est également
aménagé pour les lignes 39 et 44 de
tramway vers Ban Eik et Tervuren.
Cette section ouverte entre1972
et1976 est l’amorce de laligne 5du
métro qui devait relier la gare du Nord
à la gare du Midi par l’axe de la
Grande Ceinture. Le tracé de cette
ligne a d’ailleurs longtemps été assuré
en tramway par la ligne 90. Désor-
mais c’est la ligne 7 qui assure cette
liaison du Heysel jusqu’à la station
Vanderkindere à la rencontre des
lignes 3 et 4. Cette section est trop
courte pour envisager sa conversion
prochaine en métro lourd et elle ne
sert qu’à augmenter la vitesse com-
merciale du tramway. Sur cet axe
de Grande Ceinture, essentiellement
en site propre l’exploitant a engagé
du matériel de tramway capacitaire,
les nouvelles rames du Flexity Out-
look, développant une desserte effi-
cace sur un axe qui va du Heysel au
nord-ouest jusqu’à la gare du Midi au
sud. La tendance est donc d’opter
pour le métro léger plutôt que de
basculer vers le mode lourd. Cette
conception répond aussi à des impé-
ratifs budgétaires. Le réseau de métro
a été conçu à la fin des années 1960
à l’époque du pétrole bon marché et
de la prospérité économique. Il appa-
raît aujourd’hui surdimensionné pour
une capitale d’un million d’habitants.
Deux chocs pétroliers plus tard et une
réelle morosité économique ont
conduit à plus de réalisme.
Sur l’axe nord – sud qui traverse la ville,
la mise en souterrain des tramways a
répondu rapidement à un problème
de circulation. Mais cette section était
surtout l’amorce d’une futureligne 3
qui venait compléter le réseau de
métro avec une transversale à fort tra-
fic. Le tracé tel que défini à l’origine a
été intégralement assuré en tramway
par le 55, (à défaut de métro lourd)
jusqu’à la réorganisation du réseau
en 2009. La première section a ouvert
en octobre1976entre Lemonnier et
Gare du Nord. Une seconde section
a fait la liaison en 1993 jusqu’à la sta-
tion Albertpar la gare du Midi. La
question de son éventuelle conversion
au mode lourd reste en suspens bien
que depuis la restructuration de 2009,
il a été décidé de l’intégrer au métro
tout en l’exploitant avec des tram-
ways. Ainsi, les lignes 3 et 4 qui le tra-
versent, peuvent être considérées
comme des lignes de métro dont elles
reprennent la numérotation.
Au nord, une autre courte section a
ouvert en 1988avec l’enfouissement
de la station Simonisdesservie par le
tram 19. Cette station enterrée facilite
la correspondance avec les lignes 2
et 6 du métro. Au fil des années, le
concept de métro à Bruxelles a évolué
tout comme celui de tramway. Si
l’idée de faire quasiment disparaître
les tramways était à la base de la
au secours du tramway ]
LVDR
Vue d’artiste à
l’époque de l’étude
du projet, dans
les années 1960,
d’une future station
souterraine de
trams à proximité
de la place
de la Constitution,
à Bruxelles.
Urbain
[ le prémétro, une fausse bonne idée
elle a connu une première réalisation
en Belgique dès 1957 a été étudiée un
peu partout en Europe où les réseaux
de tramways ont survécu. À Vienne,
le projet visait à créer tout un réseau
de tramways souterrains en traçant des
radiales convergeant vers le ring du
centre-ville. En 1959, une première
section de tunnel est ouverte aux tram-
ways dans le secteur de Südtiroler Platz.
Cette section sera par la suite prolongée
en 1969 desservant quatre nouvelles
stations. En 1961, c’est le terminus de
Schottentor où cinq lignes de trams
aboutissent qui est établi en souterrain.
Cette station d’une grande modernité
pour l’époque a permis une corres-
pondance rationalisée entre les lignes
de surface et celles circulant en sous-
sol. Pour autant, le plan d’enfouisse-
ment s’arrêtera là. Par la suite, c’est
l’idée du métro qui sera mise en avant
au détriment des tunnels de tramways.
En Suisseégalement à pareille
époque, on s’interroge sur la création
de sections souterraines de tramways.
Les villes de Berne, Zurich ou encore
Bâle engagent des études contestées
parfois par les partisans d’un métro. À
Zurich, on va finalement opter pour
le mode lourd et un tunnel de
2,213 m va ainsi être construit avant
que l’ensemble du projet ne soit fina-
lement abandonné. C’est donc natu-
rellement le tramway qui en 1986 a
récupéré l’infrastructure jalonnée de
trois stations souterraines, Tierspital,
Waldgarten et Schörlistrasse. Le cas
est unique puisqu’à l’inverse du pré-
métro où les tunnels sont convertis
au métro, c’est au profit du tram que
l’infrastructure a été cédée.
Ailleurs en Europe, c’est en Allemagne
que l’idée d’enterrer les tramways a
été généreusement appliquée. Ce pays
qui a conservé de nombreux réseaux
de tramway s’est trouvé confronté au
problème de son insertion en milieu
urbain. L’enfouissement des lignes en
centre-ville est alors apparu comme
une bonne solution, un compromis
réaliste entre tramway et monde
moderne. En 1966, Stuttgart a ainsi
ouvert une section de 550m permet-
tant aux trams d’éviter le carrefour de
Charlottenplatz. Une station établie à
cet endroit permettait le stationnement
de trois rames articulées de deux voi-
tures. Première étape d’un vaste plan
visant à l’enfouissement des trams,
cette solution est apparue rapidement
comme l’exemple à suivre pour les
autres métropoles allemandes. En
1968, Francfort a ouvert une ligne en
souterrain prolongée d’un site propre
en surface qui devait faire école. Exploi-
tée avec un matériel de type métro
léger, la ligne a été équipée d’infra-
structures closes proches d’un métro.
Cet exemple a été suivi à Hanovre ou
encore sur les tramways de Rhin et
Sieg. Certains de ces réseaux ont été
conçus pour une conversion future au
métro comme à Stuttgart, Ludwigs-
hafen, Kassel ou Bielefeld. Les chan-
tiers ont donc porté sur d’importants
travaux d’enfouissement complétés
en surface par des sections en site
propre. Le matériel exploité sur ces
lignes a d’emblée disposé d’un gaba-
rit généreux de 2,50m alors peu usuel
en tramway. Dès ces années pourtant,
la réflexion s’engage en parallèle sur
l’opportunité de construire des lignes
intégralement en surface circulant en
sites propres. Mais il est encore trop tôt
pour que cette solution ne remette en
cause le prémétro. L’enfouissement des
tramways a encore de beaux jours et
certains réseaux allemands persistent
toujours largement dans cette voie.
C’est notamment le cas de Cologne
où à l’heure de la reconstruction
d’après guerre, on a maintenu un
centre-ville étriqué peu propice à la
circulation des tramways. Les aména-
geurs vont hésiter entre la construc-
tion d’un métro, la suppression des
tramways mal insérés dans la ville ou
leur enfouissement garantissant leur
efficacité. C’est cette solution qui va
progressivement être mise en œuvre
à partir de 1963. L’idée était alors de
constituer deux axes nord-sud en
centre-ville tout en instituant des sites
propres en surfaces sur les sections en
périphérie. Un premier tronçon de
1,6km va ouvrir en novembre 1968
desservant deux stations. L’année sui-
vante, il est suivi d’une autre section
52-
Historail
Janvier 2012
Stib/Doc.
Une motrice PCC
à trois caisses
série 7900,
en 1977. De type
bidirection nelles,
les 7900 rompent
avec les 7000
monocaisses et
unidirectionnelles,
elles ont été
conçues, comme
les 7700 et 7800,
pour être adaptées
au prémétro
bruxellois.
Janvier 2012
Historail
de 800m a été construit pour s’af-
franchir d’un ensemble de rues
étroites peu propices à la circulation
d’un tram. C’est ce site propre qui
permit de sauvegarder la ligne 68 à
l’heure de la liquidation du réseau.
Jusque dans les années 1940, les édiles
marseillais peineront à trancher entre
métro et tramway souterrain. Le der-
nier projet en lice présenté en 1941
prévoyait d’enterrer les tramways en
centre-ville. Le métro ayant été écarté
pour des raisons financières, cette
solution semblait la plus à même de
répondre aux besoins de la cité
phocéenne. Compromis entre métro
et tramway, ces tunnels devaient être
jalonnés de stations souterraines.
Plusieurs sections sont prévues alors,
le long de la Canebière, du cours
Belzunce, quai des Belges ou encore
rue Saint-Ferréol. envisageant notam-
ment un doublement de la gare de
Noailles par la construction d’un
second niveau pour la desserte du
boulevard Garibaldi. On prévoit éga-
lement la construction d’une gare sou-
terraine à six voies sous la bourse avec
des branches partant vers les artères
environnantes. 2800 m de tunnels
sont alors envisagés pour amener les
tramways au centre de Marseille. Dans
la foulée, on décide de compléter le
projet par la mise en souterrain des
nombreux terminus des lignes de ban-
lieue implantés en centre-ville. L’idée
est bien de faire place nette, de débar-
rasser le tramway de la chaussée.
En parallèle, il va sembler indispensa-
ble de mettre au point un matériel
spécifique à la circulation en tunnel.
Pour remporter la décision des pou-
voirs publics, l’exploitant, la CGFT
(Compagnie générale française de
tramways), va ainsi moderniser le parc
de tramways pour le rendre conforme
à cette nouvelle exploitation. Les mar-
chepieds pris d’assaut par les resquil-
leurs en tout genre vont devenir
rétractables et on va installer des
portes coulissantes à fermeture pneu-
matique. Le poste de conduite va éga-
lement être isolé séparant le wattman
des voyageurs. 65 motrices vont ainsi
être modifiées jusqu’en 1945. Ces tra-
vaux devaient permettre en cinq ans
de moderniser l’ensemble des voitures
et coïncider avec l’ouverture de l’ex-
ploitation en tunnel.
