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N° 31 – Octobre 2014 – Trimestriel – 9,90
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trimestriel
n° 31
Octobre 2014
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20
Le calendrier
201
5
Édition limitée
Octobre 2014
Historail
C
’est Joseph Delteil qui l’écrit dans
Les Poilus
(1926), «le 1
août 1914, la France
est devenue une gare». Il expliquait même la «naissance du poilu» par ce rituel
de passage par la gare d’embarquement puis par le fameux «wagon à bestiaux»
Hommes 40. Chevaux (en long) 8.
E
t même si l’Histoire ne s’est pas assez souvenue que la mobilisation fut d’abord
ferroviaire (on préférait, dans les écoles, raconter aux enfants l’anecdote des taxis
de la Marne), on sait aujourd’hui le rôle majeur qu’a joué le rail dans l’entrée en guerre
du pays. Cet effort logistique – une première dans un conflit de cette importance – a fait
que la réponse à l’offensive allemande a été à la fois massive et prompte.
Historail
vous
en donne une évocation imagée et précise, nourrie du témoignage de poilus.
H
istorail
vous raconte aussi le sacrifice des trains belges dont le sabordage a permis
de retarder l’avance allemande de plus d’une semaine. Et contribué à l’issue
des premiers combats.
V. L.
La foule massée
devant
la gare de l’Est
pour accompagner
le départ
des mobilisés.
La lettre de l’éditeur
DR/Photorail
Tirage disponible
cf.
p. 4
Réf. 310031
Les photos marquées d’une pastille rouge sont disponibles
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Août-septembre 1914
L’entrée en guerre
Le tocsin a sonné dans toute la France
août. Sur son livret militaire, chaque
mobilisable découvre la gare qu’il doit
rejoindre. Une immense noria de trains se met
en branle, soigneusement préparée. Voici venu
le temps des trains de mobilisation, relayés
vers le front par les trains de concentration.
Lieux d’étape ou de transit, les gares
parisiennes de l’Est et du Nord connaissent
une effervescence extraordinaire, alors que
les transports parisiens sont très perturbés.
Des mobilisés vers le front ou des
«immobilisés» dans la capitale témoignent
de ces heures intenses.
« En prenant ces notes sans prétention littéraire, au fil d’événements qui sont déjà dans l’histoire, je n’ai voulu que
fixer certains aspects de Paris avec ses gens, ses bêtes et ses choses et conserver l’empreinte des instants inoubliables que
nous avons vécus pendant la mobilisation. »
Telle est l’intention de cet
« immobilisé »
à Paris, Antoine Delécraz en publiant à Genève son ouvrage dédié
« aux Pari-
siens qui n’ont pas quitté Paris pendant les premières journées de septembre. »
334 pages sont ainsi consacrées à ce jour-
nal, recueil de faits, gestes et propos annotés au jour le jour et survenus du 31 juillet au 22 août
« dernier jour de la mobi-
lisation ».
Cet immobilisé en fait circule beaucoup, entre les cafés des Grands Boulevards et son quartier résidentiel, observe
beaucoup même depuis ses fenêtres donnant sur la rue de Dunkerque.
Si on ne sait rien de cet Antoine Delécraz résidant avenue Trudaine, évoquant des parents à Bourg-en-Bresse et dont le
livre est publié à Genève, on perçoit pourtant ses attaches avec cette région frontalière que trahit aussi son patronyme.
Au côté objectif de ses fines observations, à l’affût des journaux, des affiches comme des rumeurs, se joint un jugement
critique qui ne se fie pas aux communiqués officiels résolument optimistes. On regrettera l’annonce faite d’un pro-
chain livre
« pour paraître en septembre »
1915, Paris, un an après la mobilisation,
jamais paru à notre connaissance.
On a sélectionné ici toutes ses notes concernant les mouvements de foule dans les gares parisiennes, celle de l’Est,
véritable sas ferroviaire entre Paris et le front, constituant un terrain d’observation privilégié, comme celle du Nord à un
moindre degré. Mais aussi ses nombreuses notes concernant les transports parisiens, omnibus, métros et tramways, dont
la paralysie partielle bouleverse l’animation des rues et stations.
Dans son avant-propos, Delécraz prie le lecteur de se reporter soigneusement aux dates de ses notes, qui
« donnent toute
leur valeur »
aux faits, gestes et mots recueillis; on a jugé utile de rappeler en outre de quel jour de la semaine il s’agit.
Georges Ribeill
8-
Historail
Octobre 2014
GUERRE 1914-1918
Coll. Histoire & Vies du 10
Comment un « immobilisé »
a perçu « Paris pendant
La foule aux abords
de la gare de l’Est
au moment
du départ
des réservistes.
en silence. Ce sont des ouvriers belges
qui travaillaient à la moisson en France
et que la mobilisation rappelle dans
leur pays. Un seul sergent de ville sur-
veille la gare. Elle est, ainsi que ses
alentours, plongée dans l’obscurité.
On s’attend à un raid aérien de l’en-
nemi. Il ne manquerait pas de pren-
dre comme but nos grandes gares que
l’abondance de lumières pourrait dési-
gner trop facilement.
En rentrant chez moi, j’achève la lec-
ture des journaux du soir, et j’ai relevé
quelques informations, intéressantes à
titre documentaire et que voici:
PENDANT LA MOBILISATION
Le transport par voie ferrée des denrées
essentielles
Malgré l’affectation des chemins de fer
au mouvement militaire, un certain
nombre de trains sont réservés au trans-
port des denrées essentielles, notam-
ment de la viande, du lait, des pommes
de terre, ainsi que de la farine néces-
saire à la fabrication du pain. (…)
Lundi 3 août
Tout le long de la rue de Dunkerque,
en un défilé ininterrompu, le flot des
mobilisés s’écoule toujours vers les
gares du Nord et de l’Est. Les uns vont
à pied, les autres dans des véhicules
de toutes espèces. Le taxis-autos se
font de plus en plus rares. Bien des
hommes, de crainte d’être en retard,
hâtent le pas avec anxiété. Nombreux
sont ceux qui habitent des quartiers
excentriques ou même la banlieue.
Pour eux ce n’est pas une mince diffi-
culté à vaincre que se rendre à l’heure
et à la gare indiquée par leur feuillet
de mobilisation. Je me dis que, s’il en
est qui arrivent en retard, ils se met-
tront bien involontairement, dans le
cas le plus fâcheux. Mais le bel élan
de solidarité que suscite le péril natio-
nal se manifeste spontanément. La
ville est bientôt sillonnée, en tous sens,
par des autos de maîtres qui portent
des pancartes: « Transport gratuit des
mobilisés pour les gares de départ. »
Je lis cette simple formule sur une élé-
gante et vaste limousine, dont la rapi-
dité et le confort semblent fort appré-
ciés par six braves maraîchers. Ils se
comportent d’ailleurs très correcte-
ment dans le somptueux véhicule qui
les mène à toute allure vers la gare de
l’Est. (…)
Il est midi. Je cherche en vain une voi-
ture pour rentrer chez moi. Aucune à
l’horizon, pas le moindre de ces
maraudeurs dont je médisais si fort
avant la mobilisation. (…)
Les derniers tramways et les derniers
métros cessent de fonctionner, faute
de personnel. Demain, Paris sera privé
de tout moyen de communication. Je
pousse jusqu’à la gare du Nord. Les
abords en sont défendus par une
légère palissade de bois, à l’entrée de
la caisse il faut montrer son feuillet
de mobilisation pour passer ou son
ticket pris d’avance. Il en est de même
aux gares de l’Est et du PLM.
Après avoir parlementé avec le briga-
dier de garde, je peux pénétrer dans
l’enceinte. Il n’y a que des mobilisés.
Amis ou parents ne peuvent franchir
la fragile barrière. Sous le hall, des
trains militaires sont alignés, vides et
garnis de fleurs.On les a fleuris à
chaque station du parcours qu’ils vien-
nent de couvrir jusqu’à la frontière, et
qu’ils refont sans cesse.
Loin des gares, avec son éclairage
réduit, dans le silence de ses rues
désertes, Paris semble se recueillir et se
préparer aux plus grands sacrifices.
Mardi 4 août
Toute la nuit, j’ai entendu, sous mes
fenêtres, le roulement ininterrompu
des autos qui se dirigent vers les gares
du Nord et de l’Est. Ce matin, la cir-
culation ne s’est pas ralentie; je crois
que le mouvement des grosses voi-
tures de maîtres, transportant gra-
cieusement les réservistes, s’accentue
encore. Quel admirable élan! (…)
Ce matin ont lieu les funérailles du
grand tribun. Malgré le manque de
moyens de locomotion et de trans-
port, la foule se porte en masse vers le
domicile mortuaire. On peut s’atten-
dre à une imposante manifestation et
à un torrent d’éloquence.
Mercredi 5 août
Comme on le voit, l’union sacrée est
réalisée. Il n’y a plus de partis poli-
tiques en France, il n’y a plus que des
Français.
En voici une preuve de plus dans
l’appel vibrant que le Syndicat des
chemins de fer vient d’adresser aux
cheminots et qui fut affiché dès le
premier jour de la mobilisation:
Camarades,
Devant le danger commun s’effacent
les vieilles rancunes. Socialistes, syn-
dicalistes et révolutionnaires, vous
déjouerez les bas calculs de Guillaume,
et vous serez les premiers à répondre à
l’appel lorsque retentira la voix de la
République.
Quand, dans un cri d’angoisse, la voix
vous dira: « Au secours, mes enfants! »,
tous les enfants de la France, sans excep-
tion, répondront: « Présent! »
Les cheminots ont répondu « pré-
sent »; modestement et méthodi-
quement ils ont préparé le salut de la
France.
(…) La circulation, très peu animée
sur le boulevard des Batignolles,
donne l’impression d’un grand vide.
Je relève dans
Excelsior
ces quelques
lignes un peu vives qui indiquent bien
l’état actuel de l’esprit des Parisiens
et combien cet état d’esprit doit
influencer l’aspect général de la vie
parisienne:
ANECDOTES
Aux Champs-Élysées. Un cycliste aper-
çoit un fantassin qui se hâte, qui se
hâte…
– Tu vas manquer le train, mon vieux!
Mimique éperdue du fantassin. Le
cycliste saute à bas de sa machine:
– Tiens! Prends la bécane.
– Mais à qui veux-tu que je la confie?
– File. Tu la laisseras dans la cour de la
gare… Je la retrouverai. File vite!…
Et le fantassin détale, tandis que l’au-
tre suit de loin…
Au moment où un train partait, rempli
de soldats, alors que bien des cœurs
étaient étreints, un immense éclat de rire
10-
Historail
Octobre 2014
GUERRE 1914-1918
Octobre 2014
Historail
remplit tout à coup la gare de l’Est.
Deux soldats venaient d’apposer, sur un
wagon, un immense carton sur lequel
ils avaient simplement écrit ces mots:
« Train de plaisir pour Berlin. »
Le communiqué suivant annonce une
légère amélioration des moyens de
transport:
CHEMIN DE FER NORD-SUD
DE PARIS
Malgré les difficultés résultant du départ
de la plus grande partie de son person-
nel, le chemin de fer Nord-Sud assu-
rera, jusqu’à nouvel ordre, avec le
concours des femmes de ses agents,
actuellement mobilisés, le service de
ses deux lignes de 7h30 à 19h30.
Les seules stations fermées au public
sont:
Sur la ligne A: Saint-Georges
Sur la ligne B: Berlin
Jeudi 6 août
Je vais au Grand-Hôtel voir Vernier.
Malgré ses blessures, il compte quitter
Paris ce soir par le premier train que la
compagnie du PLM fera partir pour
Marseille (…). Du Grand-Hôtel je vais
au siège de la compagnie PLM, 88,
rue Saint-Lazare, afin d’être fixé sur
le départ de ce train pour Marseille.
On me confirme la bonne nouvelle:
il paraît que la mobilisation serait en
avance d’un jour, c’est-à-dire que la
journée en plus, prévue pour donner
un peu d’élasticité au temps néces-
saire à l’appel des troupes, devient
inutile. C’est merveilleux d’organisa-
tion et d’exécution.
Je cause longuement avec mon vieil
et excellent ami Poulet. En sa qualité
de chef du secrétariat, il est chargé
des rapports avec la presse. Aussi
n’est-il pas un journaliste qui n’ait à
se louer de son inépuisable bienveil-
lance. Avec le tact le plus parfait et la
discrétion la plus sûre, il est toujours
prêt à rendre le service demandé.
Je le croyais parti, aussi suis-je d’au-
tant plus heureux de le rencontrer.
Toutes les difficultés que j’ai à sur-
monter pour arriver à faire passer des
nouvelles à ma mère ne le surpren-
nent pas. Il m’exhorte à la patience,
me disant qu’il avait reçu aujourd’hui,
6 août, une lettre de sa fille, mariée
à Saint-Étienne, et que cette lettre est
datée du 1
août.
En ce qui concerne les événements, il
a la plus grande confiance en l’issue
finale. Jusqu’à l’année dernière, il
appartenait encore à l’armée, comme
capitaine de réserve. En cas de mobi-
lisation il devait diriger l’importante
gare de Dôle. Il connaît donc bien
notre état-major et lui fait le plus large
crédit de talent, de savoir-faire et de
courage. Je le quitte, tout ragaillardi
par ses encouragements et sa chaude
sympathie.
Samedi 8 août
Toujours sans nouvelles de Genève, je
vais m’informer au bureau du PLM. Il
s’agit de savoir si les communications
existent encore avec cette ville.
M.Poulet, avec son habituelle obli-
geance, me répond que rien n’autorise
à croire que les Suisses laissent partir le
[ comment un « immobilisé »… a perçu « Paris pendant la mobilisation »]
Coll. Histoire & Vies du 10
Gare du Nord.
Volontaires belges
chantant
«La Marseillaise»
avant de quitter
Paris le 9 août 1914.
leurs services quotidiens. En consé-
quence, les trains du Nord-Sud et du
métro ne continueront à circuler que
jusqu’à 7h et demie du soir.
Lundi 17 août,
à la terrasse
du Grand-Hôtel
Il est incontestable que ce n’est plus la
même effervescence que ces jours
derniers. L’exode des mobilisés vers
les gares de départ a considérable-
ment diminué. Les barrières placées
aux abords des gares du Nord et de
l’Est, ainsi que les services d’ordre spé-
ciaux sont supprimés. (…)
En cheminant sur le trottoir de la rue
Rochechouart, bien peu encombré
pour cette heure de midi, je suis un
groupe de jeunes gens qui se dirigent
vers la gare de l’Est. Chacun d’eux
porte un petit baluchon à la main. Ce
sont des conscrits de la classe 1914
qui ont reçu l’ordre d’appel. (…) Heu-
reuse jeunesse qui s’en va à la guerre
en chantant et qui ne rappelle que de
très loin le conscrit de 1813.
Mardi 18 août
Avant midi, je pousse jusqu’à la gare
du Nord pour me rendre un peu
compte de ce qui s’y passe. Des
groupes stationnent sur la place. Je
m’approche de l’un d’eux et je pose
quelques questions sur la cause de ces
attroupements. Personne n’en sait
rien et ceux qui les forment ne savent
pas très exactement pourquoi ils sont
là. On vient ainsi aux abords des
gares du Nord et de l’Est pour savoir
quelque chose. On se dit que peut-
être on aura des nouvelles par des
employés ou des mécaniciens qui arri-
vent de la frontière.
Je constate que l’aspect des deux
gares est presque normal et déjà plu-
sieurs trains de voyageurs et de mar-
chandises sont rétablis; et que les
quelques mobilisés qu’on voit mon-
ter dans les trains sont de plus en plus
rares.
Mercredi 19 août
Le bruit ininterrompu du pas pressé
des piétons et du roulement des voi-
tures qui allait s’affaiblissant de plus
en plus dans la rue de Dunkerque,
vers la gare du Nord, a presque entiè-
rement cessé cette nuit. Depuis 3h
du matin, le silence est presque com-
plet. Incontestablement les démobili-
sés ont fini de rejoindre. Je tiens à
m’en rendre compte par moi-même.
Autour de la gare du Nord, tout est
calme, la place est déserte. Voici un
fonctionnaire de la compagnie, dont
le brassard porte deux soutaches d’or
(on sait que le brassard est l’insigne
de la mobilisation des chemins de fer);
je l’appelle, il s’arrête et je lui pose
quelques questions.
– La mobilisation est virtuellement ter-
minée, Monsieur, me dit-il. À l’heure
qu’il est, nous ne faisons plus partir
de matériel pour transporter des
mobilisés. Cette première phase est
achevée. La seconde est même déjà
commencée depuis quelques jours.
C’est la concentration. Tout semble
se passer très bien.
À la gare de l’Est, même impression,
même opinion. Là j’apprends que la
mobilisation s’est terminée avec
17heures d’avance sur le temps
prévu. (…)
Le Journal
annonce que tous les deux
jours, des convois de prisonniers pas-
sent aux environs de Paris, de même,
hélas! desconvois de blessés de plus
en plus nombreux. On dirige ceux-ci
sur la gare de Noisy-le-Sec, où un
triage est fait, qui permet de conserver
à Paris ceux dont l’état exige une
intervention immédiate et compli-
quée. Nous voici déjà loin des com-
muniqués du gouverneur militaire,
avisant la population qu’aucun blessé
ne serait dirigé sur Paris.
