Description
Historail
Historail
N° 27 – Octobre 2013 – Trimestriel – 9,90
n° 27
Octobre 2013
Rail & Vin : une histoire bien française • Le Grand Paris version Pompidou
3’:HIKRTE=WU^^U]:?a@a@m@h@k »;
M 07942
– 27 –
F:
9,90
– RD
&
Historail
Tout ce que vous voulez savoir sur l’histoire du rail
Octobre 2013
Historail
S
i le vin est devenu un composant essentiel de la culture française, il le doit
beaucoup au coup de main qu’apporta le chemin de fer au développement
de son commerce dans la deuxième moitié du XIX
La production de vin fit plus que doubler durant le Second Empire, au moment
où le développement des grands réseaux lui apportait les ressources logistiques
indispensables à sa distribution.
Logiquement, cette activité de transporteur viticole contribuera fortement
au développement des compagnies.
Ainsi, Bercy, capitale sulfureuse de la France viticole, lieu de tous les trafics
et de toutes les manipulations, fut-elle aussi un impressionnant entrepôt embranché,
terminus de toutes les piquettes produites en France et hors de France. Un lieu
honni des viticulteurs du Midi qui y voyaient la cause de leur misère. Ils en firent
souvent la cible de leur révolte. Le sang des hommes et le sang de la vigne
ont parfois partagé les mêmes rigoles. Le vin est associé aux pages douloureuses
de notre histoire, comme cette manif viticole au pont de Montredon-des-Corbières
qui se termina par deux morts et de nombreux blessés.
Le vin et le rail, une histoire bien française dont Georges Ribeill tient la chronique
dans ce dossier d’
Historail
V. L.
Lézignan, Aude,
trafic de vin en
juillet 1957.
O. Perrelle/Photorail
La lettre de l’éditeur
Tirage disponible
cf.
p. 4
Réf. 270031
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Urbain
– Le Grand Paris version Pompidou (1
partie)
p.6
Mémoire
– Flash-back
p.31
Insolite
– 1934 : une grave catastrophe ferroviaire
inspire une chanson !
p.32
Vin et chemin de fer
– Développement des chemins de fer et commerce des vins :
d’étroits liens
p.38
– Révolution ferroviaire et ouverture du marché national
aux vins du Midi
p.40
-Le PLM s’engage dans la lutte contre le phylloxéra
-Des vignes pour clôtures ferroviaires… Une utopie
«ferroviticole» ?
-1907 : le rail au service des grandes manifestations
des vignerons du Midi
-Rail et trafic viticole entre Saint-Chinian et Béziers :
un commerce très actif
-Bercy, capitale du « vin de Paris »
-Quelques kilomètres de voies ferrées séparent
Marcorignan de Montredon : un site voué aux révoltes
des vignerons ?
-Bordeaux, Sète : deux situations contrastées
Curiosité
– Un album de vignettes de la SNCF pour faire rêver
les enfants de beaux voyages en France
p.82
Bonnes feuilles
– Les Chemins de fer industriels
p.84
-Paris-Lyon et sa banlieue
– Notes de lecture
DIRECTEUR DE LA PUBLICATION
Vincent Lalu
DIRECTRICE ADMINISTRATIVE
ET FINANCIÈRE
Michèle Marcaillou
CONSEIL ÉDITORIAL
Georges Ribeill
DIRECTION ARTISTIQUE
ET MISE EN PAGES
Kathy Labbé/Amarena
SECRÉTARIAT DE RÉDACTION
Marie-Laure Le Fessant
Olivier Micha
ICONOGRAPHIE
Sylviane Frot
ONT COLLABORÉ
Philippe-Enrico Attal,
Alain Crosnier,
Étienne Delahaye,
Philippe Marassé,
Lionel Mouraux
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Aline Ferrant
(0149701233)
ABONNEMENTS
VENTE AU NUMÉRO
Vanessa Corseaux
(0149701220)
DIRECTRICE DE LA DIFFUSION
Valérie Bardon
INFORMATIQUE & PRODUCTION
Robin Loison
Informatique: Ali Dahmani
Prépresse: Simon Raby.
IMPRESSION
Loire Offset 42 Saint-Étienne
Imprimé en France.
Historail
est une publication
des Éditions La Vie du Rail,
Société anonyme au capital
de 2043200euros.
PRÉSIDENT DU CONSEIL
D’ADMINISTRATION
Vincent Lalu
PRÉSIDENT D’HONNEUR
Pierre Lubek
PRINCIPAUX ACTIONNAIRES
SNCF,
Le Monde, Ouest-France
France Rail, VLA.
Durée de la société: 99 ans
RCS Paris B334 130 127
Numéro de commission paritaire:
Siège: 11, rue de Milan
75440 Paris Cedex 09
Tél.: 0149701200
Fax: 0148743798
Le titre
Historail
a été retenu
avec l’autorisation du musée
du Chemin de fer HistoRail
de Saint-Léonard-de-Noblat
Sommaire
Octobre 2013
Historail
Photos de couverture: «Dépotage» d’un wagon-foudre
pour remplir les barriques d’un négociant des entrepôts
de Bercy dans les années 1950 (DR).
Encart jeté
des Éditions Atlas
Octobre 2013
Historail
RATP/DR
L
e Grand Paris n’est pas né il y a 5
ou 10 ans dans un cabinet minis-
tériel ou une antichambre de l’Élysée.
C’est en 1792, lors de la création des
départements, que s’est imposée
l’idée de dépasser les limites de la ville
pour l’englober dans un périmètre
plus important. Paris sera donc le
chef-lieu du département de la Seine
dont l’ensemble des communes alen-
tours sera en mesure de limiter l’in-
fluence. En 1860, l’annexion des ban-
lieues situées à l’intérieur de l’enceinte
des fortifications n’y changera rien. Si
la capitale s’étend désormais sur le
territoire des anciennes communes de
Grenelle, Belleville, La Chapelle ou
Montmartre, Paris reste enfermé au
sein d’un département encore rural
par certains aspects, lui-même cein-
turé par les Seine-et-Oise et Seine-et-
Marne. C’est qu’on se méfie de cette
ville d’où partent souvent la contes-
tation et les révolutions. Ce décou-
page administratif va se maintenir
jusqu’en 1968 où le contexte écono-
mique va imposer de nouvelles fron-
tières. La question des transports est
liée intimement à celle des limites ter-
ritoriales. Lors de sa construction en
1900 et pendant près de 30 ans, le
métro municipal voulu par Paris se
refusera à pousser jusqu’à la banlieue
toute proche. De même, le réseau de
bus et detramway n’a pris sa dimen-
sion régionale qu’à partir du moment
où il a été administré dans les années
1920 par le département de la Seine
la STCRP (Société de transports en
commun de la région parisienne).
Au 1
janvier 1968 avec le nouveau
découpage administratif voulu par les
pouvoirs publics, la desserte des trans-
ports va devoir s’adapter. Paris
retrouve son autonomie en devenant
à la fois ville et département tandis
que la Seine et la Seine-et-Oise lais-
sent la place à six nouveaux départe-
ments. Dans le même temps, de nou-
velles préfectures font leur apparition
et se retrouvent au cœur d’un ensem-
ble destiné à terme à être facilement
accessible.
Cette réforme administrative n’est en
fait qu’un des éléments destinés à
donner une dimension nouvelle à la
région Capitale. Devenu chef de l’État
en 1958, le général de Gaulle va en
profiter pour réorganiser (à la faveur
des nouveaux pouvoirs inhérents à la
fonction présidentielle) l’ensemble
Paris-région pour une plus grande
cohérence, administrative, politique et
économique. De nouvelles structures
font leur apparition comme le Syndicat
des transports parisiens (qui remplace
l’ORTP, l’Office régional des transports
parisiens mis en place en 1949 avec
la RATP) chargé de la destinée des
transports tout en restant bien sûr sous
la coupe directe de l’État.
Dans ces années de croissance de
l’après-guerre, on commence à plani-
fier le développement économique (à
l’image de ce qui est en place dans les
pays de l’Est), en se donnant des objec-
tifs à atteindre. Les reconstructions se
compliquent avec l’exode rural, la
concentration de l’activité économique
et industrielle autour des aggloméra-
tions, l’immigration organisée (notam-
ment chez Renault) pour faire face à
la pénurie de main-d’œuvre. Des
bidonvilles poussent un peu partout
tandis qu’au niveau international la
France opère dans la douleur sa déco-
lonisation. En 1962, après la signature
des accords d’Évian marquant la fin
des hostilités en Algérie, la France doit
faire face à l’arrivée de plusieurs cen-
taines de milliers de rapatriés aggra-
vant encore la question du logement.
Le problème de l’habitat ressurgit
immédiatement sur les transports.
Alors que de nouveaux programmes
de constructions sont mis en place,
une bonne part des terrains disponi-
bles en banlieue parisienne n’est pas
ou peu desservie par les transports.
8-
Historail
Octobre 2013
URBAIN
L
es problèmes de transport restent
au cœur de l’économie de la région
Capitale. Pas de développement sans
un système efficace permettant aux
habitants de se déplacer rapidement
pour leur travail et leurs loisirs. Jamais
semble-t-il la question n’a été prise
avec autant de sérieux. 25milliards
d’euros vont être débloqués dans les
prochaines années pour construire
enfin le Grand Paris Express, ce métro
automatique qui facilitera les dépla-
cements de banlieue à banlieue. Si
l’addition est salée, c’est que le chan-
tier est d’une ampleur considérable.
En plus de la construction d’infra-
structures nouvelles, 7milliards vont
être consacrés à la modernisation des
réseaux existants. À croire que depuis
50 ans, rien n’a été fait pour améliorer
les transports régionaux.
Pourtant, la question n’est pas nou-
velle. Si elle est prise en compte dès
les années 1920, il faudra attendre
l’après-guerre pour que soient mis en
chantiers de nouveaux transports
indispensables à une métropole de
plus de 10millions d’habitants. Dès
le début des années 1960, à la faveur
d’une forte croissance économique,
les pouvoirs publics vont prendre le
problème à bras-le-corps. Des villes
sortent de terre, des logements, des
hôpitaux, des autoroutes, des lignes
nouvelles de métros, de RER appa-
raissent aux quatre coins de la région.
Des transports pour la région Capitale
Pendant près de 30 ans le métro se refusera
à pousser jusque la banlieue toute proche.
Octobre 2013
Historail
[ le Grand Paris version Pompidou (1
re
partie)]
L
a situation des transports parisiens
à lafin des années 1950est direc-
tement liée au conflit mondial. La
modernisation entreprise a été frei-
née par la guerre tandis que de nom-
breux projets sont restés dans les car-
tons en attendant des jours meilleurs.
L’épine dorsale de la desserte de la
banlieue est alors principalement
constituée par le réseau SNCF. En
1938, elle transporte 249,5millions
de voyageurs. Ce chiffre atteindra à
moyens quasi égaux 318millions de
voyageurs en 1960.Il faudra atten-
dre le renouvellement des matériels
et des installations pour arriver en
1992 à 567millions.
Modernisée dans l’entre-deux-guerres,
la banlieueSaint-Lazare électrifiée par
rail va longtemps servir d’exemple.
Le matériel, moderne pour l’époque,
est parfaitement adapté à l’exploita-
tion à laquelle il doit faire face. Le ser-
vice pour partie cadencé assure une
desserte appropriée selon l’éloigne-
ment des gares avec des missions
omnibus ou semi-directes pour aug-
menter la vitesse commerciale. La
banlieueInvalidessur le réseau ouest
est également exploitée par 3
rail
dans des conditions similaires. Long-
temps en pointe, ces réseaux ne sont
plus adaptés au trafic du début des
années 1960.
Sur la banlieue Orsay-Austerlitz,le ser-
vice est loin d’être aussi efficace. La
gare d’Orsay ouverte en 1900 pour
amener au cœur de Paris les trains
grandes lignes du PO (Paris – Orléans),
est désormais à l’abandon, seule la
banlieue y conservant son origine. Ce
prolongement vers Orsay se fera,
jusqu’à l’ouverture de la gare souter-
raine de banlieueen 1970, au prix
d’une traversée à niveau de la gare
d’Austerlitz héritée d’un autre âge.
Les autres réseaux SNCF ne sont pas
mieux lotis. Montparnasse est à l’étroit
dans son ancienne gare, tandis que
sur le nord et l’est la vapeur est encore
bien présente comme sur la ligne de
Bastille. Sur la banlieue sud-est au
départ de gare de Lyon, l’électrifica-
tion avance mais le réseau n’est pas
encore adapté aux missions qui sont
les siennes.
Dans l’ensemble, le matériel, les ins-
tallations fixes, les équipements ont
besoin d’une profonde modernisa-
tion. La structure même du réseau est
souvent inadaptée au trafic. Les liai-
sons de banlieue à banlieue sont pour
l’essentiel inexistantes, la plupart des
lignes convergeant vers la capitale. La
Petite Ceinture a été remplacée en
1934 par un autobustandis que la
Grande Ceinture qui assurait un tour
complet de la région a été fermée aux
voyageurs en 1939. Seule est restée
ouverte la section entreJuvisy et Ver-
sailles-Chantiers exploitée par la ban-
lieue Orsay-Austerlitz.
Il faudra attendre l’élan économique
de ces années d’après guerre pour
entamer une modernisation progres-
sive du réseau SNCF en accord avec
le développement et l’urbanisation de
la région.
Pourtant cette préoccupation n’est
pas nouvelle. Dès les années 1920,
des projets sont élaborés pour tenter
d’améliorer la desserte de la banlieue
en pleine expansion. D’importants
chantiers vont permettre de moder-
niser les installations les plus anciennes
et renouveler le matériel roulant. Cet
élan amorcé dans les années d’avant
guerre est stoppé par le conflit mon-
dial. En parallèle, on commence à rai-
sonner de façon plus globale, sortant
de la logique des compagnies pour
penser à l’échelle régionale. Divers
plans vont voir le jour pour mettre en
place un réseau qui préfigure ce que
sera 50 ans plus tard le RER. La
constante de ces projets sera d’inté-
grer les lignes isolées de la banlieue
parisienne, comme celles de Sceaux
entre Luxembourg et Limours ou de
Bastille vers Boissy-Saint-Léger et Ver-
neuil-l’Étang. Exploitées en vapeur,
elles ont pour point commun de des-
servir des banlieues peuplées dans
des conditions d’exploitation difficiles.
Laligne de Sceaux appartenant au PO
est la première à bénéficier de cet
élan de modernisation. Transférée à la
CMP(Compagnie du métro de Paris),
elle est reconstruite pour optimiser
son exploitation. L’infrastructure est
ainsi reprise et les passages à niveaux
Des transports hérités des années 1930
Photorail/SNCF
Arrivée d’un train
électrique en gare
de Juvisy (réseau
PO). La traction
électrique est mise
en service
le 6février 1947 sur
le tronçon Juvisy –
Versailles-Chantiers
de la Grande
Ceinture, section
restée en service
après la fermeture
de la ligne aux
voyageurs en 1939.
Octobre 2013
Historail
[ le Grand Paris version Pompidou (1
re
partie)]
B
ien sûr, le RER n’est pas né en
1965, mais quelques années
auparavant, imaginé comme on l’a vu
par le Padog. Le chantier a même
commencé en1961avec un premier
coup de pioche symbolique au pont
de Neuilly. Si des plans d’élaboration
d’un réseau régional avaient vu le jour
dans les années 1920, repris et modi-
fiés jusqu’à la Seconde Guerre mon-
diale, complétés encore par l’ORTP en
1949, aucune réalisation en dehors
de la ligne de Sceaux n’avait été entre-
prise. La modernisation de cette ligne
n’avait pas produit son extension au
nord comme envisagée un temps vers
la gare d’Orsay (où deux voies lui
étaient réservées) mais plutôt son rac-
courcissement, délaissant la branche
sud de Saint-Rémy-lès-Chevreuse à
Limours. Cette dernière antenne des-
servie par autorail de navette sera
d’ailleurs abandonnée en mai 1939.
À la fin des années 1950, la RATP va
reprendre le projet destiné notam-
ment à soulager en partie le métro
sur laligne 1 Vincennes – Neuilly tota-
lement saturée. Il s’agit donc dans un
premier temps de construire une ligne
nouvelle transversale destinée à relier
le nouveau quartier d’affaires dela
Défense aux principaux carrefours
parisiens que sont l’Étoile, la Concorde
ou le Châtelet. Dans un deuxième
temps, la ligne doit se prolonger à
l’ouest vers Saint-Germain-en-Laye par
la ligne SNCF
Nanterre.La RATP
va ainsi recevoir une première enve-
loppe de 200millions de francs pour
lancer le réseau. On retient tout de
même l’idée d’une transversale est-
ouest destinée notamment à soula-
ger la gare Saint-Lazare avec ses
70000 voyageurs à l’heure de pointe,
doubler la ligne 1 du métro (alors à
130% de sa capacité) tout en per-
mettant la desserte du quartier de la
Défense. La RATP entend également
reprendre la ligne de Bastille comme
dans les plans d’avant guerre. On
espère alors améliorer d’une façon
générale la desserte de la banlieue
pour réduire (déjà) l’usage de l’auto-
mobile.
Lors du démarrage des travaux en
1961, l’idée d’une transversale va
devoir s’imposer notamment en rai-
Le RER, nouvel outil des transports régionaux
On espère améliorer la desserte de la banlieue
pour réduire (déjà) l’usage de l’automobile.
Photos RATP/DR
En haut: traversée sous-fluviale de la Seine pour le RER A avec mise en place d’un caisson au pont
de Neuilly (1
août 1967).
À gauche: station La Défense, RER A, rame MS 61 à quai (23 mars 1970).
Ci-dessus: chantier de construction de la gare RER de La Défense (15 juillet 1966).
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Historail
[ le Grand Paris version Pompidou (1
re
partie)]
F
aut-il construire à grands frais cette
section centrale? Les finances
publiques malgré la croissance peu-
vent-elles suivre sur un projet d’une
telle ampleur? À l’heure des comptes,
il apparaît que les aménageurs de
1965 ont vu très grand. Trop grand
même pour certains. La facture a lar-
gement explosé tant les crédits sem-
blaient illimités. Comme l’expliquent
MM. Laroque, Margairaz et Zembri
dans
Paris et ses Transports –
XIX
siècles,
la contestation des grands
projets commence à apparaître. Au
nom d’une prise de conscience de
l’environnement, le public et les élus
s’interrogent sur l’opportunité de ces
lourdes opérations de transport.
En 1969à la tête de l’État, on se pose
la question de l’achèvement du réseau
pharaonique de RER envisagé en
1965. D’autres facteurs interviennent
également comme une moindre
hausse de la démographie ou encore
la réduction du nombre des villes
nouvelles primitivement envisagées.