Finalement, les tramways de Marseille
ne seront pas enterrés. À la Libéra-
tion, on trouva beaucoup de défauts
au projet, qui paraissait trop favora-
ble au tramway. Paradoxalement, on
considéra que les trémies d’accès
étaient de nature à créer des entraves
à la circulation automobile. L’idée d’un
métro lourd reprenait le dessus.
Enterrer les tramways pour laisser libre
cours à la circulation automobile nous
semble aujourd’hui dépassé. À l’heure
du respect de l’environnement, des
circulations douces et de la qualité de
l’air, on conçoit davantage de faire la
place au tramway. Il serait pourtant
trop simple de s’imaginer que tous les
tramways sont désormais construits
en surface dans une politique reven-
diquée de réaménagement urbain.
Sans aller chercher très loin, on trouve
en France des exemples revendiqués
de prémétro.
En dehors de Marseille qui a une
station de tram enterrée pour facili-
ter la correspondance avec le métro,
trois réseaux possèdent une section
souterraine dotée de stations, Stras-
bourg, Lille et Rouen. À Strasbourg,
la station Gare est enterrée dans le
seul but de permettre au tramway de
au secours du tramway ]
J. Andreu
Trémie d’accès à la
section souterraine
à Stuttgart,
en septembre 1977.
Infrastructure
58-
Historail
Janvier 2012
Ci-dessous et page
suivante:
carte du réseau
ferré français
dans les années
1920 (Chaix)
et en 2011 (RFF).
Le réseau ferré français
à son extension maximale
La «toile d’araignée»
des années 1920
«Un petit dessin vaut parfois mieux qu’un grand discours.»
Cet adage s’applique avec une pertinence toute particulière à
l’évolution du réseau ferré français. Nous vous le présentons ici
à son apogée, dans les années 1920, en vous laissant tout le
loisir de le détailler, puis de le comparer à la situation présente
…
Coll. Ph.-H. Attal
Janvier 2012
Historail
B
ien peu de gens se doutent aujourd’hui de ce qu’a pu être la
densité du réseau ferré français à son extension maximale, vers le
milieu des années 1920. Nous avons déjà évoqué les fermetures de
lignes dans un précédent numéro de cette revue, mais la visualisation
à l’aide de cartes permet de prendre consciente de ce qu’a pu être
l’ampleur de la contraction. Déjà, la disparition entre les années 1930
et 1950 de l’essentiel des réseaux départementaux d’intérêt local,
représentant plus de 20000km, a sérieusement clairsemé la surface
de l’Hexagone. Jusqu’aux années 1960, même s’il y avait eu d’im-
portantes vagues de fermetures au service voyageurs, le réseau d’in-
térêt général était encore peu touché, les lignes ayant perdu leurs
trains de voyageurs continuant pour la plupart à être desservies pour
le fret. C’est la disparition d’une grande partie du réseau capillaire fret
qui a énormément éclairci la carte du réseau. Un seul point positif est
à noter, c’est l’apparition des lignes nouvelles à grande vitesse; elles
sont venues contrebalancer modestement cette réduction.
Chacun pourra donc examiner la carte ancienne et détailler la, ou les
régions qu’il connaît, en découvrant des lignes dont on ignorait l’exis-
tence, car, plus le temps passe et plus les traces de ces infrastruc-
tures s’effacent les unes après les autres, le phénomène étant natu-
rellement plus marqué là où le terrain est recherché: zones urbaines
et terre agricoles à forte valeur. Cependant, dans les zones faible-
ment peuplées, les vestiges de ces innombrables lignes disparues
parsèment encore le paysage: pont, viaducs, tranchées, remblais,
restent toujours bien visibles, d’autant que certaines plates-formes ont
été reconverties en routes ou en voies vertes. Comme la mémoire a
tendance à se perdre vite, on entend des responsables politiques ou
des dirigeants du monde ferroviaire prétendre, avec une certaine in-
nocence, que la France a peu fermé de lignes et qu’une nouvelle ré-
duction est possible. Ils n’ont qu’à visualiser les deux cartes ci-contre
et ci-dessous pour se convaincre de l’ampleur de la curée… En
arrondissant fortement, on peut dire que, sur plus de 60000km
(40000 de grands réseaux + 20 000 de départementaux), il reste
aux alentours de 30000km, dont environ 25000km ouverts aux
voyageurs et 5000km de lignes fret en pleine phase de fermeture.
D. PARIS
Janvier 2012
Historail
extension maximale. La « toile d’araignée » des années 1920 ]
Coll. Ph.-H. Attal
Janvier 2012
Historail
extension maximale. La « toile d’araignée » des années 1920 ]
Coll. Ph.-H. Attal
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extension maximale. La « toile d’araignée » des années 1920 ]
Coll. Ph.-H. Attal
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extension maximale. La « toile d’araignée » des années 1920 ]
Coll. Ph.-H. Attal
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Historail
extension maximale. La « toile d’araignée » des années 1920 ]
Coll. Ph.-H. Attal
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Historail
extension maximale. La « toile d’araignée » des années 1920 ]
Coll. Ph.-H. Attal
Janvier 2012
Historail
extension maximale. La « toile d’araignée » des années 1920 ]
Coll. Ph.-H. Attal
L
a vie nous place parfois dans des
situations singulières.
Elle s’y connaît pour nous offrir des
hasards miraculeux, sans qu’on les ait
même mérités, parfois sans qu’on les
ait même souhaités.
Ainsi, pour un jeune passionné des
choses du rail, qui se voit entraîné,
sans l’avoir aucunement pressenti,
dans un lieu incon nu, interdit, sacré,
à la jonction de plusieurs artères
ferroviaires pleines de fumée et de
bruit, chaudes des galops cadencés
des locomotives, aériennes sous
l’envol des rapides internationaux, à
la rencontre du passé et de l’avenir,
de la banlieue et des grandes lignes,
quand commençait à s’électrifier
le réseau du Nord…
Oui, un jour, je suivis mon père vers
son nouveau lieu de travail, là-bas
au nord de Paris, dans une citadelle,
un monde à part, fermé au commun
des mortels, une place forte qui
devait, pour moi, devenir un lieu
d’observation privilégié du trafic
intense transitant par Saint-Denis,
au tournant des années 1950-1960.
Prenez une carte d’Île-de-France,
et regardez au nord de Paris. Trois
voies ferrées dessinent un triangle:
la Grande Ceinture, entre Épinay et
Stains, la ligne Paris – Épinay, et l’iti-
néraire direct Paris – Creil en forment
les trois côtés.
C’est là, au confluent de la Seine et
du canal Saint-Denis, à la séparation
des rails allant sur Pontoise et Persan-
Beaumont et ceux glissant vers Creil,
à l’amorce du chantier et du dépôt
des Joncherolles, c’est là que j’ai fait
connaissance avec les multiples
visages d’un chemin de fer qui m’était
jusqu’alors étranger.
Plus précisément, à la pointe inférieure
du triangle: entre la route nationale
14 A, les voies d’Enghien et de Creil.
À cet endroit, est dessinée sur la carte
une curieuse figure, difficilement iden-
tifiable pour qui ne connaît pas les lieux.
Ce signe bizarre représente un fort,
une de ces places emmurées qui pro-
tégeaient autrefois Paris, du haut des
collines ceinturant la capitale: le fort
de La Briche, du nom du petit ha-
meau situé au large de Saint-Denis,
encore séparé aujourd’hui de la ville
Feuilleton
74-
Historail
Janvier 2012
Vue générale de la
gare de Saint-Denis
au printemps 1958;
la locomotive
à vapeur 141 TC 18
pousse le 456
Persan-Beaumont –
Paris-Nord assuré
avec une rame
réversible de
banlieue composée
de matériel
métallique
ex-Compagnie
du Nord.
Feuilleton
[ sur les rails du souvenir (3):
se lever très tôt, monter dans la
voiture en se frottant encore les yeux,
mais c’était tellement merveilleux: une
longue, très longue journée s’ouvrait
devant nous, un voyage à travers l’ag-
glomération parisienne, au rythme des
adultes, des travailleurs qui quittent la
maison ensommeillée, alors qu’il fait
encore nuit, et qui rentrent le soir, bien
longtemps après la tombée du jour.
Je m’en souviens encore: la nuit, les
yeux qui me piquaient du sommeil
trop vite interrompu, en moi le brouil-
lard d’un réveil hâtif, un peu désor-
donné, et les essuie-glaces intermittents
qui effaçaient la bruine sur le pare-
brise. Les lumières jaunes de la ban-
lieue se reflétaient sur les capots
lisses des limousines. La foule des
cyclistes et des vélomoteurs, doublant
les voitures aux feux rouges, les files
d’attente des gens tassés autour des
arrêts d’autobus, le sifflet des rares
gardiens de la paix, l’éclat blafard des
lampadaires, amorti par l’humidité
insidieuse: je découvrais un monde
de peines et de sérieux, un monde fait
de travail et de nécessité, un monde
où chacun allait gagner sa vie, quel
que soit le temps ou l’humeur, en s’ar-
rêtant pour un verre rapide aux cafés
déjà ouverts, matinaux tout comme
les boulangeries qui semblaient ré-
chauffer la ville…
Que j’étais loin de l’école et du lycée!
Et que j’étais bien à l’abri, à l’intérieur
de la voiture, bien au chaud, sous
la protection du « grand chef » qui
savait tout et qui s’imposait à tous. Il
m’expliquait que lefort de La Briche
où nous nous rendions était un vrai
fort destiné à défendre Paris, qu’en
1914 il avait servi de casernement à
des troupes en transit, puis qu’en
1939-1940 il avait abrité de l’artille-
rie de DCA, en protection de Paris,
pour devenir, après la guerre, un atelier
de réparation automobile de l’armée.