Jeudi 20 août
Les journaux du matin annoncent
encore que de nombreux convois de
blessés sont ramenés des frontières
du Nord et de l’Est. Les hostilités aux
frontières de la Belgique et du Luxem-
bourg ont réellement commencé
depuis le 17 et l’on se bat avec achar-
nement. Les seules nouvelles, sans
aucun détail précis, arrivent par les
employés des compagnies de l’Est et
du Nord qui ont circulé avec des trains
de troupes.
Ces employés rapportent aussi que le
ravitaillement de nos armées fonc-
tionne de façon remarquable et que
nos soldats sont enchantés de l’ordi-
naire et de la régularité des distribu-
tions. Ces nouvelles, on les accueille
évidemment avec plaisir; mais on
devine que, pour tout le monde, elles
sont insuffisantes.
Ce que le public voudrait, ce sont des
renseignements exacts sur les com-
bats qui se livrent en ce moment et
qui doivent être terribles, si l’on en
juge par le nombre des trains de bles-
sés qu’on dit être dirigés sur toutes
les parties de la France. Mais le gou-
vernement est inflexible et se montre
d’une parcimonie presque exagérée
pour les quelques nouvelles qu’il laisse
filtrer.
Vendredi 21 août
Quoi qu’en disent les journaux, c’était
bien hier, 20 août, le dernier jour de la
mobilisation (…).
Naturellement, toujours aucune nou-
velle du théâtre des hostilités (…).
14-
Historail
Octobre 2014
GUERRE 1914-1918
Histoire & Vies du 10
e
Histoire & Vies du 10
(«HV10») est la Société historique
arrondissement. Créée en mai1999, elle a pour objet
de promouvoir l’histoire du X
arrondissement et la vie de
ses habitants, de veiller à la sauvegarde de son patrimoine
et de sa mémoire. Dans un arrondissement qui connaît
une forte concentration de certains équipements (hôpitaux,
gares, théâtres), l’association a toujours veillé à mettre
en valeur ces patrimoines, dont, bien sûr, les gares de l’Est
et du Nord. Tout au long de ses 15 ans d’existence,
des conférences et des visites guidées de ces gares ont été
organisées portant sur leur histoire, leur architecture.
Des rallyes ont également eu lieu, tel que «Le rallye
entre les deux gares» en octobre2011.
En septembre2014, dans le cadre des événements liés
aux commémorations du centenaire de la guerre de 14-18
dans le X
, en collaboration avec Rails et histoire et SNCF,
les gares ont été un des éléments de l’exposition
«Le X
dans la guerre» et dans le cadre de l’événement
«Du pain et des liens» (5 au 7septembre 2014), des visites
guidées de la gare de l’Est et du quartier des deux gares
ont été proposées.
Site Internet:
http://hv10.org
Compte Twitter:
https://twitter.com/HV10_Paris10
Page Facebook:
https://www.facebook.com/pages/
Histoire-Vies-du-10e/1434494650155204
Octobre 2014
Historail
D’importants convois de blessés sont
arrivés à Vichy. Cela confirme d’au-
tres bruits. On s’accorde même à
reconnaître la parfaite organisation
destrains sanitaires,qui ont transporté
ces blessés.
La compagnie PLM vient, en effet, de
mettre à la disposition du Service de
santé, après entente avec ledit ser-
vice, un type de train sanitaire
« improvisé » qui paraît réaliser les
« desiderata » formulés au sujet de
ce mode d’évacuation des blessés.
Les trains utilisés précédemment se
composaient d’ordinaire de wagons
à marchandises, difficiles à chauffer,
insuffisamment freinés et dont la dure
suspension n’épargnait pas les
secousses aux blessés transportés.
Le nouveau train se compose de 17
voitures à voyageurs dont le garnis-
sage, très simple, facilite la désinfec-
tion après chaque voyage, d’un
wagon-restaurant, d’un fourgon de
tête et d’un fourgon de queue. Il peut
recevoir 500 blessés dont 140 cou-
chés. Un ingénieux dispositif permet
d’installer dans les compartiments
deux brancards placés l’un au-dessus
de l’autre, soutenus par des supports
fixés dans la paroi et par des chaî-
nettes descendant de la partie supé-
rieure du véhicule. Les blessés assis
prennent place sur la banquette ados-
sée à l’autre cloison. Chaque voiture
possède un water-closet, reçoit l’éclai-
rage au gaz et le chauffage à la
vapeur; un couloir la dessert. Ce cou-
loir permet au personnel médical une
surveillance incessante et, d’autre part,
le wagon-restaurant à demeure dans
ces trains offre l’avantage de fournir à
toute heure les boissons chaudes et
les aliments légers qu’on ne pouvait
précédemment se procurer qu’au pas-
sage dans les gares.
Ces moyens de transporter nos bles-
sés, si courageux dans la souffrance,
contrastent très heureusement avec
le premier convoi dont le docteur
Magnel me faisait, hier, un si doulou-
reux tableau.
La compagnie PLM a montré, une fois
de plus, sa puissance d’initiative, d’or-
ganisation et d’exécution. Bien des
mères, des sœurs, des épouses, des
fiancées, lui devront un peu d’apaise-
ment à leurs cruelles angoisses.
Samedi 22 août
Cette fois-ci, pour tout le monde, c’est
bien le dernier jour de la mobilisation.
Les gares désertes du Nord et de l’Est,
et celle, très peu animée, du PLM le
démontrent suffisamment, de même
que les engagements de volontaires
étrangers acceptés « après la mobili-
sation » se poursuivent sans interrup-
tion dans un véritable enthousiasme,
L’Intransigeant
parle en d’excel-
lents termes. (…)
Les nouvelles les plus contradictoires
circulent de bouche en bouche (…).
C’est ainsi que le bruit a couru sou-
dain, vers 4h, que la gare du Nord
avait reçu l’ordre d’expédier d’urgence
52 wagons dans la direction du Nord-
Est pour ramener des prisonniers. On
précisait même en désignant Hirson
comme étant le point d’embarque-
ment. La nouvelle était sûre, affirmait-
on. Des employés de la gare du Nord
qui arrivaient de la ligne de feu l’af-
firmaient.
Mais bientôt, c’est une autre rumeur
plus affligeante qui se répand: nous
n’avions pu enrayer la marche en
avant des Allemands, dont les masses
représentaient une force de choc
dépassant toutes les prévisions; et l’on
ajoutait que notre aile gauche, for-
mée des troupes anglaises, était
débordée et enveloppée. (…)
À ma porte, mon concierge me dit:
– Ah! Monsieur, il s’en est passé des
blessés à Noisy-le-Sec, où j’étais cet
après-midi. On bat en retraite. Je vous
avais dit que les Allemands étaient
terribles!
[ comment un « immobilisé »… a perçu « Paris pendant la mobilisation »]
DR/Photorail
Un wagon
de prisonniers
allemands:
un spectacle
réjouissant
pour les poilus.
Octobre 2014
Historail
’année 1916 est commencée
depuis ce matin. Il est 5h. Il fait
une nuit noire et glacée. Tout le long
d’un train militaire, dans une gare
quelconque de l’arrière front, des
silhouettes noires s’agitent dans la
brume opaque.
À cette heure matinale, dans la ville
aux feux éteints, les rares civils qui
sont demeurés dorment. Sur la voie
de garage où le train s’étire de tout
son long, on ne voit que des militaires,
des chevaux et des bagages.
Homme par homme, le matériel
humain s’engouffre et s’entasse dans
un wagon à bestiaux. Il pleut. Comme
des feux follets, des fanaux se pro-
mènent d’un bout à l’autre du train
militaire. Ceux qui les portent hurlent
des ordres au milieu de l’habituel
désordre. On n’y voit rien.
Un quinquet lamentable pend, soli-
L
’abondante littérature des combat-
tants de la Grande Guerre a suscité
en 1929 le célèbre inventaire critique
de Norton Cru, qui appréciait plus l’au-
thenticité d’un humble témoignage
que sa valeur littéraire: cet ancien poilu
a analysé les 300livres de 250 auteurs,
départageant les bons témoins des
affabulateurs
. Récemment, l’historien
Rémy Cazals
, connu pour avoir
exhumé en 1978 les carnets de Louis
Barthas
promis à un immense succès,
a réalisé un nouvel inventaire. La leçon
est entendue: les
journaux
rédigés au
quotidien, ou les
carnets
tenus à une
moindre discipline constituent les
témoignages
« les plus intéressants, les
plus utiles »,
jugeait Norton Cru
, car
contenant
« plus de précisions et moins
de littérature à effet ».
Alors que le
journal est
« en théorie esclave des
dates »,
en fait
« cet esclavage est la
meilleure des disciplines. Les dates sont
un rappel à la probité. »
Si Norton Cru cherchait à apprécier la
qualité du témoignage du
combattant
vivant sous le feu,
ce critère n’est plus
pertinent ici: la mobilisation du poilu
le chemin de fer fut une expérience
générique banale, ne se prêtant guère
aux affabulations. Par contre, elle nous
instruit sur la psychologie du civil mué
en un militaire conduit vers une desti-
nation tenue secrète, plus ou moins
éloignée du front, transbordé des trains
de mobilisation vers les trains de
concentration,
les gares régulatrices
chargées de les aiguiller, depuis la zone
de l’arrière jusque dans la zone du
front. Voitures de toutes classes, four-
gons, wagons – avec ou sans « che-
vaux en long » –, on fit feu de tout
bois. À l’unisson, si les témoignages ici
rassemblés évoquent ces trains « pour
Berlin » décorés et acclamés au départ,
leurs passagers abreuvés, comblés de
cadeaux à la traversée des gares et
passages à niveau, cet enthousiasme
patriotique s’amenuise avec la pro-
gression des trains vers le nord-est,
comme elle s’érode vite après les toutes
premières semaines de la guerre…
Avance lente vers le front, qu’annonce
enfin un jour le bruit perçu de canon-
nades lointaines. Et puis les semaines
passant, tout change avec la vision des
trains de retour du front: si l’on court
voir passer les trains chargés de prison-
niers allemands, bien trop nombreux
sont les trains de blessés, source d’effroi
et d’inquiétude quant à la situation mili-
taire exacte des troupes françaises…
Où l’on découvre durant ces quelques
premières semaines de la guerre, alors
que les communiqués officiels sont
suspectés à bon droit de masquer des
batailles perdues ou des retraites
imprévues, le recours des mobilisés en
quête d’informations auprès des che-
minots, employés des gares traversées
ou mieux mécaniciens en tête des
trains faisant la navette entre le front
et l’arrière. Tout comme le Parisien
immobilisé Delécraz apprenait bien
plus en se rendant au siège du PLM
ou auprès du commissaire de surveil-
lance de la gare du Nord…
Georges Ribeill
DES WAGONS À BESTIAUX
POUR LES TROUPES
Mais commençons d’abord par l’évocation du vécu du fameux « wagon
à bestiaux »,de longue date wagon couvert à marchandises prévu par les
autorités militaires pour le transport des troupes. Pour faciliter le confort,
l’aménagement intérieur de bancs tenus en réserve dans quelques gares
était prévu, mais dans bien des cas, peu réalisé. L’écrivain Jean Lépine a
consacré un chapitre de ses souvenirs à cette épreuve générique du
poilu
, inspirant même le titre et la couverture de son ouvrage: un huis
clos de 40 hommes confinés dans un wagon, avec l’obscur pressentiment
que n’être plus que des bestiaux voués à l’abattoir.
Page de gauche:
départ de mobilisés
vers la frontière Est.
22-
Historail
Octobre 2014
GUERRE 1914-1918
NEUF POILUS TÉMOIGNENT
’ordre retenu des auteurs sélectionnés suit en gros la succession naturelle des expériences vécues: après les départs enthou-
siastes et impatients des trains de mobilisation, les inquiétudes et attentes dans les trains de concentration, enfin l’effroi
qu’inspirent les trains sanitaires de retour, ces « trains rouges ». Les nombreuses coupures sont bien précisées et les sauts de ligne
originaux n’ont pas été toujours respectés. En italiques, de brèves précisions sont apportées, et chaque date est complétée du
jour de la semaine correspondant. Le plus long témoignage rapporté est celui de l’officier de cavalerie Marcel Dupont, préservé
pour sa richesse.
Trois frères en guerre. Martin-Laval, une famille de Marseille
en 1914-1918
(Éd. Privat, 2014)
Il est exceptionnel de trouver une correspondance familiale aussi riche entre trois frères partis au front, assortie de car-
nets de route, mémoires et photos: un fonds aujourd’hui versé par la famille aux Archives des Bouches-du-Rhône et qu’a
pu exploiter Serge Truphémus. Dans la présentation de son copieux ouvrage
, il souligne la variété des sources et la qua-
lité des écrits qui constituent ce fonds exceptionnel. Deux frères ont tenu des carnets, relatant leur mobilisation. On a retenu
celui d’Antoine (1892-1972), le cadet de ces trois frères issus d’une famille bourgeoise installée à Marseille. Encore
interne, il renonce à son sursis en 1913 pour accomplir son service militaire: incorporé comme infirmier au 58
RI,
promu caporal en avril 1914, à l’annonce de la mobilisation, le 1
août, il se trouve à Avignon, d’où il part en campagne
comme médecin auxiliaire, affecté au 1
bataillon du 58
RI.
Avignon, en attente du départ depuis
août.
2 août.
Tout en travaillant, nous
applaudissons tous les nombreux
trains qui passent, dans la direction
de Paris, chargés de hussards, che-
vaux, canons, paille, barriques… Les
portes des wagons sont ornées de
fleurs et branches d’arbres avec cro-
quis à la craie caricaturant Guillaume.
5 août.
Jour du départ depuis la
caserne.
À 19h on s’embarque à la
gare du Pont-d’Avignon[implantée
sur la rive droite du Rhône à Ville-
neuve-lès-Avignon sur la ligne de
la rive droite du Rhône] mais le
bataillon seulement, c’est-à-dire le
mien à ce moment-là, avec tout l’état-
major du régiment et le drapeau. J’ai
la bonne fortune de pouvoir monter
dans un wagon de 2
classe (…). Dans
le même wagon mais séparés par une
porte, se trouvent les officiers dans
des compartiments de 1
À 20h54, hommes, chevaux, voitures
étant embarqués, le train démarre:
il pleut!
À minuit, au moment où le train quit-
tant la gare du Teil, où avait eu lieu
une halte-repas, une rumeur s’élève
au-dehors et des cris de:
« Empêchez-
le de monter!! C’est un espion! »
retentissent de plus en plus nom-
breux. Poussé par la curiosité, je me
penche à la portière et vois un
homme en casquette, le col relevé, se
précipiter sur la portière de notre
wagon, l’ouvrir et rentrer dans le cou-
loir. On le conduit chez le colonel qui
était à l’autre extrémité et qui l’inter-
roge. L’inconnu répond que, craignant
d’arriver en retard à son corps, il avait
tenu à prendre ce train. À la station
d’après, le colonel le remettait entre
les mains de la gendarmerie.
6 août.
Arrivée à Lyon dans la mati-
née… (…) Lorsque le train eut
dépassé Lyon et ses faubourgs, je
m’aperçus de la différence de carac-
tère qui existe entre les méridionaux
proprement dits et les habitants du
Centre et au-delà. Jusqu’à Lyon en
effet, l’enthousiasme régnait partout
et se manifestait ostensiblement sur
notre passage. Tous les gens qui nous
voyaient passer applaudissaient, les
hommes se découvraient et agitaient
leur chapeau, les femmes et les jeunes
filles remuaient leur mouchoir et
envoyaient des baisers…
AMun Avignon
Le 58
en marche vers
la gare d’Avignon
le 5 août 1914.
24-
Historail
Octobre 2014
GUERRE 1914-1918
qui embrase tous les cœurs sortira
sûrement la Victoire et une France
régénérée.
Les dames de la Croix-Rougepren-
nent nos lettres. (…) Nous sommes à
Bourges à 3h de l’après-midi. Splen-
dide réception à Bourges. Des fleurs,
des friandises. Comme remercie-
ment, nous chantons à pleine voix et
tous en cœur avec un magnifique
ensemble nos vieux airs du Midi, de
ce Midi qui est déjà loin derrière
nous. On annonce qu’une sentinelle
a été tuée cette nuit sur la voie par
un espion. Quatre Allemands ont,
paraît-il, tenté de faire sauter, avant
notre passage, le grand pont de la
Loire. On les a arrêtés à temps et
fusillés.
Samedi 8 août.
Saint-Florentin-
Yonne. Long arrêt de 6heures.
Enthousiaste accueil de la population
qui se presse contre notre train. De
délicieuses jeunes filles nous portent
des fleurs, du vin fin, du chocolat, du
pain blanc, des fruits, des cigares.
Quel élan de générosité partout. La
bonne vieille hôtelière de Saint-
Florentin qui me sert à dîner gratis!
C’est une Alsacienne. Elle pleure de
joie. Elle me prie de lui envoyer des
cartes quand nous serons entrés en
Alsace. À midi, le colonel fait sonner le
rassemblement. Grande nouvelle. On
nous annonce une grande victoire des
Français en Alsace. Mulhouse est
prise. L’Alsace est à nous. À nous le
de participer à la conquête de la
Lorraine, dit le colonel. Enthousiasme
indescriptible des soldats et de la
foule. Le plus beau jour de ma vie. Je
me moque maintenant de la mort car
j’ai appris une grande défaite des
Allemands.
Dimanche 9 août.
Dans la nuit, nous
passons à Châlons.Le matin, à 7h,
on nous débarque à Valmy (…). Le vil-
lage regorge de troupes de toutes
armes. Un espion a été pris au
moment où il déboulonnait la voie à
Sainte-Menehould.