L’abandon de certains projets d’urba-
nisme comme à Montesson modifie
la donne. Faire malgré tout le RER
tout en réduisant considérablement
les frais est-il possible? Le RER n’est-il
pas synonyme de gigantisme et de
démesure? Lastation Auber est tout
à fait symptomatique à cet égard. Ses
dimensions considérables dans un
tissu urbain d’une grande densité à
proximité de l’Opéra et des grands
magasins illustrent bien la nature
réelle des travaux à mener. Le RER
revêt un caractère de prestige, qui ne
peut rester qu’un temps en accord
avec les finances publiques. C’est la
grande époque du triomphe du génie
industriel français dont le RER se veut
une illustration.
Au final, c’est le président Pompidou
qui va imposer la section centrale et
par là même sauver l’idée même du
RER. Pour y parvenir, ses promoteurs
vont devoir trouver de nouvelles solu-
tions. Faire (presque) aussi bien mais
pour moins cher. Côté finances, on
va mettre en place à partir de 1971
le versement transport, payé par les
entreprises à destination des trans-
ports publics. Pour les infrastructures,
le plus simple sera d’utiliser au maxi-
mum l’existant, ce réseau de près de
1000km de voies SNCF qui peut en
partie remplir les missions attendues.
Les ingénieurs vont ainsi imaginer
«l’interconnexion» des réseaux entre
RATP et SNCF. Sur le papier, il suffit
de raccorder des lignes entre elles en
se contentant de construire les sec-
tions nécessaires à leur liaison. Sur le
terrain, tout est à réinventer. Les
modes d’exploitation, les tensions
électriques, la culture ferroviaire, tout
est très différent d’une entreprise à
l’autre. Le matériel roulant n’est pas
compatible et vient se heurter à des
détails tout simples comme la hau-
teur des quais.
C’est pourtant cette solution qui va
être mise en œuvre et qui sauvera le
RER qui a bien failli se limiter à ses
deux branches se faisant face entre
Auber et Nation.
La remise en cause du RER
Les lignes de RER envisagées
par le Sdau en 1965
Dans le document publié en 1965, le RER
est quasiment entièrement à construire même
si certaines sections existantes sont intégrées
au réseau. D’est en ouest, une transversale
reprend les contours de l’actuelle ligne A du RER,
agrémentée d’une branche à l’ouest
vers Montesson où un important centre urbain
est prévu. La ligne de Sceaux est quant à elle
prolongée au nord jusqu’au Châtelet où elle fait
terminus. Deux transversales nord-sud sont
prévues. Depuis Valmondois et Cergy
via
Auber,
Invalides et Montparnasse, une nouvelle ligne
permet d’atteindre au sud Saclay et Trappes
en desservant la ville nouvelle de Saint-Quentin-
en-Yvelines. Les deux antennes nord de
cette ligne sont également en liaison à l’est avec
le nouvel aéroport de Paris-Nord (Roissy). Depuis
ces trois terminus, un axe nord-sud
via
la gare
du Nord établit une nouvelle transversale par
la République, les gares de Lyon et d’Austerlitz
pour rejoindre Rungis, Orly et les villes nouvelles
d’Évry et Melun-Sénart. L’ensemble de ce réseau
permet la desserte efficace des villes nouvelles
tout en établissant trois lignes transversales dans
le sous-sol parisien.
F. Fénino/Doc.
MS 61 à Nation, ligne A
(13 février 1970).
vant le nouvel aéroport de Paris-Nord.
À l’est, la station Gare-de-Lyonva per-
mettre là aussi des correspondances
aisées grâce à la réalisation d’une gare
souterraine commune RATP/SNCF.
Tout pourtant n’a pas été simple et la
collaboration entre les deux entreprises
s’est faite longtemps sur fond de riva-
lité. Face à face, la SNCF héritière d’in-
frastructures vieillissantes et la RATP
qui propose une image de modernité.
La SNCF pourtant s’estimait plus com-
pétente, forte d’une plus grande
expérience sur l’exploitation banlieue.
Officiellement pourtant la collabora-
tion est à l’ordre du jour et c’est avec
stupeur que les pouvoirs publics vont
ainsi découvrir par hasard que cha-
cune des deux entreprises travaille
de son côté à sa propre station sou-
terraine Gare-de-Lyon.
Sans aucun doute, la deuxième
phase du RER avec l’interconnexion
va remettre la SNCF dans la course.
La jonction Orsay – Invalides en 1979
va permettre la naissance de la ligne
Cpurement SNCF alors que le label
RER semblait la propriété exclusive
de la RATP. Cette remise en course
de la SNCF est véritablement consa-
crée avec l’ouverture le 8 décembre
1977 de la gare de Châtelet-Les
Halles où la place de ses trains est
réservée.
Ce jour-là, huit ans après l’ouverture
de la branche de Boissy-Saint-Léger,
le RER a véritablement pris naissance.
L’inauguration par le président Gis-
card d’Estaing de la nouvelle station
faisait du RER un réseau de lignes
transversales en correspondance au
cœur de Paris.
[ le Grand Paris version Pompidou (1
re
partie)]
Construction
de la gare RER de
Châtelet-Les Halles:
entrée des cinq
tunnels.
Le chantier a débuté
en avril 1972,avec
interconnexion quai
à quai des réseaux
SNCF et RATP.
La nouvelle station
Les Halles de
la ligne 4 du métro
est inaugurée en
octobre 1977 et
la station Châtelet –
Les Halles du RER
en décembre
de la même année
(J.-C. Roca/Photorail).
U
ne convention de 1929 avait per-
mis de définir dans quelle mesure
le métro voulu et financé par la Ville
de Paris pouvait pousser vers les com-
munes périphériques. À cette occa-
sion, 15 prolongements avaient été
programmés concernant 10 lignes de
métro. Le 3 février 1934, la ligne 9
est la première à être prolongée en
banlieue, son terminus de Porte-de-
Saint-Cloud étant reporté au Pont-de-
Sèvres. Le 24 mars 1934, c’est au tour
de la ligne 1 d’atteindre le château de
Vincennes. Cette vague d’extensions
va se poursuivre avant de connaître
un coup d’arrêt avec la Seconde
Guerre mondiale. En 1939, 10 pro-
longements sont ouverts et quatre
sont en cours, en travaux ou en pro-
jets avancés. La ligne 8 file vers
Charenton, la 5 vers Pantin, la 7 vers
Ivry et la 13 vers Saint-Denis. Le
5 octobre 1942, l’extension de la ligne
8 est ouverte vers Charenton-Écoles.
Quelques jours plus tard, le 12 octo-
bre c’est au tour de la 5 d’atteindre
Église-de-Pantin mais il faudra atten-
dre le 1
mai 1946 pour que Mairie-
d’Ivrysoit le nouveau terminus de la
ligne 7. Le chantier de la ligne 13
quant à lui a très vite été interrompu
pour ne reprendre véritablement qu’à
la fin du conflit, repoussant à juin
1952 l’ouverture vers Carrefour-Pleyel.
À compter de cette date, les prolon-
gements en banlieue ne sont plus à
l’ordre du jour, même si officiellement
rien n’est abandonné. Les priorités de
la jeune RATP sont ailleurs face à des
réseaux souterrains et de surface qui
ont fortement souffert du conflit. La
nature juridique de l’établissement
public compromet sa capacité d’in-
vestissement et malgré son autono-
mie (proclamée dans son intitulé), ses
tarifs sont toujours encadrés par l’État
qui refuse les augmentations néces-
saires.
La primauté accordée au RER va
d’abord se faire au détriment du
métro parisien. Cette situation va évo-
luer avec la remise à plat du dossier
par les pouvoirs publics au début des
années 1960 redéfinissant les missions
du métro dans un ensemble global.
Aux côtés du RER, il y a donc une
place pour le métro parisien qui
pousse en première couronne où sont
apparus comme on l’a vu de nou-
veaux départements. Si des opérations
immobilières voient le jour au cœur
même de la capitale, d’autres projets
sont mis en chantier dans des zones
nouvelles jusqu’alors mal desservies.
Le métro en raison d’une certaine
proximité avec le cœur de Paris peut
avoir un rôle important à jouer. Des
lignes transversales comme la 1 de
Neuilly à Vincennes ou la 9 de Bou-
logne à Montreuil peuvent jouer un
rôle de desserte de banlieue sans rup-
ture de charge comme pour le RER.
Entre 1965 et 1967, on va ainsi déci-
22-
Historail
Octobre 2013
URBAIN
Le métro accompagne
le développement régional
Photos RATP/DR
De haut en bas:
MS 61 en circulation
entre Joinville et
Saint-Maur-Créteil
(7 juillet 1971);
quais de la station
Gallieni sur la ligne 3
(14 avril 1971).
Octobre 2013
Historail
der de trois prolongements du métro,
la ligne 3 vers Bagnolet, la 8 vers Mai-
sons-Alfort et la 13 au cœur de Paris
vers Saint-Augustin. Cette dernière
ligne est en fait destinée à constituer
une liaison nord-sud après jonction
avec la courte ligne 14 Invalides –
Porte-de-Vanves.
Sur la ligne 3, l’extension vers Gallieni
va permettre de créer une transver-
sale de banlieue à banlieue de Leval-
lois à l’ouest à Bagnolet à l’est. À
proximité du nouveau terminus envi-
sagé, de nouveaux quartiers de loge-
ments ont vu le jour pour lesquels la
desserte par autobus reste insuffi-
sante. Cette extension va s’avérer déli-
cate, l’antenne de Bagnolet prenant
naissance à Gambetta, quatre stations
avant le terminus de Porte-des-Lilas.
La RATP ne souhaitant pas exploiter
cette ligne avec embranchements, il
a donc été décidé de créer une ligne 3
bis
reprenant la section Gambetta –
Lilas, la 3 poursuivant vers Bagnolet.
La complexité des travaux avec
notamment la construction d’une
nouvelle station à Gambetta absor-
bant l’ancienne Martin-Nadaud va
repousser l’ouverture de ce prolonge-
ment à 1971. Une nouvelle station
intermédiaire Porte-de-Bagnolet est
ouverte tandis qu’àGallieni une gare
routière permet aux autobus de pour-
suivre vers les nouveaux quartiers envi-
ronnants.
Le chantier de laligne 8vers Maisons-
Alfort va poser d’autres difficultés. À
partir du prolongement de Charen-
ton-Écoles,il est décidé de franchir la
Marne vers le sud. L’un des objectifs
de l’opération vise à dégager la circu-
lation sur le pont de Charenton tota-
lement saturé aux heures de pointe.
La première section de ce prolonge-
ment permet d’atteindre Maisons-
Alfort-Stade dès 1970.Pour la traver-
sée de la Marne, le viaduc a été
préféré au caisson immergé. Au-delà,
la ligne a été construite à ciel ouvert le
long de la nationale 19. Initialement
prévu jusqu’à Maisons-Alfort, le pro-
longement va finalement pousser vers
Créteil. Depuis 1968, cette ville est en
effet devenue la préfecture du Val-de-
Marne tandis que de nouveaux quar-
tiers sont sortis de terre. La nouvelle
section sera longue de 6,6km ouverts
en quatre étapes. Après Maisons-
Alfort-Stade en septembre 1970, la
station Les Juillotesdevient terminus
en avril 1972. En septembre 1973, le
[ le Grand Paris version Pompidou (1
re
partie)]
Docs. RATP/Coll. Ph.-E. Attal
La ligne 13
effectue
sa jonction avec
la ligne 14 en
remplacement
de la ligne de
RER envisagée
par le Sdau.
L’opération
est largement
annoncée par
la RATP comme
dans ce dépliant
diffusé pour
l’ouverture en
première phase
de la station
Miromesnil.
Le RER est constitué
de trois branches se faisant face.
Le choix des pouvoirs publics
de réaliser la jonction centrale
va permettre de donner
une cohérence au réseau.
(© RATP 1974/Coll. Ph.-E. Attal)
Octobre 2013
Historail
La «Flèche d’or»
vers Étaples,
avec la 231 E 23.
E
lle était là, en lisière du massif
forestier de Mormal, posée au
bord du ballast, au kilomètre 208
de la ligne Paris – Bruxelles qui, en
d’autres temps, avait vu défiler les plus
beaux trains de la Compagnie du
Nord. Elle était là, avec ses murs lézar-
dés, sa marquise en éclats, ses remises
à l’abandon et son potager envahi par
les herbes folles. Elle était là, livrée à
l’oubli. Mais, pour délabrée qu’elle
fût, dans son écrin de verdure la mai-
son du garde-barrière du PN 86 n’en
symbolisait pas moins aux yeux d’un
amoureux du chemin de fer le rêve
absolu. Je l’avais découverte à l’été
2002, au hasard d’une halte et,
accoudé à la barrière, j’étais resté un
long moment à goûter le silence, à
écouter le chant des oiseaux et,
comme un gosse, à guetter le pas-
sage du prochain train.
Il devait être un peu plus de 16h
quand, répondant à mon attente, un
Corail était venu rompre la tranquil-
lité des lieux. Image fugitive du convoi
lancé, martelant le rail, vision à
laquelle était venue très vite se juxta-
poser celle d’un autre bolide entrevu
quelque 50 années plus tôt.
Cela se passait non loin d’Étaples, à
un passage à niveau qui pour l’ama-
teur de trains que j’étais déjà consti-
tuait un endroit idéal pour regarder
passer à pleine vitesse la légendaire
Flèche d’or
. Nous étions en 1955. Je
n’avais pas huit ans, mais le souvenir
de ce face-à-face, devenu rendez-vous
incontournable pour le restant des
vacances, reste présent à ma mémoire.
Il y eut d’abord, allant s’amplifiant,
le grondement sourd du convoi
annoncé. C’est alors que surgissant
dans la ligne droite, ce qui dans l’ins-
tant précédent n’était encore qu’un
point sur l’horizon nous enveloppa
de son souffle. Signalée par une allé-
gorie solidement ancrée à la proue
de sa Pacific, la
Flèche d’or
déboulait
à 120 à l’heure dans un bruit étour-
dissant. Et, tandis que sous nos pieds
le sol tremblait, je m’appliquais à
ne rien perdre du spectacle, muet
d’admiration.
Mais déjà, dans un long sifflement, le
convoi s’éloignait, filant vers son but.
Pour un temps encore, de languis-
santes fumerolles flottaient dans l’air,
comme après avoir soufflé les bou-
gies d’un gâteau…
Il fallait rentrer. La fête était finie.
Au PN 86, la bourrasque passée, les
lieux avaient retrouvé leur quiétude.
Dans le lointain, deux fanaux se mou-
raient.
Étienne Delahaye
Flash-back
Vilain/Photorail-SNCF©
MÉMOIRE
Tirage disponible
cf.
p. 4
Réf. 270311
Peu de jours après le tragique
accident de Brétigny-sur-Orge,
à l’occasion d’un vide-greniers,
un ami exposant connaissant
nos penchants, nous a offert
une partition dont l’étrangeté
sautait aux yeux : comment
une catastrophe ferroviaire
pouvait-elle susciter une chanson,
dont la partition reproduirait
une photo même des voitures
déraillées ?
S
i un
Recueil de partitions
(«Édi-
tion Fernando, Henri Dethier,
Éditeur-chansonnier, 28 rue Louis
Rolland, Montrouge») ainsi qu’un
Répertoire spécial pour Noces et
banquet. 20 monologues réalistes,
grivois, satiriques, comiques et chan-
sons grivoises
témoignent d’une asso-
ciation féconde entre le mystérieux
parolier « Fernando » et son éditeur
Henri Dethier, nous ignorons tout de
ces deux personnes.
Comme son titre l’indique, c’est l’ac-
cident survenu à Avignon le
12 août 1934 qui a ins-
piré le texte du parolier
Fernando. À l’entrée
de la gare, à
4heures05 du matin,
le rapide Suisse-Médi-
terranée qui relie
Genève à Vintimille, aborde une bifur-
cation à 40 km/h au lieu des 20 km/h
autorisés. Faute d’un freinage suffi-
sant, la locomotive, son tender et les
huit premières voitures se couchent
et percutent un train de marchandises
garé sur la voie adjacente. Le
bilan final est lourd : 7 morts et 60
blessés. Considéré comme responsa-
ble, le mécanicien sera incarcéré.
L’accident d’Avignon survient ainsi
juste six mois après la fameuse catas-
trophe de Lagny-Pomponne : le
23 décembre 1933, en pleine nuit, un
train supplémentaire roulant à
60 km/h est rattrapé par un express
roulant à 120 km/h, entraînant
230morts, nombreux écrasés dans les
voitures en bois qui composent le
train supplémentaire. On retrouve à
Avignon cette circonstance aggra-
vante de la présence d’une voiture en
bois, ajoutée au convoi pour suppléer
au manque de places, et qui sera
écrasée sans résistance lors du choc.
« C’est le coup de Lagny qui recom-
mence ! » :
le journaliste de
L’Huma-
nité,
dont le compte-rendu paru à
chaud dans l’édition du 13 août 1934
est reproduit ci-dessous, pouvait
conclure ainsi en tirant à boulets
rouges sur les dirigeants de la Com-
pagnie PLM,
« véritables responsables
de la catastrophe».
Georges Ribeill
(Merci à Jean-Michel Pichon qui a
retrouvé l’article de
L’Humanité
32-
Historail
Octobre 2013
INSOLITE
une grave catastrophe
La couverture
de la partition,
dans un style qui
nous semble
maintenant
fort cynique.
Coll. G. Ribeill
ferroviaire inspire une chanson !
Octobre 2013
Historail
A
près Lagny, Avignon ! Les magnats du rail ajoutent à leur sinis-
tre bilan 6 morts, 55 blessés.
La nuit dernière, à 4 h 05, le rapide Suisse-Méditerranée, qui quitte le
Genève à 20 heures à destination de Vintimille, a déraillé à 200 mètres
de la gare d’Avignon.
Dans un fracas épouvantable, les huit voitures composant le convoi
sont sorties des rails. Le fourgon de tête a été complètement pulvé-
risé et le wagon postal, sautant de la voie est allé heurter sur une
autre voie un wagon d’un train de marchandises qui, sous la vio-
lence du choc, se renversa lui-même sur un autre convoi, obstruant
ainsi les quatre principales voies de la gare d’Avignon.
Dans l’obscurité
Un commencement d’incendie se déclara sur la locomotive du train
déraillé, détruisant les appareils enregistreurs, cependant que des
wagons sinistrés s’élevaient les cris de douleur des blessés.
Mais déjà les rescapés et les employés de la gare se précipitaient,
organisant le sauvetage ; courageux effort qui était entravé par l’obs-
curité. En effet, la locomotive, en se couchant sur les rails, avait coupé
les fils électriques et c’est dans une obscurité à peu près totale que s’ef-
fectuèrent les premiers secours.