C’est plus tard qu’il fut concédé à la
société de mon père qui y installa ses
bancs d’essai de moteur.
Je nous revois, passant sous le viaduc
de la ligne Invalides – Versailles, pour
croiser un peu plus tard lagare fan-
tôme des Moulineaux-Billancourtet
traverser la Seine. De ponts en ponts,
de feux rouges en feux rouges, point
mort, première, seconde accélération,
au milieu des flaques d’eau, fendant
la foule des ouvriers de Renault, les
ombres furtives des travailleurs des-
cendant des ruelles mal éclairées. On
avançait le long de la Seine, coupant
des lignes de bus et croisant des sor-
ties de métro trempées de brouillard,
d’où se détachaient des silhouettes
engoncées. Des usines, des usines et
encore des usines, et puis le bois de
Boulogne, les avenues vides de Neuilly,
bordées d’immeubles de marbre en
construction, où seuls s’affairaient
quelques éboueurs autour d’une
benne à ordures.
Et puis, de nouveau, Levallois et
son pont ferroviaire où glissaient
en permanence plusieurs trains en
même temps, avec leurs fenêtres
jaunies qui se découpaient dans
la nuit finissante, avec un profil de
femme, peut-être, une pensée lasse,
des rêves mourants…
Ensuite, arrivaient Clichy, Saint-Ouen
et Saint-Denis.
En franchissant le canal qui se jetait
dans la Seine, à nos pieds, on entrait
dans le triangle sacré deLa Briche,
Laissant le fleuve derrière nous, on
passait un feu rouge, on glissait sous
un pont de ferraille supportant les
quatre voies de la ligne Paris – Ermont
76-
Historail
Janvier 2012
Dubruille/Doc.
Machine 141 TC
en tête, un train
de banlieue vapeur
démarre de Saint-
Denis à la fin des
années 1950, alors
que les premiers
supports de
la future caténaire
25kV sont déjà
en place.
Pages 78-79:
le hall des arrivées
grandes lignes
de la gare du Nord,
en milieu
de matinée,
le 9 juin 1950;
au premier plan,
la 231A 3 arrivée
de Hirson en tête
du train 260,
la 231 E 9 venant
de Jeumont avec le
train 158 composé
de voitures Rapides
et Express Nord,
dont une mixte
classe/fourgon à
vigie, et la 230 D 37
au train 1412
en provenance
du Tréport;
à gauche,
au second plan, les
rames de banlieue
dans le hall central.
Feuilleton
[ sur les rails du souvenir (3):
Feuilleton
[ sur les rails du souvenir (3):
Il fallait d’abord se hisser à flanc de
talus sur des marches de bois et de
terre, étroites et déformées, envahies
de touffes d’herbes, glissantes par
temps de pluie. Il fallait suivre ensuite
un itinéraire compliqué, dans des tran-
chées de protection, pour s’élever
jusqu’à une échelle donnant accès à
un petit bâtiment, au sommet d’une
butte de terre gazonnée. Cette
maison était coiffée d’une terrasse
bordée de murs, comme la tour d’un
château fort défendu par ses cré-
neaux. Il fallait une clé pour y accé-
der, clé que mon père possédait et
me prêtait pour cette expédition.
Les gonds rouillés de la porte ne me
cédaient pas facilement, mais je finis-
sais toujours par y arriver et montais le
dernier escalier ouvrant sur le ciel. Là,
comme suspendu dans la nacelle d’un
ballon dirigeable, j’embrassais un large
panorama, essentiellement ferroviaire:
la ligne Paris – Creil, du poste de Saint-
Denis à l’amorce du chantier des Jon-
cherolles auquel accédaient les trains
et les machines, par un viaduc de
béton dont je pouvais suivre, mètre
par mètre, la progression, au-dessus
d’un entrepôt de marchandises.
J’étais au sommet de ma tour de
Babel ferroviaire, à la rencontre du
ciel et de la terre, du passé et de
l’avenir, voyant passer tout à la fois
les derniers trains de mon enfance et
ceux de l’âge adulte. J’étais comme
accroché à un point d’orgue, immo-
bile un bref instant dans la symphonie
de la vie. Situation instable par
définition, miraculeuse, intenable
même au cœur d’une forteresse
balayée par le temps, situation im-
possible à imaginer aujourd’hui,
fragile, transitoire, à tel point que j’ai
peine à croire les images qui viennent
noyer ma mémoire à cette évocation.
Celles de la rencontre des formes les
plus prestigieuses de lavapeur finis-
sante, de l’électricité toute neuve et
du diesel débutant, dans un festival
d’une grande variété, spectacle rare
qui n’aura guère duré, entre l’électri-
fication de l’artère Paris – Lille et celle
de Creil – Tergnier, date fatidique pour
le dépôt vapeur de La Chapelle et ses
« Superpacific », ses « Chapelon »,
ses 241 P, ses 232 S, R et U.
De mon observatoire, j’ai vu, mois
après mois, passer le temps, marqué
par la rapide agonie des fières
Chapelon et autres Pacific, ainsi que la
disparition des 232 aux lignes racées,
tandis que les 16000 et les 16500se
faisaient plus nombreuses, couvrant
le ciel de la couleur d’espoir de leurs
robes claires.
Période étrange où les trains de
voyageurs, dans des compositions
identiques, étaient tirés soit par les
séduisantes électriques, éblouissantes
de la fraîcheur de leur jeunesse, soit
par les démonstratives vapeurs,
fumantes et soufflantes, suivant que
ces convois se rendaient vers Lille ou
la Belgique. Période troublante dont à
peu près tout a aujourd’hui disparu.
Même les électriques ne sont plus
pareilles, elles ont perdu leur pureté
originelle. Les premières 16500étaient
honorées d’une peinture plus claire,
et leurs cabines bénéficiaient de
deux glaces supplémentaires, offrant
une vue panoramique; certaines
avaient, en outre, des feux rouges
frontaux, comme le réclamait la
réglementation de l’époque. Les
16000aussi avaient un je-ne-sais-quoi
d’autre dans les chromes ou dans la
couleur, dans le vitrage des cabines
qui les rendait plus élégantes.
Les rames de voyageurs, avec leurs
inévitables petits fourgons aux toits
80-
Historail
Janvier 2012
(Suite de la page77)
G. Rannou/Coll. Y. Broncard
Début 1967,
à Paris-Nord,
les lignes vers
Persan-Beaumont
et Pontoise sont
encore exploitées
en vapeur
(ici la 141TC 45),
tandis que les lignes
vers Creil et Crépy-
en-Valois sont déjà
sous caténaire,
comme en témoigne
la BB 16780 visible
au second plan.
Janvier 2012
Historail
rement partagé avec les copains…
J’aimais me faufiler au milieu de tous
ces êtres « bizarres » qu’étaient les
ouvriers: aujourd’hui, on ne trouve
plus guère de ces ouvriers-là, des
types qui n’avaient pas honte de leur
condition, qui ne cherchaient pas
à singer maladroitement de piteux
modèles, soi-disant distingués, enviés
je me demande pourquoi!
Je voyais glisser leurs ombres fantas-
tiques sous les voûtes de La Briche,
dans l’effroyable rugissement des mo-
teurs lancés à pleine puissance. Ils se
penchaient sur le banc, sans craindre
de frôler les tuyères d’échappement
portées au rouge vif par la chaleur des
gaz, les oreilles couvertes de casques,
pour effacer un peu du bruit ambiant,
enfilant de grosses moufles pour
régler le monstre qui vibrait sur son
assise. Je me souviendrai toujours de
leur grimace douce quand ils se bou-
chaient les oreilles avec des boules
« Quies », en entrant dans leur atelier,
de leurs signes à l’intérieur de l’étroite
plate-forme de travail, pour se faire
entendre, au moment de relever des
températures ou des consommations
d’essence, en ouvrant des robinets
disposés sur des conduites de verre,
semblables à des becs verseurs de
pastis, définissant la dose idéale pour
chaque verre. Imaginez ces fronts,
consciencieusement plissés sur les
tableaux quadrillés qu’ils s’occupaient
à remplir, sous la lumière pauvre d’un
lumignon, leurs grosses mains sur la
règle tirant les colonnes, sur un coin
de table, à côté des chronomètres, des
chiffons et des clés diverses, accrochées
sur les flancs de bois de la petite
cabine théoriquement insonorisée…
C’était là tout un monde, aujourd’hui
disparu avec l’arrivée des blouses
blanches, des BB, « du Formica et
du ciné », comme le chanta plus
tard Jean Ferrat. Aujourd’hui, ces
hommes sont loin, là-bas dans une
petite maison à la campagne, au coin
du feu d’une paisible retraite, comme
bien des cheminots ayant connu
le même genre d’existence. Certains
autres, hélas, sont déjà morts: jamais
plus on ne mangera de radis noir au
fort de La Briche…
Les ouvriersde la fin des années 1950,
en sursis au début des années 1960,
avaient bien des traits communs avec
ceux qui, tout autour du fort, faisaient
faire leurs derniers tours de roues aux
machines à vapeur, sur les lignes en-
vironnantes. Comme eux, ils allaient
disparaître pour laisser la place à des
plus jeunes, formés à d’autres tech-
niques, plus confortables, plus éco-
nomes en hommes, mais aussi plus
froides, plus ternes, moins hautes en
couleur…, une autre époque.
La traversée de Paris
Parfois, je ne participais pas à la céré-
monie essentielle du casse-croûte car,
après les premiers temps, je pris
l’habitude, plus commode, de laisser
partir seul mon père à ses heures im-
possibles, afin de rejoindre La Briche
dans des horaires plus convenables,
disons en fin de matinée. Je faisais
d’une pierre deux coups: je profitais
du jeudi, d’abord en prolongeant
ma nuit tranquille sans la contrainte
obsessionnelle de l’école que connais-
Saint-Denis, ici Saint-Denis! ]
M. Dalhström/Coll. J. Thouvenin
L’arrivée en gare
du Nord,
en avril1960,
du rapide 120
en provenance
d’Amsterdam,
derrière une 231 E
Chapelon.