Édouard Cœurdevey,
Carnets de guerre, 1914-1918.
(
Terre humaine, Plon, 2008)
Instituteur dans un village du Doubs, licencié ès lettres et bon connaisseur de l’allemand, Édouard Cœurdevey (1882-1955)
est mobilisé comme adjudant au CVAD 1/7 (Convoi de véhicules administratifs divisionnaire). Pour ses notations très cri-
tiques sur le
« manque d’organisation »
observé à la gare de Villers-Cotterêts, Jacques Marseille, dans sa préface
, le com-
pare à l’historien Marc Bloch, témoin de
L’Étrange Défaite
en 1940 qui opposait
« la gentillesse de notre civilisation de
petites villes »
aux
« ruches bourdonnantes »
allemandes.
8 ou 9 août.
À Verne, dans le Doubs,
où l’ordre de mobilisation est par-
venu.
À la gare. Le calme résigné de
tous ces hommes qui ont quitté leurs
femmes, leurs enfants, leurs mois-
sons, leur maison, avec le sentiment
que la guerre les fauchera tous – et
pourtant ils craignent d’être en retard
d’une heure, ils se pressent vers le
train. (…)
Dans le train vers Dôle. Les hommes
sont joyeux mais la pensée de la sépa-
ration les hante:
« Les gosses, ça vous
fait bien plus de les quitter que la
femme »,
dit l’un. Nous croisons tous
les quarts d’heure des trains. C’est l’ar-
tillerie et l’infanterie du corps d’armée
de Grenoble.
« Tout le Midi monte! »,
nous crie un homme d’un train
pavoisé. Ils ont des caricatures de Guil-
laume, tête de porc coiffée du casque.
Ils raillent avec des expressions rabe-
laisiennes:
« Me ferai un porte-mon-
naie avec…»
(…). Nous quittons Dole
le 10 à l’aube pour embarquer avec
nos voitures, pour direction inconnue
(…). Débarquement à Lure (…).
Départ de Lure pour une direction
inconnue.
Nous avons à partir de
Sens un accueil enthousiaste, tout
le long de la ligne des grappes
humaines nous font des signes de
joie:
« Vous les arrêterez les Boches. »
À partir de Sens, c’est du délire, on
nous donne à toutes les haltes du
pain, du vin, des fruits, des fleurs, de
l’argent même. C’est surtout le long
DR/Photorail
La chasse
aux «taubes»
en gare de Villers-
Cotterêts.
Samedi 8 août.
Enfin nous embar-
quons (…). Les rues sont pavoisées.
Nous défilons au pas. L’embarque-
ment aux docks est facile, à quai. Les
servants hissent le matériel sur les
trucks.
Par contre,
les conducteurs ont
beaucoup de peine à faire entrer des
chevaux dans les fourgons. Les vieux
chevaux de batterie connaissent la
manœuvre, mais les chevaux de réqui-
sition résistent. À deux, on leur passe
un surfaix à hauteur des fesses et on
les pousse de force sur les passerelles.
Une fois dans le fourgon, il faut
encore les faire tourner, les serrer pour
qu’il en tienne quatre de chaque côté.
C’est alors un vacarme infernal de
sabots ferrés sur les planches et contre
les parois de bois. Les bêtes enfin ins-
tallées et maintenues en place avec
des cordes à poitrail, les garde-écurie
établissent dans l’espace libre entre
les deux rangées de chevaux qui se
font face, le harnachement et le four-
rage pour la route.
Lorsque le train démarre j’ai comme
un éblouissement. Il me semble que
quelque chose se rompt dans ma poi-
trine. Une brève angoisse m’étreint.
Reviendrai-je?
Connerré-Beillé. Je suis assis sur une
balle de foin entre mes huit chevaux.
À tout instant, malgré mon fouet, ils
happent le fourrage et soulèvent mon
siège. La porte du wagon est grande
ouverte, la campagne ensoleillée.
Dimanche 9 août.
Depuis 15 à
18heures déjà, le train roule. Je suis
garde-écurie. C’est là qu’on est le
moins mal pour un pareil voyage.
Couché sur le foin que j’ai secoué, j’ai
dormi la tête bien encadrée par les
panneaux matelassés d’une selle. Les
chevaux, presque tous gourmeux, qui
me bavaient sur la figure et éter-
nuaient, m’ont éveillé. Déjà il faisait
jour (…)
Assis aux portes grandes ouvertes des
fourgons, pieds ballants,les canon-
niers regardaient défiler les paysages.
Les trains vides qui croisent notre
convoi effraient nos chevaux qui hen-
nissent. Où allons-nous? Nous offi-
ciers eux-mêmes ne le savent pas, le
mécanicien affirme qu’il l’ignore aussi.
Il doit recevoir des ordres en route.
Les territoriaux qui gardent la voie
nous saluent au passage, lèvent leurs
fusils à bout de bras. Nous agitons
nos fouets.
26-
Historail
Octobre 2014
GUERRE 1914-1918
Paul Lintier,
Ma pièce. Souvenirs d’un canonnier
(Plon, 1916)
Paul Lintier (1893-1916) s’est engagé pour deux 2 ans au 44
d’artillerie auMans, affecté au 4
corps d’armée. Consi-
déré par Norton Cru comme
« l’un des trois ou quatre meilleurs auteurs de livres de guerre et parmi ceux-là peut-être
le premier par ses dons naturels d’écrivain »
, artilleur mobilisé auMans, impatient de rejoindre le front, il est dirigé
depuis Paris vers la bataille de l’Ourcq. Il témoigne avec précision de son parcours en fourgon, accompagnant
« 8 chevaux en long ».
le moindre sou. Passage à Auxerre,
Troyes.
Dimanche 9 août.
Au réveil à 5h,
nous sommes à Brienne-le-Château.
Arrêt à Blesme-Haussignémont où des
trains de coloniaux nous croisent,
notamment le 7
de Bordeaux; ainsi
que l’infanterie de marine de Roche-
fort qui bifurque pour Longny son
lieu de débarquement. À Vitry-le-
François, nous avons le plaisir de croi-
ser un train de prisonniers,des uhlans
que l’on dirige sur Nantes. Châlons-
sur-Marne, Saint-Hilaire-au-Temple
où nous apercevons dans un champ
un avion allemand abattu. Suippes
et enfin Valmy, nous débarquons à
13h30 par un triste temps et dans un
bien triste pays.
«Où allons-nous? Nos ofciers eux-mêmes
ne le savent pas, le mécanicien l’ignore aussi.»
DR/Photorail
Page de droite:
des dragons
et leurs chevaux
posent avant
l’embarquement.
De passage à
Noisy-le-Sec,
un train de
prisonniers
allemands
en 1914.
Le train a repris sa marche. Le soleil a
disparu et seule subsiste à l’horizon
une mince bande de ciel jaune pâle
qui éclaire encore la campagne. Je me
suis assis sur le bord de la porte
grande ouverte, les jambes pendant
vers le sol hors du wagon. J’aspire les
premières bouffées d’air frais et je me
sens un peu remis de ma détresse.
Tout à coup on entend le ronronne-
ment lointain du canon.
En me pen-
chant au dehors, j’aperçois aux por-
tières les têtes des territoriaux. Eux
aussi sont saisis par l’énervant et mys-
térieux concert. Aucun ne parle, aucun
ne plaisante. Les corps tendus au-des-
sus du vide semblent questionner,
appeler, implorer la vérité. Nous nous
rapprochons du canon. Maintenant,
on distingue les coups qui se succè-
dent à intervalles rapprochés. L’air
en semble ébranlé et l’on croirait
en être à quelques pas seulement.
Le train s’est arrêté brusquement en
pleine campagne. (…) Énervé de cette
attente, je saute à terre et remonte le
long du ballast jusqu’à la locomotive.
Elle est arrêtée à un passage à niveau.
À côté de la barrière close, sur le seuil
éclairé de la petite cabane, la femme
du garde est là, un enfant dans les
bras. C’est une toute jeune femme
blonde et pâle. Elle semble un peu
inquiète, et pourtant ne paraît pas
songer à quitter son poste. Elle cause
à demi-voix avec le mécanicien et avec
le chauffeur de notre train. Je tâche
d’avoir par elle quelques renseigne-
ments.
– Mon Dieu, Monsieur, je ne sais rien,
sinon que, depuis hier, le canon n’ar-
rête pas de tirer du matin au soir et
même quelquefois pendant la nuit.
C’est surtout du côté de G… (…)
Notre mécanicien m’explique que
nous sommes parvenus tout près de
la gare terminus, mais qu’il va falloir
attendre un certain temps avant de
pouvoir y entrer. D’autres trains y sont
arrivés avant nous qu’il faut déchar-
ger et garer.
Je retourne à mon wagon. Mainte-
nant, la nuit est tout à fait venue. Il
peut-être 9h du soir. Le canon s’est
tu brusquement. La lanterne qui avait
éclairé notre voyage nocturne est
complètement dégarnie et notre
attente se prolonge plus péniblement
dans cette obscurité. Nous voyons
encore redescendre un train vide. (…)
Enfin, vers 11 h, sans un coup de sif-
flet et très lentement, le train repart. Il
avance timidement, pour ainsi dire, et
Octobre 2014
Historail
Embarquement
de chevaux
au camp de
Châlons-sur-Marne.
32-
Historail
Octobre 2014
GUERRE 1914-1918
Omer Denis,
Un prêtre missionnaire dans la Grande Guerre, 1914-1919.
Extraits choisis et annotés des carnets de guerre
(Éd. Sotéca, 2011)
Prêtre vendéen, Omer Denis (1880-1951) professe dans une institution privée à La Roche-sur-Yon. Il effectue son service
militaire d’un an au 137
RI. Alors que les prêtres des plus anciennes classes sont incorporés dans le Service de santé,
les plus jeunes rejoignent les unités combattantes. En août 1914, à nouveau mobilisé, Denis rejoint ainsi à Nantes l’am-
bulance 12/11 comme secrétaire et aumônier bénévole
15 août.
Depuis près de quinze jours
nous étions à la Nantes, attendant
impatiemment l’heure de notre
départ. (…) Enfin l’heure tant désirée
arriva. Le 15 au soir, l’ordre fut donné
de nous rassembler à 8h à la caserne.
Une heure plus tard nous partions
pour la gare. Départ joyeux, la plu-
part d’entre nous étaient couverts de
fleurs. On nous acclama sur le par-
cours du cantonnement à la gare.
Nous aussi nous criions comme les
curieux:
« À Berlin ».
Nous partions
pleins de confiance et d’espoir, bien
convaincus que notre marche allait
nous conduire rapidement sur les
routes allemandes. Il faudrait, et bien
longtemps, patienter encore.
Il est 9h. La gare s’emplit des lourdes
voitures qu’on amène et qu’on va
charger sur les wagons. La manœu-
vre est difficile. Les commandements,
les appels, les jurons se croisent. Cha-
cun donne des ordres et c’est pen-
dant un moment une confusion inex-
primable.
Enfin les voitures sont chargées, après
bien des manœuvres et contre
manœuvres. Les hommes se reposent
maintenant, assis sur leurs sacs, en
attendant le moment de s’embarquer.
On fume, on cause, on rit, on chante.
Des chœurs s’improvisent que les der-
niers curieux attardés applaudissent
au-delà des grilles de la gare.
Vers minuit, l’ordre nous est donné de
monter en voiture. Les wagons à bes-
tiaux sont là, aménagés pour nous
recevoir. C’est primitif et les banquettes
sont un peu dures, mais la gaîté sup-
pléera au confort. C’est elle, cette
gaîté proverbiale du soldat français,
faite de saillies spirituelles, quelquefois
gauloises, qui s’amuse de tout, qui va
faire paraître courtes les longues
heures du voyage qui commence.
D’ailleurs bientôt le jour va paraître,
et la contemplation des pays qu’on
traverse nous fournira une distraction
des plus intéressantes.
À chaque gare surtout les distractions
augmentent. Beaucoup de curieux
sont là pour nous voir passer. Les
visages sont tristes encore du souvenir
des absents. L’inquiétude se lit sur
toutes ces figures d’épouses, de
mères. La trace de larmes à peine
séchées est encore visible. Mais, à
nous voir passer si gais, si confiants, la
joie reparaît et l’unisson ne tarde pas
à s’établir. Pourquoi ceux qui restent
s’attristeraient-ils, quand ceux qui par-
tent sont si gais?
La journée du 16 se passe tout entière
à voyager. C’est dimanche. La foule
est grande à toutes les gares. Sur tout
le parcours, des bouquets nous sont
offerts, que les soldats se disputent
avec mille gestes d’amitié aux per-
sonnes qui les distribuent. Plus encore
que les fleurs, les fruits et le café
obtiennent du succès. LeMans et
Nogent-le-Rotrou ont droit à notre
gratitude particulière. À Courville, les
jeunes filles viennent nous décorer de
petits nœuds de rubans tricolores (…).
À Massy-Palaiseau, dans la banlieue
parisienne, d’autres jeunes filles,
mieux avisées, nous distribuent des
médailles et des cartes postales (…).
Il fait déjà nuit quand, par le chemin
de fer de Grande Ceinture, nous
contournons Paris. Beaucoup parmi
nous furent déçus, ils avaient espéré
apercevoir, au moins dans une rapide
vision, la capitale. Et c’est à peine si
dans le lointain, on put distinguer,
noyée dans le crépuscule, la pointe
effilée de la tour Eiffel.
DR/Photorail
Cette photo montre
bien l’euphorie
des départs
des premiers jours.
Au premier plan,
on voit l’inscription
«À Berlin».
Mercredi 12 août.
Troyes.
L’épreuve
commence, la plus dure, celle de
l’inaction, du tohu-bohu des ordres
et des contre-ordres quotidiens.
Lundi 17 août.
Voici du nouveau: on
va travailler. Il s’agit d’aménager
notre train sanitaire. Quarante-quatre
wagons de bestiaux nous attendent.
On balaye le crottin de cheval, on
désinfecte au grésyl, on cloue les
montants des porte-brancards, on
visse les traverses. Une équipe plie les
couvertures, une autre étend les
draps, garnit les paillasses qui ne ser-
viront jamais; une autre cloue, aux
lucarnes, des tamis de gaze qui seront
emportés au vent après une heure
de marche. Personne ne sait rien,
on improvise, on improvise. La nuit
venue, les quarante-quatre fourgons
sont là, silencieux, marqués d’une
grande croix rouge sur fond blanc.On
a expulsé la croix de partout, des
écoles, des hôpitaux, des tribunaux,
et la voilà qui reparaît partout (…).
Les douze couchettes de chaque four-
gon attendent, blanches. Dans trois
mois elles seront rouges… Les lavages
au grésyl ne pourront effacer tout le
sang qui les aura imbibées.
Du 17 au 20 août,
inaction. Le 20,
grande nouvelle: on va travailler.
Notre train sanitaire reste en gare, inu-
tilisé, tandis que chaque jour arrivent
du côté deVerdun des convois de
blessés conduits par des trains de ravi-
taillement. Pourquoi, pourquoi donc
ne pas utiliser notre train sanitaire et
les sept ou huit autres sanitaires garés
ici? Mais à quoi bon chercher à com-
prendre? (…). Nous partons dans un
train de ravitaillement. À Consenvoye,
il pleut, le canon tonne à quelques
centaines de mètres, la pluie tombe
(…). Nous regardons le lugubre
tableau. Des bois, des charrettes sor-
tent, s’avancent; des chariots mon-
tent des gémissements de douleur.
Les blessés sont là, sous la pluie, éten-
dus sur quelques poignées de paille
sanglante, la tête en arrière, les yeux
grands ouverts, les mains crispées. Les
pansements improvisés ne peuvent
immobiliser les membres brisés qui se
mêlent, se heurtent dans l’entasse-
ment des voitures (…). Pas un infir-
mier, pas un médecin. Nous sommes
là quarante-quatre infirmiers, deux
médecins, mais pas d’ordres. D’ail-
leurs notre matériel sanitaire est à
Troyes.
Les chariots arrivent, comme ils peu-
vent, jusqu’au quai. Les paysans, aidés
des employés de la gare, saisissent les
blessés, les alignent dans les wagons
à bestiaux d’un train de ravitaillement.
34-
Historail
Octobre 2014
GUERRE 1914-1918
DR/Photorail
Infirmiers et
cheminots (avec
brassard) posent
devant un train
sanitaire.
Tirage disponible
cf.
p. 4
Réf. 310341
Pas de brancards, naturellement, pas
de paille non plus. La fusillade se rap-
proche, la fournaise nous étreint; les
wagons, à chaque décharge de l’ar-
tillerie, tressautent.
« Partez, partez »,
crie le chef de gare. Et on part.
(…)
10-11 septembre.
À Saint-Florentin.
Le matériel du train sanitaire est
perdu (…). Brancards et provisions
pharmaceutiques vont à l’aventure.
Nous voilà les mains vides, parqués
pour une dizaine de jours dans des
wagons de marchandises. Plusieurs
équipes sanitaires, infirmiers, méde-
cins, pharmaciens, sont là dans l’inac-
tion. Les gares voisines regorgent
également d’un personnel sanitaire
inoccupé. Pendant ce temps les trains
de blessés passent sans interruption.