Premier bilan
Les premiers blessés retirés des décombres furent conduits vers les
salles d’attente transformées en infirmerie. Des cadavres aussi furent
dégagés.Sous la vigie d’un des wagons de marchandises éventré
pendait le cadavre de l’employé de trains Merindol, du dépôt
d’Orange, qui montait dans son train au moment où le rapide, en
déraillant, venait réduire le wagon en miettes.
Ce fut alors la scène horrible des blessés que l’on retire des décombres
et des morts que l’on emporte.
Dès le début des recherches, quatre cadavres été retirés et transpor-
tés dans la gare. Les quelques employés de service à la gare d’Avi-
gnon firent preuve d’un dévouement admirable et, peu après, arri-
vèrent des troupes du génie pour coopérer au sauvetage.
À 9 h 30, on comptait six morts, une trentaine de blessés, mais hélas
la liste funèbre n’était pas close.
Un wagon pulvérisé
Deux wagons offraient un spectacle particulièrement tragique et c’est
de leurs débris que furent retirés la plupart des cadavres et des bles-
sés. C’étaient une voiture de seconde classe et une voiture de première.
Le wagon-couchettes, qui avait été accroché à Lyon, ETAIT
CONSTRUIT EN BOIS, et un des wagons qui le précédait, wagon en
fer venant de Genève, L’AVAIT EMBOUTI JUSQU’A LA MOITIE DE
SES COMPARTIMENTS.
Il est certain qu’un wagon métallique aurait offert davantage de
résistance et qu’ainsi le nombre des victimes de la catastrophe d’Avi-
gnon aurait été réduit.
Quarante minutes de retard par l’encombrement des voies
C’est sans doute pour masquer les responsabilités de la compagnie,
qu’une partie de la presse prétend que l’accident est dû à un excès
de vitesse.
Une fois de plus on tente de rejeter les responsabilités sur le méca-
nicien.
Même s’il y avait excès de vitesse, la responsabilité de la Compagnie
ne se trouverait pas dégagée, car il faudrait rechercher les causes de
l’accident dans les règlements mêmes qui accordent des primes pour
les minutes de retard reprises en cours de route et qui infligent des
amendes pour toute minute perdue.
Or
La Liberté
d’hier annonçait que le rapide Genève-Vintimille avait
« un retard de 40 minutes dû à l’encombrement du réseau sur lequel
on avait été obligé de doubler un grand nombre de convois en raison
de l’afflux provoqué par les fêtes du 15 août. »
Excès de vitesse ? Il sera sans doute facile aux dirigeants du réseau de
soutenir cette thèse maintenant qu’ils savent que la bande enregis-
treuse a été détruite par le feu ; mais des déclarations de cheminots,
de voyageurs et du mécanicien, une autre thèse se dégage
Les freins ne fonctionnaient pas
Voici la déclaration de M. Vernet, chef de canton du PLM à Romans
(Drôme) :
– Je suis monté à Romans,
dit-il,
dans le Bellegarde-Vintimille. Les
voitures étaient bondées. Comme il n’y avait pas de place en troi-
sième, je suis monté en seconde. À Grenoble, le train avait
23minutes de retard. Au pont de Vernassot, endroit où les trains
ralentissent obligatoirement, je compris à certains bruits signifi-
catifs qu’il y avait du jeu dans les attelages. Je remarquai également
que l’action des freins provoquait de nombreuses secousses dans
le convoi. Lorsque je sentais que le mécanicien faisait une manœu-
vre avec ses freins, les wagons étaient aussitôt agités de mouve-
ments d’avant en arrière. Je crus même, dans les environs de
Valence, tant fut grande la secousse du train au passage de l’aiguil-
lage, qu’une catastrophe allait arriver.
Le mécanicien confirme…
Le mécanicien du train sinistré, M. Achard, 30 ans, a déclaré peu
après :
– C’est à 200 m avant l’entrée en gare d’Avignon que s’est produit le
déraillement. Je suppose que c’est le wagon suivant immédiatement
la locomotive qui est sorti des rails. On entrait en gare et tout était
tout à fait normal. Le wagon postal s’est mis complètement en tra-
vers de la voie, puis le fourgon de tête est sorti des rails… J’ai essayé
de freiner immédiatement, mais les freins n’ont pas fonctionné par-
faitement et je n’ai pu éviter la catastrophe.
Les freins n’ont pas fonctionné ! Et les déclarations de M. Vernet,
ainsi que celles du mécanicien Achard, se trouvent confirmées par les
récits de divers voyageurs.
34-
Historail
Octobre 2013
INSOLITE
Encore une catastrophe de Chemin de Fer
Le rapide Suisse-Méditerranée déraille en arrivant en gare d’Avignon
SIX MORTS ! UNE SOIXANTAINE DE BLESSÉS : le fonctionnement des freins était défectueux.
Un wagon en bois fut littéralement pulvérisé
Octobre 2013
Historail
Le récit d’un rescapé : des grincements inquiétants
Une personnalité marseillaise, M. Gaston Dufour, président de la
société des commerçants magasiniers et industriels des Bouches-du-
Rhône, qui se trouvait dans le rapide, a fait le récit suivant :
– J’avais pris le rapide à Aix-les-Bains avec ma femme et nous étions
tranquillement installés dans une couchette de deuxième classe. Nous
ne dormions guère, d’autant plus que nous avions entendu des grin-
cements inquiétants. C’était les freins, paraît-il, qui essayaient de
modérer l’allure du convoi, car le train, j’oubliais de vous le dire, allait
à une très vive allure et l’on avait l’impression qu’il allait sortir des
rails. Lorsqu’il passait à un croisement, on entendait des chocs au
moment où le train franchissait les aiguillages.
Un peu avant d’arriver à Avignon, revenant du lavabo, je venais à
peine de rentrer dans mon compartiment lorsque je sentis très net-
tement des coups de frein très brusques. Le wagon que j’occupais
se mit à sauter littéralement, puis à osciller de droite et de gauche,
avant de se coucher sur le côté gauche.
Ma première impression fut que j’allais être noyé. Ce qui me donna
cette impression, ce fut la vapeur qui s’échappait de la locomotive et
surtout l’eau qui se répandait avec force du réservoir du tender.
Mme Morère, habitant 59 rue Pigalle à Paris, a fait la déclaration sui-
vante :
– Je venais de Genève, et j’occupais avec une de mes amies un com-
partiment du deuxième wagon suivant le fourgon de tête. J’avais
aperçu des lumières, je m’exclamai
toute joyeuse : « Tiens ! Voilà Avi-
gnon ! » Mais l‘allure était très vive
et nous fûmes surprises de ne pas
voir le train s’arrêter. C’est alors que
le bruit caractéristique des freins
que nous entendions depuis
Genève retentit de nouveau. Puis, avec une grande violence, tout
notre wagon oscilla puis tomba. J’entendis des cris et nous fûmes sur
le quai sans nous en rendre compte, heureusement indemnes.
D’autre part, un voyageur suisse, qui avec sa famille allait de Lau-
sanne à Cannes a déclaré que
« chaque coup de frein donnait l’im-
pression que son wagon paraissait se cabrer. »
Ainsi donc, il apparaît clairement que les freins fonctionnaient très
mal depuis le départ de Genève.
Il est probable qu’à l’arrivée en gare d’Avignon, le mécanicien tenta de
ralentir son convoi, mais les freins fonctionnant brutalement ont causé
un arrêt brusque qui jeta le train hors des rails, occasionnant une
nouvelle catastrophe dont la Compagnie porte l’entière responsabilité.
L’enquête officielle
Avignon, 12 août.
– Le déraillement du rapide Genève-Vintimille, indépendamment du
nombre des victimes qu’on a à déplorer, a causé des dégâts matériels
considérables. En effet, il n’y a pas moins de 12 wagons qui se trou-
vent hors d’usage. À ce chiffre, qui comprend des wagons de première
et de deuxième classe, il faut ajouter un wagon-poste et un fourgon
qui se trouvait en tête du train.
Les plus endommagés des wagons sont ceux de deuxième classe et un
wagon en bois qui avait été ajouté au convoi pour suppléer au
manque de place.
M. Clergue, substitut faisant fonction de procureur de la République,
et M. Rouquette, juge d’instruction, accompagné de son greffier, ont
procédé à la gare à une enquête de laquelle il résulterait que l’accident
serait dû à la vitesse excessive du train à son entrée en gare, vitesse qui
n’aurait pu être diminuée en raison, ont déclaré le mécanicien Achard
et le chauffeur Héritier, d’une défectuosité du fonctionnement des
freins.
Les victimes
Voici une première liste des victimes. Les six morts sont :
Le capitaine de vaisseau Raymond Michel, 7, place de la Liberté, à
Toulon ;
M. Aimé Vernet, 15 ans, de Saint-Hilaire-du-Rosier (Isère) ;
Mme Marcelle Chabal, de Brignoud (Isère) ;
Deux femmes, paraissant âgées, l’une de 40 ans, l’autre de 50 ans,
n’ont pu être encore identifiées.
Le nombre des blessés s’élève à une soixantaine ; plusieurs sont dans
un état très grave, ce qui fait craindre que le nombre des morts ne
s’accroisse.
Voici une première liste des blessés […].
Fouillis inextricable
Le personnel de la gare s’emploie activement à déblayer les voies.
C’est un travail de longue haleine, car ainsi que nous l’avons dit, les
wagons, en se renversant, ont brisé des wagons de marchandises
remisés sur les voies parallèles. La
gare d’Avignon présente de ce fait
un fouillis presque inextricable de
matériaux de toutes sortes.
Deux grues de 50 tonnes ont été
amenées. L’une venait de Valence,
au nord des lieux de l’accident,
l’autre venant de Marseille, au sud. Sans répit, pendant toute la jour-
née, les équipes de secours vont travailler à dégager les voies obs-
truées et on se demande avec angoisse si sous l’amas hétéroclite de
débris qui encombre l’entrée de la gare, on ne va pas découvrir de nou-
velles victimes.
Osera-t-on inculper le chauffeur et le mécanicien ?
Une dépêche d’agence communique tard dans la soirée :
Avignon, 12 août. Le chauffeur Héritier, qui a été blessé, et le méca-
nicien Achard, tous deux du dépôt de Marseille, ont été interrogés par
le juge d’instruction Rouquette.
Après interrogatoire, tous deux ont été priés de se tenir à la disposi-
tion de la justice.
Il paraît vraisemblable que les freins n’ont pas fonctionné, mais il reste
à établir si la manoeuvre n’a pas été tardive et si, par conséquent, le
mécanicien n’a pas été obligé de serrer les freins trop brusquement.
Ainsi, quoiqu’il soit reconnu que les freins n’ont pas fonctionné nor-
malement, l’action judiciaire se dirige déjà contre le mécanicien et le
chauffeur, au lieu de se diriger contre les dirigeants du réseau, vérita-
bles responsables de la catastrophe.
C’est le coup de Lagny qui recommence ! Mais d’ores et déjà, les
responsabilités sont trop nettement établies et les cheminots, avec
l’ensemble des usagers du rail, sauront exiger des sanctions contre
les vrais coupables.
[ 1934 : une grave catastrophe ferroviaire inspire une chanson !]
L’action judiciaire se dirige déjà
contre le mécanicien et le chauffeur,
au lieu de se diriger contre
les dirigeants du réseau.
36-
Historail
Octobre 2013
DOSSIER
Vers 1910, la gare de Lézignan (Aude) était surtout un point de transit
pour les fûts de vin des Corbières.
Vin et
chemin
de fer
Une spécialiste de l’histoire
de la viticulture l’a résumé
de manière remarquable
en quelques mots:
l’avènement de
«l’ère du
rail»
XIX
e
siècle a créé un
«marché commun national»
du vin. L’extension progressive
du réseau a contribué tant
à l’extension des vignobles
du Midi qu’à la popularisation
du vin de table, à Paris
notamment. Pour le meilleur
comme pour le pire aussi:
complice en somme de la
surproduction de vins
du Languedoc qui
remplissaient chais et wagons-
foudres, le chemin de fer s’est
trouvé l’auxiliaire, voire
l’otage des grandes
manifestations des vignerons,
en 1907 comme en1976.
Tirage disponible
cf.
p. 4
Réf. 270361
Octobre 2013
Historail
Photorail – SNCF ©
44-
Historail
Octobre 2013
DOSSIER
Des vignes pour clôtures ferroviaires…
Une utopie «ferroviticole» ?
À
l’occasion de la mise en service
jusqu’à Soulac de la ligne du
Médoc en 1874, un journaliste
sug-
géra à la compagnie de planter en
guise de haies, sur les deux côtés de la
voie
« de cette vigne qui produit des
vins si généreux: la Compagnie des
Charentes en a fait l’essai en mélan-
geant de la vigne avec des arbres frui-
tiers en espalier; elle n’a qu’à se féli-
citer du résultat. Que la Compagnie
du Médoc essaie, elle aura dans
quelques années un revenu assuré. La
voie comprend 90km de chaque côté
à utiliser, soit 180km, ce qui occa-
sionnera une plantation de 180000à
200000 pieds de vignes dans le
Médoc. Quelle récolte lorsqu’elle
viendra à bon terme! »
L’idée assez farfelue ne sera pas rete-
nue. Mais elle a pu inspirer un com-
missaire de surveillance administra-
tive des chemins de fer voisin,
G.Domazant, qui évoque en effet
l’échec de cet essai de plantations
d’arbres fruitiers en espaliers le long
de la ligne d’Angers à Niort. Publiée
à Niort en 1884, sa brochure de
7pages, vendue 25 centimes,
vignes en clôture de chemins de fer et
l’influence de ce système au point de
vue du phylloxéra,
revient sur l’idée,
mais en clôturant les voies ferrées de
seules vignes! De quoi donc
« com-
penser largement par la quantité,
sinon par la qualité, toutes les pertes
qui proviennent de l’invasion duphyl-
loxéra
»…
Du moment que chez nous, toute ligne de
voie ferrée exige une clôture comme défense
contre l’accès du bétail ou du public étranger
à l’exploitation, ne serait-il pas possible d’uti-
liser ces clôtures comme compensation aux
conséquences funestes de l’invasion des
vignobles par le phylloxéra, en remplaçant
par la vigne seulement tous les arbres frui-
tiers et les haies qui les bordent?
Ainsi, en raisonnant sur des évaluations sup-
posées, mais dont l’autorité supérieure obtien-
drait facilement le chiffre exact et officiel, ne
pourrait-on pas dire que si la France possède
40000 kilomètres de chemins de fer, il s’ensuit
une ligne de clôture de 80000 kilomètres,
dont il faudrait défalquer 10000 kilomètres
au plus pour les gares et les passages à niveau,
ce qui porterait à une longueur de 70000
kilomètres la superficie à mettre en culture.
L’opération coûteuse se
révéla en pratique d’une
efficacité limitée, le sulfure
de carbone prolongeant
simplement de quelques
années la survie des vignes
infestées
, et les
« sulfu-
ristes »
seront bientôt
dépassés par les
« américa-
nistes »
tenants de l’adoption
de certains plants américains
robustes
(Othello, Jacquez, Noah)
ou de porte-greffes résistants sur les-
quels seront greffés les cépages fran-
çais locaux.
Dans sa participation à la
« guerre de
trente ans »
(G. Garrier) contre le phyl-
loxéra, la contribution du PLM était
donc doublement intéressée, écou-
lant les vins des vignobles préservés
ici, expédiant là aux régions infestées
ses outils et produits antiphylloxé-
riques, puis les plants nouveaux.
Tous trafics bénéficiant de tarifs spé-
ciaux, ce qui motivera le rare hom-
mage du haut fonctionnaire Alfred
Picard
aux compagnies de chemins
de fer pour leur rôle durant la crise
phylloxérique:
« Dans ces circons-
tances malheureuses, elles ont rendu
les plus grands services, en apportant
aux consommateurs les vins étran-
gers et aux producteurs les agents
chimiques employés pour combattre
le fléau, ainsi que les plants améri-
cains destinés à remplacer, sur cer-
tains points, les plants français ».
Comme on l’a vu plus haut, produc-
teurs et consommateurs français
n’ayant pas forcément les mêmes
intérêts vis-à-vis de ces
« vins étran-
gers »
Georges Ribeill
1. Au niveau international, signée
le 17 septembre 1878 par sept pays
(Allemagne, Autriche-Hongrie, Espagne,
France, Italie, Portugal et Suisse), la
Convention internationale de Berne
règlemente la circulation internationale
des vins, raisins de table, sarments
et autres produits vinicoles, inspectés
et contrôlés aux frontières jusqu’au
mode d’emballage.
2. Gilbert Garrier,
Le phylloxéra. Une
guerre de trente ans,
Albin Michel,
1989, p. 43.
3. Preuve de la dangerosité du produit:
en mai 2012, un wagon-citerne
contenant 70 tonnes de sulfure de
carbone déraille lors d’une collision de
trains à Godinne en Belgique. En raison
de la toxicité et du risque d’explosion
durant le transvasement du produit,
un périmètre de sécurité de 500 mètres
sera délimité et tout un quartier évacué
plusieurs jours…
4. Gilbert Garrier,
op. cit.,
p. 89.
5.
Expériences faites pour combattre
le phylloxera. Rapport du Comité
régional institué à Marseille par la
Compagnie des Chemins de fer de Paris
à Lyon et à la Méditerranée,
Marseille,
Marius Olive, 1876, 37 p. (avec une
planche coloriée représentant l’injecteur
Gastine).
6.
Instructions sur le maniement du Pal
injecteur Gastine pour les applications
du sulfure de carbone au traitement
des vignes phylloxérées,
1878.
7. Rapport publié sous l’égide de la
Compagnie des Chemins de Fer de Paris
à Lyon et à la Méditerranée.
Application
du sulfure de carbone au traitement des
vignes phylloxérées. Campagne de 1878.
Rapport sur les expériences et les
applications réalisées et sur les résultats
obtenus,
Paul Dupont. 1879, 82 p.
8. Gilbert Garrier,
op. cit.,
p. 88-95.
9. A. Picard,
op. cit,
1887, p. 86.
A.-F. Marion,
1846-1900.
Octobre 2013
Historail
Il y a quelques années déjà, dans le but de
remédier à la pénurie des fruits de table, on
eut l’idée de remplacer les haies vives qui
bordent les treillages par des arbres fruitiers
plantés en espaliers le long des échalas.
Des expériences furent faites sur plusieurs
points et notamment sur la ligne d’Angers à
Niort, où je me suis trouvé à même de
constater les résultats qui m’ont engagé à
émettre une opinion à cet égard.