Janvier 2012
Historail
bois défilaient de plus en plus vite, les
voitures se rapprochant en accélérant,
le tac-tac des roues se faisant plus
rapide, à la suite du halètement de la
machine libérée qui résonnait, là-bas,
déjà si loin dans l’entrelacs des voies:
le départ d’un train vapeur, c’était
quelque chose!
Il m’arrivait aussi de faire un petit tour
du côté de la gare annexe où s’impo-
saient les grosses 242 TA, en tête des
rames de Mitry, et de suivre ces
majestueuses locos-tenders, jusqu’à
des entrepôts donnant sur la rue
Saint-Denis.
Une fois, une unique fois, j’ai aven-
turé mes pas au-delà des limites où
s’arrêtent les voyageurs honnêtes. J’ai
suivi les voies et grimpé sur le trottoir
longeant des bâtiments en forme
de gare de marchandises. L’une des
portes coulissantes était demeurée
ouverte et je ne pus résister à la ten-
tation d’aller plus loin. Des couloirs
pénétraient dans l’ombre et là, au
bout de quelques pas, je tombai,
stupéfié, sur une bande de clochards
se réveillant, en maugréant, au milieu
de la paille et de vieux chiffons: des
habitués, plutôt agressifs, pas du tout
contents qu’on les réveille. J’étais
effaré de découvrir là, sous le toit de
cet antique entrepôt, entre les trains
qu’on entendait passer distinctement
et les camions qui déchargeaient leurs
messageries, une véritable cour des
miracles, mitée de caches où se glis-
saient, la nuit venue, ces étranges per-
sonnages, pour mettre leurs trésors à
l’abri et trouver le repos, à quelques
mètres du monde civilisé: une zone
floue, réglée par la loi de la jungle…
Pas rassuré, j’esquivai les gestes agres-
sifs des clochards qui se soulevaient,
en grimaçant, de la vermine ambiante
et je retrouvai, en tremblant, le che-
min de l’air libre, au moment où une
équipe de manœuvres détachait un
wagon à bestiaux. Quel soulagement
que d’apercevoir des cheminots,
leur casquette plate sur la tête, à côté
de la machine! Je revenais vers un
monde familier et rassurant. Jamais,
jusqu’alors, je ne m’étais douté à
quel point l’abîme est proche, sans
qu’on le voie, et qu’il suffit d’un rien
pour être happé par les mains
gluantes du cauchemar.
Étrangegare du Nord, que je quittais
enfin pour Saint-Denis. Alors com-
mençait un voyage, certes court, mais
plein d’intérêt: jeter un œil vers la
gare annexe, puis sur le dépôt de La
Chapelleoù coexistaientPacific et BB;
longer lesateliers du Landyjouant à
saute-mouton à travers les ponts de
ferraille brinquebalants; apercevoir,
l’espace d’un instant, le dépôt de
La Plaine où se côtoyaient vapeur et
diesel; croiser des trains réversibles,
voiture-pilote en tête, dans le claque-
ment des portières, sous la pression
du courant d’air violent; guetter, en
queue de la rame, le souffle rauque
de la 141 TC abandonnée à son
chauffeur dont les feux rouges s’éloi-
gnaient en marche arrière…
… Et puis, on ralentissait en douceur
le long des quais de Saint-Denis.
Quand le train stoppait et que j’ou-
vrais la lourde porte pour descendre
les marches de bois jusqu’à terre, le
haut-parleur nasillard se mettait à
vibrer: « Saint-Denis, ici Saint-Denis!
Sur voie 5, train omnibus pour Per-
san-Beaumont par Ermont, Pontoise
et Valmondois… Saint-Denis, ici Saint-
Denis! » Ce leitmotiv semblait adapté
au rythme des pas des banlieusards
qui marchaient en cadence, en sui-
vant le chapelet de ces noms étranges
qui me paraissaient lointains, inac-
cessibles même, car je n’avais aucune
Saint-Denis, ici Saint-Denis! ]
J.-H. Renaud/Coll. P. Feunteun
Passage sans arrêt
en gare de Saint-
Denis du rapide 124
Bruxelles –
Paris-Nord,
avec la 232 R 1,
le 13 août 1956.
rapidement un gros moteur de
12 cylindres, sifflant à vous déchirer
les oreilles, pour avancer dans la nuit
de la longue casemate, éclairée par les
reflets rougeoyants des lampes tem-
pête pendues à des fils métalliques.
Les silhouettes fantastiques des
servants du banc d’essai allaient et
venaient sur la voûte; au fond, un
léger filet de lumière bleutée, une
trappe d’aération aux trois-quarts
fermée. Une fois ouverte, il suffisait
de se courber dans un étroit tunnel,
sur quelques mètres, pour parvenir
à l’un des sentiers intérieurs du fort,
chemin champêtre bordé de noise-
tiers, qui permettait de grimper
jusqu’aux créneaux. Les différents
chemins de ronde aboutissaient à ce
sentier en creux, se glissant entre les
murs épais de la forteresse. Au-delà,
un jardin où se faufilaient de petits
animaux, et où certains des habitants
du fort venaient braconner à temps
perdu. On y trouvait aussi parfois
un ouvrier, allongé sous les branches,
cuvant une cuite trop forte pour
pouvoir la cacher à ses collègues.
Je passais de longues heures à faire
l’inventaire des différentes voies
possibles, faisant le tour des lieux,
imaginant je ne sais quel siège, quelle
bataille, quel film avec Robin des Bois,
David Crockett ou Du Guesclin, ou
bien je ne sais quelle tranchée avec
Clemenceau…
Certains chemins longeaient le vide,
au-dessus d’un à-pic de plusieurs
dizaines de mètres: en bas, dans les
fossés silencieux, desjardins potagers,
des cabanons et… une voiture du
métropolitain! Un peu plus loin, une
carcasse d’autocar! Comment ces au-
thentiques témoins de la civilisation
urbaine avaient-ils pu déchoir ainsi,
au point de servir de cabane à lapin?
Je n’ai jamais pu le savoir, et ne le
saurai sans doute jamais.
D’autres surprises, d’un autre regis-
tre, m’attendaient sur ce second côté
du triangle. Un jour (j’ose à peine dire
jour, à tel point le ciel était gris, chargé
d’une bruine pénétrante), je perçus
devant moi tous les signes d’un orage
en miniature: éclairs, craquements de
tonnerre. À cet endroit, plusieurs
lignes à très haute tension traversent
le fort, et elles passent presque à
portée. Ce sont elles qui déclenchent,
quand l’humidité de l’air est trop
forte, des amorçages, d’un câble sur
l’autre, dans une ambiance de trem-
blement de terre, dominée par un
bourdonnement de fond: le bruit de
l’électricité qui passe! Jamais encore,
je n’avais entendu la chanson sinistre
du courant électrique! Fasciné, je
demeurai là, à suivre de tous mes sens
les forces de la nature dans un défer-
lement de tempête.
Quand je me lassais du spectacle des
grands pylônes démoniaques, je quit-
tais les grésillements de l’énergie élec-
trique pour escalader la ligne de faîte
du fort, là où les cheminées d’aéra-
tion des bancs d’essai sortaient des
entrailles de la terre et j’étais accueilli
par une autre tempête tout aussi im-
pressionnante, celle des ventilateurs
et des échappements, sonnant creux
dans les colonnes remontant des
casemates souterraines: l’air vibrait,
comme frappé des coups violents de
la force diabolique qui, depuis les
cylindres des moteurs, aboutissait ici
en plein ciel, au milieu de l’herbe, des
lézards et des escargots.
Janvier 2012
Historail
Saint-Denis, ici Saint-Denis! ]
[…] j’arrivais au pied de la poudrière
d’où j’observais la ligne Paris – Creil […].
F. Fénino/Doc.
La 230 D 59
de Laon en relais
au dépôt
de La Chapelle
en 1958, lors d’une
«extraction TIA»,
une purge générant
un impressionnant
panache de vapeur.
Janvier 2012
Historail
rement dans le panache de fumée
qu’elle laissait derrière elle.
C’était un peu inquiétant que de
passer du jour à la nuit, en quelques
secondes, de voir le paysage s’estom-
per et disparaître, pour rester dans un
nuage, tout seul au milieu du coton.
Au dehors, l’aboiement de la machine
s’éloignait dans le fracas des roues de
la rame verte, répercuté par les murs
enserrant les files de rail qui se faufi-
laient dans l’étroit passage.
C’était en même temps grisant de
goûter à la vapeur humide, après
avoir côtoyé les moteurs diesels,
dans les bancs d’essai, et écouté gré-
siller les lignes électriques au-dessus
des chemins campagnards courant
à travers le fort.
Qui ne s’est jamais placé sur un pont
au passage d’une locomotive en plein
effort ne connaît pas cette curieuse
impression, faite d’émoi et de ravis-
sement, quand on se trouve soudain
imprégné d’air chaud et humide,
comme si le temps et l’espace avaient
d’un coup changé, comme si on se
retrouvait, là-haut, sur un sommet au-
dessus du plafond des nuages, ou
en avion à dix mille mètres et que,
d’un coup, on décide de sauter à
travers la nappe laiteuse du paradis
floconneux de nos ancêtres!
Je dois à ce balcon sur la vapeur, une
foule de sensations de ce genre,
jamais exactement les mêmes, et une
connaissance accomplie des141 TU.
Pour moi, ces machines faisaient
le poids; et, en effet, avec leurs
121,5t, elles étaient parmi les plus
lourdes. Leurs formes exprimant
davantage la solidité et la puissance
que la vitesse, elles étaient cependant
limitées à 90km/h, ce qui n’était pas
mal pour une loco-tender.