Pas de brancards, pas d’infirmiers, pas
de médecins, pas de paille et pas de
pain. Les blessés sont couchés sur le
bois dans des fourgons à bestiaux. La
nuit est venue. Je traverse le quai. Un
train s’arrête. Quatre cents blessés
sont là, appelant au secours:
infirmier! », « Un médecin! », « Un
peu de paille! »
Des colis traînent sur le quai. Une
caisse pleine de paille et des sacs
vides. J’arrache la paille pour en jeter
quelques poignées dans les plus
proches wagons. Puis on passe les
sacs, on les étend sur le plancher.
J’aide les plus malades à s’installer.
Mais ces menus services ne font
qu’amplifier la clameur. Maintenant
c’est de l’eau, du pain, des paquets
de pansements qu’il faudrait. Des cen-
taines de bras se tendent, des cen-
taines de voix crient:
« Par ici! Par ici!
Descendez-moi. »
Plusieurs blessés ont la dysenterie et
souillent les wagons. J’en prends
quelques-uns sur les épaules, je les
installe au bord du train. D’autres
continuent à appeler. Le train siffle,
part.
Un autre train. Nous sommes là, trois
prêtres-infirmiers (…). Notre présence
ne peut qu’exaspérer leurs souf-
frances… Nous restons.
Après ces vains efforts,
le train
s’ébranle, part dans le sillage rouge
des lanternes. C’est comme une traî-
née de sang qui s’élargit, fuit dans la
nuit, parmi des appels de naufragés.
Octobre 2014
Historail
[ Août-septembre 1914 : de gares en trains, des mobilisés témoignent… ]
1.
Les Poilus,
Grasset, 1926, chapitreII, « La naissance
du poilu ».
2. Jean Norton Cru,
Témoins. Essai d’analyse et de critique
des souvenirs de combattants édités en français de 1915
à 1928,
Les Étincelles, 1929, 727 pp.; version réduite:
Du témoignage, Gallimard, 1930.
3. Rémy Cazals (dit.),
500 témoins de la Grande Guerre,
Éditions Midi-pyrénéennes, Edhisto, 2013, 495 pp.
4.
Les Carnets de guerre de Louis Barthas (1914-1918),
Maspero, 1978.
5. Jean Norton Cru,
op. cit.,
1929, p. 85.
6.
Hommes 40. Chevaux (en long) 8,
Paris, au Sans Pareil,
1916, pp. 7-11.
7. Serge Truphémus,
Introduction,
p. 14.
8. Claude Larronde,
Introduction,
p. 3. Voir aussi R. Cazals,
op. cit.
,
pp. 124-125.
9. Jacques Marseille, Préface, p. 11. Voir aussi Rémy Cazals
(dir.),
op. cit.,
pp. 143-144.
10. Norton Cru,
op. cit.,
p. 179.
11. Norton Cru,
op. cit.,
p. 299.
12. Philippe Claudel,
Préface,
p. 10.
13. Denise et Allain Bernède,
Avant-propos,
p. 7. Voir aussi
Rémy Cazals (dir.),
op. cit.,
pp.179-180.
14. Norton Cru,
op. cit.,
p. 92.
DR/Photorail
Un wagon aménagé
pour le transport
des soldats
grièvement blessés.
À
l’été 1914, le réseau des trans-
ports parisiens se partage entre
diverses compagnies. Depuis 1900, la
CMP (Compagnie du métro de Paris)
exploite huit lignes dont certaines sont
partiellement ouvertes; son rival, le
Nord-Sud, possède deux lignes, de
Porte-de-Versailles à Jules-Joffrin et de
Saint-Lazare à Porte-de-Clichy et
Porte-de-Saint-Ouen. En surface, c’est
la CGO, la Compagnie générale des
omnibus qui compte le réseau le plus
important, une quarantaine de lignes
d’autobus et une trentaine de tram-
ways. D’autres compagnies dont les
plus importantes, laTPDS(Tramways
parisiens du département de la Seine),
la CGPT (Compagnie générale pari-
sienne de tramways) ou encore les
Nogentais, exploitent des tramways
en banlieue dont certaines lignes se
prolongent dans Paris.
À partir de 1906, laCGO,la seule à
exploiter des omnibus, a commencé
36-
Historail
Octobre 2014
GUERRE 1914-1918
La Première Guerre mondiale
dans les transports parisiens
Le premier conflit mondial va fortement perturber les transports
de la capitale. Si la vie continue à l’arrière, une grande part des moyens
et des hommes est partie pour le front.
Coll. RATP
Ateliers de
Championnet:
départ de deux
convois de militaires
dans des autobus
Schneider PB2.
conseil municipal à réagir. Le ministre
de la Guerre, après intervention du
préfet, va ainsi autoriser la construc-
tion de nouveaux autobus en excé-
dent des véhicules destinés à l’armée.
Un nouveau véhicule va faire son
apparition sur le pavé parisien, le
Schneider H.Dès le 1
juin 1916, il
circule les Grands Boulevards sur la
ligne E Madeleine – Bastille, suivie le
août par la ligne AI,Gare-Saint-
Lazare – Place-Saint-Michel. Début
1918, il permet d’exploiter les lignes
H, Avenue-de-Clichy – Odéon, et AK,
Gare-Saint-Lazare – Gare-de-Lyon.
Alors que la capitale tente au mieux
de faire disparaître les conséquences
de la guerre, elle ne va pas être pour
autant épargnée par le conflit. Dans la
nuit du 29 janvier 1916, un dirigea-
ble va survoler Paris et lâcher ses
bombes sans pour autant viser des
objectifs stratégiques. Un engin explo-
sif tombe ainsi boulevard de Belleville
perçant la voûte du tunnel du métro à
proximité de la station Couronnes.
Plutôt que de réparer, on va décider
de conserver cette ouverture comme
aération supplémentaire. Le 12 avril
1918, c’est la station Saint-Paul qui
est atteinte par une bombe, ses accès
étant endommagés. En mai 1918,
d’autres engins vont tomber sur les
stations Campo-Formio et Corvisart.
Face aux raids aériens, il est décidé
d’aménager les stations les plus pro-
fondes pour servir d’abri. Jean Robert
explique qu’en cas d’alerte, les trains
étaient arrêtés, le courant coupé et la
population pouvait descendre sur les
voies. Le 11 mars 1918, un raid aérien
va provoquer un tragique mouvement
de panique à la station Bolivar. La
foule va ainsi se masser devant les
portes de la station qui ne s’ouvrent
que sur l’extérieur. Poussés par les
nouveaux arrivants, les premiers rangs
vont se trouver écrasés avant que les
portes ne finissent par céder sous la
pression. Un très lourd bilan de 66
morts est à déplorer. En conséquence,
toutes les portes des stations seront
modifiées pour s’ouvrir dans les deux
sens.
À mesure que le conflit se prolonge,
les conditions d’exploitation du métro
vont devenir de plus en plus difficiles.
Le manque de matières premières,
notamment de charbon pour la pro-
duction d’électricité, va imposer des
mesures de restrictions importantes.
En 1916, l’éclairage des stations est
réduit de moitié, seule une dizaine
d’ampoules étant conservée sur
chaque quai. Dans les trains égale-
ment l’éclairage est ramené au mini-
mum avant que le service lui-même
ne soit revu à la baisse. En contrepar-
tie, la CMP va s’efforcer d’augmenter
la capacité des voitures en réduisant
notamment le nombre de places
assises après retrait d’une série de
banquettes. Chaque rame va ainsi
comporter une voiture pour voyageurs
debout. Le Nord-Sud va en faire de
même, certaines de ses motrices ne
conservant que sept places assises.
Les tramways peinent
à prendre le relais
À côté du métro, les tramways ont
eux aussi continué à circuler avec plus
ou moins de difficultés. Au début du
GUERRE 1914-1918
Des transports divers
pour des compagnies nombreuses
En 1914 à la déclaration de guerre, les transports parisiens sont loin d’être unifiés.
Si la Compagnie générale des omnibus reste la seule à exploiter des autobus, elle est
concurrencée par de nombreuses compagnies de tramways de banlieue autorisées
à prolonger leurs lignes dans la capitale (TPDS, CGPT, Nord-Parisien, Ouest-Parisien,
Nogentais, Rive-Gauche, Paris-Arpajon, Chemin de fer du bois de Boulogne). Une
première concentration est pourtant déjà intervenue en 1910 autour des compagnies
les plus solides. Sous terre, le métro apparu en 1900 a été concurrencé dès 1910
par le Nord-Sud. À ces exploitants traditionnels s’ajoutent le grand chemin
de fer dont la Petite Ceinture, complétée par la ligne d’Auteuil, assure un service
urbain non négligeable. Très important également, le service des bateaux sur la Seine
déployé sur plusieurs lignes entre Suresnes et Charenton. Enfin, il ne faut pas négliger
les trois lignes de funiculaires, celui de Belleville (en réalité un tramway de type
câble-car), le funiculaire de Montmartre et celui de Bellevue à Meudon.
Tramway électrique:
motrice n°522
de la ligne 13
de la Compagnie
générale parisienne
de tramways
(CGPT),
le 1
juin 1915.
Coll. RATP
40-
Historail
Octobre 2014
Octobre 2014
Historail
conflit, le service avait été considéra-
blement réduit avant de se rétablir
progressivement pour atteindre début
1916 le niveau d’avant guerre. On
pourrait penser que les tramways
allaient pallier le manque d’autobus
en assurant un service efficace. Mais le
manque de personnel va considéra-
blement entraver les conditions d’ex-
ploitation. Les compagnies vont donc
se tourner vers la main-d’œuvre fémi-
ninequi va remplacer les receveurs et
les machinistes mobilisés. Des femmes
seront aussi affectées à l’entretien du
matériel roulant dans les ateliers.
Louis Lagarrigue souligne que leur
inexpérience (due à un recrutement
effectué dans l’urgence) va créer une
difficulté supplémentaire pour les
compagnies dont la situation en cette
période de guerre n’est pas très flo-
rissante. Les conditions économiques
nouvelles vont en effet modifier la
donne alors que les tarifs, calculés
avant guerre, restent inchangés.
Les recettes augmentent en effet du
fait de la suppression de certains ser-
vices, de la surcharge des voitures et
de la réduction du nombre de courses
aux heures creuses. Mais dans le même
temps, les charges sont en hausse dues
en partie aux augmentations de salaire
des personnels qui obtiennent des
indemnités de vie chère.
Plus grave encore, le prix des matières
premières va considérablement aug-
menter au fur et à mesure que la
guerre se prolonge. Les rails coûtent
200% plus cher, les pièces de bronze
augmentent de 275%, quant à la
tonne de charbon (nécessaire notam-
ment à la production d’électricité),
elle passe de 15francs en 1914 à
262francs en 1920. Jean Robert pré-
cise dans
Les Tramways parisiens
le coefficient d’exploitation (rapport
entre recettes et dépenses) de l’en-
semble des compagnies de tramways
passe de 0,74 en 1914, à 0,83 en
1916, 0,91 en 1917 pour atteindre
au final 1,11 en 1918, c’est-à-dire que
[ la Première Guerre mondiale dans les transports parisiens]
De gauche à droite
et de haut en bas:
autobus prototype
Schneider H n°287
à plate-forme
intérieure
de la STCRP
(janvier1916);
en 1916, le ministre
accepte que soit
construit un nouvel
autobus pour Paris,
le Schneider H. Un
exemplaire rénové
est exposé à la
maison de la RATP
(juillet2014);
la ligne Madeleine –
Bastille, désignée
par l’indice E par la
CGO, traverse les
Grands Boulevards.
Elle est la première
à recevoir les
nouveaux autobus.
Coll. RATP
Ph.-E. Attal
Extrait de l’
Annuaire Didot-Bottin
/Coll. Ph.-E. Attal
Octobre 2014
Historail
[ la Première Guerre mondiale dans les transports parisiens]
Photos Coll. RATP
Ci-dessus: photo
où l’on voit bien
les femmes qui
travaillent ici en tant
que receveuses
devant une motrice
T0 de la compagnie
TPDS.
Ci-contre: groupe
de receveurs devant
une motrice
série 150
de la Compagnie
des chemins de fer
nogentais, banlieue
est de Paris.
Au déclenchement de la guerre, le réseau du métro
qui n’a pas encore 15 ans est déjà bien développé.
Durant le conflit, la ligne 7 de la CMP est prolongée vers
Palais-Royal tandis que le Nord-Sud pousse la ligne A
jusqu’à Porte-de-la-Chapelle (Coll. Ph.-E. Attal).
(Imprimerie Dufrénoy, 1914)
Octobre 2014
Historail
vécu comme une victoire, on est bien
conscient que la France ne va pas l’ac-
cepter aussi facilement. Dans les états-
majors, on sait qu’une nouvelle guerre
aura bien lieu, et il faut s’y préparer
au plus tôt. C’est à cette fin qu’est
élaboré le plan Schliffen, qui vise à
envahir la France et conquérir Paris.
L’offensive envisagée implique un pas-
sage par la Belgique pour déboucher
par surprise sur nos frontières.
Seul problème s’il en est, la Belgique
est un pays neutre. Coincé entre ses
puissants voisins, le petit État a, dès
sa création, choisi de rester en dehors
de tous les conflits. L’Angleterre qui
tient au respect des équilibres sur le
continent s’est portée garante de sa
neutralité.
Durant la guerre franco-prussienne de
1870, la préoccupation de la Belgique
sera déjà d’éviter que son territoire ne
soit traversé par des convois, français
comme allemands. Des troupes du
génie ont ainsi été envoyées aux
frontières du royaume pour couper
au besoin les liaisons avec l’étranger.
Vingt et un sites ont été répertoriés
où les voies pouvaient être démon-
tées et les ponts minés pour bloquer
les trains des belligérants. Si au final
l’invasion n’a pas eu lieu, cette guerre
allait servir de répétition générale pour
l’armée belge.
En août1914, c’est à nouveau la
guerre et la France pense rapidement
reconquérir les provinces perdues.
L’essentiel de notre stratégie va consis-
ter à attaquer en Alsace, sans pren-
dre la mesure des mouvements opé-
rés par les armées allemandes. Pour
la Belgique, la menace va devenir très
concrète dès le 2août à 19havec cet
ultimatum demandant au gouverne-
ment du roi Albert le libre passage
des troupes allemandes. Une traversée
de la Belgique présentée comme un
moyen de répondre à une concentra-
tion de troupes françaises s’apprêtant
à opérer vers Givet et Namur. Le gou-
vernement belge va répondre par la
négative en rappelant les traités
reconnaissant sa neutralité signés en
1830 et 1870 par les grandes puis-
sances dont la Prusse. Tous les moyens
seront mis en œuvre, précise le gou-
vernement pour défendre la neutralité
du pays.
Côté allemand, la menace belge ne
paraît pas très inquiétante. Comment
ce petit pays pourrait-il s’opposer à sa
formidable puissance militaire? Les
diplomates vont s’agiter, notamment
en Grande-Bretagne et en Allemagne,
mais existait-il une issue? L’échec des
négociations va conduire à la viola-
tion de la neutralité belge avec pour
conséquence l’entrée en guerre du
Royaume-Uni.
La résistance belge va s’avérer plus
coriace que prévue. L’ensemble du
dispositif défensif s’appuie sur trois
places fortes – Namur, Liège et
Anvers– chacune pouvant servir de
repli selon l’évolution d’un conflit
armé. Quinze jours après l’invasion
allemande pourtant, l’ensemble des
forces est contraint de se rabattre sur
la position fortifiée d’Anvers, destinée
à devenir un réduit national en atten-
dant l’aide des puissances garantis-
sant la neutralité belge. Cette posi-
tion, la plus importante du pays, est
constituée d’un ensemble de deux
lignes de forts sur une longueur de
95km. Au cœur de ce dispositif, un
réseau ferrédense au service de la
stratégie militaire. Il s’agit désormais
de tenir la position coûte que coûte
et tous les moyens seront bons pour
contenir l’avancée allemande.
Un des enseignements de la guerre
de 1870 a été la création en 1874
d’une Compagnie du génie ferroviaire
qui va prendre une part active dans
la défense du secteur d’Anvers.
Durant le siège, d’importants moyens
vont être mis en œuvre pour résister
au mieux à l’envahisseur. Parmi les
armes dont dispose la Belgique, des
trains blindés vont intervenir sur le
terrain, équipés de lourdes pièces
d’artilleriedont la mobilité va s’avé-
rer d’une efficacité redoutable.
Un autre de ces moyens utilisés par le
génie est moins connu. Il s’agit de ce
que l’on va appeler les trains brûlots
ou trains fantômes.Vincent Scarniet
dans l’ouvrage
D’Anvers à l’Yser, la
Compagnie de Chemin de fer du
génie et les trains blindés,
explique que l’interdiction des voies
de communication était un sujet de
préoccupation primordial pour l’état-
major. Il va donc apparaître nécessaire
de procéder à dessabotagespour
prévenir toute incursion. Ces opéra-
tions vont parfois s’avérer délicates
sur le champ des opérations et à Liège
pour la première fois, on va utiliser du
matériel ferroviaire pour procéder à la
neutralisation des installations.
Le25septembre,ordre est donné de
rendre inutilisable par l’ennemi la ligne
Enghien – Ath.La pratique en pareil
cas est de faire sauter les ouvrages
d’art, ponts et tunnels. Sur la ligne en
question, il apparaît rapidement qu’il
n’y en a pas et qu’il va falloir procéder
à des coupures de tronçons de voie en
Octobre 2014
Historail
Un train fou qui va dérailler en gare
d’Hoboken causant des dégâts assez
importants et tuant trois civils.