On semble avoir renoncé à l’exécution de
ce projet par les raisons suivantes:
1. Que les clôtures composées d’arbres frui-
tiers, dont le bois se rompt facilement, n’of-
fre pas une défense suffisante contre l’accès
du gros bétail ou l’introduction sur la voie de
tout ce qui pourrait apporter un obstacle à
la sécurité de la marche des trains;
2. Que les produits seraient à peu près nuls,
puisque les fruits, même avant d’être mûrs,
seraient cueillis ou pillés par les riverains ou
le public qui circule aux environs.
À ces deux objections on peut répondre:
1. Que la flexibilité du bois de la vigne le rend
susceptible de ployer sans jamais rompre;
2. Qu’aussi bien que celle placée en pleine
campagne, la vigne cultivée près d’une ligne
de chemin de fer a droit à la protection de
tous les défenseurs de la propriété: elle
aurait en plus la surveillance presque per-
manente des agents du service de la voie.
Au mois de septembre dernier, j’ai pu
remarquer sur des portions de la ligne où ce
système de clôtures avait été appliqué, des
treilles chargées de raisin noir en quantité
dix fois plus grandes que n’aurait produit
une superficie égale cultivée en cépage
ordinaire.
Maintenant, si l’on évalue le nombre d’hec-
tares ravagés par le phylloxéra, et si l’on
remarque aussi que dans l’usage habituel
de la viticulture les ceps sont distancés d’un
mètre de chaque côté, ce qui donne 100
pieds par are, on arrive naturellement à son-
ger aux résultats que pourrait donner un
cordon de treilles de 70000 kilomètres de
longueur, en supposant chaque plant à
4mètres de distance, taillé et dirigé en
espalier sur trois ou quatre étages super-
posés et engagés les uns dans les autres.
On devrait s’attacher, je pense, à employer
les variétés les plus fécondes et les plus sus-
ceptibles de mûrir en espalier comme en
plein vent (la folle-blanche, par exemple,
pour le blanc, et le balzat pour le noir). Ces
deux espèces produisent même dans les
lieux réputés impossibles aux vignobles.
Si l’idée que j’émets aujourd’hui devait être
prise en considération, ne serait-on pas aussi
conduit à examiner l’influence qui pourrait
résulter, pour la prospérité de la vigne, de
son contact continuel avec une voie ferrée.
Un déplacement d’air très fréquent, le pas-
sage et la trépidation des trains et la fumée
des locomotives, ne pourraient-ils pas contri-
buer, dans certains cas, à atténuer les effets
de la gelée ou à prévenir l’invasion du phyl-
loxéra?
L’intérêt général doit être directement atta-
ché à cette question dont la poursuite offri-
rait, selon moi, les avantages suivants:
1. Procurer aux lignes de chemins de fer des
clôtures plus sérieuses comme défense
contre tout ce qui peut nuire à la sécurité
de la marche des trains.
2. Bénéficier d’un produit considérable en
mettant en culture plus de 70000 kilomè-
tres de superficie qui jusqu’à ce jour n’ont
donné que des produits négatifs par les frais
d’entretien et de première installation.
3. Compenser largement par la quantité,
sinon par la qualité, toutes les pertes qui
proviennent de l’invasion du
phylloxéra
.
Pour ce qui concerne ce dernier point, des
considérations spéciales ne pourraient-elles
pas être examinées? Ainsi ne pourrait-on
pas dire:
De ce que jusqu’à présent le seul moyen
indiqué pour repousser l’attaque du mal a
été d’employer des plants américains, et de
ce que les treilles ont échappé aux atteintes
de la contagion; en considérant que la vigne
est une plante rampante et grimpante dont
la prospérité exige le développement com-
plet et prolongé de ses branches principales,
ne faudrait-il pas supposer que l’origine de
l’insecte meurtrier résidant en ses racines
vient de la persistante opposition apportée
à ses besoins naturels en employant pour
sa reproduction des provins sortis de sujets
dont, de temps immémorial, l’essor végétal
a été contrarié et arrêté trop près de terre?
Si ces raisons étaient susceptibles d’être
admises par les hommes compétents, on
serait naturellement conduit à modifier la
viticulture, en employant pour le renouvel-
lement des vignobles que des plants
empruntés à des treilles d’une certaine éten-
due en hauteur et en prolongement; puis
en cultivant et dirigeant la plante en espalier,
ce qui tendrait à distancer de plus en plus les
racines et par conséquent à effectuer dans
les mêmes proportions l’isolement du per-
nicieux insecte.
À l’appui des considérations que j’expose,
j’ajouterai:
1. Qu’il m’a été dit qu’un propriétaire de
Saintonge, dont une partie du vignoble avait
été détruite par le phylloxéra, attribuait la
prospérité de la partie échappée au fléau à
ce qu’elle n’était composée que de plants
pris sur des treilles.
2. Il paraît que le phylloxéra n’a pas encore
fait invasion en Italie, ou de tout temps la
vigne n’a été cultivée qu’en treilles et en
espaliers prolongés sur des arbres fruitiers.
N’est-ce pas-là une véritable utopie
viticole, puisque l’invention doit pro-
fiter autant aux compagnies en
charge de ces généreux ceps de
vignes qu’aux consommateurs qui
n’auront plus à craindre le manque
de vin.
G. Ribeill
1. F. Techeney,
Excursion à Soulac-les-
Bains,
1874, cité par Lucien Chanuc
et Patrice Durbain,
Les trains du Médoc,
Les Éditions du Cabri, 2005, p. 16.
[ Vin et chemin de fer ]
Coll. G. Ribeill/DR
La petite brochure
de G. Domazant
(1884).
L
a révolte des vignerons du Midi
languedocien en 1907 est restée
fameuse en raison de la mutinerie
d’un demi-millier de soldats du 17
bataillon d’infanterie, rejoignant le
20juin, par une marche de nuit, à
Béziers des vignerons rassemblés à
une grande manifestation dont ils
étaient chargés plutôt d’assurer le
maintien de l’ordre, en cas de débor-
dements. Cette fameuse mutinerie,
durablement glorifiée par les anti-mili-
taristes et mise aussitôt en musique
par le chansonnier Montéhus
(Gloire
au 17
donnera lieu à de nombreux
ouvrages, reportages à chaud ou
études historiques (voir bibliographie).
Avec Béziers, Narbonne, sous-préfec-
ture de l’Aude, a constitué l’un des
points les plus chauds de ce mouve-
ment original des vignerons excédés
par la crise viticole, synonyme de cours
du vin effondrés et de misère sociale,
affrontant de manière résolue Clé-
menceau, président du Conseil et
ministre de l’Intérieur à poigne!
Les Archives départementales de
l’Aude y ont consacré l’été 2007 une
exposition, que précédait en juin un
colloque à la perspective plus large,
L’Aude et la vigne: cent ans de pas-
sion,
le tout aboutissant à deux
ouvrages les plus à jour. C’est ce qui
nous a décidé à explorer les événe-
ments de 1907 sous l’angle ferroviaire,
avec le parti pris de rappeler comment
le rail, et particulièrement incarné en la
Compagnie du Midi, fut un acteur-clef
des événements, de manière ambiva-
lente : obstacle, frein ou soutien…
D’un côté, du 24 mars au 9 juin, la
montée en puissance du mouve-
ment, le principe d’une manifesta-
tion tournante chaque dimanche
dans un lieu où étaient conviés à
pied, en charrette ou en train des
manifestants de villages de plus en
plus éloignés, a impliqué la mise à
disposition de trains spéciaux à la
limite des possibilités du parc de la
compagnie comme de la capacité de
la ligne de Carcassonne à Montpel-
lier. La progression des effectifs à
transporter à Narbonne le 5 mai
révélait son incapacité d’assurer de
la petite gare toute proche de Mar-
corignan, l’embarquement des mani-
festants des communes environ-
nantes, ne voyant passer que des
trains archibondés. L’occupation de
46-
Historail
Octobre 2013
DOSSIER
1907 : le rail au service
des grandes manifestations des vignerons du Midi
Doc SE/Coll. GR
Cette carte du
réseau des Chemins
de fer économiques
(SE) illustre bien
la densité de
l’irrigation
ferroviaire du
Languedoc viticole.
Octobre 2013
Historail
la voie ferrée durant six heures, qui
préoccupera les sommets de l’État,
est un événement social inédit dans
l’histoire des chemins de fer français,
et c’est à ce titre qu’il a paru intéres-
sant d’en rappeler les tenants et
aboutissants.
Une fois résolu le problème, c’est la
question du tarif réduit auquel pour-
ront prétendre les manifestants qui
se posera, pour des parcours plus
lointains et plus onéreux donc. Demi-
tarif ou réduction de 75% accordée
habituellement aux pèlerins, voire
gratuité ?
Rappelons brièvement le contexte
politique. L’initiative du mouvement
revient à un petit comité fondé à
Argeliers, qu’anime Marcellin Albert,
natif de ce petit village viticole du
Biterrois où il possède 5 hectares de
vignes. Le 25 janvier 1907, une com-
mission d’enquête parlementaire sur
la crise viticole est décidée, qui se rend
dans le Midi: lors de leur arrivée le 11
mars au matin en gare de Narbonne,
87 délégués d’Argeliers les attendent;
bien reçue, la commission leur pro-
mettra même de faire
« tout son pos-
sible pour mettre fin aux souffrances
de notre malheureux pays ».
Le succès
de cette singulière initiative, la publi-
cité qui lui est faite vont ainsi attirer
l’attention sur le comité d’Argeliers,
prenant l’initiative de 12 manifesta-
tions dominicales à venir, du 24 mars
au 9 juin, trois mois durant.
[ Vin et chemin de fer ]
nombre de manifestants
date
département
réseauestimation
écart
estimation
basse
haute
11 marsNarbonne
Aude
Midi
24 marsSallèles-d’AudeAude
31 marsBize-Minervois
Aude
7 avril
Ouveillan
Aude
14 avril
Coursan
Aude
21 avril
Capestang
Hérault
28 avril
Lézignan
Aude
5 mai
Narbonne
Aude
12 mai
Béziers
Hérault
1019 mai
Perpignan
Pyrénées-Orientales///
1126 mai
Carcassonne
Aude
122 juin
Nîmes
Gard
139 juin
Montpellier
Hérault
Manifestations
Source: Vignerons en révolte, op cit., p. 83.
Archives de l’Aude/DR
À chaque wagon
sont affectés
les manifestants
de chaque village,
dont les pancartes
soulignent leur
solidarité
géographique.
passer sous mon nez mes confrères de
L’Ex-
press
envoyés à mon aide, sans pouvoir
prendre place dans leur wagon, où se trou-
vaient entassés 14, 16 voyageurs, on ne sait
pas au juste! Et dans tous les wagons c’était
pareil.
Si j’ai pu arriver à Béziers, vers 10heures,
c’est grâce à un aimable inspecteur [de la
Cie du Midi], qui m’a fait prendre place dans
le wagon des bagages d’un train express
qui passait fort heureusement.
Tous ces détails ne pourront certainement
pas donner à nos lecteurs une idée exacte
du mouvement colossal auquel nous assis-
tons.
Beaucoup d’entre eux ont certainement vu
la mobilisation du 17
e
corps d’armée en
1887
1
. Eh bien! C’était entre Narbonne et
Béziers, pendant toute la matinée de
dimanche, le même roulement continu de
trains se croisant, les uns bondés de voya-
geurs, les autres vides pour aller en prendre
d’autres. Et l’illusion était complète lorsqu’on
voyait des trains complets, composés de
wagons à bestiaux, où l’on avait mis les
bancs qui servent à la mobilisation.
Avec cette différence qu’au lieu de 32
hommes comme il est inscrit sur chaque
wagon
2
, il y en avait une centaine. Je vous
dis, c’est incroyable! »
En gare de Marcorignan,
le blocage durable
des voies
Les incidents survenus dans l’ultime
gare précédant à l’ouest celle de Nar-
bonne ont pris vite un tour inédit:
l’entrave durable à toute circulation
des trains, dans chacun des deux sens,
délit constituant l’un des articles de la
fameuse loi de police des chemins de
fer du 15 juillet 1845
. Durant
6heures, de 11 h à 17 heures, la cir-
culation des trains sur la ligne de Bor-
deaux à Sète sera interrompue par
l’occupation des voies par des groupes
de manifestants résolus et divers obs-
tacles matériels déposés. Pour la pre-
mière fois, à notre connaissance, de
nombreuses personnes se sont cou-
chées sur les rails pour bloquer le
passage des trains! Les télégrammes
expédiés toute la journée illustrent la
gravité des incidents, perçue par les
autorités.
11 h, gare de Narbonne, commissaire
de surveillance à préfet:
« À 11h
matin mille manifestants ont envahi
la gare de Marcorignan et placé obs-
tacles sur voies principales; ils empê-
chent circulation trains. »
En soirée, le préfet adresse par télé-
gramme à Clémenceau le récit de la
journée:
« Dès 7 h du matin, 3000 personnes avaient
envahi la gare de Marcorignan pour se ren-
dre à Béziers: plusieurs trains étant passés
bondés devant, l’impossibilité où elles se
sont vu de partir les a mises dans état de
violente exaspération et à 11 h, ils ont pris la
résolution d’arrêter tous trains nouveaux
dans les deux sens en obstruant les voies de
wagons-foudres, de traverses en bois et de
fûts de vin. Nombreuses personnes se sont
couchées sur les rails pour empêcher trains
de repartir.
Ce n’est qu’à deux heures après-midi que
sous-préfet de Narbonne et moi avons été
avisés de ces incidents. Nous nous sommes
immédiatement rendus, sur locomotives, à
Marcorignan.
Sous-préfet qui m’y a précédé a été reçu
par foule furieuse qui n’a pas voulu enten-
dre ses explications. Il a dû sortir précipi-
tamment de la gare pour éviter les violences
des manifestants et est rentré à Narbonne
sur automobile de rencontre. Lorsqu’à mon
tour suis arrivé accompagné de mon chef
de cabinet, une personne de ma connais-
sance m’a prévenu du danger que je cour-
rais si je me faisais connaître de la foule.
Octobre 2013
Historail
Archives de l’Aude/DR
Arrivée des
manifestants
à Carcassonne
par les Tramways
de l’Aude.
devant des locomotives, un wagon de fou-
dres-réservoirs est placé en travers de la voie
Cette-Bordeaux; on voit des hommes armés
de pics prêts à arracher les rails.
La surexcitation est à son comble; on crie
contre la tête de la Compagnie, et surtout
contre le gouvernement qu’on accuse d’avoir
voulu empêcher les manifestants d’arriver à
Béziers. Bientôt tous les voyageurs quittent
leurs wagons et descendent sur la voie; il y a
là quatre ou cinq mille personnes.
Un train omnibus venant du côté de Nar-
bonne doit s’arrêter devant les obstacles
dressés devant la machine: l’express venant
du côté de Carcassonne a été arrêté à Ville-
daigne, et les voyageurs de ces deux trains
viennent grossir la foule qui stationne aux
abords de la gare de Marcorignan.
Le chef de station télégraphie de tous les
côtés: le personnel reste impuissant devant
ces milliers d’hommes qui parlent de ren-
verser tous les wagons.
« Nous sommes ici,
disent-ils,
depuis
6heures du matin, nous avons payé notre
parcours de Marcorignan à Béziers. La
Compagnie était prévenue; on se moque de
nous, on n’a pas voulu que nous arrivions à
Béziers. Eh bien, aucun train ne passera
jusqu’à minuit. »
Un train supplémentaire comprenant 28
wagons arrive vers 1 heure seulement; bien
que nous ne soyons qu’à 7 kilomètres de
Narbonne, les délégations refusent d’y
monter; on arriverait trop tard à Béziers.
Une conduite de Grenoble
À deux heures, le sous-préfet de Narbonne,
M.Icard, arrive sur une locomotive; il est
accueilli par des sifflets et des cris divers;
M.Icard se perche sur la marche d’un
wagon et essaie d’expliquer que la com-
pagnie du Midi a été débordée et qu’il a fait
de son côté tout ce qu’il a pu.
« Ce n’est pas vrai,
lui crie-t-on de tous les
côtés,
on l’a fait exprès. »
Voyant qu’il lui est impossible de parler, le
malheureux sous-préfet se retire dans la
gare, où la foule le suit en le conspuant tou-
jours; comme il veut repartir sur la locomo-
tive qui l’a apporté, les manifestants lui bar-
rent le passage; les poings se tendent vers
lui, menaçants.
Sur la route de Narbonne, des gendarmes
arrivent à ce moment, accompagnant une
autre automobile qui vient au secours du
sous-préfet. Les manifestants lui donnent
l’ordre de les faire éloigner. Le sous-préfet
s’exécute; les gendarmes s’en vont.
Le sous-préfet monte alors sur son auto et il
file vers Narbonne à toute vitesse; il était
temps: quelques minutes plus tard, M.Icard
n’était pas certain de rentrer à Narbonne
pour dîner.
Une réunion en plein air
Après cette conduite de Grenoble faite au
représentant du gouvernement, les déléga-
tions des communes présentes, Paraza,
Saint-Nazaire, Saint-Marcel, Névian, Canet,
Villedaigne, Marcorignan, Puichéric, Bar-
baira, Montredon, etc., se réunissent et,
après de violents discours, votent l’ordre du
jour suivant: «6000 manifestants bloqués
dans la gare de Marcorignan…» Cette
motion
5
est accueillie par d’enthousiastes
applaudissements.
Voulant que mes lecteurs soient renseignés
le plus tôt possible sur ces graves événe-
ments, je quitte Marcorignan à 3heures
pour me rendre à pied à Narbonne, d’où je
vous télégraphie dès mon arrivée.
Aura-t-on raison de l’obstination résolue des
manifestants et la circulation sera-t-elle réta-
blie avant minuit sur la ligne de Bordeaux à
Cette? Je ne sais, étant donné la grande
exaspération des délégués bloqués à Mar-
corignan.
Le mouvement fait boule de neige; bientôt
il aura gagné le Midi tout entier, et si l’on
sait comment il commence, qui peut dire
comment il finira? »
Ainsi s’exprimait hier
l’envoyé spécial du
Matin.
Après les événements de la journée, le gou-
vernement peut être fixé sur l’issue du
moment viticole, s’il ne se décide pas à faire
quelque chose pour nos populations à bout
de patience.
PS. J’apprends que le préfet de l’Aude,
accompagné de son secrétaire général, s’est
transporté à son tour à Marcorignan en
automobile; il a reçu le même accueil que
son subordonné de Narbonne. Conspué de
belle manière, il a été obligé de se retirer
devant l’attitude intransigeante de la foule
qui l’a averti qu’elle se retirerait quand cela
lui plairait. Les manifestants ont consenti à
laisser circuler les trains vers 5heures et
demie seulement; à partir de ce moment,
des trains bondés venant de Béziers se sont
succédé sans interruption.»