À la fois massives et longues de plus
de quinze mètres, elles m’inspiraient
confiance. Il faut dire aussi que j’en
voyais passer tellement, sur cette
ligne, et apparemment sans difficulté,
que, le nombre et la régularité aidant,
j’étais obligatoirement convaincu de
leurs états de service.
Cette force, on la retrouvait à tous les
niveaux de la machine: au diamètre
imposant des cylindres de 640,
au timbre qui s’élevait jusqu’à 18,
à la surface de la grille de plus de 3,
appréciable pour une 141 T.
Elle était, de plus, servie par une
esthétique harmonieuse, depuis les
écrans pare-fumée jusqu’aux réser-
voirs d’eau prolongeant les flancs de
la cabine, dont le dessin se mariait
parfaitement avec la partie tender, à
l’arrière, contenant le charbon. Vrai-
ment, c’était une machine réussie,
quel que soit l’angle sous lequel elle
m’apparaissait… Une locomotive qui,
comme beaucoup de ses sœurs des
années 1930, avait été pensée et
sans doute aimée par ceux qui en
tirèrent les plans, avant même qu’elle
ne se réalise et apparaisse sur les rails.
Je les voyais donc, ces 141 TC, tirant
leurs fardeaux de banlieusards
vers Monsoult, Luzarches, Persan-
Beaumont, Ermont, Pontoise, Saint-
Leu-la-Forêt et Valmondois, ramenant
vers la capitale les turfistes du champ
de course d’Enghien, le mécanicien
conduisant la voiture-pilote, le chauf-
feur restant rivé sur la plate-forme de
la machine, sans glace de protection.
Je les voyais passer, plus ou moins
pressées, parfois ralenties par des
travaux ou même s’arrêtant au carré
de Saint-Denis où elles attendaient
la voie libre, vers Paris ou vers le re-
broussement en gare de Saint-Denis,
Saint-Denis, ici Saint-Denis! ]
J.-H. Renaud/Coll. D. Leroy
En gare du Nord,
à la fin des années
1950, sur le groupe
de voies des
arrivées grandes
lignes, une rame
composée de
matériel métallique
d’origine Nord,
notamment
des anciennes C11
à portières
latérales;
à côté, la 050 TQ 10
est venue se mettre
en tête d’un train
arrivé de Calais,
et se dirigeant vers
la Riviera, afin
de la conduire
à Paris-Lyon
par les voies de
la Petite Ceinture.
nues. Elles pouvaient s’en aller jusqu’à
Beauvais et même jusqu’auTréport!
Leur longue cheminée me les faisait
reconnaître de loin, ainsi que le
rythme à quatre temps qui les ani-
mait. Au fur et à mesure qu’elles s’ap-
prochaient, rageusement, à plus de
100km/h, on pouvait voir se dessiner
la chaudière cylindrique, coiffée des
sablières, sans écrans pare-fumée, puis
l’étroite cabine au toit plat et le petit
tender sur trois roues.
Visiblement, ces engins étaient beau-
coup plus anciens que les 141 TC et
pourtant ils roulaient plus vite et al-
laient plus loin; je n’arrivais pas à com-
prendre ce paradoxe, et la question
alimentait de longs moments de rê-
verie, après le passage de l’une de ces
apparitions aux grands airs excités.
Mais, peu à peu, la nuits’était instal-
lée, et je restais toujours là, les mains
serrées sur les rampes rouillées, alors
que plus bas, au banc d’essai, les mo-
teurs, un à un, s’étaient arrêtés,
laissant la place au silence. Le fort
devenait un havre de paix, cerné par
le grondement incessant des véhicules
routiers et le roulement sourd et
intermittent des trains de soirée.
Je reverrai toujours le grand corps
maigre du chef d’équipe, dans son
bleu élimé, qui venait alors à ma
recherche pour me ramener à mon
père; il savait où me trouver, connais-
sant bien mes habitudes pour avoir
toujours eu un œil sur moi et, peut-
être aussi, pour avoir goûté aux
mêmes spectacles, sur les trois côtés
du triangle de La Briche. Mais, silen-
cieux comme il l’était, il aurait été
difficile de lui en arracher l’aveu.
Il fallait donc redescendre pour voir les
ouvriers, un à un, quitter le fort, lais-
sant derrière eux les moteurs encore
chauds fumer en silence, aux bons
soins d’un gardien ivrogne, enfermé
dans sa petite baraque de planches.
Mon père faisait alors une dernière
tournée de sécurité: les clés en main,
il vérifiait les fermetures des case-
mates. Autour de sa silhouette soli-
taire, la nuit gagnait du terrain et les
sons « du dehors » imprégnaient peu
à peu l’atmosphère étrange des lieux.
Avec le crépuscule, tout le fort en-
trait en métamorphose pour devenir
un autre monde, nocturne, celui
des animaux sortis des taillis, dont
les yeux commençaient à briller,
celui des trains dont l’écho venait
se fracasser sur les murs de la forte-
resse abandonnée.
Il ne nous restait plus qu’à monter en
voiture, 12 heures après notre arrivée
matinale, à claquer les portières et à
traverser la grande avenue des bancs
d’essai, en laissant derrière nous une
rose s’éteindre, avec le dernier rayon
de soleil, au creux d’un pneumatique
lui servant de corbeille…
André VICTOR
Janvier 2012
Historail
Saint-Denis, ici Saint-Denis! ]
G. Rannou/Coll. Y. B.
Ambiance de fin
de soirée
en gare du Nord,
en mars 1965,
avec la 141 TC 26
au départ;
à l’époque, les
trains de banlieue,
à l’exception
de ceux de la ligne
de Mitry et Crépy,
partent du grand
hall central,
le plus ancien.
ments commencèrent, néanmoins,
à recevoir des autorails au cours des
années 1930. C’était là la possibilité
d’assurer de façon plus économique
la desserte de petites lignes dont
certaines étaient déjà menacées.
Contrairement à d’autres régions SNCF,
le Sud-Ouest fut moins affecté par les
dommages causés durant la Seconde
Guerre mondiale. Seuls 13 établisse-
ments furent touchés à des degrés
divers, Juvisy, Dourdan, Poitiers et An-
goulême étant cependant détruits à
100 %. Ces moindres dégâts ne justi-
fièrent donc qu’une seule reconstruc-
tion avec une rotonde type P: Poitiers.
Au 1
janvier 1950, les 1210 loco-
motives à vapeur, dont 176 garées
bon état, figurant à l’inventaire étaient
réparties entre les arrondissements
traction et les dépôts suivants:
arrondissements de Paris et Mont-
luçon (370): Paris, Brétigny, Juvisy,
Étampes, Orléans, Vierzon, Bourges,
Châteauroux, Montluçon, Ussel,
Eygurande, Neussargues, Aurillac;
arrondissement de Tours (199):
Tours, Saint-Pierre, Châteaudun, Le
Blanc, Loudun, Poitiers;
arrondissement de Limoges (245):
Limoges, Saint-Sulpice, Brive, Péri-
gueux, Cahors, Capdenac;
arrondissement de Bordeaux (232):
Bordeaux-Saint-Jean, Angoulême,
Bergerac, Coutras, Bayonne, Agen,
Mont-de-Marsan;
arrondissement de Toulouse (164):
Toulouse, Montauban, Castres, Car-
maux, Foix, Tarbes, Carcassonne.
Les dépôts de Béziers, Sévérac et
Narbonne étaient, depuis 1947,
passés au compte de la nouvelle
région Méditerranée.
Un seul de ces 41 dépôts abritait une
cavalerie supérieure à la centaine
d’unités.
Il s’agissait de Bordeaux-Saint-Jean,
qui, peu de temps auparavant, avait
intégré les effectifs de Bordeaux-
Bastide. Son parc était donc fort de
106 vapeurs, dont 17 garées bon
état. Les suivants étaient alors Mont-
luçon avec 96 locomotives, suivi de
près par Tours avec 94 unités, dont
16 garées bon état.
En moyenne, chaque établissement
Sud-Ouest comptait une trentaine
de locomotives à son effectif. À titre
de comparaison, les dépôts Est en
alignaient une cinquantaine.
Tout comme ses homologues des au-
tres régions, le Sud-Ouest commença
à toucher des locomotives et loco-
moteurs diesels en décembre 1950.
Le dépôt de Tours prit en compte une
première 030 DA (future C 61000) en
décembre 1950. Puis c’est Bordeaux-
Bastide qui en réceptionna cinq du
même type entre juin 1951 et juin
1952. Mais il n’était point question
de diésélisation des lignes à faible
trafic, mais plutôt de modernisation
des services de manœuvres. En fait,
la diésélisation de masse sur la région
débuta avec l’affectation au dépôt
d’Orléans des premières 040 DE au
printemps 1953, l’objectif étant de
supprimer progressivement tous les
centres d’utilisation des locomotives
à vapeur. Une vague de fermetures
initiée au début des années 1950 tou-
cha alors nombre d’établissements,
au rang desquels figuraient Étampes,
Le Blanc, Loudun, etc.
Comptant le nombre de locomotives
à vapeur le plus faible de toutes les
régions SNCF, le Sud-Ouest perdit
Bonnes feuilles
[ les dépôts vapeur du Sud-Ouest ]
94-
Historail
Janvier 2012
Ci-dessus:
en juillet 1932,
les ouvriers
de l’atelier
ont rangé leurs
outils le temps
de la photo.
Page de droite:
en haut, plan
des installations
de Latour-de-Carol
en 1930;
en bas, le chauffeur
procède
à la vidange
de la boîte à fumée
de la 141 E 441.
Septembre 1966.
L. Hermann/LVDR
Janvier 2012
Historail
alors des centaines de locomotives.
Début janvier 1957, le parc avait qua-
siment été divisé par trois à seulement
459 unités.
Sur cette région, c’est véritablement
la traction diesel qui se chargea de ré-
duire au silence les différentes poches
vapeur. Aucune électrification n’inter-
vint à la fin des années 1950 et dans
le courant des années 1960. Seules
restèrent utilisées les séries les plus ré-
centes où celles n’exigeant pas de frais
de maintenance trop élevés. 14 éta-
blissements se partageaient encore
environ 320 machines en janvier 1962.