Le 16octobre au matin à Dixmude,
c’est une locomotive que les Belges
voient arriver à vive allure depuis le
secteur ennemi. L’engin qui paraît vide
franchit les ruptures mises en place,
traverse les lignes et vient s’écraser
contre des wagons restés en gare.
Reste que le sacrifice du matériel fer-
roviaire utilisé comme arme de guerre
peut laisser songeur. Ces wagons et
ces locomotives n’auraient-ils pas été
plus utiles ailleurs en facilitant notam-
ment le mouvement des troupes pré-
servant ainsi les capacités de l’armée?
La question est directement posée par
Arthur L Pasquier dans son ouvrage
Carnets de Campagne
paru en 1939.
Ses propos, repris dans
Destination le
front (cf. p. 88)
publié aux éditions
Racine font part de ses interrogations:
«Le Colonel faisait obstruer, en effet la
voie du Nord belge vers Huy. On avait
enlevé quelques rails dans le milieu du
tunnel sur chacune des voies (pour
que) “Coucou” lance, de toute la
vitesse dont elle est capable, des rames
de six wagons pleins de coke. […] J’in-
tercède pour elle auprès du colonel
qui suit l’opération sous la marquise
de la gare.
“Mon Colonel, ne croyez-
vous pas que nous pourrions encore
en avoir besoin?”
. Et “Coucou” ne fut
pas lancée dans le tunnel.»
Cette manière de faire la guerre ne
fera finalement pas florès et le sacri-
fice du matériel ferroviaire à des fins
militaires restera marginal. La mesure
sera tout de même évoquée en 1915
par le manuel des sous-officiers du
génie, tout en définissant strictement
son utilisation. Par la suite, on cher-
chera davantage à préserver les capa-
cités ferroviaires, ne les détruisant que
pour empêcher l’ennemi de les utiliser.
Une approche quelque peu différente
des trains brûlots.
Philippe-Enrico Attal
[ le sacrifice des trains belges ]
Bruxelles, coll. P. Pastiels
Ci-dessus, de haut
en bas:
des soldats belges
du régiment des
Guides prennent la
pose sur un wagon
plat de la gare-dépôt
de Braine-le-Comte
en août 1914…
… quatre mois plus
tard, ce sont des
artilleurs allemands
qui seront
photographiés
paradant dans
la même gare.
Juvisy, un nœud
stratégique au sein
du réseau national
Pendant la guerre, le triage de
Juvisy est une porte ferroviaire entre
Paris, la région Sud-Ouest et, dans
une moindre mesure, la région Sud-
Est de la SNCF
. Comme tous les
grands triages de la région parisienne,
son établissement résulte de la
volonté de décharger les grandes
gares parisiennes d’un trafic en crois-
sance constante depuis plus d’un siè-
cle. À son tour, son exploitation est
soulagée par la construction du triage
de Brétigny en 1916 qui devient son
auxiliaire en ce qui concerne les opé-
rations de triage des wagons origi-
naires du Sud-Ouest. Avec Villeneuve-
Saint-Georges et Massy, Juvisy forme
le trio des grands triages de la Grande
Ceinture au sud de Paris, Juvisy consti-
tuant un carrefour ferroviaire au croi-
sement des trois anciens réseaux, PO,
PLM et Grande Ceinture
Bien qu’occupant une position déter-
minante au sein du réseau national,
Juvisy est loin d’être une gare vérita-
blement moderne à l’instar de Trappes
qui demeure une référence en la
matière. Elle semble dépassée tant au
niveau de son organisation que de ses
équipements. Dès septembre 1939,
ce sont plus de 900 cheminots qui
s’échinent à faire rouler les convois
militaires vers le front où ils sont atten-
dus. En juin 1940, elle devient une
composante de la ligne Chauvineau
imaginée par les généraux français.
Cette ligne de défense tracée au sud
de Paris doit permettre à l’armée fran-
çaise d’effectuer un repli sur la Loire.
Déjà l’ombre des bombardements
plane sur la gare alors que des canons
français doivent couvrir les zones clés,
notamment le pont de chemin de fer
situé sur la route nationale 7
Pourtant les bombardements alle-
mands des3 et 9 juin n’atteignent
presque pas la gare, seul le château
d’eau est détruit. En revanche, qua-
tre civils sont tués
. Le 15 juin, la gare
est prise presque intacte. L’armée fran-
çaise en reculant prend soin de
détruire les ponts alors que les che-
minots font partir les derniers trains
vers le sud dans une certaine désor-
ganisation. En effet, les installations
ferroviaires du triage de Juvisy situées
aussi sur la commune d’Athis-Mons
sont d’une importance capitale pour
l’envahisseur. Avec une capacité de
triage allant de 2500 à 4000 wagons
par jour, Juvisy détient la plus grosse
capacité de la région Sud-Ouest
SNCF
. Les Allemands comptent bien
l’utiliser dans la réalisation de leurs
ambitions militaires. Ces caractéris-
tiques vont faire de la gare une cible
importante pour l’aviation anglo-amé-
ricaine malgré l’activisme des résis-
tants et cheminots sur le site, jugé
insuffisant par le commandement
militaire interallié.
Un pôle de contestation
contre l’occupant
À l’image de tant d’autres, ce triage
est au premier rang de certains des
épisodes les plus marquants de la
Seconde Guerre mondiale en France:
au cœur de la mobilisation; compo-
sante de la ligne Chauvineau lors de
la débâcle; point de passage des
trains du STO ou de déportés, des
trains militaires allemands dits TCO,
des permissionnaires, des trains char-
gés de matériaux destinés au mur de
l’Atlantique pour le compte de l’or-
ganisation Todt. En réaction, il devient
aussi un important lieu de contesta-
50-
Historail
Octobre 2014
GUERRE 1939-1945
Le triage de Juvisy:
une cible de choix
70 ans après la Libération, l’épreuve la plus marquante de la guerre
à Juvisy et à Athis-Mons reste la terrible nuit du 18 au 19 avril 1944
où les installations ferroviaires sont ciblées et une grande partie des deux
villes complètement anéantie alors que l’on déplore des centaines de morts
dans la population. Les mois suivants, des raids aériens viennent
constamment gêner les travaux de remise en état du site jusqu’au début
du mois d’août alors que les Américains s’approchent de la capitale.
Octobre 2014
Historail
tion et de résistance à l’occupant. Hit-
ler lui-même y est bloqué 45 minutes
le 22 octobre 1940, vers 16h, par les
cheminots lorsqu’il part à Montoire
rencontrer Laval puis Pétain le lende-
main
. Il est difficile de donner un
chiffre précis qui englobe l’ensemble
des cheminots ayant résisté. Certains
ont pu résister une minute avant
d’être passifs pour le reste de la
guerre. D’autres s’affairent quoti-
diennement à ralentir les trains, à
saboter les machines ou les voies, à
provoquer incendies et déraillements,
à voler des pièces nécessaires aux
réparations. Certains agissent seuls
spontanément, d’autres rejoignent
des mouvements et des réseaux de
résistance. Enfin certains rejoignent
les corps francs Vengeance
et d’au-
tres naturellement des FTP. Naturel-
lement, car avant guerre, la ville com-
muniste d’Athis compte en son
conseil municipal de nombreux che-
minots et l’un des principaux leaders
politiques locaux n’est autre que l’an-
cien cheminot Lucien Midol
. En
dépit de son interdiction et de sa
répression qui commencent dès
1939, le PC demeure populaire dans
une grande partie de la population
cheminote, d’où l’importance de leur
mobilisation au sein des FTP
De nombreux cheminots de la gare
étant liés à ces deux organisations res-
ponsables de la plupart des faits
d’armes sur le triage et ses alentours,
la zone est sous surveillance étroite:
polices secrètes française et allemande
travaillent de concert pour faire main
basse sur les combattants de l’ombre,
en contact parfois avec les agents de
renseignement parachutés pour éva-
luer le terrain. Ainsi au cours de l’an-
née 1942, un agent du SOE du nom
de Denis Rake se cache dans une
famille cheminote communiste. C’est
dans un bleu de travail que celle-ci lui
a fourni qu’il peut se rendre sur les
voies afin de faire un relevé précis du
triage destiné à préparer son bom-
bardement
. Le péril est grand car
l’ennemi aussi dispose d’agents sur le
triage traquant les résistants.
Inéluctabilité des frappes
aériennes: les préparatifs
Déjà, lors du congrès de la Fédération
CGT des cheminots qui a lieu à Paris
du 27 au 30 juin 1938, le délégué Her-
not de Juvisy rappelle la nécessité de la
construction d’abris à proximité des
triages, grandes gares et centres indus-
triels
. Les cheminots sont alors mar-
qués par la guerre d’Espagne et le bom-
bardement de Cerbère, une gare
française à la frontière catalane
. La
défense passive prend en charge les tra-
vaux de construction. Trois abris pou-
vant recevoir 100 personnes chacun
sont bâtis le long des voies à Athis-
Mons, trois autres sont construits à
Juvisy dont un sous l’égide de la SNCF,
situé non loin du bâtiment voyageurs
de la gare. Des habitants, et notam-
ment des cheminots, récupèrent des
matériaux sur le triage afin de construire
des abris particuliers dans leurs jardins.
Malheureusement, la topographie
locale ne permet pas d’enfoncer les
abris assez profondément dans le sol, le
triage et ses environs se situant en zone
inondable. Pendant les bombarde-
ments, ces derniers se transformeront
en des pièges mortels. Les pouvoirs
publics et les populations payeront au
prix fort leur inexpérience de la guerre
moderne et des bombardements
aériens. Pour noircir encore un peu plus
le tableau, les stocks en moyens de
secours appropriés aux attaques
aériennes ne sont pas constitués.
Archives municipales de Juvisy
Vue prise depuis
un dortoir SNCF
épargné par les
bombes: le dépôt
des machines
vapeur et le château
d’eau rescapé.
Octobre 2014
Historail
Lyonqui mène à Villeneuve-Saint-
Georges. Si le pilonnage du 18 avril
avait pour but de détruire le triage, les
frappes suivantes doivent gêner les
opérations de déblaiement et de
remise en fonction du réseau. Elles
tiennent plus du harcèlement que
d’opérations de grande envergure.
Elles causent tout de même leurs lots
de victimes pour des résultats mitigés.
Le rétablissement de la circulation
demeure alors une priorité pour les
Allemands. Le 24 mai, trois jours après
la messe donnée en l’honneur des che-
minots et la visite du chef de l’État
l’alerte sonne de nouveau sur le triage
à 9h45. Les Allemands installent des
canons de DCA sur des wagons et les
toits d’usines voisines. La Flak arrose
ainsi les escadrilles de chasseurs-bom-
bardiers, laissant tomber sur les voies
les éclats de douilles qui pleuvent par
centaines. La population et les voya-
geurs courent sur les berges de la Seine
pour s’abriter. Un chapelet de bombes
s’écrase près des voies, sous les yeux
des cheminots qui, malgré le danger,
continuent de travailler. Ce jour-là, ce
sont Orly et Villeneuve-Saint-Georges
qui sont les cibles prioritaires.
Jusqu’au 12juin, la fréquence des
bombardements reste élevée. Le
27mai, nouvelle alerte, la DCA ouvre
le feu à 14 h, car des avions piquent
sur le triage pour larguer leurs engins
explosifs. En explosant, ils causent d’im-
menses jets de pierres et de terre dans
un fracas assourdissant. Le pont visé
n’est pas détruit, mais cinq péniches
passant en dessous sont touchées et
s’enfoncent dans le fleuve avec leur
équipage. Sur le triage, un wagon de
munitions flambe et crépite, à la gare
d’Athis-Mons un blessé grave est éva-
cué par un véhicule sanitaire. Le 28 mai
à 16h, encore un raid, de nouveau la
DCA fait feu et les bombes tombent.
Un pont de passagers est détruit,
la voie réparée coupée à nouveau:
caténaires pendent lamentablement,
les rails sont projetés de tous côtés. »
29mai, lepont de Lyonest touché
ainsi que le triage, des wagons char-
gés de bois brûlent du côté de l’extré-
[ le triage de Juvisy : une cible de choix]
En haut: l’épave
d’une 230 K de l’Est
(ex-série 3100-3200
Est) en relais
traction.
Ci-dessus:
des cheminots
posent avec une
141C de l’ex-PLM
durement touchée.
Coll. M. Tessier
Archives municipales de Juvisy
mité nord du triage. Le soir du 2 juin,
nouveau bombardement, le dernier
avant le débarquement.
Le 7 juin, pendant que la tête de pont
alliée prend racine sur le littoral nor-
mand, la gare subit un martèlement
important; de nombreux trains de
troupes affluent de toute la France
vers la Normandie. À Juvisy, l’un d’eux
se fait mitrailler à quelques kilomètres
alors qu’il sort de la gare.
Une opération d’envergure est lancée
sur Juvisy la nuit du 7 au 8juin. Celle-
ci ne fait pas de victimes parmi la popu-
lation au sol. En revanche, les voies
sont de nouveau rompues. La DCA de
Juvisy et des autres gares font des
ravages cette nuit-là: 17 Lancaster et
11 Halifax sont abattus par la Flak.
Parmi les Halifax descendus, un s’écrase
à Corbeil, un autre près de Brétigny. Le
12 juin, des bombardiers légers atta-
quent vers 13h, causant trois morts et
neuf blessés.
« La gare a un aspect
lugubre: vitres et plâtres jonchent les
quais, les portes sont arrachées, les
rideaux volent au vent. Un train brûle,
car une bombe est tombée en gare
même. La fumée obscurcit l’atmo-
sphère, les flammes montent jusqu’à
la passerelle »
. Une autre source
confirme que 40 wagons brûlent au
centre du triage. À 21 h, c’est le triage
de Brétigny qui est la proie de l’avia-
tion, une grande étendue est sacca-
gée par les flammes, les munitions
« sautent de partout. »
Jusqu’au
4août, le site est épargné. Régulière-
ment, les cheminots du triage enten-
dent et voient passer des avions qui
atteignent d’autres cibles. Les alertes
sont récurrentes. Puis c’est de nouveau
l’enfer, le nord des installations est de
nouveau visé. Le bilan est lourd: six
morts et 90 blessés, dont 12 grave-
ment. Ces bombardements gênent
considérablement l’avancée des chan-
tiers et la remise en service des voies
de chemin de fer sans pour autant
empêcher totalement la circulation
des trains allemands!
Un lourd bilan
Alors qu’en temps de paix un grand
triage est un rouage de l’économie
nationale, en temps de guerre il se
transforme en cible attirant à lui des
bombes destructrices suscitant à sa
périphérie d’importants dommages
collatéraux selon la terminologie
moderne. La mort frappe les deux
cités: le bilan officiel est de 392 vic-
times, soit 125 à Juvisy et 267 à Athis-
Mons; soit 1,5% de la population
recensée en 1936 à Juvisy en 1936 et
2,4% à Athis. Parmi elles, une dizaine
d’Allemands et près de soixante
agents de la SNCF ou membres de
leurs familles. La plupart des per-
sonnes préférant rejoindre les abris
plutôt que fuir mourront écrasées
sous le poids des immeubles s’affais-
sant sur eux. En incluant les installa-
tions ferroviaires, ce sont 453 immeu-
bles qui sont complètement détruits
et 490 partiellement endommagés.
Au plan ferroviaire, le bombardement
a détruit plus de 47 km de voies, les
deux sauts-de-mouton franchissant
les quatre voies principales, 132 appa-
reils, huit postes d’enclenchements
(aiguillages), les installations de signa-
lisation, d’éclairage et de force
motrice, plus de 60 km de lignes de
contact, ainsi que les canalisations
d’eaux. Seul le bâtiment voyageurs
est encore debout. Côté matériel, 30
locomotives sont avariées, 1300
wagons inutilisables.
Soumises à l’épreuve des bombarde-
ments alliés, les deux communes de
Juvisy et d’Athis-Mons et particulière-
ment leurs foyers cheminots ont payé
un lourd tribut.
Benjamin Pereira
58-
Historail
Octobre 2014
GUERRE 1939-1945
Après le
bombardement, sur
le triage: wagons
enchevêtrés et
chars allemands
retournés.
Archives municipales de Juvisy
L
e patriotisme des cheminots dans
tous les pays occupés par les Alle-
mands a été tant de fois célébré et
magnifié depuis la guerre, on nous a
fait le récit de tant d’actes témoignant
de l’héroïsme le plus élevé, inspiré
souvent par une totale abnégation ou
une témérité folle, qu’il ne paraît
guère possible d’ajouter des pages
intéressantes et inédites à tous les
récits déjà entendus.
L’aventure de ce qu’on a appelé en
Belgique «le train fantôme» paraît
cependant digne d’être contée. C’est,
à la veille même de la libération de
Bruxelles, l’histoire d’un train spécial
qui fut chargé de déporter en Alle-
magne les derniers prisonniers poli-
tiques détenus dans la capitale belge
et qui subit, dès sa formation et par la
volonté des cheminots belges, des tri-
bulations et des retards tels qu’après
avoir vainement parcouru quelques
kilomètres il ne put finalement fran-
chir la frontière et dut revenir à son
point de départ où les Allemands
l’abandonnèrent pour prendre eux-
mêmes la fuite. Et si cette aventure
mérite de retenir notre attention, ce
n’est pas seulement en raison de l’im-
portance du but à atteindre – il s’agis-
sait d’enlever des griffes de l’ennemi
quinze cents prisonniers destinés aux
bagnes nazis – c’est aussi et surtout
parce que ce but fut atteint grâce à
l’intervention d’une multitude
d’agents des gares, des dépôts et de
la voie, qui mirent en œuvre, à cette
occasion, toutes les ressources, toutes
les finesses du métier, sous la menace
incessante d’une imposante garde
ennemie qui ne parvint à aucun
moment à déjouer leurs combinai-
sons.