Dans le
Télégramme
du 14 mai, le
journaliste publie le témoignage de
F.Galibert, commissionnaire viticulteur
à Montredon, qui va enfoncer le clou
contre la Compagnie:
«On est unanime à rejeter la responsabilité
de l’arrêt des trains en gare de Marcorignan
sur la Compagnie du Midi. En effet, celle-ci
était prévenue du nombre de manifestants
qui allaient au meeting de Béziers.
Il est vrai que pour qui connaît les dessous
des cartes, la Compagnie ne doit pas seule
supporter la responsabilité des événements.
Le gouvernement peut bien en revendi-
quer sa part. En effet, ce n’est que contraint
et forcé que le contrôle de l’État avait
accordé au comité de Narbonne la réduc-
tion des prix sur les billets de Narbonne à
Béziers.
Jusqu’au dernier moment, le ministère a
essayé d’entraver la manifestation de Béziers
en n’accordant son autorisation à la Com-
pagnie du Midi qu’à la dernière heure.
Mentionnons qu’à 7heures du soir,
dimanche, une compagnie du 100
e
de ligne
était désignée pour se rendre à Marcori-
gnan, mais l’ordre était rétabli.
M. Lafont, procureur général de la Cour
d’appel de Montpellier, est arrivé aujourd’hui
à Marcorignan, pour procéder à une
enquête. Le parquet de Narbonne s’y est
rendu également cet après-midi.
Octobre 2013
Historail
[ Vin et chemin de fer ]
Archives de l’Aude/DR
Octobre 2013
Historail
vides et drapeaux en tête, s’avancent devant
la locomotive des trains qui entrent en gare
et les empêchent d’avancer.
« Dans peu de temps, la voie est encom-
brée, la circulation devient impossible, toutes
les lignes se trouvant occupées par des
convois qui vont en sens inverse.
Bientôt, ils forment une suite qui va de la
rampe de Montredon à mi-chemin de la
gare de Villedaigne.
« 1 h et demie, le sous-préfet prévenu, arrive
monté sur une locomotive. Il essaie d’ha-
ranguer la foule, mais cette dernière le
conspue, siffle et l’empêche de parler, mais
il n’est point vrai, comme le disaient certains
journaux, qu’on lui ait lancé des pierres.
Bien au contraire, nous l’avons protégé
jusqu’à l’intérieur de la gare et sans aucun
encombre.
« Mais à ce moment, la gendarmerie arrive,
ce que voyant, la foule surexcitée aban-
donne la voie non sans avoir laissé de nom-
breux factionnaires, et se porte au-devant
des nouveaux arrivés.
« Les pauvres agents chevauchent, caraco-
lent, essayent de faire une trouée, impossible.
« Je conseille au sous-préfet de faire retirer la
gendarmerie; ce dernier s’exécute de bonne
grâce, mais pendant ce temps, les manifes-
tants, énervés, cassent quelques vitres et
auraient fait peut-être le sac de la gare, si
les gendarmes ne s’étaient pas éclipsés.
«Le préfet, également prévenu, s’amène
par machine spéciale, mais s’abrite pru-
demment à 4 ou 500 mètres de la gare et
n’intervient pas.
«À 4heures, me parvient une dépêche de
Marcellin Albert, conseillant aux manifes-
tants de rester calmes et de se retirer.
«Devant les ordres de leur chef, ces derniers
se retirent et quelques-uns même restent
pour aider les employés de la Compagnie à
remettre la voie en état.
«Il n’a pas été commis de dégâts sérieux,
voilà toute la vérité.
«Et maintenant nous allons demander à la
Compagnie non pas de nous rembourser
l’argent versé; mais en compensation des
préjudices qu’elle nous a causés, de nous
transporter, dimanche prochain, à Perpi-
gnan, sans autre forme de procès.
«Vous connaissez, Monsieur, puisque vous
êtes mêlé au mouvement, l’état d’esprit de
nos populations, une fois encore avouez
qu’elles n’ont pas tort et qu’il faut s’estimer
heureux qu’en sachant leurs frères en train
de manifester à Béziers, tandis qu’ils assié-
geaient la voie, ils n’aient pas commis de
sévices plus graves. »
«Je lui réponds: “Heureusement que le
général (Albert) a parlé.” Sur ce, je serre la
main à mon interlocuteur en le priant d’as-
surer ses vaillants manifestants de toutes
mes sympathies.
Les leçons entendues
appellent de nouvelles
précautions
Comment éviter le renouvellement de
l’incident de Marcorignan? Le 15 mai,
le préfet de l’Aude appelle l’attention
du ministère de l’Intérieur
« sur l’in-
térêt qu’il y a à ce que le ministre des
Travaux publics, s’il ne l’a déjà fait,
accorde immédiatement à la Compa-
gnie du Midi l’autorisation de délivrer
des billets collectifs à demi-tarif pour le
meeting de Perpignan alors même
que la demande ne lui serait pas
encore parvenue »…
Le commissaire central de Narbonne
informe son sous-préfet de rumeurs
inquiétantes:
« Les événements qui
se sont produits à Béziers ont amené
une légère effervescence dans la
population de Narbonne, en vue du
meeting de Perpignan. On se prépare,
on veut s’y rendre en masse, on
escompte d’avance la distribution gra-
tuite de billets comme pour Béziers et
dans le cas où cette distribution ne
satisferait pas toutes les demandes,
on rappelle l’explosion de Marcori-
gnan. On serait décidé soit à prendre
les trains d’assaut, soit les empêcher
de circuler, non seulement à Nar-
bonne mais sur n’importe quelle gare
Archives de l’Aude/DR
Des manifestants
réunis sous la
marquise de la gare
de Carcassonne.
Octobre 2013
Historail
der jusqu’à 2h après-midi le défilé
annoncé pour midi; si cette disposi-
tion n’est pas adoptée, on sera obligé
de laisser sur la route plusieurs mil-
liers de manifestants; la gare de Per-
pignan déclare que pour elle seule,
elle a besoin de 25 trains. Il est à
craindre qu’on ne puisse arriver à
transporter tout le monde, même en
emportant les voyageurs dans les
wagons à bestiaux. »
Un peu plus tard, le même jour, la ten-
sion est bien montée:
« Haut person-
nel de la Cie du Midi a les plus vives
appréhensions. Il craint de ne pas
pouvoir transporter la masse énorme
de population qui manifeste intention
venir à Carcassonne des Pyrénées-
Orientales, de l’Hérault et de Nar-
bonne de 3heures du matin à midi.
Ne pouvant mettre en marche que 5
trains par heure sur même ligne. Voie
ferrée a capacité de transport qu’on
ne peut pas dépasser. »
Alors que des réductions de 75%
sont réclamées à Baixas et à Estagel, le
bon déroulement de la journée sem-
ble compromis:
« Esprits étant de plus
en plus surexcités, incidents analogues
à ceux gare Marcorignan sont à crain-
dre sur voie ferrée. Des démarches
sont faites auprès Comité d’Argeliers
en vue obtenir renvoi à 2heures
tenue du meeting qui doit avoir lieu à
midi. S’il en est ainsi décidé, incidents
appréhendés sur voie ferrée seront
peut-être évités. Mais on est à la merci
d’une avarie de machine qui jetterait
perturbation dans graphique arrêté. »
Toujours le 24 mai, le préfet ainsi
alerté informe le ministère de l’Inté-
rieur de sa réquisition de renforts mili-
taires:
« Il est à craindre que Cie du
Midi qui ne peut expédier par heure
que 5 trains contenant chacun 1200
voyageurs, ne puisse transporter de
Narbonne à Carcassonne dans la
matinée de dimanche tous les mani-
festants et qu’il s’ensuive de graves
désordres en gare et sur la ligne. Il
m’a paru nécessaire de porter de 2 à
4 le nombre d’escadrons éventuelle-
ment requis pour concourir avec le
régiment d’infanterie de Narbonne au
maintien de l’ordre, et d’augmenter
en outre, de 3 bataillons, ce contin-
gent d’infanterie. Je viens à cet effet
d’adresser nouvelle réquisition à géné-
ral commandant corps d’armée. »
Le 25, à la veille de la manifestation, le
commissaire de Carcassonne actua-
lise ses informations:
« La ville de Car-
cassonne se prépare à faire à ses
hôtes d’un jour une réception inou-
bliable »,
les maisons et établisse-
ments publics sont pavoisés, et une
affluence énorme est attendue.
continue à prêter aux manifestants
des villages intention de prendre trains
sans billet, ce qui pourrait provoquer
incidents sur lignes ferrées. La plupart
des chefs de station fermeront les
yeux. Des incidents sont également à
craindre après la dislocation en gare
de Carcassonne où l’affluence sera
énorme. »
Le dimanche 26, depuis la gare de
Narbonne, le commissaire spécial
informe par télégramme le préfet et
l’Intérieur. 7h50:
« Depuis 2h du
matin jusqu’à 7 h, passé en gare 17
trains manifestants tous très surchar-
gés; pendant stationnement pas un
cri, calme complet, discipline absolue,
ordre admirable de la part de la Cie
et des manifestants, le meeting ayant
été reporté de midi à 2h on pourra
enlever tous les voyageurs au besoin
on arrêterait circulation pour utiliser
[ Vin et chemin de fer ]
Cet arc de triomphe
avait été
soigneusement
pavoisé et décoré
sous l’emblème
de la Justice.
Archives de l’Aude/DR
Octobre 2013
Historail
De ces diverses subventions munici-
pales aux manifestants, l’Intérieur qui
en a eu connaissance, s’est ému,
interpellant le 15 juin le préfet de
l’Aude : a-t-il bien approuvé l’une de
ces subventions d’un montant de
5000fr. ? Non, dément-il, mais il peut
préciser que si des communes de son
département ont voté pour cet objet
des subventions globales s’élevant à
34423fr., il n’a
« approuvé leurs déli-
bérations que jusqu’à concurrence de
22272fr. ».
Une autre facilité sera offerte aux
manifestants audois de se rendre à
bon compte à Montpellier, la prise en
charge des frais par certains indus-
triels et commerçants concernés par la
crise. Ainsi
Le Petit Méridional
4juin détaille les premiers souscrip-
teurs : outre 5000fr. votés par la Ville
de Carcassonne, la Société Méridio-
nale des Wagons-Foudres (500 fr.),
ses dirigeants (450 fr.) et son person-
nel (50 fr.) ; les Docks de Carcassonne
(500 fr.), le Comptoir Industriel et
Commercial du Midi (250 fr.), l’entre-
preneur de transports et groupages
Vassal, les Wagons-Foudres et Grou-
pages Mitjaville, jusqu’au Syndicat
professionnel agricole de l’Aude
(50fr.) et au Syndicat des Patrons
coiffeurs carcassonnais (40 fr.) !
Nîmes, Montpellier :
un service d’ordre militaire
de plus en plus consistant
Le 2 juin, à Nîmes, nombreux sont
parmi les 250000 manifestants ceux
nouveaux venus de l’Ardèche, des
Bouches-du-Rhône, du Var et du Vau-
cluse. Des bataillons d’infanterie
avaient été réquisitionnés pour assurer
le maintien de l’ordre dès le samedi
après-midi aux abords des grandes
gares. Dans la cour de la gare de Per-
pignan, en soirée, une bagarre
oppose 1500 manifestants à 60 gen-
darmes et 300 coloniaux voulant les
empêcher de partir sans billets,
l’échauffourée dégénérant en vio-
lences : vitres de la gare lapidées,
6coloniaux blessés, menaces de
représailles à la baïonnette…
Une fois la manifestation passée, le
préfet de l’Aude se félicite du concours
des gendarmes étrangers au départe-
ment,
« préférant leur intervention à
celle des troupes d’infanterie et de
cavalerie en très grande partie com-
posées d’éléments appartenant à la
région »,
jugeant nécessaire de réqui-
sitionner toutefois un bataillon.
Le dimanche 9 juin, 300 trains étant
mobilisés, Montpellier va donc accueil-
lir 600 000 manifestants ! La machine
ferroviaire est bien huilée, comme l’in-
diquent les télégrammes expédiés en
haut lieu par le sous-préfet ou le com-
missaire spécial de Narbonne :
« Depuis 4 h du matin, trains spéciaux
se succèdent de quart d’heure en
quart d’heure dans la direction de
Montpellier ; la circulation s’effectue
normalement en suivant les horaires
déterminés ; aucun accident sur la
ligne ; dans la traversée gare Nar-
bonne, manifestants conservent
calme ; mesures d’ordre ont été prises
ainsi que dans certaines gares de l’ar-
rondissement. »
C’est à partir de la soirée, à Narbonne,
que de graves incidents, d’ordre stric-
tement militaire, se déroulent pendant
trois jours dans la caserne abritant le
Régiment d’infanterie de ligne.
Consignés dans leurs casernements,
comme tous les dimanches depuis le
début des meetings, quelques soldats
juchés sur un mur d’enceinte longeant
la voie ferrée, applaudissent les nom-
breux trains revenant de Montpellier.
Ils sont sommés en vain par des sous-
officiers de quitter leur observatoire, et
une vive bagarre s’ensuit, l’arrivée tar-
dive d’un colonel assurant le retour de
l’ordre.
Ces tensions présentes aussi dans les
casernes à Montpellier et à Perpignan,
où les hommes de troupe conscrits
manifestent leur sympathie avec la
société vigneronne locale dont ils sont
largement issus, motivent leur trans-
fert, pour les éloigner de ces manifes-
tations.
Le recours ultime
à l’intervention judiciaire
et militaire
Montpellier constituait la dernière
manifestation avant le passage à l’ac-
tion, suivant l’expiration de l’ultima-
tum lancé aux pouvoirs publics, fixée
au lundi : démission de toutes les
municipalités, motivée par l’inertie et
la mauvaise volonté des pouvoirs
publics à l’égard de la viticulture, inca-
pables d’enrayer les fraudes et indif-
férents à l’égard de la misère des
vignerons Midi.
Le mouvement des vignerons connaît
alors un tournant décisif. Les
annonces de ces démissions se suc-
[ Vin et chemin de fer ]
Archives de l’Aude/DR
Des manifestants
venus en charrettes,
elles-mêmes
pavoisées.
60-
Historail
Octobre 2013
DOSSIER
L
e rail joua un rôle majeur dans le
développement de la viticulture de
masse dans les quatre départements
viticoles du Languedoc et du Rous-
sillon: Gard, Hérault, Aude et Pyré-
nées-Orientales. Le tournant se situe
au milieu des années 1850. De fait,
au milieu du
XIX
siècle, l’Hérault res-
tait un département céréalier même si
la superficie de son vignoble était
passée de 96000ha en 1828 à
174000ha en 1850. Il fallut attendre
le Second Empire et le début de la
Troisième République pour voir le
vignoble s’étendre tandis que les
autres cultures reculaient: la vigne
devint alors une monoculture. Deux
causes expliquent ce phénomène:
d’une part, le développement de la
demande sous l’effet de l’urbanisa-
tion et de l’augmentation du revenu
moyen provoqué par la croissance
économique; d’autre part, l’extension
du réseau ferré. Le chemin de fer, en
rendant les transports plus rapides,
plus sûrs et plus économiques, per-
mit en effet une large diffusion des
vins – naguère distillés – dans les
régions de consommation, principa-
lement Paris, le Nord, l’Est et le Cen-
tre
. Réciproquement, les méridionaux
pouvaient recevoir à meilleur compte
les biens fabriqués ailleurs et les den-
rées, le blé en particulier, qu’ils ne pro-
duisaient plus. Au négoce des alcools,
source de la prospérité du Bas-Lan-
guedoc – et notamment du Biterrois –
depuis la mise en eau du Canal du
Midi en 1681, succéda donc le com-
merce des vins. Celui-ci trouva dans
le chemin de fer un indispensable outil
pour conquérir un marché désormais
national.
Un réseau mixte
de voies d’intérêt général
et d’intérêt local
À son apogée, le réseau ferré des
quatre départements viticoles du Lan-
guedoc-Roussillon, partagé entre le
PLM et le Midi de part et d’autre de
Sète, se structurait autour de l’axe
Tarascon-Sète-Bordeaux achevé en
1858 avec son embranchement Nar-
bonne-Perpignan-Cerbère. Deux
radiales sud-nord, Nîmes-Clermont-
Ferrand et Béziers-Neussargues,
offraient – sur le papier tout au
moins– une relation directe avec Paris
par le Massif Central, tout en drainant
les vins produits autour des gares des-
servies dans le Gard et l’Hérault. Enfin,
un faisceau de lignes «secondaires»
sillonnait le vignoble: Nîmes-Le Grau-
du-Roi, Nîmes-Sommières-Montpellier,
Montpellier-Paulhan-Bédarieux,
(Béziers)-Vias-Lodève, (Béziers)-Colom-
biers-Quarante-Cruzy, Narbonne-Bize,
Moux-Caunes-Minervois, Carcas-
sonne-Quillan-Rivesaltes, etc. À cet
ensemble de lignes d’intérêt général
s’ajoutaient des lignes d’intérêt local à
voie normale dans l’Hérault et dans
les Pyrénées-Orientales, ces dernières
exploitées par une filiale de la Com-
Rail et trafic viticole entre Saint-Chinian
et Béziers : un commerce très actif
Le terminus de
Saint-Chinian avant
1914. Sur la droite,
le quai adopté par
le négoce des vins
pour remplir les
wagons-foudres et
charger les futailles
(et plus tard les
conteneurs-
citernes). Au fond,
la remise à
machines et le
beffroi-réservoir.
métalliques contraignirent à limiter
la charge par essieu à 11 tonnes,
mesure qui écarta de nombreux
wagons –notamment réservoirs – au
fur et à mesure de l’augmentation de
leur capacité. En 1932-1934, la pose
de barres de 30kg et le renforcement
des ouvrages permirent d’admettre
les essieux chargés à 16 tonnes sur
Saint-Chinian et Colombiers, poids
porté à 20 tonnes en 1963-1967,
après révision générale de la voie.
Handicap tarifaire en second lieu: la
taxation
scindée
des envois de/pour
les grands réseaux – c’est-à-dire addi-
tionnant les taxes prélevées par
chaque administration – majorait le
prix global de ou pour une gare
Hérault. Le problème se posait avec
acuité pour les vins, soit environ le
tiers du tonnage des CFH. L’exemple
de l’expédition d’une tonne de vin en
fûts deSaint-Chinian à Paris-Bercy en
1934 le démontre aisément. La taxe
se montait à 195,78fr. dont 21,03fr.
pour les CFH et 174,75fr. pour les
réseaux Midi et PLM alors que ce
même transport au départ de la gare
de Puisserguier, sur la ligne du Midi
de Colombiers à Quarante-Cruzy, coû-
tait seulement 186,90 fr., soit une
réduction de 8,88 fr. par tonne. Cette
différence, qui désavantageait les
négociants desservis par «l’Hérault»
au profit de leurs confrères installés
sur une
«grande»
ligne, poussait de
nombreux expéditeurs, souvent à la
demande de leurs clients, à utiliser la
gare Midi ou PLM la plus proche, solu-
tion facilitée par l’imbrication des
réseaux et, après 1918, par le déve-
loppement des transports routiers.