À l’issue de l’élimination de tous les
dépôts comprenant des 141 TA ainsi
que des 141 E et F ex-PLM, deux dé-
pôts seulement restaient en lice au
début des années 1970: Bordeaux et
Vierzon. Ils utilisaient tous deux des
141 R fioul. C’est Bordeaux qui dit
adieu à la traction vapeur le premier
en mai 1971. Vierzon fit de la résis-
tance en tenant jusqu’en août 1973.
Comme dans d’autres régions SNCF,
aucune festivité marquant la fin
de la traction vapeur ne fut organi-
sée. L’histoire des dépôts vapeur
Sud-Ouest s’acheva donc dans la plus
totale indifférence.
À l’exception d’une poignée d’éta-
blissements (Paris-Sud-Ouest, Tours-
Saint-Pierre, Limoges, Bordeaux, etc.),
tous les autres dépôts disparurent
inexorablement, leurs installations
étant démantelées progressivement
au cours des années 1970-1980.
À bien y regarder, il subsiste au-
jourd’hui quelques vestiges du temps
de la vapeur. Souvent, les bâtiments
– remises ou ateliers – ne doivent leur
maintien qu’à l’issue d’une réutilisa-
tion opportune. Cela a notamment
été le cas pour Châteauroux et
Poitiers. Les installations de ces
anciens établissements accueillirent,
en effet, les services du Sernam.
Olivier CONSTANT
Un ouvrage publié aux Éditions de
La Vie du Rail. 320 pages illustrées
en N&B au format 24cm x 33cm.
Prix: 65
Centre des archives historiques de la SNCF
D.-M. Costes
Bonnes feuilles
[ les dépôts vapeur du Sud-Ouest ]
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O. Perrelle/LVDR
Léaument/LVDR
Janvier 2012
Historail
Page de gauche:
en haut, en 1965, la 231 G 272, en compagnie
de 141 R fioul;
en bas, en 1950, la 230 F 177 se ravitaille
en charbon.
Ci-dessus:
le grand hall de levage des ateliers de Tours
où est installée la chaîne de modernisation
des 3500.
Ci-contre:
telle une armée, les dômes à vapeur et à sable
se dressent au-dessus des «chaudrons».
Pennetier/LVDR
MT Sud-Ouest/LVDR
Bonnes feuilles
98-
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Q
uelle est la place réelle de la Résistance dans la France des années
noires? Que savons-nous, aujourd’hui, soixante-cinq ans après
la fin de la Deuxième Guerre mondiale, des cheminots dans cette
Résistance? Les images se bousculent et se superposent: « Parler
de cette période, c’est faire surgir des images en noir et blanc, celles
des trains de la guerre, des trains de l’Occupation, des trains de
la déportation et des trains de la Libération », disait le président de la
SNCF en 2000. Ce livre, en publiant, souvent pour la première fois, et
en aidant à lire beaucoup de documents, va au-delà des images toutes
faites associant rail et résistance (le saboteur et son pain de plastic).
Il montre comment des agents de la SNCF sont entrés en résistance et
pourquoi; comment ceux qui ont fait ce choix ont pu agir au cœur
d’une entreprise dont le réseau était à la fois une cible stratégique,
puisqu’une large part de son trafic servait les intérêts de l’occupant, et
un outil à préserver parce qu’il jouait, dans le contexte de pénuries de
l’époque, un rôle économique crucial dans le quotidien des Français.
Ce livre montre aussi comment les divers métiers des cheminots leur
ont permis de s’intégrer dans les organisations de la Résistance.
Ces documents révèlent enfin les limites de leur action comme le
prix qu’ils ont payé pour leur engagement. Ils expliquent la place
qu’a longtemps occupée la Résistance dans l’identité de générations
successives de cheminots français.
Un ouvrage publié aux Éditions de La Vie du Rail. 216 pages
illustrées (N&B et couleurs) au format 23cm x 24cm. Prix: 39
(1) Avec la collaboration de Bruno Carrière et Marie-Noëlle Polino, de l’AHICF.
Les Cheminots
dans la Résistance
En écho à l’exposition éponyme qui s’était tenue en 2005-2006 au musée
Jean-Moulin, cet ouvrage de Cécile Hochard et Bruno Leroux (1), réalisé
sous l’égide de l’Association pour l’histoire des chemins de fer (AHICF),
illustré de nombreux documents inédits, prend appui sur le dernier état
de la recherche en la matière.
Carte des destructions occasionnées
au réseau du Nord-Ouest
dans la 1
quinzaine de juin 1944.
Les cartes établies par l’historien
et cadre de la SNCF Paul Durand,
sur la base des archives recueillies
pour son ouvrage «La SNCF pendant
la guerre» (1968), montrent que,
pendant cette quinzaine, la stratégie
alliée suscite dans le Nord autant
de bombardements et de sabotages
qu’en Normandie. Elle participe
au plan d’isolement du théâtre
des opérations: beaucoup de divisions
de la Wehrmacht sont massées
dans le Nord, où depuis des mois
les Alliés, par une campagne massive
d’intoxication, ont fait croire
que le débarquement aurait lieu.
© Document conservé aux Archives
nationales, 72/AJ/486,
cliché Atelier photographique
des Archives nationales
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Empêchement du départ des STO.
Les manifestations au départ des trains vers l’Allemagne pour
le Service du travail obligatoire étaient courantes et témoignent
du refus des cheminots de souscrire aux ordres de Vichy.
© Photorail.
Exemples
de papiers d’identité et
de brassard permettant de franchir
les lignes de démarcation librement.
La carte d’identité de Guy Fouquet (à droite) porte Le
Bahnausweis
qui permet notamment à tout cheminot en possession d’un ordre
de mission de la SNCF de franchir la ligne de démarcation.
Le brassard offre l’opportunité d’échapper aux interdictions
de circuler, y compris pendant le couvre-feu. Le résistant
Michel Domenech, chef de gare en stage à Paris, se souvient:
« À plusieurs reprises, pour ne pas manquer un rendez-vous,
pendant les alertes qui bloquent les transports, je fais le trajet
de la porte de Vincennes aux Champs-Élysées ou au 16
dans un Paris sans circulation: mon brassard vert et rouge
de cheminot me permet de circuler pendant les alertes. »
Document conservé aux Archives nationales, 72/AJ/2295,
cliché Atelier photographique des Archives nationales
et brassard SNCF. © FR. Fonds Paul Docquois.
Bonnes feuilles
[ les cheminots dans la Résistance ]
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Départ de Nexon (près de Limoges), vers Drancy, de juifs raflés en zone sud en août 1942.
La SNCF met à la disposition des Allemands les locomotives, wagons et personnels de conduite nécessaires aux convois de déportation jusqu’en Lorraine, la Reichsbahn
prenant le relais à la nouvelle frontière franco-allemande. La zone sud n’est toutefois pas encore occupée, et le régime de Vichy dispose alors de sa pleine souveraineté,
lorsque les grandes rafles de l’été 1942 ont lieu et que l’entreprise achemine à travers cette zone, hors de toute contrainte allemande, 10000 juifs étrangers ou apatrides
jusqu’au camp de Drancy. © Mémorial de la Shoah.
Lucien Rose, chef de la région « Lamartine » du mouvement
Libération Sud, aux côtés du général de Gaulle à Chambéry,
le 5 novembre 1944.
Dans beaucoup de sites ferroviaires, plusieurs mouvements
sont représentés. Deux exemples parmi d’autres à Lyon-Mouche:
l’ajusteur Claudius Bouit de Combat, transporteur d’armes,
saboteur et réceptionniste de parachutages est arrêté
le 18 février 1944 à Écully. Jugé en cours martiale, il est
un des fusillés de La Duchère le 19 février 1944. L’aide-mécanicien
Alexis Guérin, membre des Groupes francs de Libération, est arrêté
en service commandé à Paris le 3 mai 1944, déporté à Buchenwald,
il meurt à Ellrich en décembre 1944.
Les responsabilités de ce jeune cheminot, plutôt exceptionnelles
dans un mouvement, sont dues au fait que Libération est
le mouvement de zone sud qui utilise le plus la sociabilité syndicale
pour recruter. C’est pourquoi, en novembre 1941, Lucien Rose
se voit confier la responsabilité d’implanter le mouvement
dans la région « Lamartine », qui regroupe les deux Savoies, l’Isère
et les Hautes-Alpes. À l’âge de 25 ans il est secrétaire CFTC
des cheminots de Chambéry et secrétaire général
de l’Union des syndicats chrétiens de Savoie. Un an plus tard,
c’est un autre cheminot syndiqué à la CFTC et recruté par Rose
qui lui succédera: Victor Morisot.
© TDR/Photorail.
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Historail
Le déraillement du train 5010 le 11 juillet 1943:
croquis et procès-verbal de constatation.
Après chaque incident survenu à un train, la SNCF
mène une enquête, établit des procès-verbaux
pour en connaître précisément les circonstances,
les dégâts causés et les conséquences sur le trafic,
a fortiori
quand l’accident est causé par un sabotage.
Deux soldats allemands présents dans le train
ayant été blessés lors de ce déraillement, la police
des forces d’occupation s’associe à l’enquête menée
par les autorités judiciaires françaises. Le choix
de l’emplacement précis de la partie de voie sabotée
(en courbe et avec la pente d’un talus sur le côté gauche
de la voie) ainsi que le mode opératoire
(enlèvement des éclisses et des tirefonds d’un rail)
laissent à penser que des cheminots ont dû participer
à l’élaboration de cette action.
© CAH SNCF, cote: 84LM2.
Ordre du jour n° 38 de la SNCF, 4 décembre 1940.
Dès la création de la ligne de démarcation, les cheminots
ont été sollicités pour contourner la réglementation très stricte
du courrier interzones. Cette note interne rappelle aux agents que l’aide
aux prisonniers de guerre français est un acte beaucoup plus grave.