Voici donc, brièvement résumés, ces
faits qui se situent à Bruxelles au
2septembre 1944. Venant de l’ouest,
les Alliés approchent; ils ont franchi
la frontière belge la veille. On assiste à
la fuite accélérée de l’ennemi qui, tou-
tefois, a toujours soin d’emmener
avec lui les prisonniers dont les geôles
sont pleines. C’est ainsi que ce jour-là,
réveillés et groupés de grand matin,
les quinze cents derniers détenus poli-
tiques de la prison de Saint-Gilles, à
Bruxelles, sont menés à la gare de
Bruxelles-Midi et entassé dans une
rame de wagons fermés dont le
départ est fixé à 8h30. Ce train com-
prend aussi des wagons destinés aux
60-
Historail
Octobre 2014
GUERRE 1939-1945
Les rescapés du
«train fantôme» à
Bruxelles au cours
de la manifestation
de reconnaissance.
La très véridique histoire
train fantôme
Avez-vous entendu parler du «train fantôme», ce convoi
de 1500 déportés français et belges que les vaillants cheminots
belges empêchèrent de passer en Allemagne à la veille de la
Libération? Voici son histoire écrite pour
Notre Métier
en 1947
par M.Chenu, ingénieur en chef à la direction du Matériel
de la Société nationale des chemins de fer belges.
À ce sabotage effectif s’ajouta une
tenace et incessante manœuvre de
bluff, de lente démoralisation, d’insi-
dieux conseils de fuite qui s’adres-
saient plus particulièrement au com-
mandant allemand du train, on lui
parlait de l’avance des Alliés venant
de Tournai, du danger imminent d’en-
cerclement auquel il était exposé ainsi
que ses soldats – comme en témoi-
gnaient les incendies s’allumant peu à
peu dans le lointain…
Mais que faisaient, pendant ce temps,
les prisonniers du train? Laissons la
parole au président de leur Amicale qui
raconta cette odyssée par le menu:
«Si, à l’extérieur des fourgons la confu-
sion régnait, à l’intérieur, est-il besoin
de le dire, l’émotion était à son comble.
Pensez donc! D’une part on voyait
des soldats allemands jeter leurs fusils
et, d’autre part, notre convoi, privé
de locomotive, était gardé par des SS
rageurs.
«Que se passait-il?
«Toutes les suppositions étaient
émises, selon nos caractères et nos
tempéraments, depuis la plus pessi-
miste, c’est-à-dire la mitraillade pure
et simple par les SS jusqu’à la plus
optimiste, la capitulation sans condi-
tions de l’Allemagne, en passant par
notre remise en cellule, pour servir
d’otages et empêcher ainsi la Résis-
tance belge d’agir.
«Brusquement, les gardiens SS dis-
parurent; la nouvelle que nous allions
retourner à la prison de Saint-Gilles
pour y être libérés se répandit, plus
persistante, toujours atténuée par la
menace de servir d’otages. Finale-
ment, la réalité se fit jour: un accord
était intervenu, nous étions libres!»
Les prisonniers étaient libres, en effet.
Le commandant allemand, de plus en
plus désemparé, avait cherché sans
succès à obtenir des ordres précis
auprès des autorités allemandes de
Bruxelles et finalement avait fini par
ordonner la libération des détenus.
Laissons toujours parler le président
de leur amicale:
«Les cheminots de la Petite-Île (gare
voisine de Bruxelles-Midi où se trou-
vait alors garé le train) et les geôliers-
feldgrau souriants, ouvrirent les portes
de nos fourgons.
«En un flot tumultueux, criant à qui
mieux-mieux pour retrouver une
femme, un frère, un ami que l’on
savait détenu, les uns abandonnant
leur paquetage, les autres ployant
sous une charge trop lourde pour
leurs corps amaigris, les quinze cents
libérés inondèrent bientôt le quai, puis
débordèrent sur le talus.
«Les plus prévoyants, craignant un
contre-ordre, s’éloignaient en cou-
rant; d’autres, vainement, conti-
nuaient d’appeler d’une voix devenue
rauque, celui ou celle que le destin
avait déjà conduits en Allemagne par
un convoi précédent.»
Telle fut l’odyssée dramatique du
«train fantôme» qui, comparée à
des milliers d’actes sensationnels de
sabotage accomplis par la Résistance
avec un héroïsme qui n’est plus à sou-
ligner, présente cette particularité,
digne de retenir l’attention des che-
minots, c’est qu’elle fut conduite sans
défaillance par un grand nombre
d’agents, uniquement inspirés par une
vision nette du but à atteindre, l’ac-
tion d’ensemble étant orchestrée par
le sentiment invisible mais puissant
qui les soulevait tous à ce moment:
la solidarité de tous les patriotes.
C’est dire qu’il est impossible de citer
tous ces agents souvent d’un égal
mérite. Un très grand nombre d’en-
tre eux obtiendra des distinctions
honorifiques sur le plan de la recon-
naissance nationale belge et il
intéressera sans doute nos lecteurs
français d’apprendre que le gouver-
nement français, tenant compte de
ce qu’un grand nombre de Français
se trouvaient parmi les prisonniers du
«train fantôme», ne manqua pas
d’exprimer sa reconnaissance aux
héros de cette aventure et de leur
décerner des distinctions.
En septembre1944, quelques jours
après la libération de Bruxelles,
M.Foulon, président de la chambre
de commerce française, lui-même res-
capé du «train fantôme», vint remet-
tre un don à ces cheminots qui déci-
dèrent sur-le-champ de le verser à des
œuvresde guerre. Enfin, la France fut
officiellement représentée à l’émou-
vante manifestation de reconnais-
sance qui eut lieu à Bruxelles en
septembre1945 pour commémorer
cette belle aventure.
62-
Historail
Octobre 2014
GUERRE 1939-1945
De gauche à droite,
l’abbé Godds
et M.Foulon
(président de
la chambre de
commerce
française), les
deux doyens d’âge
des prisonniers
rescapés du convoi,
Louis Verheggen
le mécanicien
et Léon Pochet
son chauffeur.
L’opération présente la particularité d’avoir été conduite
sans défaillance par un grand nombre d’agents…
Octobre 2014
Historail
Le classement de la ligne
dans le plan Freycinet
Après la chute de l’Empire, la III
Répu-
blique monarchiste accuse un retard
important dans le développement des
lignes ferroviaires. Début 1878, Gam-
betta parvenu enfin au pouvoir
entend enraciner les valeurs de pro-
grès et d’équité territoriale de la Répu-
blique au fond des campagnes. Son
ministre des Travaux publics
Charles
de Freycinet annonce début 1878, les
idées-forces de son plan: en 10 ans, la
construction de près de 8700km de
lignes nouvelles d’intérêt général,
en sus des 8000km de lignes déjà
programmées. Les cantons les plus
déshérités devraient être raccordés
aux grandes lignes. Aussitôt connu le
projet d’une telle ligne entre Cahors et
Valence-d’Agen, les deux chefs-lieux
de canton intermédiaires, Lauzerte
dans le Tarn-et-Garonne et Montcuq
dans le Lot, se prononcent pour une
telle ligne qui facilitera
« l’écoulement
des nombreux et riches produits de la
contrée. »
Si le projet de loi du 4 juin 1878 pro-
pose 154 lignes nouvelles – dont la
ligne n°92
« de Valence-d’Agen à (ou
près de) Cahors »
– plus 53 lignes d’in-
térêt local promues d’intérêt général,
il est entendu que ces lignes contien-
nent des imperfections de détail que
corrigeront les interventions sollicitées
des députés, sénateurs et conseillers
généraux, carte en mains. C’est ainsi
que le 3 juillet 1878, Freycinet adresse
des directives aux préfets: Si
«dans
leur prochaine session d’août, les
conseils généraux sont invités à faire
des propositions de modifications
partielles »
, dans l’immédiat, ils ne
devront
« pas attacher trop d’impor-
tance au tracé provisoire dessiné entre
des points extrêmes qui, seuls, sont
fixés par le projet de loi. Le parcours
intermédiaire est destiné à varier sui-
vant les conditions que feront ressor-
tir les études plus approfondies qui
précéderont la déclaration d’utilité
publique. C’est donc uniquement sur
ces points extrêmes que l’attention
du conseil général doit se porter pour
le moment »
, invité à rester
« très
sobre »
en matière de modifications
ou de propositions complémentaires:
« Le chiffre de 39000, 40000km au
plus, est de l’avis de tous les écono-
mistes, une limite qui doit suffire au
développement de la France pendant
une longue suite d’années. »
La ligne est classée,
avec un terminus modifié
Si dans sa session d’août 1878 le
conseil général du Tarn-et-Garonne
accepte le projet de ligne
« de
Valence-d’Agen à (ou près de)
Cahors »
, à la Chambre des députés,
un nouveau projet est proposé: partie
de Cahors, la ligne bifurquerait à
Fourquet dans deux directions, vers
Valence-d’Agen et Moissac, les deux
villes importantes situées sur la ligne
Bordeaux – Toulouse.
Mais ces propositions remontées du
terrain seront soumises à l’apprécia-
tion des ingénieurs des ponts et
chaussées rejetant pour des raisons
d’économie cette bifurcation et rete-
nant le tracé achevé à Moissac pour
deux arguments:
primo,
la ligne
pourra se souder au chemin de fer
projeté de Castelsarrasin à Lombez
(Gers), prolongeable même ultérieu-
rement jusqu’à Boussens (Haute-
Garonne);
secundo,
à Valence, faute
de pont sur la Garonne, ni communi-
cation avec sa rive gauche ni prolon-
gement éventuel sur Auch ne sont
envisageables.
En mars 1879, cette option soulèvera
les vaines protestations de Valence-
d’Agen: en suivant de bout en bout la
vallée de la Barguelonne, le projet
serait bien moins coûteux, et la ville
se dit prête à subventionner pour
40000francs la construction d’un
pont!
Dans la séance du conseil général du
Lot du 21 avril 1879, le préfet Barge-
ton annonce de bonnes nouvelles en
matière de retombées du plan Freyci-
net:
« Depuis votre dernière session,
des évolutions considérables se sont
accélérées. En écartant tout ce qui
touche à la politique, permettez-moi
de signaler à votre attention les lois
qui viennent d’être votées et qui inté-
ressent notre département. Deux
chemins de fer à grande vitesse de
Montauban à Brive et de Cahors à
Capdenac relieront dans peu de
temps Cahors avec Figeac et Gour-
don avec Toulouse et Paris, enfin, avec
tous les chefs-lieux des départements
limitrophes. Le projet d’un troisième
chemin de fer de Cahors à Lombez
en passant par Moissac et Castelsar-
rasin a été adopté par la Chambre des
députés: il est soumis au Sénat et
nous pouvons compter sur une pro-
chaine adoption. »
En effet, étudiées
depuis 1875, les deux premières lignes
font l’objet de lois du 24 mars et du
7avril 1879, qui achèveront l’étoile
de Cahors, seulement relié à l’ouest
à Monsempron-Libos avec la ligne de
Périgueux à Agen depuis 1869. Un
peu plus tard, la loi du 11 juillet 1879
qui fige les lignes du plan Freycinet
P. Dausse
Au PK 3,4,
côté Cahors,
l’importante saignée
que constitue la
tranchée n°7 révèle
un talus très pentu,
ici partiellement
consolidé par
un revêtement
de gunite.
La série de photos
des vestiges de la
ligne, classées ici de
PK en PK de Cahors
à Moissac, est due
à Paul Dausse,
natif de Lauzerte,
cheminot
aujourd’hui retraité:
reportage
photographique
réalisé durant les
années 1990 avec la
complicité du Photo
Club SNCF-UAICF
de Cahors
et aboutissant
à la publication de
son livre à compte
d’auteur en 1999,
«Cahors – Moissac,
une ligne ferroviaire
oubliée».
Octobre 2014
Historail
[ de Moissac à Cahors, la « ligne du chasselas »]
exigu; moyennant un allongement, il
est plus judicieux de raccorder les
deux lignes à 2km à l’ouest de la
gare. La dépense ressort à 218000 fr
par kilomètre, soit 137000 fr pour
l’infrastructure, 62000 fr pour la
superstructure et 19000 fr de matériel
roulant.
« Des prix modérés »
, mais
du fait que les dépenses d’exploita-
tion sont estimées de 6 à 8000 fr, la
recette kilométrique sera
« un peu
moindre »
et la ligne étant forcément
donc
« onéreuse pour l’État »
, confor-
mément à l’article 3 de loi du 17 juil-
let 1879
« il est de toute justice que
les départements y contribuent. »
Ce qu’a déjà accompli le Tarn-et-
Garonne, votant 15000 fr/km et invi-
tant les communes desservies à appor-
ter une contribution de 5000 fr par
kilomètre, déjà acquise pour Moissac
et Lauzerte. À l’inverse, le Lot n’a
encore rien souscrit, considérant qu’il
consacre déjà 300000 fr à l’exécution
des deux lignes prioritaires de Mon-
tauban à Brive et de Cahors à Cap-
denac. Le 23 novembre 1881, le
ministre Raynal approuve la mise à
l’enquête d’utilité publique de l’avant-
projet adopté dans le département
du Tarn-et-Garonne: décision vaine
puisque le conseil général des ponts et
chaussées ne veut pas engager l’ins-
truction du dossier avant de connaître
la position du département du Lot…
Le sauvetage du plan
Freycinet par
les compagnies et
les conventions de 1883
Le programme Freycinet n’était pas
limité aux voies ferrées, il proposait
d’améliorer les ports et les canaux mis
à grand gabarit dans les sections les
plus empruntées. Il devint vite dispro-
portionné avec l’état des finances
publiques et le recours par l’emprunt
à l’épargne nationale encore plus oné-
reux suite au krach boursier de 1882-
83. D’où la proposition du ministre
Raynal de recourir à l’aide des com-
pagnies pour poursuivre
« l’achève-
ment des voies ferrées sur lesquelles
les populations ont le droit de comp-
ter. L’arrêt total ou partiel des entre-
prises commencées par l’État sur une
longueur actuelle de plus de 7000km
aurait, à tous les points de vue, les
résultats les plus funestes. »
Ainsi en
arrive-t-on aux fameuses conventions
de 1883, chaque grande compagnie
faisant l’objet d’une convention dis-
tincte, négociée puis discutée en
juillet à la Chambre et au Sénat. Cha-
cune s’engage à poursuivre les chan-
tiers avancés et à entreprendre la
construction de lignes concédées soit
« à titre définitif »
« à titre éven-
tuel »
, mais aussi s’engage, pour le
PO, à accepter la concession d’envi-
ron 400 kilomètres que lui désignera
ultérieurement l’administration,
Compagnie entendue »
. Le Lot est
intéressé par les seules concessions à
titre ferme des lignes de Cahors de
Capdenac, de Montauban à Brive et
de Saint-Denis-lès-Martel au Buisson
avec embranchement sur Gourdon
Constatant que la
« ligne de Cahors à
Moissac par ou près Montcuq et Lau-
zerte »
ne figure même pas à titre
éventuel, les deux sénateurs lotois
Béral et de Verninac proposent un
amendement au texte de la conven-
tion, réclamant son adjonction à titre
ferme. Amendement retiré
« sur la foi
des déclarations du ministre»
, pro-
mettant d’inclure cette ligne dans les
400km de lignes que la compagnie
De gauche à droite:
au PK 3,7, un
aqueduc étagé
sur trois plans;
au PK 4,4, la plate-
forme prévue
pour la halte de
Labastide-Marnhac.
Photos P. Dausse
du PO sera tenue de construire ulté-
rieurement. La loi du 20 novembre
1883 approuve cette convention, exé-
cutoire à dater du 1
janvier 1884.
Les coups de frein
redoublés de
l’administration et du PO
Il faut attendre 1889 pour voir un
ministre s’intéresser à la ligne et ordon-
ner un supplément d’information. L’in-
génieur des ponts et chaussées Bley-
nie, testant deux options, voie normale
ou voie métrique, conclut par… ni
l’une ni l’autre!
« On ferait une spécu-
lation déplorable pour le Trésor en exé-
cutant la voie de Cahors à Moissac à
voie normale. Avec la voie de 1 mètre,
l’exploitation paraît pouvoir s’équilibrer
sans pertes ni bénéfices notables; mais
la dépense de premier établissement,
évaluée approximativement à 9mil-
lions, nous paraît absolument hors de
proportion avec l’utilité de cette ligne,
aussi sommes-nous d’avis que l’État
agira sagement en ajournant son exé-
cution jusqu’à ce que les départements
du Lot et du Tarn-et-Garonne et les
communes intéressées aient voté des
subventions s’élevant ensemble à la
moitié ou au moins au tiers de la
dépense. Le département du Tarn-et-
Garonne a voté une subvention de
25 000 fr par kilomètre qui devrait être
portée selon notre avis à 50 000 fr au
moins. Le département du Lot a refusé
toute allocation. Dans ces conditions
l’exécution de la ligne de Cahors à
Moissac, dont la déclaration d’utilité
publique n’a pas encore été pronon-
cée, nous paraît devoir être indéfini-
ment ajournée. »
C’est au titre des 400km de lignes
indéterminées mais prévues dans la
convention de 1883 que par une
convention du 17 juin 1892 le PO
reçoit cinq lignes à titre définitif et 18
lignes autres
« à titre éventuel et sous
réserve de la déclaration d’utilité
publique à intervenir»
, dont huit à
voie étroite dont celle de Cahors à
Moissac
. Le PO a la possibilité de
conclure des traités pour la construc-
tion et l’exploitation de ces lignes, ce
dont il ne se privera pas.