Le remède résidait dans l’application
d’un tarif commun aux CFH et aux
grands réseaux, le tarif 6-106 pour
les boissons. Taxé de bout en bout
selon ce tarif spécial commun, le
transport précité ne coûtait plus que
174,10fr.dont 12,77fr.revenant à
l’Hérault et 148,43fr.aux grands
réseaux (le solde de 12,90fr.repré-
sentant l’impôt). Toutefois, les CFH
n’obtinrent que très difficilement et
épisodiquement leur participation au
tarif commun car cette réforme,
certes avantageuse pour le public,
entraînait pour les grands réseaux, le
Midi en particulier, une diminution
de recettes, soit 10,42fr.dans notre
exemple. Ce n’est donc qu’en 1897
que le ministre des Travaux publics
Turrel homologua le premier tarif
commun CFH/PLM portant sur les
62-
Historail
Octobre 2013
DOSSIER
Établie par la SE en
charge du réseau
de l’Hérault, cette
carte illustre bien
l’irrigation
ferroviaire de
l’Hérault viticole,
bien connecté
avec les réseaux
du Midi ou du PLM.
Doc SE/Coll. G. Ribeill
Octobre 2013
Historail
Un univers
d’embranchés
Au début du
siècle, après la crise
phylloxérique et la reconstitution du
vignoble, de très actifs centres de
négoce des vins s’épanouirent le long
de la ligne, en particulierà Cazouls,
Cessenon et Saint-Chinian.
À Cazouls, en 1908, nous relevons
sept courtiers: Aoust, Calas, Fauche-
ron, Py, Robert, Sèbe et Sénégas aux-
quels s’ajoutaient cinq négociants:
Chabbert, Omer Martel, Léon Maux,
Maynaud et Poussines. Après la pre-
mière guerre mondiale, en 1921, l’an-
nuaire téléphonique de l’Hérault
recensait 17 négociants ou courtiers
en vins. Toujours en 1921, la société
Pétrier Frères, commissionnaire en
vins à Béziers, construisit en bordure
de la gare un chai moderne, avec
cuves en béton, raccordé au chemin
de fer par deux voies en impasse
d’environ 180m de longueur. Après
la dissolution de cette société, en
1925, François Pétrier (1890-1971),
dont les bureaux se trouvaient en
face de la gare du Midi à Béziers,
conservera l’embranchement parti-
culier jusqu’en 1960. Propriétaire à
Coursan (Aude), son village natal, où
il possédait une «maison d’achat»,
ainsi que des domaines de Fouléry,
près de Servian, et de Creyssels, près
de Mèze, F.Pétrier se vit confier, en
mai 1939, la présidence du Groupe-
ment des usagers de l’intérêt local de
l’Hérault, fondé par les principaux
clients du réseau pour défendre les
CFH menacés de fermeture. La dési-
gnation d’un négociant à la tête de
ce groupement, qui siégeait dans les
locaux du Syndicat du commerce des
vins à Béziers, soulignait bien le rôle
crucial des transports ferroviaires pour
cette profession. Enfin, F.Pétrier, qui
possédait également des wagons-
réservoirs (31 en 1936), présida la
chambre de commerce de Béziers de
1960 à 1964.
À Cessenon, toujours en 1908, qua-
tre courtiers animaient la place. En
1921, d’après l’annuaire des PTT, la
localité comptait six professionnels
du commerce viticole dont deux com-
missionnaires-expéditeurs et quatre
En haut : un train venant de Saint-Chinian entre en gare de Cazouls
avant 1914 (locomotive Mallet série 201 à 204). Sur la voie de quai,
le bi-foudres 118 du loueur Boissière (qui ouvrit un embranchement
particulier à Colombiers en 1915) et, plus loin, un mono-foudre
avec pompe.
En bas : publicité des négociants Puech et Maurel à Cessenon
(in V
ignobles et vins du Midi,
n° spécial de
Grands crus et vins
de France,
décembre 1934).
Photos Coll. Ph. Marassé/DR
[ Vin et chemin de fer ]
courtiers. Dans les années 1930, deux
nouvelles entreprises liées au négoce
des vins, Maurel et Puech, s’embran-
chèrent en gare de Cessenon. C’est
en 1897 que le foudrier André Mau-
rel (1864-1937),
«descendu»
de son
Tarn natal, acheta un terrain en bor-
dure de la gare pour y créer un atelier
de foudrerie. En 1926, son fils Paul
(1896-1947), foudrier également,
obtint la pose d’une voie particulière,
greffée par plaque tournante et
longue de 30mètres, pour la récep-
tion et l’expédition des wagons-fou-
dres construits ou réparés dans son
atelier. Agrandi en 1932 (une voie en
impasse de 95m complétée par une
perpendiculaire de 18m greffée par
plaque tournante), cet embranche-
ment particulier desservit désormais
le chantier de Paul Maurelet le quai
d’embarquement de son frère
Charles (1898-1963), commission-
naire en vins depuis 1923 et exploi-
tant de wagons-réservoirs. À son
décès, sa veuve céda à Blanche Herry-
Adam, à compter du 1
janvier 1964,
le fonds de commerce et l’embran-
chement particulier. La maison Herry,
qui continua à utiliser le rail, ne ces-
sera son activité que bien après la dis-
parition de celui-ci, en 1970. Ouvert
en 1931, le deuxième embranche-
ment particulier «viticole» de Ces-
senon desservait le chai d’Auguste
Puech (une voie en impasse de 85m).
Né à Cessenon, A.Puech (1893-
1982) mena une carrière parallèle à
celle de F.Pétrier. En avril 1947, il
devint en effet secrétaire général et
représentant local du nouveau Syn-
dicat des usagers des chemins de fer
économiques de l’Hérault, héritier du
groupement de 1939. Plus récem-
ment, de 1964 à 1973, il succéda à
F.Pétrier à la tête de la chambre de
commerce de Béziers puis reçut, en
1968, la présidence de la chambre
régionale de commerce du Langue-
doc-Roussillon.
À Saint-Chinian, dès le début du
siècle, une dizaine de courtiers ou
négociants, dont certains installés près
de la gare, procédaient à d’impor-
tantes expéditions (wagons-réservoirs
et barricaille): Cauquil, Chabbert, Fré-
chinet, Hugoné, Phalippou, Salvestre,
Viste, etc. Il n’existait aucun embran-
chement particulier mais le commerce
utilisait l’ancien quai à bestiaux (100
mètres de longueur) situé de l’autre
côté des voies, en face du BV.
Au trafic remis par les négociants éta-
blis le long de la ligne s’ajoutaient les
expéditions du commerce biterrois (au
milieu du
siècle, les 4/5
des vins
traités par celui-ci échappaient en
effet aux gares de Béziers) et celles
émanant du commerce des places de
consommation.
Terminons notre tour d’horizon avec
les deux caves coopératives embran-
chées sur la voie ferrée de Saint-Chi-
nian. À Maraussan, «Les Vignerons
libres», l’une des premières caves fon-
dées dans l’Hérault, était desservie
depuis 1905 (une voie en impasse de
85m allongée en 1913)
. Avant 1914,
elle alimentait par wagons-foudres
un dépôt ouvert à Charenton (Seine).
Édifiée en 1937, la cave de Cessenon
obtint un embranchement particulier
en 1948 (une voie en impasse de
93m). Par ailleurs, après la première
guerre mondiale, des distilleries
«industrielles», lointaines héritières
des «brûleries» artisanales du
XIX
siè-
cle, apparurent pour traiter les marcs
et les excédents de production. Il exis-
tait ainsi une distillerie particulière à
Lignan et une distillerie coopérative à
Cazouls, Cessenon et Saint-Chinian.
Quelques chiffres illustrent la vitalité
du commerce des vins sur la voie fer-
rée Béziers-Saint-Chinian et le rôle
déterminant joué par le rail dans une
région à l’écart des grandes lignes. En
1946, les CFH transportèrent 74495
tonnes de vins et alcools. Sur ce total,
19298 tonnes, soit 26%, partirent
des seules gares de Cazouls, Cesse-
non et Saint-Chinian. Saint-Chinian
et Cessenon se classaient respective-
ment en deuxième et troisième posi-
tion (après Mèze) pour l’importance
de leur trafic viticole avec 8152
tonnes pour la première et 7233
tonnes pour la seconde. Très recher-
chés, les vins rouges du Saint-Chinia-
nais faisaient l’objet d’une cotation
spéciale à Bercy dès avant 1914 avant
d’entrer, en 1951, dans la famille des
vins délimités de qualité supérieure
(VDQS) puis, en 1982, dans celle
des vins AOC. Mais le rail avait alors
disparu! Tandis que la viticulture de
l’Hérault s’était reconvertie de la quan-
tité à la qualité…
Philippe Marassé
66-
Historail
Octobre 2013
DOSSIER
Page de droite :
Au début
du
siècle, deux
wagons-réservoirs
de la Société des
wagons-foudres
audois attendent
leur remplissage
sur l’embranchement
particulier de la
cave coopérative
«Les vignerons
libres de
Maraussan».
Deux wagons
de la Société des
wagons-foudres
audois attendent
leur remplissage sur
l’embranchement
de la cave
coopérative «Les
Vignerons libres».
C
’est dans les communes de Cha-
renton et de Bercy que depuis des
temps forts anciens, l’on fabriquait et
écoulait
« le vin de Paris» :
celui
écoulé dans les
« assommoirs »
des
quartiers ouvriers ou celui des guin-
guettes des barrières où le vin, ne
payant pas l’octroi, était aussi léger
que son coût. Ces vins étant achemi-
nés par la voie d’eau et à bon mar-
ché depuis la proche Basse-Bour-
gogne, depuis Auxerre par l’Yonne
puis la Seine, de nombreux mar-
chands en gros s’étaient établis
extra
le long des rives de la Seine,
leurs chais et entrepôts limitant les
incursions et contrôles intempestifs
de l’administration fiscale.
janvier 1860, l’annexion à Paris
de la commune de Bercy allait entraî-
ner un bouleversement majeur: les
vins de ces entrepôts devenus
intra
muros,
passant de l’autre côté de l’oc-
troi, sont maintenant taxés. Mais pour
mieux contrôler les grossistes, il fut
décidé de les soumettre au régime de
l’entrepôt réel,
opposé à
l’entrepôt à
domicile:
s’ils bénéficient du paiement
des droits d’octroi à la sortie de l’en-
trepôt, regroupés, ils sont bien plus
faciles à surveiller dans un lieu entiè-
rement clos dont les entrées et sor-
ties seront contrôlées par des agents
des contributions indirectes. Des murs
et grilles assurent l’isolement physique
des entrepôts, formant ainsi une
enclave coupée toutefois en deux par
68-
Historail
Octobre 2013
DOSSIER
Bercy, capitale du
Sauf mentions contraires, les photos
reproduites sont l’œuvre de Lionel
Mouraux que nous remercions pour sa
précieuse collaboration. «Berciphile»,
il a présidé la
Photothèque des jeunes
Parisiens
: créée en 2002 par des
passionnés du vieux Paris, cette
photothèque a rassemblé un fonds
de 20000 photographies, détenues en
toute propriété. À partir de ce fonds,
sa maison d’édition Parimagine
a publié une collection d’ouvrages
consacrés à chaque arrondissement,
Mémoire des rues 1900-1940.
Située
au centre de Paris, 9, rue de Mulhouse
arrondissement), elle met ses
photos à la disposition des chercheurs,
illustrateurs et auteurs.
(0145081197; www.parimagine.fr).
Extrait de l’
Annuaire du Commerce Didot-Bottin
(1924)/Coll. G. Ribeill
Photorail/DR
Ci-dessus et page
de droite :
plans détaillés des
voies ferrées et
plaques tournantes.
Ci-contre :
anciens bureaux
des Établissements
Gaud, à l’angle
de la rue de
Bordeaux,
transférés par la
suite du Grand au
Petit Bercy.
Octobre 2013
Historail
la rue de Dijon,séparant le
Grand-
Bercy
à l’ouest du
Petit-Bercy
Petit
Château
à l’est. Un bâtiment abrite la
Conservation des Entrepôts chargée
de la location, de l’entretien et de la
surveillance des locaux, un autre les
agents des
« indirectes »,
chargés de
comptabiliser les mouvements de vins
et de percevoir les taxes afférentes.
Sur ces vastes emprises d’une super-
ficie de 42 hectares, les locataires
construisent à leurs frais, risques et
périls des magasins, caves ou celliers,
petits bureaux tenus à de simples
prescriptions sur leurs alignements et
saillies, d’où le côté pittoresque de
bâtisses éclectiques qui s’y côtoient
le long de
« rues »
et de
« cours »
aux
noms de crus ronflant,
Cour Margaux,
Cour Barsac, Rue de Meursault ou
de Romanée!
Évidemment, les entrées des vins
depuis les quais de la Seine sont faci-
litées, le développement accéléré du
transport des vins en wagons-foudres
imposera en effet leur accès possible
et facilité au sein même de l’entrepôt.
Avant 1914, une voie de raccorde-
ment à forte déclivité (24mm) le relie
au faisceau de voies de la gare aux
vins voisine du PLM, rue de Bercy.
Mais un traité conclu entre la Ville de
Paris et le PLM le 31 décembre 1917
convient de l’établissement d’un
réseau complet de voies de desserte
reliées à la gare de Bercy sur la Petite
Ceinture, permettant l’acheminement
des wagons-réservoirs et wagons
chargés de bouteilles ou de fûts. Les
travaux réalisés de 1919 à 1924 abou-
tissent à l’établissement d’un quadril-
lage de 9,480km de voies; pour pal-
lier l’exiguïté extrême des rues
intérieures, 42 plaques tournantesde
4,40m à 5,20m de diamètre doivent
permettre l’accès dans toutes les par-
ties des deux Bercy (cf. deux plans);
tirés à l’origine par deschevaux,les
wagons seront déplacés dans l’entre-
deux-guerres par des tracteurs Latil
Charles Mayet, journaliste au
Temps,
a rassemblé ses articles
consacrés à la
crise viticole de 1893 et à la révolte
[ Vin et chemin de fer ]
« vin de Paris »
Extrait de l’
Annuaire du Commerce Didot-Bottin
(1924)/Coll. G. Ribeill
qui embrasa alors Montpellier. Il
explique fort bien pourquoi les mani-
festants avaient pour cible Bercy!
« Dans le défilé des 2 ou 3 mille manifes-
tants, propriétaires viticulteurs et ouvriers
des vignes, qui eut lieu devant la préfecture
de l’Hérault, à Montpellier, chaque com-
mune avait son drapeau. L’un d’eux portait
cette inscription:
«Guerre à la viticulture de
Bercy! »
C’était la réponse de la piquette
de France aux vins d’Espagne et d’autres
provenances étrangères. Le Midi visait plus
particulièrement Bercy pour ne pas trop divi-
ser la charge de son coup de fusil. Il aurait
pu écrire avec plus d’équité:
« Guerre à la
viticulture de Bercy, de Cette,
de Bordeaux, du Lyon, de l’Est etc.»
Mais
Bercy, étant le principal personnage de la
grosse cavalerie du vin, devait naturellement
servir de cible aux tireurs. Bercy alimente
Paris et les départements environnants. C’est
un énorme débouché. Avec quel vin? »
Il livre la réponse: des mélanges
savants des vins d’Espagne arrivant
par la mer jusqu’àRouen ou emprun-
tant le rail depuis le port de Sète, vins
alcoolisés
« remontant »
« forti-
fiant »
) les petits vins du Midi, le tout
fortement additionné d’eau!
Une multiplication du vin transitant
dans Bercy, digne des noces de Cana
où l’eau fut transformée en vin, tout à
fait profitable pour ces producteurs
« cru de Bercy »,
négociants
échappant facilement par mille ruses
aux divers contrôles des agents du
fisc! Alchimie connue depuis long-
temps:
« Le vin arrivé à 18° à Bercy
se vend à 7° au comptoir parisien »,
dénoncent en 1863 des viticulteurs
du Mâconnais
. Des mélanges rendus
possibles grâce à l’invention des
fou-
dres,
ces immenses réservoirs où l’on
procède aux
mélanges
– l’art de faire
par exemple un bon vin de Bordeaux
avec de seuls vins du Midi – ou aux
coupages
– l’art de marier des vins
médiocres avec des vins d’Espagne
pour en faire le très satisfaisant
de Paris »
. Foudres que viennent
remplir maintenant les wagons-fou-
dres venus du Languedoc, de Béziers,
Sète, etc., ou les péniches accostant
le quai de la Seine, venues de Rouen,
chargées de vins d’Espagne ou d’Al-
gérie.
Un déclin
programmé
En précipitant le déclin des arrivages
de ses vins, l’indépendance de l’Algé-
rie porte un coup dur à l’activité de
Bercy que l’on a pu qualifier alors de
« temple national du pinard popu-
laire »,
les vins de table Gévéor, Kiravi
et autres étant encore présents sur
toutes les tables populaires ; en 1963,
la Ville de Paris, ayant divers projets
en tête, décide de ne plus renouveler
les concessions, incitant ses locataires
à quitter les lieux.
Le démantèlementva commencer. De
1970 à 1972, les plaques tournantes
sont déposées, à l’exception de trois
desservant deux importants clients du
rail, les
Grands vins sélectionnés
des Thorins) et les
Établissements
Gouin
(rue Saint-Estèphe). La SNCF et
une entreprise sous-traitante dotée
d’une remorque porte-wagon, la
SIDIM (Société Industrielle et de Dis-
tribution de Matériel), se relaient pour
assurer les acheminements à
demeure. Alors qu’en 1972, la SNCF
et la SIDIM ont convoyé respective-
ment 2577 et 1330 wagons, ils ne
72-
Historail
Octobre 2013
DOSSIER
Bercy, source d’inspirations variées
L’atmosphère typée de Bercy qui rassemble des
personnages, des métiers et des constructions fort
insolites, a inspiré caricaturistes (Daumier sous la
Monarchie de juillet), chansonniers, peintres,
photographes (Atget en 1913), cinéastes et écrivains.