Elle ne s’étend pas sur la peine encourue devant les tribunaux allemands,
qui est alors connue de tous par les affiches de l’occupant: c’est la mort.
© CAH SNCF, cote 67LM1.
Bonnes feuilles
[ les cheminots dans la Résistance ]
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Ouvriers travaillant sous la neige aux ateliers de Quatre-Mares, hiver 1944 (détail).
De nombreux grands ateliers de réparation sont détruits ou gravement endommagés: quatre sur 10 pour les locomotives, 15 sur 21 pour les voitures et wagons. Devant
les impératifs de la reprise du trafic, les conditions de travail du personnel sont parfois très dures et les journées longues. Aux ateliers de Quatre-Mares (Seine-Maritime),
bombardés en juin et juillet 1944, les ouvriers travaillent à ciel ouvert durant l’hiver 1944, protégés par des abris temporaires. © Groupe Archives Quatre-Mares.
Journaliste ferroviaire, Michel Barberon a reconstitué
la chronique technique du TGV telle qu’elle fut suivie
et narrée dans cet hebdomadaire. Une sélection d’ar-
ticles de fondévoque études, chantiers, accompa-
gnements, essais et circulations spéciales, records et
recherches. Le premier article reproduit (n° 1499 daté
du 29 juin 1975), qui expliquait la genèse du projet par ses
concepteurs (Jean Dupuy, Marcel Tessier, Louis Verdon, Guy Verrier,
André Portefaix) ; le dernier traite du chantier de dégarnissage du
ballast accompli par l’entreprise Colas Rail avec la dégarnisseuse RM
900 de Plasser & Theurer (décembre 2009). Curieuse coïncidence,
Jean Avenas, signataire de la plupart des articles des origines jusqu’à
l’ouverture de 1981, n’avait aucune parenté avec l’ingénieur de la
SNCF Paul Avenas, en charge de la construction de la ligne. Philippe
Hérissé assurera le relais, les plus récents articles étant signés de Michel
Barberon lui-même, spécialiste de l’infrastructure, d’où son atten-
tion à ses chantiers les plus typiques (renouvellement du ballast et des
appareils de voie en 1996, équipement en TVM 430 et régénéra-
tion de la caténaire en 2000). Les photos d’époque, parfois inédites,
accompagnent ce premier volet de
30 Ans de TGV dans « La Vie du
Rail ».
Le tome 2, à venir, traitera de la LGV Atlantique.
Janvier 2012
Historail
30 Ans de TGV dans
La Vie du Rail,
tomeI. Sud-Est
MICHEL BARBERON
Éditions La Vie du Rail, 351 p., 65
Œuvre collective réalisée
en grande partie à partir
des très nombreux articles
et numéros spéciaux de la
Revue générale des che-
mins de fer
dévolus à la
grande vitesse et qu’une
copieuse bibliographie
nous rappelle, coordonné
par Jean-Marie Metzler,
cet ouvrage va constituer
sûrement et durablement l’ouvrage de référence incontournable sur
«le système de la grande vitesse française». Conçu comme une vé-
ritable encyclopédie, il se déroule en cinq parties.
Le temps des «inventeurs» (partie I) évoque l’idée pionnière de
Geais d’une infrastructure ferroviaire dédiée aux voyageurs et jume-
lée avec les autoroutes; il n’oublie pas de rendre hommage au Ser-
vice de la Recherche de la SNCF, conçu en 1966 par le directeur gé-
néral Roger Guibert et future matrice conceptuelle de projet de TGV.
Les bases économiques du projet, fondées sur la valeur du temps
(trafic induit par les gains de vitesse), jusqu’à l’évaluation des coûts
sont exposées dans un chapitre inédit, où l’on trouvera (p. 53) une
comparaison des coûts kilométriques de chaque LGV et l’explication
de leur croissance tendancielle. L’évolution rétrospective des clefs de
financement de LN 1 à LN 7 introduit au mode le plus récent, les
partenariats public-privé (PPP), qui ont l’avantage politique de «ne pas
alourdir la dette publique». Un tableau comparant les prévisions de
trafics et les trafics observés, issu des bilans Loti réalisé par RFF (p. 66),
vient crûment rappeler que seul Paris – Lyon bénéficia d’une sous-
estimation de son trafic (+ 6 %), à l’inverse la LGV Nord, battant le
record d’imprévision (- 50%)! Le «temps des ingénieurs et des in-
dustriels» (partie II) traite de la technique. Après avoir décrit les réfé-
TGV. 30 Ans de grande vitesse. Des savoir-faire au service
d’un système
Éditions Hervé Chopin-RGCF, 351 p., 45
Livres
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usqu’en 2001, la jurisprudence interdisait
de demander réparation pour les actes
du « gouvernement illégal de Vichy ». Mais
une fois levée cette amnistie de fait, Georges
Lipietz et son frère Guy S. s’empressèrent
aussitôt de demander réparation pour
leur transfèrement de Toulouse à Drancy le
10 mai 1944. À l’issue d’une longue saga
judiciaire, le 6 juin 2006, le tribunal admi-
nistratif de Toulouse condamnait l’État et la
SNCF à verser 15000euros d’indemnités
à chaque déporté, à
raison de deux tiers
pour l’État et d’un
tiers pour la SNCF. À
l’inverse de l’État, la
SNCF décidait de faire
appel de ce jugement, enclenchant une
nouvelle guérilla, terminée par un arrêt du
Conseil d’État déclarant, en date du 21 dé-
cembre 2007, la justice incompétente. Cette
longue épopée judiciaire, en quête de fixer
la responsabilité propre de la SNCF, est ici
relatée par le menu détail, de manière
didactique et très vivante par Alain Lipietz,
rappelant les nombreux obstacles visant,
avant même le fond, la procédure: débats
casuistiques sur la compétence des tribu-
naux, sur l’immunité de l’État ou les délais
de prescription.
À moins qu’il ne s’agisse d’un oubli délibéré,
l’auteur semble ignorer notre dossier déve-
loppé dans
Historail,
n°4 (janvier 2008), où
l’on s’efforçait de faire des mises au point
que l’on espérait définitives. En vain, mani-
festement. Du coup, la démonstration de la
culpabilité de la SNCF, dont Lipietz ne doute
aucunement, est fondée sur de multiples
allusions ou hypothèses à charge, plutôt que
sur des faits précis et bien documentés.
Quelques exemples? Si un courrier échangé
entre Laval et le président de la SNCF
évoque une facturation en raison de « la
convention des transports de l’espèce »,
il s’agit de son règlement pour sa collabo-
ration à la « mise en œuvre de la Déporta-
tion », « de l’espèce » signifiant évidem-
ment « des juifs »
Puisqu’accompli
de bout en bout sur le sol français, le trans-
fert de son père de Toulouse à Drancy
constitue un « cas chimiquement pur de la
participation strictement française à la
Shoah »
admettons à la limite, mais
un transfert accompli « sous l’autorité tech-
nique de chefs de gare français »
(p.10):
que viennent donc faire ceux-ci ici? Une fois
de plus, Léon Bronchart serait le « seul
cheminot Juste parmi les nations [faux, il y
en eut d’autres] » « parce qu’il refusa
de conduire l’un des
convois de la honte »
(p.33):
autre erreur,
c’était un transfert de
détenus politiques à
partir de la centrale
d’Eysses; mais ayant, par ailleurs, caché chez
lui des juifs, Bronchart fut déclaré «Juste».
Des coups de fleuret ainsi tendancieux, mais
aussi des accusations « massue »: « Il y eut
de hauts dirigeants de la SNCF pour négo-
cier avec les SS et avec le chef de la police
française, René Bousquet, les détails tech-
niques de la Déportation [vrai en ce qui
concerne les transfèrements, admettons en
ce qui concerne les déportations]. Il y eut
La SNCF et la Shoah.
Le procès G. Lipietz
contre État et SNCF
Dans ce livre, l’économiste Alain Lipietz revient sur la longue procédure
judiciaire qui opposa des membres de sa famille à l’État français et à la SNCF
pour obtenir réparation de leur transfert de Toulouse à Drancy dans le cadre
des opérations de déportation visant la communauté juive en France. Brillant
dans la forme, et utile quant à certains rappels et mises au point, son
réquisitoire contre la SNCF pèche cependant par une argumentation plus
étayée par des convictions que par des documents tangibles et irréfutables.
[…] des documents à charge ou décharge […]
tout aussi invisibles les uns que les autres!!!
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Historail
des dirigeants de la SNCF qui donnèrent
l’ordre de ne pas arrêter les trains pour don-
ner à boire aux malheureux [très douteux!
quelle source?]. Il y eut des dirigeants pour
prescrire de bien veiller, au passage de la
frontière allemande, à récupérer les tinettes
depuis longtemps remplies d’excréments,
de peur que les Allemands ou les Polonais
n’oublient de les renvoyer »
(p.32):
confu-
sion certaine avec les consignes de l’été
1942 visant les trains de transfèrement au
franchissement des gares de démarcation,
Chalon-sur-Saône et Vierzon, les magasins
des gendarmeries des deux zones ne pou-
vant pas échanger leurs matériels…
Nous rejoignons plutôt Lipietz dans son cha-
pitre consacré à « l’attitude des historiens
français » après la publication du rapport
Bachelier et le colloque de 2000 dévolus à la
question: Henry Rousso « presque inhumain
envers Kurt Schaechter et ses archives illéga-
lement photocopiées », donc « condam-
nables »
(p.261, 264),
qui ainsi n’auraient au-
cunevaleur historique! Annette Wiewiorka,
avançant sans preuve que si les Lipietz
avaient échappé à la déportation, c’était
« grâce aux cheminots »
(p.265);
avant de
s’en prendre surtout au « cas Klarsfeld »
pour le prompt revirement de son attitude:
condamnant moralement en 2000 la SNCF,
mais bénéficiant ensuite des fonds versés
par la SNCF au Mémorial de la Shoah
(p.267),
mieux encore, de l’aide à sa propre
Association des fils et filles des déportés juifs
de France sous la forme d’expositions itiné-
rantes dans les grandes gares. Ainsi, résume
justement Lipietz, « une sorte d’indulgence
plénière aurait été accordée à la SNCF, en
échange du financement des initiatives mé-
morielles des associations »
(p.268);
indul-
gence convertie en défense même lorsque,
face à la meute des plaignants américains
mobilisés dans une class action (recours
collectif en justice), l’avocat Arno Klarsfeld,
le fils de Serge, deviendra le « lobbyste-
conseil de la SNCF à New York ».