Des rivalités lotoises
de clocher
À l’écart de la ligne, le conseil municipal
de Castelnau-Montratier réagit le
24juillet 1892:
« Considérant que le
projet du chemin de fer de Cahors à
Moissac serait plus court et moins
coûteux en partant de la gare de Lal-
benque par un embranchement qui
suivrait le plateau de Saint-Sevez, pas-
serait entre Ventaillac et le Baylou, ren-
trerait là à sa source dans la Grande
Barguelonne sans aucun accident de
terrain, sur un sol presque plat et uni,
côtoierait la rivière jusqu’à Fourquet, et
de là se dirigerait sur Moissac (…), est
d’avis de prier les pouvoirs publics de
faire les études sur les points indiqués. »
En septembre 1893, le Lot s’engage
enfin pour une subvention globale de
40000 fr, soit 5000 fr par km, propo-
sition jugée inacceptable par l’admi-
nistration.
Le 8 avril 1893, le conseil municipal
de Montcuq sollicite une pétition des
communes du Lot pour témoigner de
leur attachement commun au projet
que menace un vote du conseil géné-
ral du Tarn-et-Garonne pour que la
ligne soit établie dans la vallée du
Lemboulas à proximité des chefs-lieux
68-
Historail
Octobre 2014
TRAFIC DE DENRÉES
L’allergie du PO aux lignes à voie étroite
et leur sous-traitance
Jean-Pierre Vergez-Larrouy* a souligné l’allergie du PO aux lignes rurales locales
en voie métrique que veut lui imposer l’État par ces concessions de 1892; ainsi
il a eu recours à des réseaux sous-traitants:
• en 1894, traité avec Faliès pour la construction et l’exploitation de la ligne
de Saint-Aignan à Blois, par la Société des tramways du Loir-et-Cher;
• en 1896, traité avec la Société Faugère-Chatelin pour la ligne Le Blanc-Argent,
reconnue d’utilité publique en 1893, achevée en 1901 et 1902;
• en 1898, traité avec la Société de construction des Batignolles pour la construction
des lignes de la Corrèze (Uzerche – Tulle, Tulle – Aurillac, Uzerche – Bugeat),
exploitées en 1904 par la Société d’exploitation des chemins de fer en Corrèze;
• en 1911, la ligne de Confolens à Bellac fait l’objet d’un traité passé avec à Jeancard,
rétrocessionnaire des Tramways de la Charente.
Les Chemins de fer Paris-Orléans,
La Vie du Rail/La Régordane, 1997
(pp. 84-86: « Les nouvelles conventions et l’apparition de la voie étroite »).
Photos P. Dausse
de canton de Montpezat et Molières,
alors que
« les populations de la
région sud-ouest du département ont
eu particulièrement à souffrir des
crises agricoles et financières qui ont
sévi sur le pays. La perspective d’une
voie ferrée, destinée à fournir enfin
un débouché à leurs produits agri-
coles et industriels, a pu seule les
encourager à supporter patiemment
toutes ces épreuves. »
Aux sollicitations renouvelées d’Émile
Rey,conseiller général de Catus et
député du Lot depuis 1889, républi-
cain de gauche réélu jusqu’en 1906,
le 2 avril 1896, le directeur des che-
mins de fer Holtz, dans une note à
son ministre, l’informe pourquoi il a
toujours été temporisé aux demandes
renouvelées de Rey:
« En présence
d’un grand nombre de lignes restant
à construire et dont l’exécution est
réclamée, on ne peut se baser, pour
établir un ordre de priorité, que sur
l’importance des sacrifices que les
intéressés consentent à faire eux-
mêmes, et l’on proportionne assez
bien le concours des populations à la
richesse des pays traversés en récla-
mant de celles-ci une subvention
égale à la valeur des terrains néces-
saires à l’assiette de la ligne. Cette
règle a été suivie pour les lignes à voie
large projetée dans le Loiret, en Seine-
et-Oise et dans l’Aveyron et pour des
lignes à voie étroite dans la Corrèze. Il
ne semble pas y avoir de motifs pour
ne pas l’appliquer à la ligne de Cahors
à Moissac qui doit entraîner une
dépense relativement importante et
qui ne fournira qu’un trafic restreint.
En conséquence, j’ai l’honneur de pro-
poser à M. le Ministre, s’il n’a pas pris
d’engagement ferme à l’égard de
M. Rey, de décider que les études en
vue de la déclaration d’utilité publique
du chemin de fer de Cahors à Moissac
seront subordonnées au vote, par le
département du Lot, d’une subven-
tion de 15000 fr par kilomètre de
ligne situé sur son territoire. Cette sub-
vention est égale à celle que le conseil
général de Tarn-et-Garonne avait
promise et qu’il devra d’ailleurs être
appelé à renouveler.»
Le 26 août 1898, le conseiller général
du Lot s’engage pour une subvention
de 75000 fr, pour un projet à voie
métrique, autant étant attendu des
communes. Un accord sur la base de
15000 fr/km est conclu en 1899. En
mars 1900, les deux députés Émile
Rey (Cahors) et Adrien Chabrié (Mois-
sac) réclament au ministre d’activer la
déclaration d’utilité publique. En octo-
bre 1901, le dernier recensement des
populations opéré en mars a sans
doute incité les habitants du canton
de Castelnau-Montratier à pétition-
ner auprès ministre:
« Montcuq, bien
moins important que Castelnau, ne
peut être privilégié. »
Le premier
bourg compte 2930 habitants, le
second 1758! Des soutiens électo-
raux ont établi sur la ligne de Paris à
Toulouse la gare de Lalbenque, au
Octobre 2014
Historail
[ de Moissac à Cahors, la « ligne du chasselas »]
Photos P. Dausse
Page de gauche,
de haut en bas:
au PK 6,8,
l’impressionnante
tranchée du Cluzel;
au PK 32,1, la plate-
forme projetée pour
la gare de Lauzerte.
Ci-contre,
de gauche à droite:
au PK 48,7,
le pont métallique
de Fourquet;
au PK 58,7 la voie
enjambe la route C9
du Piac.
De gauche à droite,
deux élus
promoteurs
de la ligne:
Émile Rey, conseiller
général de Catus
et député du Lot;
Adrien Chabrié,
député du Tarn-
et-Garonne.
détriment de Castelnau, distant de
17km de cette gare.
« Cette fois les
habitants du canton de Castelnau-
Montratier sont fermement résolus
à user de toutes leurs forces pour que
la ligne de Cahors à Moissac passe
à égale distance entre Castelnau
et Montcuq, ce qui les mettra toutes
deux à 8km d’une station com-
mune. »
À l’approche des élections législatives
d’avril 1902,le 5 janvier 1902, un
conseil municipal extraordinaire se
tient à Montcuq: un conseiller a été
délégué auprès des députés et du
ministre des Travaux publics.
maire expose l’utilité qu’il y a en ce
moment, tant à cause des difficultés
de transport de nos produits qu’en
vue des prochaines élections législa-
tives, de hâter la mise à l’enquête de
l’avant-projet de la ligne. »
Et de rap-
peler
« l’engagement formel »
pris en
novembre 1883 du ministre Raynal
de comprendre la ligne dans les
futures concessions du PO, comme
« sacrifices »
de toutes les com-
munes intéressées du canton de
Montcuq, prêtes à en consentir de
nouveaux!
« Le conseil municipal,
pénétré de ses devoirs envers ses
mandants et du sentiment de solida-
rité à l’égard des habitants des régions
environnantes, supplie M. le Ministre
des Travaux publics de décider de faire
faire l’enquête de cet avant-projet
avant les élections prochaines afin que
les populations républicaines que ce
projet intéresse, voient dans cette
mesure préparatoire la ferme volonté
du gouvernement de tenir ses enga-
gements et de faire disparaître enfin le
déni de justice dont elles sont victimes
depuis plus de vingt ans. »
Voie étroite ou voie
normale? Hésitations et
impedimenta
I
En décembre 1901, le ministre
demande une nouvelle étude estimant
l’économie apportée par une ligne éta-
blie à voie étroite. D’un coût estimé à
9,5millions en voie métrique, il en res-
sort une économie jugée trop faible,
soit juste un million de moins qu’en
voie normale (10,5millions). C’est
pourquoi on se rallie en 1902 à la voie
normale: le projet modifié présenté
par le PO est adopté par le conseil
général des ponts et chaussées.
Ce dont on se réjouit au conseil géné-
ral du Lot, le 22 avril 1903: Rey, après
avoir rappelé les avantages de la voie
normale –
« les marchandises n’au-
ront pas besoin de rompre charge, et
il résultera une économie d’argent et
70-
Historail
Octobre 2014
TRAFIC DE DENRÉES
Les cultivateurs lotois de chasselas adressent une pétition au ministre de l’Agriculture Ruau,
à l’occasion de sa visite au concours agricole de Cahors le 1
er
juin 1909
Les archives du ministère des Travaux publics* ont conservé les impressionnantes pétitions réalisées en mai1909 dans 15
communes, aussitôt connu le dépôt à la chambre des députés d’un avant-projet de la ligne. Elles témoignent de l’importance
que leurs populations accordaient à la réalisation de la ligne du chasselas, « après une attente de trente années. »
*ANF, F 14/12735.
Monsieur le Ministre,
Les soussignés, habitants des communes de Montcuq, Lebreil, Sainte-Croix, Belmontet, Valprionde, Montlauzun, Saint-Laurent,
Saint-Cyprien, Cézac, Lascabanes, Villesèque, Sauzet, Saint-Daunès, Bagat et Saint-Pantaléon, tous cultivateurs de chasselas, ont
l’honneur de vous exposer que cette culture a pris dans les communes susnommées une extension progressive et extraordinaire, et qui ne fait
que commencer.
Cette extension et ses progrès incessants consacre (sic) évidemment l’appropriation de cette culture à cette région et ajoute une raison
supérieure à la raison qui légitima en 1879 le projet d’un chemin de fer de Cahors à Moissac. Cette ligne en effet, desservant toutes les
communes susnommées, est appelée à faciliter et à développer la grande exportation de chasselas sur tout qui se fait en ce moment. Les
statistiques du PO établissent cette forte exportation par les gares de Cahors et Lalbenque, gares très éloignées du centre de production.
Après une attente de trente années, une convention est intervenue entre l’Etat et l’Orléans pour l’établissement définitif de cette ligne et
d’autre part, des raisons autrement intéressantes que celles de 1879, militent en sa faveur. En conséquence, nous vous prions, Monsieur
le Ministre, de vouloir bien, à l’occasion de votre présence aux fêtes de l’Agriculture à Cahors, présenter à Messieurs les ministres
des Travaux publics et des Finances de qui nous attendons leur réalisation, nos vœux les plus ardents et les plus légitimes pour le prompt
établissement de la ligne ferrée de Cahors à Moissac par Montcuq et Lauzerte, conformément à l’avant-projet déposé sur les bureaux
de la Chambre des députés le 28octobre 1908, d’après le Journal officiel du 19mars 1909.
Veuillez agréer, Monsieur le Ministre, avec nos compliments à votre Excellence sur sa bienvenue à Cahors, l’expression de notre entier
dévouement.
Page de droite:
détail de l’avant-
projet final
de la ligne, du côté
de Cahors, jalonné
dans le Causse
blanc très
faiblement peuplé,
d’une halte
et d’une station.
Octobre 2014
Historail
de temps »
–, annonce que les ter-
rains coûteront plutôt 10 000 fr par
kilomètre et non pas 5 000 fr sur la
subvention réclamée de 281 000 fr,
150 000 fr seront pris en charge par le
conseil général, le reste par les com-
munes intéressées dont les subven-
tions attendues devront être relevées
de 50%. Le conseiller général de Cas-
telnau-Montratier, Gustave Feyt, vété-
rinaire, joue les Cassandre:
condition que leurs ressources le leur
permettent! C’est une ligne qui rui-
nera le pays »
et obligera à réduire les
budgets communaux:
« Nous ferons
les chemins vicinaux le siècle pro-
chain! »
Si la ville de Cahors s’est déjà
engagée pour 15000fr par kilomè-
tre, n’est-elle pas favorisée du fait que
la ligne nouvelle, embranchée sur la
ligne de Montauban sur un assez long
parcours, traverse son territoire seu-
lement sur 2 100 mètres, soit une sub-
vention limitée à 32 000 fr?
Les communes sont donc invitées à
s’engager le plus rapidement possi-
ble d’ici la prochaine session d’août.
Rey rappelle que si
« ce n’est pas de
gaieté de cœur »
que nous mettons
à la charge des communes ces sub-
ventions, imposées par le ministre:
s’agit, il est vrai, d’une ligne d’intérêt
général, mais elle revêt aussi un carac-
tère d’intérêt un peu local; c’est par
ce motif qu’on demande aux régions,
que cette ligne est appelée à traverser,
de faire un effort financier plus grand
que celui qu’on demandait autrefois,
lorsqu’il s’agissait d’une ligne pure-
ment générale. »
Et de rappeler les
communes bons élèves: Montcuq a
voté 25 000 fr, moins riche que Souil-
lac qui n’a voté que 15 000 fr pour sa
grande ligne. Saint-Pantaléon s’est
[ de Moissac à Cahors, la « ligne du chasselas »]
Les difficultés pressenties
du tracé
Ardouin-Dumazet, fin observateur de la France
rurale d’avant 1914, souligne la nature ingrate
du Bas-Quercy*,
« région de vallées parallèles
descendues des abords des causses de Cahors »
« cette succession de vallons, offrant
d’incessantes montées et descentes, n’a pas
permis de doter le pays de voies ferrées;
il est donc peu accessible, d’autant plus que
la contrée, malgré son étendue, n’a aucun bourg
dont la population agglomérée atteigne 1000
habitants. Lauzerte et Montaigut-de-Quercy,
chefs-lieux de canton, sont de petits bourgs
devant uniquement rang de ville à leur ancienne
situation de places fortes. (…) Castelnau-de-
Montratier et Montcuq, malgré leur fier aspect,
sont aussi de médiocres bourgades. »
Voyage en France, 31
série, Agenais, Lomagne,
Bas-Quercy,
Berger-Levrault, 1905, pp. 204-205.
ANF
Octobre 2014
Historail
connaît pourtant des interventions
à la Chambre en 1933 sur la ligne
du chasselas et en 1936 en faveur du
développement des transports de
raisins de table. Mais faut-il croire à
la sincérité de ces propos?
C’est un décret du 30 novembre 1941
qui déclasse la ligne de Cahors à
Moissac parmi
« les lignes nouvelles
dont l’achèvement ne présente pas
d’intérêt pour le chemin de fer »
Alors que la ligne de Beaumont-de-
Lomagne à Gimont subit le même
sort, le tronçon de Moissac à Castel-
sarrasin est épargné.
Les multiples raisons
d’un échec
Christian Lacombe avance une expli-
cation intéressante du point de vue
du PO
« perdu dans une province
lointaine, loin de son siège »
, ce che-
min de fer
« à mi-chemin entre les
lignes Montauban – Cahors et Agen-
Cahors appartenant au PO également,
n’amenait à la Compagnie aucun
avantage remarquable »
, source mal-
venue de concurrence interne. Du
point de vue de la Compagnie du
Midi, mêmes réserves possibles: si le
long de sa ligne comprise entre Agen
et Montauban, les expéditeurs de rai-
sins et primeurs lui apportent un tra-
fic important,
« elle ne garde ce trafic
que sur une étendue relativement
courte. À Agen et Montauban, elle
ne l’a que dans la gare et dans les
localités situées entre Montauban
et Agen, elle ne l’a que sur des lon-
gueurs variant entre 0 et 50km, sur
un parcours total de 680km envi-
ron. »
Lacombe suggère un autre des-
tin possible si la ligne Cahors – Mois-
sac avait été cédée au Midi dès 1877:
elle aurait ainsi conservé une plus
grande part du gâteau parisien, près
de 10% des 665km du parcours
complet entre Moissac et Paris.
Paul Dausse énumère cinq motifs
En premier lieu, demeure le vieux
contentieux historique entre Lot et
Tarn-et-Garonne, ce dernier départe-
ment constitué en 1808 en amputant
le premier de 17 cantons du Quercy
blanc: victime de ce découpage, le
Lot est-il prêt à rendre service à un
département qui tirera un meilleur
parti de la ligne projetée? À cela se
superpose la rivalité entre les deux
compagnies du Midi et du PO… Alors
que la guerre de 1914-1918 a retardé
le début possible des travaux, le
contexte de l’entre-deux-guerres n’est
plus aussi favorable à l’irrigation du
territoire par un réseau capillaire de
voies ferrées, dont l’exploitation trop
dispendieuse en main-d’œuvre se
conjugue aux perspectives d’un trafic
érodé par l’explosion de la concur-
rence des transporteurs routiers. Enfin,
l’arrivée du chemin de fer aurait porté
atteinte aux grands marchés journa-
liers de Moissac durant les deux mois
de la récolte de son fameux chasse-
las doré.