Entre deux guerres, citons Victor Drouin, Octave
Charpentier,
Bercy, le «Cellier du monde»,
Éditions La
Caravelle, 1928, illustré par P.Baudier; Alban Aribaud,
Le Dieu de Pourpre et d’Or,
Éditions La Caravelle, 1939. Et devenu au fil de son déclin « village impressionniste »,
Bercy a suscité peu avant sa disparition, deux livres mêlant études historiques et
reportages photographiques, empreints de nostalgie: Jacques Champeix, Lionel
Mouraux,
Bercy. Les entrepôts. Le village de Bercy,
Éditions L.M., Charenton-le-Pont,
1989, 139 p. (épuisé) ; Lionel Mouraux,
Bercy au fil du temps,
Le Point. Parimagine,
Dessins de P. Baudier extrait de
Bercy, le Cellier
du monde et couverture du livre de Lionel Mouraux.
Octobre 2013
Historail
[ Vin et chemin de fer ]
Plus anciennes et plus modestes,
les Halles aux vins, quai Saint-Bernard, elles aussi, étaient embranchées
La création
intra muros
de Halles aux vins le long du quai Saint-Bernard, décidée par Napoléon par un décret du 30 mai
1808, conduira à la construction rationnelle de 1811 à 1818, d’un enclos de 12 hectares divisé en 8 quartiers, abritant
bureaux et celliers loués à la Ville de Paris. Tout comme l’entrepôt de Bercy, la Halle aux vins de Saint-Bernard sera rattachée
au réseau d’Orléans, depuis la gare d’Ivry-Marchandises, par une voie traversant la place Valhubert, longeant le quai avant
de bifurquer vers l’enclos et de s’engouffrer derrière les grilles.
Extrait de l’
Annuaire du Commerce Didot-Bottin
(1924)/Coll. G. Ribeill
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Historail
Octobre 2013
DOSSIER
I
lest tout à fait remarquable qu’aux
extrémités de la ligne constitutive
de la Compagnie du Midi achevée en
1857, les deux villes portuaires de
Bordeaux et Sète, étroitement liées
au commerce des vins de leur hinter-
land, aient connu des destins aussi
diamétralement opposés. Durant la
crise phylloxérique, les deux ports
importeront des vins venus des ports
basques et cantalabres, catalans et
andalous. Si leur trafic portuaire est
sans commune mesure, du point de
vue de la Compagnie du Midi, durant
les décennies 1860-70, Sète est au
premier rang de ses gares pour les
recettes de son trafic de marchan-
dises PV, devançant Bordeaux et Tou-
louse
. Certes le négoce des deux
ports, quoiqu’orienté vers des vins
issus de mélanges, traite de qualités
opposées: vins fins d’un côté, vins de
consommation courante de l’autre.
Mais à ces deux images contrastées,
correspondent aussi une histoire et
une géographie ferroviaires fort dif-
férentes.
Le Bordelais orienté
vers la voie d’eau
Même si, sous le Second Empire, le
rail fit tourner les yeux des proprié-
taires et marchands de vins de la
Gironde vers Paris, atteint de bout en
bout en 1853
, canal des Deux-Mers,
Garonne, Dordogne, estuaire de la
Gironde demeurent les voies privilé-
giés pour le trafic de vins, écoulés par
mer à l’étranger ou sur les côtes fran-
çaises par cabotage. On sait que la
Compagnie du Midi s’empressa d’ob-
tenir la concession du canal du Midi
pour l’étouffer et rabattre son trafic
sur son artère parallèle. Et si l’assem-
blage de vins nécessaires pour faire
un bon Bordeaux s’alimente en
« vins
teinturiers »
c’est encore par la voie
d’eau, par le Lot ou la Dordogne, dont
le port de Libourne, à son débouché
dans la Gironde va profiter, en deve-
nant un important centre de négoce.
Ainsi peut s’expliquer le divorce relatif
entre le rail et les domaines viticoles de
la Gironde. Si les
« châteaux »
que l’on
exhibe sur les étiquettes des bouteilles
et les en-têtes du courriersont entou-
résde vignes, nulle trace visible de voie
ferrée qui altérerait l’image aristocra-
tique que les propriétaires tiennent à
conférer à leurs domaines! Inverse-
ment aux négociants du Midi langue-
docien soulignant plutôt la commodité
qu’offre à leur clientèle leur proximité
avec le canal du Midi ou la voie ferrée
(voir ci-dessus p.40-41).
Bordeaux, Sète : deux situations contrastées
Ci-dessous:
à proximité du riche
vignoble de Saint-
Émilion, Libourne
fut dotée par le PO
d’une importante
gare qui accapara
vite son trafic fluvial.
Ci-contre :
déchargement
de vin pour
l’intendance
maritime à
Bordeaux en 1952.
Page de droite de
gauche à droite :
Une vue des quais
de Bordeaux.
Wagons, tramways
et «camions»
attelés se partagent
les quais de la rade
de Bordeaux.
Octobre 2013
Historail
[ Vin et chemin de fer ]
L. Maurice/Photorail
52 fr. la tonne, dont 28,50 fr. au
PLM. De quoi évidemment susciter
les protestations des producteurs de
vin du Midi, le transport de Sète à
Paris leur étant facturé 39,70fr. par le
même PLM! À quoi répondaient la
Chambre de commerce de Sète et le
ministre des Travaux publics ayant
agréé ce tarif, en invoquant les vertus
de ce tarif enlevant au pavillon étran-
ger un tonnage important
. De
même, alliée au PLM, Sète assuma
un rôle important dans le transit des
vins d’Espagne vers l’Allemagne et
la Suisse, auquel le port de Gênes
pouvait aussi prétendre.
Sète profita enfin de la concurrence
apparue depuis 1880 des vins de l’Al-
gérie qui avait accueilli bon nombre
de
« naufragés du phylloxéra »
bénéficiant d’atouts économiques:
main-d’œuvre indigène très bon mar-
ché, vendanges précoces, impôts insi-
gnifiants… Ces vins de degré élevé
étaient mélangés opportunément
avec les vins légers mais abondants
fournis par l’aramon des plaines lan-
guedociennes,
« l’équilibre alcoolique
entre ces vins se rétablissant dans le
port de Sète »
, selon cette jolie for-
mule. L’importation accélérée des vins
d’Algérie entre les deux guerres
conforta encore le rôle du port
accueillant le premier
« pinardier »
1935, dans sa vocation de fabrica-
tion de vins en tous genres, ver-
mouths et mistelles, vins d’imitation
« façon Bordeaux »
« Bordeaux
fantaisie »…,
vins de table surtout.
Revendiquant d’être le
« premier port
à vins du monde »
Sète, grâce au
savoir-faire des maisons de négoce,
à leur
« art »
de mélanger vins lan-
guedociens, espagnols, italiens, grecs
ou algériens, pouvait être qualifiée
en 1920 de
« laboratoire d’exporta-
tion [des vins] le mieux situé qui soit
au monde »
Georges Ribeill
1. En 1879, les recettes respectives sont
de 8,7, 7,3 et 2,7millions de francs.
2. Philippe Roudié,
Vignobles et vignerons
du Bordelais (1850-1980),
2
e
éd., Presses
universitaires de Bordeaux, 1994, p.75,
127, 179.
3. J.-F. Massicot,
La Compagnie de
chemin de fer du Médoc, 1864-1911,
Université de Bordeaux, 1984-1985;
Lucien Chanuc, Patrice Durbain,
Les trains
du Médoc,
Les Éditions du Cabri, 2005;
Patrice Durbain,
Le chemin de fer de
l’Entre-deux-Mers,
CLEM, Camiac, 1998.
4. Bruno Marnot,
Le refus du déclin, le
port de Bordeaux au
XIX
e
siècle,
Presses
universitaires de Bordeaux, 2012, p. 224.
5. A. Picard,
op. cit.,
p. 848-849; Jean-
Louis Cazalet,
Cette et son commerce
des vins, de 1666 à 1920. Essai d’histoire
économique,
Montpellier, 1920,
p. 227-228.
6. M. Lachiver,
op. cit.,
p. 442-444.
7. Jean Sagnes,
Histoire de Sète,
Privat,
1991, p. 215 et sq., p. 233.
8. Jean-Louis Cazalet, op. cit., p. 324-325.
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[ Vin et chemin de fer ]
En haut : le pont
de la gare de Cette.
Ci-dessus : quai
de la République
à Cette.
80-
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DOSSIER
Le jeudi 4 mars 1976, les viticulteurs en colère bloquent
la voie ferrée de la ligne de Toulouse à Narbonne,
à hauteur du pont routier de Montredon qui l’enjambe,
sept décennies après le blocage de la gare tout proche
en amont de Marcorignan. Mais à la différence de la
manifestation pacifique de 1907, en 1976, alors qu’un
train de marchandises bloqué est en partie incendié,
l’affrontement avec les CRS dégénère en un échange
meurtrier de coups de feu.
Qui se souvient des manifestations viticoles du
Languedoc durant les années 1970? Celle du pont
de Montredon-des-Corbières se soldera par deux morts,
le commandant de la CRS n°26 de Toulouse, Joël Le Goff,
et un viticulteur d’Arquettes-en-Val, Émile Pouytès, ainsi
qu’une trentaine de blessés par balles et chevrotines.
Voulant
« vivre et travailler au pays »,
le monde occitan
luttait pour sa survie, s’opposant à la volonté du pouvoir
central vouant sa région au tourisme de l’Europe
du Nord. Les viticulteurs dénonçaient la fraude
des marchands de pinard, les importations de vins
d’Italie, les règlements européens et déjà la
mondialisation. Curieusement, malgré toutes ces victimes,
aucune personne ne sera condamnée, : la volonté sociale
d’apaisement l’emportant sur tout autre considération
plus politique.
Dans un livre à paraître, Alain Crosnier, ancien officier
des CRS, raconte par le menu détail l’embuscade tragique
de Montredon. L’auteur a mené patiemment une
enquête minutieuse. Consultant de multiples fonds
d’archives, recueillant les témoignages de nombreux
acteurs impliqués dans cette affaire d’État, il apportera
ainsi un éclairage inédit. Il nous livre ici en avant-
première les résultats de l’enquête qu’il a consacrée
au blocage du train de Montredon
Dans un journal satirique paraissant le mercredi, Jacques Lamalle
évoquait le 17 mars 1976 le point suivant:
« Le train qui fut
arrêté et incendié par les viticulteurs au pont de Montredon
n’aurait jamais dû arriver là. Le chef de gare de Narbonne qui
était au courant des événements, avait suspendu tout trafic. Un
ordre contraire a provoqué le drame: les CRS ont reçu l’ordre de
dégager à la fois le pont de Montredon et de protéger le train.
Cet ordre a été donné depuis Montpellier. Par qui? »
Quelques kilomètres de voies ferrées séparent Marcorignan de Montredon :
un site voué aux révoltes des vignerons ?
Photo ci-dessus : après avoir
fait sauter à l’explosif
le boîtier de commande
du sémaphore, d’autres
viticulteurs mettent le feu
à deux wagons situés
à l’arrière du convoi.
J.-C. Delmas/grand reporter à l’Agence France-Presse/DR
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Historail
[ Vin et chemin de fer ]
À la lecture des livres que deux journalistes ont consacré à l’évé-
nement en évoquant bien la SNCF,
Le vin de la colère
de Pierre
Bosc (Éditions Galilée, 1976, p.177) et
Montredon, les vendanges
du désespoir
de Bernard Revel (Loubatières, 1996, p.248), on
constate une nouvelle fois que la machine dissimule l’être
humain. À aucun moment, on ne parle des hommes ni de la
chaîne hiérarchique. La SNCF à l’époque des faits ne communi-
quait pas sur ce type d’incident: nulle trace de ce tragique évé-
nement au Centre des Archives Historiques de la SNCF duMans
ou dans La Vie du Rail.
Vaine jusqu’à ce jour s’est avérée notamment la recherche de
quatre pièces concernant le train n°65806 circulant sur la Voie 2
de la ligne Sète-Bordeaux: le graphique de commande du train,
le rapport du dépôt de Narbonne, le rapport d’incident et le bul-
letin de traction. Par contre, les rencontres avec les responsables
présents le jeudi 4 mars au PC de Montpellier et à la gare de Nar-
bonne, ainsi qu’avec le conducteur du train de marchandises,
permettent de préciser le volet ferroviaire des incidents.
Des viticulteurs s’étaient emparés d’une pelle mécanique Yumbo
de couleur rouge, « empruntée » à l’entreprise de travaux
publics Colas active sur un chantier voisin sur la Nationale 113. Le
« conducteur manifestant » s’était montré particulièrement
habile dans la conduite de cet engin. Il arracha une centaine de
mètres de voie. Portant un passe-montagne et des lunettes
noires, vêtu d’une veste à carreaux et d’un pantalon gris, il ne
sera jamais identifié. Le patron du relais de Montredon, situé à
proximité des voies, plus connu sous le nom de son propriétaire
Le Valverde, à la demande
de plusieurs individus, télé-
phona à la SNCF pour l’infor-
mer que la voie était coupée.
Venons-en au train. Le
conducteur et l’aide-conduc-
teur avaient pris leur service
à 12h50 à la gare de Narbonne. Son train de marchandises
n°65806 devait rejoindre le triage de Saint-Jory, au nord-ouest
de Toulouse. À 13h35, en gare de Narbonne ou poste N°2? le
conducteur du train de marchandises circulant à bord de la loco-
motive électrique 2D2 5508 du dépôt de Toulouse avait reçu l’or-
dre ou avis? écrit, signé de l’agent-circulation ou aiguilleur?
d’observer une marche prudente entre Narbonne et Marcori-
gnan. Quittant la gare de Narbonne à 13h40, il conduit son
convoi entre 25 et 30km/h, ce qui correspond à l’allure de la
marche à vue imposée, avant de trouver le disque de pleine voie
fermé indiquant que le canton était fermé par un obstacle. Après
avoir « vigilé » ce disque, il a continué sa marche à vue. Environ
300 mètres avant d’arriver au pont de Montredon, dans une
courbe de la voie, il est arrivé à la hauteur du sémaphore de
contournement qui était fermé lui aussi. S’agissant d’un signal
infranchissable, il a donc arrêté son convoi. Il s’est alors aperçu
que le pont de Montredon était noir de monde. Il a entendu des
détonations qui lui semblaient provenir de pétards tirés sur la
route. Comprenant qu’il faisait face à la manifestation de viti-
culteurs, il a laissé son aide-conducteur dans la machine, il est
allé donner l’alerte en téléphonant au régulateur de Montpellier
d’un poste de pleine voie situé vers l’arrière de son convoi, afin
qu’il fasse arrêter le trafic sur la voie opposée, V1.
Comme il revenait vers sa machine, auprès de laquelle le régula-
teur lui avait dit de rester jusqu’à ce qu’il soit pris en remorque
par une machine qui devait ramener le convoi à Narbonne, il a
remarqué plusieurs hommes en train de regarder les wagons. Il
est passé devant eux sans s’arrêter. Ils ne l’ont pas interpellé.
Quand il est arrivé dans la cabine de sa locomotive, son aide-
conducteur lui a dit que les manifestants venaient de faire sau-
ter à l’explosif l’armoire des relais du sémaphore devant la
machine et qu’il avait eu bien peur. Mettant pied à terre, les
deux agents sont restés sur la voie, au pied du remblai, près de
la locomotive.
Deux hommes venant des vignes sont venus auprès d’eux et leur
ont demandé s’ils transportaient du vin. Comme ils l’ignoraient,
les manifestants lui ont dit qu’ils allaient s’en assurer. À ce même
moment, six à sept hommes venant de la direction du pont sont
arrivés, portant des bidons sous le bras. L’un d’entre eux est
monté dans la cabine de la locomotive. Comme le conducteur
l’interpellait en lui disant qu’il n’avait rien à y faire, il lui a
répondu:
« Nous allons l’incendier et la faire sauter, partez le
plus vite possible ».
Effrayés, les deux agents sont partis à pied
en direction de la route, en montant le talus et traversant une
vigne. Arrivés sur la route, ils ont constaté que le convoi brûlait.
Les manifestants que le conducteur a pu apercevoir auprès de
son convoi n’étaient pas armés. Ils étaient cependant très excités.
La plupart étaient vêtus de leur bleu de chauffe, genre treillis de
travail, un ou deux parmi eux portant un collier de barbe.
« Notre préoccupation principale
, raconte le conducteur,
était de
partir au plus vite, loin de cette manifestation; d’autre part, por-
teur de mon sac de travail, je craignais d’être pris par les CRS
pour un manifestant. Nous étions sur la route, marchant en
direction de Narbonne, lorsque nous avons entendu des coups
de feu. Nous étions très loin
du pont de Montredon, ce
qui fait que nous n’avons rien
vu des événements et de la
fusillade proprement dite.
« Vers 17h15, quand nous
avons constaté que la mani-
festation était terminée,
nous sommes revenus vers notre locomotive où nous avions
oublié nos vestes. Celles-ci avaient disparu. Après avoir serré les
trois derniers freins à vis des wagons et mis des cales sous les
roues de la machine, je suis reparti avec mon aide au dépôt de
Narbonne. »
Quant à l’aide-conducteur, il observa lorsqu’il était seul à bord
du train, trois ou quatre hommes vêtus en kaki avaient rejoint la
voie depuis le pont de Montredon. Ils se sont arrêtés devant la
boîte du sémaphore, l’ont fracturée puis fait sauter à l’explosif.
Abaissé à l’intérieur de la cabine pour se protéger des éclats,
l’aide-conducteur n’a pas vu d’hommes armés à ce moment-là.
Au départ de Narbonne, le conducteur du train était bien
informé de cette manifestation de viticulteurs, et que cela pou-
vait très mal se passer.
De retour en gare de Narbonne, les deux agents rejoindront en
taxi la gare de Carcassonne, empruntant de là le rapide 472,
pour arriver enfin à Toulouse à 23h44, leur service prenant fin à
23h49.
Quelques mois après, le 7 juillet 1976, le conducteur de route
conduira son « dernier train » à la gare de Matabiau.
À cette époque, les voies et le matériel de la SNCF, confondue
avec son État-patron, constituaient l’une des cibles privilégiées
des viticulteurs en lutte.
Alain Crosnier
1 Naturellement, Alain Crosnier est toujours à la recherche de
témoignages ou documents inédits qui pourraient enrichir son enquête.
Prière de contacter la rédaction.
« Nous allons incendier la locomotive
et la faire sauter, partez
le plus vite possible ».
L
orsque la SNCF fondée en 1938 est assujettie à rétablir à court
terme l’équilibre de ses comptes, toute popularisation de son
image de transporteur public est bienvenue, en rappelant par exem-
ple son invitation à la découverte touristique de la France par les
Français eux-mêmes. Un produit dans lequel, depuis les fameux bil-
lets de congés payés décidés par le gouvernement du Front populaire
en 1936, les chemins de fer ont une carte-maîtresse à jouer !