Mais emporté dans sa diatribe contre Serge
Klarsfeld, qui, en janvier 2011, s’explique
(« Depuis 2000, j’ai trouvé de nombreuses
factures qui montrent que la SNCF n’a pas
été payée [sic] et que les trains employés
étaient allemands »;
p.271
), Lipietz ré-
torque par une affirmation aussi catégorique
qu’étonnante, mais dont aucune source
n’est mentionnée: « Cela fait longtemps
qu’il est établi (y compris par SK) que la
SNCF facturait à l’agence de voyages de la
Reichsbahn (laquelle refacturait au RHSA)
les transports Drancy – Auschwitz deman-
dés par la HVD, et facturait aux Français
les transferts Province – Drancy… » Selon
les travaux de référence sur la question de
Raul Hilberg, les trains expédiés aux camps
d’extermination sont facturés entre autorités
allemandes, au prix de palabres diverses.
S’agissant de la facture des trains de trans-
fert Province – Drancy, à quelle source ou
document fait donc allusion Lipietz?
Ce que l’on doit reprocher dans les argu-
ments avancés par Lipietz ne lui est pas
propre, et dans cette affaire, sans cesse, les
diverses parties se battent en brandissant
des mots accusateurs d’un côté « wagons à
bestiaux », « factures », des mots défensifs
de l’autre, « contrainte allemande», « ré-
quisitions »: des mots sans cesse échangés
d’un camp à l’autre sur la scène médiatique
comme devant les prétoires, tant en France
qu’aux États-Unis, mais dont l’examen
critique et la véracité historique leur échap-
pent. Les avocats des deux parties n’ont que
faire de la vérité historique, arc-boutés dans
leur bras de fer sur des soi-disant documents
à charge ou décharge, « factures »
versus
« bulletins de réquisition », mais tout aussi
invisibles les uns que les autres, faute d’avoir
existé d’après nos recherches!!!
Comme le fait Lipietz, il faut rendre hom-
mage à Kurt Schaechter. C’est lui qui le pre-
mier ouvrit en 1992 la boîte de Pandore,
qui exhuma des archives toulousaines, à la
fois les consignes préfectorales et policières
de l’été 1942 visant les rafles et transferts
des camps de la zone libre sur Drancy, mais
aussi quelques factures pour des convois
partis du camp de Noé en 1944. S’agissant
de ces dernières, jusqu’à preuve du
contraire, la SNCF a pu établir, avec le
concours d’une archiviste missionnée, qu’il
s’agissait d’une série de transferts de tous
petits groupes de détenus aux statuts
divers, dispersés vers des sites français pour
y constituer un appoint de main-d’œuvre,
tels des chantiers Todt. Mais Kurt Schaechter,
révolté par toutes ces découvertes, emporté
par sa passion et son énergie combative,
perdit en sorte la raison, je veux dire toute
objectivité historique, amalgamant tous ces
faits en une maudite et coupable « SNCF
facturant en tous temps et en tous lieux
tous ses transports de juifs (transfèrement
franco-français et déportations vers l’Alle-
magne) ». Ainsi, livrant à qui veut toutes
ses photocopies, allait-il servir à tous les plai-
gnants suivants de référence morale et de
tremplin judiciaire, sans revenir sur ses
confusions objectives qu’à lui seul on pou-
vait pardonner. L’humaniste Schaechter,
dont Lipietz rappelle « la blessure rouverte
jusque dans les derniers mois de sa vie »,
entretenue par son vain combat judiciaire
pour obtenir de la SNCF quelques excuses
et un euro symbolique!
À l’évidence, le talent reconnu de remar-
quable débatteur et d’intellectuel engagé
d’Alain Lipietz nous vaut un ouvrage
brillant dans la forme, mais qui n’échappe
pas au péril cerné par l’auteur lui-même
de son affectivité: « Il n’est pas facile de
se faire historien d’une mésaventure de son
propre père. Le risque de parti pris est évi-
dent. L’amour familial peut conduire à
prendre pour argent comptant ce qui est
devenu roman familial ». Roman familial
contribuant assurément à entretenir
la « légende noire » d’une SNCF que son
mutisme conforte tout autant.
Georges RIBEILL
«La SNCF et la Shoah. Le procès
G. Lipietz contre État et SNCF»,
par Alain Lipietz. Les Petits Matins, 320p.,
13 x 20cm. Prix: 15
Élodie Grégoire/MPA
Alain Lipietz : «Il n’est pas facile de se faire historien
d’une mésaventure de son propre père. Le risque
de parti pris est évident […]»
Notes de lecture
(suite)
Cartophile signataire d’ouvrages parus chez Alan Sutton,
l’auteur, cadre à la SNCF, propose au lecteur des parcours
ferroviaires en Pays basque, illustrés en N&B par
son importante documentation personnelle: cartes postales,
photographies, règlements internes, prospectus touristiques.
L’ouvrage est découpé en quatre parties: présentation
de la Compagnie du Midi et de la région Sud-Ouest
de la SNCF; lignes basques; embranchements pyrénéens
disparus; enfin réseaux d’intérêt local (BAB, BLB et VFDM).
Rarement datés et sommairement légendés, les documents
reproduits ne respectent aucune logique ou chronologie, si
ce n’est le parcours de chaque ligne. L’évocation historique
est médiocre, voire erronée: avec insistance, l’auteur
confond la « fusion » des deux compagnies d’Orléans et du
Midi en 1934 avec leur simple exploitation unifiée; du coup,
voilà cette nouvelle compagnie devenue ainsi « la première
compagnie ferroviaire de France », et qualifiée aussi
« de loin, la plus moderne »
(p.13).
On aurait souhaité
quelques justifications à cette assertion très discutable!
De toute autre nature est l’ouvrage de Daniel Crozes,
publié par un éditeur provincial connu pour la qualité de ses
publications. Historien de formation universitaire, journaliste
La Dépêche du Midi,
apprécié pour ses enquêtes
« anthropologiques » sur le Cantal et l’Aveyron,
l’auteur avait déjà publié, en 1986, chez le même éditeur,
une monographie départementale de qualité:
La Bête noire.
L’Aventure du rail en Aveyron depuis 1853.
Ici, la même
démarche sensible est étendue au Massif central. L’auteur
a tiré le meilleur parti d’une bibliographie copieuse, dont
la thèse magistrale de la géographe Raymonde Caralp-
Landon (1959). À sa suite, il rappelle la lutte entre le PO
et le PLM pour disposer du plus court tracé permettant
d’acheminer le vin du Languedoc sur la capitale. Lutte dont
profitera Saint-Flour, d’où le voyageur peut atteindre Paris
par deux gares de son choix! De multiples témoignages
ou anecdotes, telle l’évocation des Trains Bonnet, rendent
très vivante cette fresque très complète. Outre une très
bonne carte ferroviaire et des profils des lignes
très suggestifs, les photos en couleurs de Pierre Soissons
pour les fameux viaducs et tunnels qui jalonnent ces lignes,
celles de Pierre-Louis Espinasse pour les trains, sont
d’une qualité esthétique exceptionnelle. L’auteur n’oublie
pas le volet humain, consacrant un chapitre aux chantiers,
illustré de ces rares photos de groupe d’ouvriers;
tout comme un autre aux cheminots qui ont exploité
ou entretenu ces lignes. Fort bienvenues encore les pages
consacrées à ces villes nées du rail, Capdenac, Arvant,
Neussargues, Tournemire.
Dans la collection qu’ils dirigent, les deux professeurs
d’histoire économique publient ce recueil collectif
en trois parties: les transports urbains dans les grandes
capitales européennes, l’histoire des grands projets,
les effets territoriaux. Plusieurs contributions traitent
des chemins de fer: histoire des gares bruxelloises et de leur
jonction souterraine; comparaison d’un siècle à l’autre entre
« Railway-mania» et « TGV-mania»… ; débats autour
de la ligne nouvelle Lyon – Turin; contribution du chemin
de fer dans l’unification allemande, ou à l’amélioration du
niveau de vie sous le Second Empire; enjeux spatiaux autour
du TGV Rhin – Rhône; comment la Suisse concilie ses sites
touristiques avec les chemins de fer… Les effets structurants
sont privilégiés, que je résume ainsi dans ma conclusion:
« Embarras des planificateurs ou lenteurs des concertations
démocratiques, hésitations d’un côté, mais aussi, de l’autre,
opportunités techniques développées par les ingénieurs
ou coups d’accélérateurs technocratiques, telles sont ici
illustrées ces variabilité et plasticité extrêmes des relations
dynamiques qu’entretiennent un territoire et sa société
avec ses transports. »
Georges RIBEILL
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DANIEL CROZES
Les Bêtes noires.
Des chemins de fer
dans le Massif
central
Éditions du Rouergue,
254p., 39
NICOLAS STOSKOPF ET PIERRE
LAMARD(sous la direction de)
Transports, Territoires
et Société
Éditions Picard (collection Histoire
industrielle et société), 280 pages
(32 illustrations N&B), 30
DIDIER JANSSOONE
Les Lignes ferroviaires
de France
.
Gares et trains
du Pays basque
Éditions Delattre, 160 p.
(très nombreuses illustrations
en N&B), 25,90