En bonne stratégie de marketing, dirait-on aujourd’hui, communiquer
directement avec les enfants sur ce thème facile à imager, n’est-ce pas
un détour possible et pertinent pour faire passer un message com-
mercial qui vise leurs parents et familles ? C’est ce que suggère l’édi-
tion avant-guerre par la SNCF d’un
Album des beaux voyages,
inspiré
des premiers catalogues d’images à coller dans des albums, lancés par
quelques marques célèbres de chocolat, françaises ou suisses…
L’album de 24 pages est composé de 10 planches de 10 vignettes
chacune, joliment gravées : aux côtés de 8 consacrées à la visite des
provinces françaises, une planche est dédiée aux châteaux de la Loire
et une dernière aux
« machines, autorails et voitures »…
Pédagogique aussi, une carte géographique des distances qui sépa-
rent les principales villes desservies par le rail doit permettre de répon-
dre à la question :
« Savez-vous à combien de km vous êtes de Paris ?
de Brest ? etc… »
Mais après ce parcours de la France en belles images, la dernière
page traite la question des tarifs, rappelant les six types de billets à prix
réduits que propose la SNCF ; visant spécialement les enfants, une
réduction de 75 % est offerte pour les trains de colonies de vacances
et de promenades d’enfants, incluant dans les deux cas un groupe
minimum de 10 enfants et autant d’accompagnateurs que de
dizaines d’enfants.
Reste à comprendre comment furent distribués cet album et ses 100
vignettes, qui ne semble pas avoir pas connu la popularité des albums
des chocolatiers évoqués ci-dessus. La réponse se trouve dans
l’introduction de l’album :
« Offert par la Société Nationale des Chemins de fer français, vous col-
lerez les belles vignettes que vos professeurs remettront aux plus
sages, aux plus assidus, aux plus zélés et aux plus travailleurs ».
images qui
« feront naître chez vous le désir d’aller, avec vos parents,
visiter toutes les provinces de notre belle France. »
Le message
intéressé est clairement explicité ! Mais sorti d’une imprimerie de
Vaugirard en 1939, on comprend aussi que cet album n’ait pu être
largement diffusé à la rentrée scolaire, où le temps n’était plus oppor-
tun de rêver aux provinces paisibles d’une France désormais engagée
dans une guerre !
Georges Ribeill
82-
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Octobre 2013
CURIOSITÉ
Un album
de vignettes
de la SNCF
pour faire rêver
les enfants
de beaux voyages
en France
Coll. G. Ribeill
Coll. G. Ribeill
84-
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BONNES FEUILLES
L
es informations et images présentées dans les pages qui suivent
sont inhabituelles et non traditionnelles: ce ne sont pas des trains
en ligne, avec la locomotive en tête, cheminée en avant pour les
locomotives à vapeur, dans une grande gare ou un paysage renommé
et évocateur de vacances, sous un beau soleil avec un ciel nuageux
et moutonné, ou encore des locomotives au dépôt; mais des trains
«mineurs» qui ahanent dans leur lieu secret, restreint, limité et
confiné, souvent dans les arrière-cours, sous des trémies, sous terre,
sous des planchers de coulée, dans des ambiances obscures, parfois
poussiéreuses et sales, voire dangereuses du fait des gaz toxiques
ou explosifs, des produits chauds ou en fusion qui sont manuten-
tionnés sur des wagons spéciaux.
Ainsi, les locomotives et locotracteurs qui sont présentés et illustrés
dans cet ouvrage œuvrent laborieusement, serviteurs obscurs, parfois
méprisés et longtemps totalement oubliés. Et pourtant c’est grâce à
eux que les matières premières, les produits semi-finis passent de
mines en usines et que les produits finis arrivent aux consomma-
teurs finaux en alimentant au passage les flux circulant sur les voies
des grands réseaux ferroviaires. Comment vouloir comprendre, par
exemple, la logique des flux de marchandises de l’artère Nord-Est, des
réseaux de la Lorraine, de Rhône-Alpes, de la Normandie, sans s’in-
téresser aux besoins et aux productions des différentes usines, mines,
ports et industries qui en jalonnent ces axes. Ces locomotives vont et
viennent avec des coupes de wagons, elles poussent, refoulent, tirent,
patinent, raclent, renâclent ou stationnent. La machine se trouvant
tantôt en tête, en queue, ou parfois au milieu de la rame, ou sur
une voie parallèle, quand ce ne sont pas des cabestans ou des treuils
qui la suppléent. Les vues proposées reflètent cette réalité et sont
donc complètement antinomiques par rapport à l’académisme habi-
tuel, parfois monotone et répétitif que nous valent les vues de grands
réseaux dans de nombreuses publications. Je remercie ici Didier Leroy
et Philippe Feunteun d’avoir su convaincre les Éditions La Vie du Rail
de sortir cet ouvrage un peu hors des sentiers battus. […]
Pour tous les chemins de fer industriels ayant une interface ou leur ori-
gine avec une gare des grands réseaux nationaux, Bernard Collardey
a eu la lourde tâche de faire la revue de leur épopée, depuis les ori-
gines jusqu’à nos jours, et de montrer comment la localisation des
mines et des usines a pu influer sur la construction du réseau français,
ou, à l’inverse, la construction d’usines a été déterminée parfois par
la possibilité des débouchés ferroviaires, et comment ces mêmes
mines et usines ont vu leur prospérité arriver grâce à leur raccorde-
ment au réseau général. Bernard Collardey passe en revue l’histoire
passionnante des différents bassins industriels français et retrace avec
une très grande précision les dates et lieux de leur création, leur
développement, mais aussi leurs heurts et malheurs à l’occasion des
conflits ou de la régression économique. […]
Patrick Étiévant
Un ouvrage de 192 pages au format 24cm x 32cm.
En vente à la boutique de
La Vie du Rail
(gare Saint-Lazare,
13, rue d’Amsterdam, Paris 75008) ou par correspondance
(La Vie du Rail, BP 30657, 59061 Roubaix Cedex 1)
ou sur www.boutiquedelaviedurail.com.
Réf.: 110 277. Prix: 55
(+ 7
de frais de port).
Les Chemins de fer industriels
Précieux témoins de l’activité économique
française passée et présente, les chemins de
fer industriels sont pourtant trop peu souvent
abordés par l’édition ferroviaire.
Rédigé par Patrick Étiévant, éminent
spécialiste de la question, et Bernard
Collardey, qui a traité des connexions
de ces chemins de fer avec les réseaux
nationaux, cet ouvrage, qui vise l’exhaustivité,
leur rend un passionnant hommage, région
par région, site par site.
Octobre 2013
Historail
En haut: l’usine de la Société métallurgique de Normandie (SMN) à Mondeville (Calvados) utilisait
des locomotives Schneider, telle la 030 T n°34. Appartenant au type 119, construite au Creusot
en 1921, elle est ici dominée par les cowpers des hauts fourneaux et à droite par les cheminées
des fours Martins. (RDFT)
En bas: le PAD (Port autonome de Dunkerque) est doté d’un terminal minéralier à Gravelines (Nord).
Les rames de wagons sont chargées en minerai avec des 040 DE de CFTA/Veolia/Europorte.
La BB 4504 est l’ex-HBNPC n°33 du groupe de Valenciennes. (PKET)
86-
Historail
Octobre 2013
BONNES FEUILLES
L’usine de
construction
d’automobiles Simca
à Poissy (Yvelines)
fabriquait à la fin
des années 1950
des «Ariane»,
«Chambord» et
autres «Versailles».
La manœuvre des
wagons porte-autos
était assurée par
la locomotive n°3,
une 030T Saddle
Tank construite
par Hudswell Clarke
à Leeds en 1944
(n°1768) pour le War
Department
(WD71492). (LVDR)
Page de droite:
la coulée de l’acier
en lingotière
à la Société
des Laminoirs,
hauts fourneaux,
fonderies et usines
de la Providence
à Rehon (Meurthe-
et-Moselle) était
assurée par cette
grue de coulée,
construite par
la Société anonyme
des ateliers
de construction
de la Meuse à Liège
en Belgique. (AAPE)
Ci-contre:
le Chemin de fer
de Chauny à Saint-
Gobain (Aisne), long
de 6km et ouvert en
1860, desservait la
soudière de Chauny,
ici avec la 130T
n°7, une machine
Cockerill construite
à Seraing en 1913
(n°2872). (CNSL)
Octobre 2013
Historail
[ les chemins de fer industriels ]
88-
Historail
Octobre 2013
BONNES FEUILLES
En haut: «Mauriac», la locomotive n°2 de la Société des charbonnages de Buzac (Corrèze) était une 020 T Decauville de 4 t en charge, à voie de 600mm.
Sa plaque portait le n°117 ainsi que son année de construction: 1891. On remarque les petits wagons trémies peu courants et modernes pour l’époque… (DR PKET)
À gauche: de l’engrais d’amonitrate de Carling (Moselle) est déchargé chez Grande Paroisse à Fleury-les-Aubrais (Loiret). Un Dodge doté de roues ferroviaires
assure les manœuvres sur l’embranchement. (LVDR)
À droite:les mines de fer à May-sur-Orne étaient exploitées par la Société des mines et produits chimiques (SMPC). Un téléphérique à minerai reliait le puits
d’extraction aux trémies de chargement des trains situées en gare de Feuguerolles-Bully. Les manœuvres de chargement des wagons Talbot étaient assurées
entre autres par le locotracteur BDR type 12 V 100 livré en 1934 (n°184). (FXFO)
90-
Historail
Octobre 2013
BONNES FEUILLES
L
a gare de Lyon et la banlieue Sud-Est, c’est un peu l’histoire de la
SNCF. Depuis ses origines PLM jusqu’à l’exploitation SNCF actuelle,
elle a traversé le temps et la vie des Français en s’adaptant, en se
modernisant. Notre chère gare n’en oublie pas pour autant son his-
toire, qui reste si prenante émotionnellement encore aujourd’hui,
pour qui sait la découvrir.
Cette gare et cette banlieue, c’est aussi ma vie et celle de ma famille.
Celle d’un arrière-grand-père au PLM à Montargis au service de la
Voie, comme celle d’un grand-père affecté au même service et qui ter-
mina sa vie de retraité actif à la cantine de Melun avec ma grand-mère
comme gérante des lieux. Ce sont aussi les voyages de mon enfance
pour rejoindre mes grands-parents à Montigny-sur-Loing avec des
150 ch et autres voitures métallisées Est tractées par des 2D2 9100
puis des 141 R à Moret. Aux rugissements lointains des RGP, je me
revois encore courant du fond du jardin entrapercevoir le «lézard
vert», le BourbonnaisParis – Clermont-Ferrand. Ce sont aussi les
bruits si caractéristiques de l’emballement d’une vapeur dans la petite
gare marchandises qui trie à grand-peine ses wagons isolés.
La banlieue Sud-Est, c’est encore celle de mon enfance à Yerres avec
les vaillantes et attachantes Z 5100 qui accompagneront ma mère
cheminote pendant toute sa carrière en gare de Lyon et jusqu’à
l’arrivée du TGV. Ce TGV que je fus le premier à aiguiller à Combs-la-
Ville en 1983, tout juste sorti de formation.
La gare de Lyon, je la vis maintenant au quotidien dans mon travail
pour apporter le meilleur à la clientèle avec la complicité, la bien-
veillance et l’enthousiasme de tous les cheminots du site.
Mais je ne peux oublier son histoire en valorisant son patrimoine
historique en miroir aux travaux de rénovation menés par Gares &
Connexions. C’est l’occasion pour moi de garder le fil de la vie des
années PLM à nos jours tout en préparant demain.
Et cette histoire, je la retrouve aujourd’hui avec bonheur et émo-
tion dans ce magnifique ouvrage où le lecteur découvrira la
richesse de la mémoire de la gare de Lyon et des lignes de sa ban-
lieue. Au fil des pages, il partira à la rencontre de leurs cheminots
et voyageurs, de leurs locomotives et voitures, et de leurs dépôts,
qu’ils fussent ceux des trains prestigieux ou ceux des omnibus du
quotidien.
Didier Leroy, connu pour sa passion à rendre vivante la mémoire
des gares et des trains, et Paul-Henri Bellot, lui-même cheminot et
passionné d’histoire ferroviaire, se sont réunis pour écrire un livre
fidèle à leur principe: en privilégiant la dimension humaine.
Éric Succab,
Directeur de la gare de Lyon et de Bercy
Un ouvrage de 176 pages au format 24cm x 32cm.
En vente à la boutique de
La Vie du Rail
(gare Saint-Lazare,
13, rue d’Amsterdam, Paris 75008) ou par correspondance
(La Vie du Rail, BP 30657, 59061 Roubaix Cedex 1)
ou sur www.boutiquedelaviedurail.com.
Réf.: 110 284. Prix: 49
(+ 7
de frais de port).
Paris-Lyon et sa banlieue
Après
Paris-Saint-Lazare et sa banlieue,
Didier Leroy et Paul-Henri Bellot récidivent
en traitant, cette fois, de la gare vedette
de l’ex-réseau PLM. À l’heure où celle-ci
inaugure de nouveaux espaces voyageurs
qui lui permettent de mieux accueillir
ses usagers, ils nous restituent la mémoire
de ce grand établissement ferroviaire et
des lignes de banlieue qui en dépendent, en
s’attachant à nous la rendre la plus vivante
possible, grâce, notamment, à des archives
photographiques de grande qualité.
Paris-Lyon
etsabanlieue
DidierLEROY&Paul-HenriBELLOT
Octobre 2013
Historail
Vue générale de la gare de
Paris-Lyon le 19 août 1948.
Au centre des voies se situe
le Poste I et II. La tour
de l’horloge est en travaux
avec suppression des
statues de toiture. Au
premier plan un autorail
Bugatti « WLG allongé »
assurant un TA rapide
de 1
classe en provenance
de Saint-Étienne ou de
Clermont-Ferrand arrive
en gare alors qu’une Pacific
231 évolue. Sur la droite,
de nombreux wagons-poste
stationnent dans le centre
de tri des PTT, dont
le courrier est transporté
presque exclusivement par
le rail. Au loin se distinguent
la cathédrale Notre-Dame
et la Tour Eiffel.
(DR – SNCF Sud-Est)
Façade et parvis de la gare de Lyon :
le quart de rond aujourd’hui regretté est bien
visible sur ce cliché en date du 15 juin 1956.
Le parc automobile reflète son époque, avec
des 203 Peugeot, 4 cv Renault et Traction
Citroën à malle bombée. Les utilitaires sont
représentés par deux grands classiques,
un fourgon Citroën HY du fabricant italien
de machines à écrire Olivetti, et un D3A
Peugeot. Un autobus à plateforme
de la RATP dessert la gare.
(Irlande – Photorail – SNCF ©)
92-
Historail
Octobre 2013
BONNES FEUILLES
Le dépôt de Villeneuve-
Saint-Georges
en 1953 : en arrière-
plan se situe le triage
devant lequel se
trouvent de gauche
à droite la remise,
l’atelier de levage, trois
sheds de la remise
pour autorails et
automotrices et la
rotonde type P Lafaille ;
au premier plan, les
fosses de visites,
le pont d’enlèvement
des scories, le parc
à combustible
et le réservoir d’eau
de 250 m
(Maufroid –
Photorail – SNCF ©)
Octobre 2013
Historail
[ Paris-Lyon et sa banlieue ]
Ci-dessus : à Montargis
en septembre 1956, dans
un environnement encore
bien estampillé PLM, le
train 1113 Paris – Clermont
comportant une tranche
Saint-Étienne démarre
avec la 231 G 74. Attachée
au dépôt de Nevers où elle
sera radiée le 9 septembre
1963, cette Pacific datant
de 1923 est l’ex-6374 du
PLM, puis ex-231 D 74
avant d’obtenir
sa numérotation définitive
lors de transformations
en 1947. (G. Moreau /
Coll. X. Inguenaud)
Ci-contre : pose nocturne
en gare de Lyon fin 1949 :
la 241 P 11 est
certainement en tête
du rapide 7 de 1
et 2
cl.
«Rome-Express». Cette
Mountain issue d’une série
de trente-cinq est sortie
des usines Schneider du
Creusot pour être affectée
neuve à Dijon-Perrigny
le 8 septembre 1949.
Après l’électrification
de la ligne impériale
jusqu’à Dijon, elle rejoindra
Marseille-Blancarde
le 30 juin 1952, puis
Le Mans le 26 avril 1960
où elle sera réformée
le 1
juin 1970.
(G. Eschlimann –
Photorail – SNCF ©)
94-
Historail
Octobre 2013
La gare de Malesherbes est terminus des dessertes voyageurs depuis
septembre 1971 : «correspondance par autocar dans la cour de la
gare»… En ce début de l’été 1983, deux X 4630 de Nevers stationnent
entre deux services. Les EAD assureront la desserte de cette antenne
jusqu’à son électrification en septembre 1992. À droite l’X 4631 rutilant
est visiblement sorti de révision depuis peu, même ses essuie-glaces
sont d’un crème éclatant ! (G. Laforgerie / Coll. V. Hamel)
À gauche : Une amusante photographie posée de 1964, sans doute publicitaire, réunit
tous les ingrédients d’un service Train Autos-Couchettes réussi : locomotive infatigable
ayant roulé toute la nuit, Renault 8 rutilante, agent serviable procédant à la remise
des clés, client heureux dès son réveil,… On notera que le service TAC s’effectue
près du tri postal, dont la présence est soulignée par les nombreux chariots
aux couleurs des postes sur le quai suivant. (M. François – Photorail – SNCF ©)
À droite : étonnante poésie cheminote nocturne dans l’avant-gare : le Mistral et l’arbre
de Noël 1962 ! Derrière le sapin, un ambulant postal dont on distingue l’allumage par
le lanterneau. (M. François – Photorail – SNCF ©)
Nom : …………………………………………………………………………Prénom : …………………………………… Société : …………………………………………………
Adresse :.………………………………….………………………..…………………..…………………..……………..…………….……..……………..……..…………….……..…
Ville :…………………………………………………………… Code postal : ……… Pays : ……………………………… Tél. : ……………………………………………………
E-Mail : …………………………………………………………… @ ……………………………………………………………………………………………………………………
J’indique mon mode de règlement :
Carte bancaire n° :
I__I__I__I__I I__I__I__I__I I__I__I__I__I I__I__I__I__I
Date d’expiration :
I__I__I / I__I__I
, les 3 derniers chiffres du numéro inscrit au dos de ma carte bancaire :
I__I__I__I
Signature :
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TOTAL : ……………
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