À la fin des années 1950, la rétroces-
sion possible des terrains aux particu-
liers est entreprise: ce sera le dernier
chapitre malheureux de cette longue
saga: les anciens expropriés ne pos-
sèdent plus le droit à la rétrocession
des terrains qu’ils ont cédés dans
les années 1920-1930, puisqu’aux
termes d’un décret-loi de 1935, ce
droit s’éteint dix ans après l’acte de
cession.
Georges Ribeill,
avec la participation de Paul Dausse
et de Bruno Carrière
[ de Moissac à Cahors, la « ligne du chasselas »]
1. P. Deffontaines,
Les Hommes et leurs travaux dans
les Pays de la Moyenne-Garonne (Agenais, Bas-Quercy),
Lille,
SILIC, 1932, p. 267.
2. Par la suite, « le ministre » désignera toujours, sauf
précision, le ministre des Travaux publics.
3. « L’exécution des lignes désignées à l’article 1
er
aura lieu
successivement, en tenant compte de l’importance des intérêts
militaires ou des intérêts commerciaux engagés, ainsi que
du concours financier qui sera offert par les départements,
les communes et les particuliers. »
4. Achevant l’étoile de Cahors, les lignes de Cahors
à Montauban, à Capdenac et à Brive seront respectivement
ouvertes en 1884, 1886 et 1891, Cahors relié directement à
Paris après l’ouverture de la ligne de Brive à Limoges en 1893.
5. Ces 400km de lignes seront imposés au PO en deux temps:
« à titre définitif »
, en 1890, Bourges – Cosne, puis en 1893,
cinq autres, plus 18
« à titre éventuel et sous réserve de la
déclaration d’utilité publique à intervenir»
(loi du 20 mars
1893 approuvant la convention du 17 juin 1892). En 1910,
cinq de ces lignes ne l’ont toujours pas obtenue: Limours –
Dourdan, Bourganeuf – Felletin, Lavaud – Franche – Évaux,
Ussel – Bort et Cahors – Moissac, mal appréciées du PO.
6. Bruno Carrière, « Une ligne inachevée: Cahors à Moissac »,
La Vie du Rail
, n°1788, 9avril 1981 (Courrier des lecteurs).
7. Voir les témoignages recueillis en 1996-1997 par P. Dausse
auprès d’anciens de ces chantiers, pp. 61-63.
8. Paul Dausse,
op. cit.,
pp. 57-60.
9. Christian Lacombe,
op. cit.,
p.8.
10. Paul Dausse,
op. cit.,
p.106.
Bibliographie et sources
– ANF F14 12734-12736; AD Lot, 77 S 1-8; AD Lot-et-Garonne,
S1 266.
– Christian Lacombe, « Le chemin de fer du Bas-Quercy Moissac –
Cahors », Histoire des communications, fascicules 20 et 21, Extraits
des Actes du congrès tenu à Moissac les 5 et 6 mai 1963.
– Bruno Carrière, « Une ligne inachevée: Cahors à Moissac »,
La Vie
du Rail
, n°1788, 9avril 1981 (Courrier des lecteurs).
– Paul Dausse, Cahors – Moissac. Une ligne ferroviaire oubliée (1920-
1930), Photo Club SNCF-UAICF de Cahors, 1999, 112 pp.
P. Pastiels
E
nvisagée depuis 1880, la culture
du chasselas prend son essor défi-
nitif lorsque grâce aux plants améri-
cains porte-greffes, à partir de 1896,
de bons résultats sont obtenus.
Comme les primeurs, c’est une den-
rée spéculative, qui joue son arrivée
sur le grand marché parisien mais
après saison!
« À l’inverse des pro-
ductions maraîchères dont la préco-
cité fait la meilleure valeur, le raisin de
table voit s’accroître son prix à mesure
qu’on prolonge sa fraîcheur
Attendu comme fruit de luxe durant
les fêtes de Noël, son prix explose
après le 1
janvier, et le riche consom-
mateur peut déguster ce
« raisin de
luxe »
jusqu’en mars, dès lors que sa
qualité est irréprochable.
Palliant le recours à de coûteux frui-
tiers, l’
ensachage
des grappes sur pied
garantit les raisins des oiseaux et des
insectes, les abrite contre les intem-
péries et, arrivés à maturité, permet
surtout leur conservation sur pied
jusqu’en novembre. Inventés par le
professeur Opoix, jardinier chef du
Luxembourg, les
cloches
Opoix
vont se généraliser dans tout
le bassin de la Garonne, complétés
par l’emploi de la toile-abri,conjurant
le risque désastreux de la grêle.
Ensuite, à l’approche de l’hiver, les
sacs remplis de leur grappe sont ren-
trés dans des locaux bien secs, les
frui-
tiers,
d’où l’on puisera pour les envois
quotidiens sur Paris. Ainsi cette indus-
trie de la conservation du chasselas à
rafle fraîche allait être récompensée
par une médaille d’or en 1914.
Pour séduire le consommateur, les
grappes doivent conserver leur fraî-
cheur, une parfaite qualité des grains
dont la fameuse
pruine
qui les recou-
vre, cette poussière blanche. Réservé
aux femmes,le
ciselage
est une opé-
ration essentielle, renouvelée, qui
consiste à enlever à l’aide de petits
ciseaux pointus le moindre grain
abîmé, pourri ou trop petit… Les
grappes sont ainsi séparées par une
feuille de papier pour éviter le ballot-
tement au cours du transport, et donc
le dépouillement de cette pruine pré-
cieuse. Glouton en main-d’œuvre, le
coût élevé du chasselas tient aussi à
sa mise en valeur dans son emballage
par de délicates opéra-
tions manuelles: alors
que le
fardage
consis-
tant à couvrir des fruits
de qualité inférieure par
une couche de produits
supérieurs seuls visibles
à l’ouverture du colis
doit être réprouvé, le
fleurage
– arrangement
des grappes dont on
dissimule le pédoncule, choix des
matériaux de garnissage –, est une
« opération intelligente et recom-
mandable »
Le rôle de promoteur
À la suite d’une rencontre en 1912
avec Tuzet, ingénieur au service com-
mercial du PO, Charmeux,viticulteur
talentueux à Thomery et promoteur
de certaines innovations
, devient le
conseiller technique de la compagnie,
chargé d’inciter les horticulteurs et
viticulteurs de son réseau à améliorer
la qualité de leurs productions et de
leurs emballages. Le géographe Def-
fontaines a souligné
l’intérêt économique
du PO pour les trains
de denrées au départ
des pays de la
Moyenne-Garonne:
«ils sont à la limite de
son domaine et les
produits qui s’en
exportent parcourent
sur son réseau le maxi-
mum de kilomètres. »
La vallée de la
Garonne, bien que desservie par la
Compagnie du Midi, relève
« du fief
économique du PO
Ainsi 1912voit la première exposition
du chasselas de la Garonne à Paris,
auCours-la-Reine; en 1913, une pre-
mière médaille d’or est obtenue; en
1914, au Grand Palais où se tient le
concours général agricole, au stand
du PO, un fruitier reconstitué, garni
de 1200 grappes fournies par 62 viti-
culteurs, apparut un
« tour de force
qui fit courir tout Paris au Grand Palais
La cloche Opoix,
système
d’ensachage
des grappes
de raisin sur pied.
F. Charmeux/Coll. H. Ena
Octobre 2014
Historail
« La gare de Moissac présente en ce moment l’aspect d’une fourmilière au travail.
C’est, dans tous les coins, un va-et-vient d’expéditeurs, de producteurs, de charrettes
transportant des paniers farcis de raisins que l’on dispose dans des wagons alignés
le long des voies anciennes et nouvelles et qu’on emmagasine dans le grand hall
des marchandises en attendant leur chargement. Qu’on songe, en effet, que dans
la journée de jeudi, il a été chargé et expédié 33 wagons de 4 tonnes en moyenne
chacun et on aura ainsi une idée du travail colossal qui s’effectue. Les propriétaires,
expéditeurs et représentants des maisons mettent la main à la pâte et, sans rechigner,
accomplissent leur part de grosse besogne » (La Feuille villageoise, 1906, citée par
H. Ena, p. 134.)
G. Cartier
produit autour de Moissac, Lauzerte,
Montpezat-du-Quercy et Montauban.
Production en décroissance qui tra-
duit la « crise du chasselas » du Tarn-
et-Garonne.
Le « mythe économique »
créé
avant la Grande Guerre dans le Bas-
Quercy autour du chasselas, long-
temps supporté par la Compagnie
d’Orléans, poursuivi dans les années
1920, ne survivra donc pas à des évo-
lutions majeures du marché. Si la
minceur de la pellicule du chasselas
est un atout sensoriel, sa fragilité est
une faiblesse qui, à l’heure des mani-
pulations autorisées des fruits dans
les hypermarchés, en fera une victime
assurée dans cette rude concurrence
commerciale entre variétés de raisins,
où les plus fermes de peau, avantage
compétitif certain, doivent l’empor-
ter selon une « lutte » assez darwi-
nienne. Pour survivre, il ne sera plus
présenté souvent que protégé dans
des boîtes de plastique, tout comme
l’autre AOC, le Muscat de Ventoux:
un emballage d’un coût élevé, un
handicap supplémentaire!
G. Ribeill
Octobre 2014
Historail
[ le chasselas, un raisin de grande qualité mais fragile à transporter]
1. Henri Ena,
Scènes et personnages de la vie
moissagaise (4). Chasselas de Moissac,
pp.117-
118.
2. Jérôme Calauzènes,
Le Chasselas de Moissac.
De la fin du
XVIII
e
siècle à nos jours,
Les Éditions
du Laquet, 2001, p.126.
3. Cécile Leygue,
Le Chasselas dans le Bas-
Quercy,
Toulouse, 1927.
4. Philippe Bissières, Michel Pons,
Georges-
François Charmeux (1961-1936). Une vie au
service du chasselas,
APMV, Thomery, Maison
du Chasselas, Moissac, 2002.
5. P. Deffontaines,
Les Hommes et leurs travaux
dans les pays de la Moyenne-Garonne (Agenais,
Bas-Quercy),
Lille, SILIC, 1932, p. 266.
6. Armand Bouat,
L’Agriculture commercialisée.
Pour bien produire, il faut bien vendre,
1922,
p. 205.
7.
Premier congrès commercial du raisin de
table,
tenu à Agen (ancien Petit séminaire) les
24 et 25 août 1925, Mémoires et comptes-
rendus publiés par MM. E. Poher et J. Mahoux,
1925. Sur ces congrès annuels organisés par le
PO, voir Georges Ribeill, « Les services agricoles
des grands réseaux; de grands moyens pour
quelle efficacité? »,
Revue d’histoire des
chemins de fer,
n°41, 2009/2, pp. 61-87.
8. Compte-rendu d’après Roger Chaminade,
La Production et le commerce des raisins
de table,
Baillière et Fils, 1933.
9. En raisins noirs, ont été sélectionnés
l’
Aramon
, l’
Œillade
, le
Muscat de Hambourg
et l’
Olivette noire
.
10. André Pueyo,
Les Petites Industries d’un
département agricole,
Montauban, 1946,
pp. 209-215.
11. J. Calauzènes,
op. cit.,
troisième partie: « Le
temps des incertitudes: 1945-2000 », p.155 et sq.
12. J. Calauzènes,
op. cit.,
p. 178. L’auteur
rappelle qu’en 1992, la SNCF tenta une offre
spécifique: mise à disposition de wagons à
destination de Rungis, au tarif de 5290 francs
du wagon chargé, soit 0,26 centime par kilo.
En vain, rappelle-t-il, compte-tenu des frais dus
aux déplacements terminaux et au temps perdu
par ces opérations.
13. J. Calauzènes,
op. cit.,
p. 229.
Bibliographie et sources
– François Charmeux, L
e Chasselas doré du Bassin
de la Garonne,
Service agricole de la Compagnie
d’Orléans, 1919.
– E. Poher et J. Mahoux,
Premier congrès commercial
du raisin de table,
tenu à Agen les 24 et 25 août
1925. Mémoires et comptes-rendus, 1925, Publica-
tions agricoles de la Compagnie d’Orléans.
– Cécile Leygue,
Le Chasselas dans le Bas-Quercy,
Toulouse, 1927 (thèse d’ingénieur agricole).
– Maurice Pelloux, Claude Chatelus,
Le Raisin de table
en France. Sa production, ses débouchés, son avenir,
Éd. Pierre Argence, 1931.
– Louis Tricoche,
Le Raisin de table. Étude écono-
mique,
Toulouse, 1938 (thèse de droit).
– Henri Ena,
Scènes et personnages de la vie mois-
sagaise (4). Chasselas de Moissac,
– Jérôme Calauzènes,
Le Chasselas de Moissac. De la
fin du
XVIII
siècle à nos jours,
Les Éditions du Laquet,
– Philippe Bissières, Michel Pons,
Georges-François
Charmeux (1961-1936).
Une vie au service du
chasselas,
APMV, Tho-
mery, Maison du Chasse-
las, Moissac, 2002.
– Célestin Nègre, Édouard
Terrenne, Philippe Bis-
sières,
Le Chasselas doré
de Moissac: un produit,
un terroir, des hommes,
Moissac, 2003.
À la disposition
des producteurs
et expéditeurs, en 1938,
la SNCF diffuse les
horaires des transports
de ses trains spéciaux
de fruits et primeurs.
Pour chaque fruit
ou légume et sa région
de production,
un calendrier rappelle
la période propice, qui
permet des arrivages
étalés sur le marché
parisien en y limitant
tout encombrement.
Un fascicule rappelle
les horaires et parcours
des trains spéciaux
au départ de chaque
région: ici, pour
les fruits et légumes de
la vallée de la Garonne,
des trains spéciaux
sont acheminés vers
Bordeaux, Paris, l’ouest
et le nord de la France
(fascicule n°8).
Coll. G. Ribeill
O
n sait combien le PLM aimait van-
ter ses atouts touristiques auprès
d’une clientèle très haut de gamme
que ce réseau avait le privilège de
conduire sur la Riviera ou dans les pre-
mières stations de ski des Alpes. Avant
1914, on a déjà rappelé la teneur de
Guides Albums,
cette publication
luxueuse mise à disposition dans ses
compartiments de 1
classe, pour y
être consultée par leurs occupants
Une autre publication voit le jour, en
avril1914, le premier numéro d’une
revue intitulée
Le PLM illustré,
compo-
sée de 16 pages de textes variés, et de
huit pages de publicités bien ciblées: à
Paris, parfum
de Rigaud (16,
rue de la Paix), tailleur Manby (19, rue
Auber), chocolats et thés de la Cie
Coloniale (19, avenue de l’Opéra), voi-
tures De Dion-Bouton
(voir en page de
droite)
, à l’autre bout de la ligne impé-
riale, hôtel
Negresco
de Nice ou
Hôtel
du Parc
à Cannes… Bien entendu, on
trouve les habituelles pages vantant
Services de tourisme en voitures
automobiles
créés en 1911 par le PLM,
excursions en forêt de Fontainebleau,
route des Alpes, route thermale d’Au-
vergne, circuit des Cévennes…
Pour présenter cette revue, il est fait
appel au Toulonais Jean Aicard (1848-
1921), poète et romancier, président
de la Société des Gens de lettres
depuis 1894, auteur en 1908 du
roman à succès
Maurin des Maures,
qui contribuera à son élection à l’Aca-
démie française en 1909 en rempla-
cement du poète François Coppée.
Depuis La Garde dans le Var où il
réside, il explique donc
« l’espèce de
fascination qu’exercent sur lui ces trois
lettres PLM »
, et
« les tableaux qu’elles
font défiler en éclair »
dans son ima-
gination:
« Paris, la vie ardente, le
choc des rivalités, les fatigues de la vie
mondaine… », « Lyon, capitale indus-
trieuse et hautaine… », « Marseille,
porte et arc de triomphe de l’Orient,
seuil de notre Algérie… », « voilà
donc ce que racontent les trois lettres
prestigieuses. »
« il y a aussi un
PLM inconnu »
, ce qui justifie
illustré,
cette nouvelle publication de
la Compagnie:
Une revue
trimestrielle
pour dire les gloires
du PLM que l’on connaît, pour raconter
les beautés du PLM que l’on ignore, voilà
une heureuse idée! Heureuse surtout pour
cette raison qu’elle inspirera aux lecteurs le
désir de mieux connaître l’incomparable
France que nous connaissons mal. Il fau-
drait d’abord voyager en France, c’est ce
que nous oublions trop.
Larevuenous signalera, dans les saisons
favorables, l’excursion à préférer. Elle se
propose de devenir l’éclaireur du touriste.
Elle sera même son guide en route, un
guide qui lui apportera, à côté des ren-
seignements positifs les plus précis, de
vivantes pages littéraires.
84-
Historail
Octobre 2014
PUBLICITÉ
Couverture du
PLM illustré
n°1 d’avril 1914.
Le PLM illustré,
une publication
sans lendemain
Début XX
siècle, le PLM souhaitait
promouvoir ses atouts touristiques auprès
d’une clientèle aisée que son réseau
conduisait en villégiature sur la Riviera
ou dans les premières stations de ski
des Alpes. Non contente de diffuser déjà
un prestigieux
Guide Album PLM
dans ses
compartiments de 1
classe, la Compagnie
lance au printemps 1914 une luxueuse revue
trimestrielle. Un moment inopportun…
Coll. G. Ribeill
Octobre 2014
Historail
Je souhaite la bienvenue à la revue PLM,
et c’est le plus cordialement du monde,
car ces trois lettres sont pour moi, depuis
un demi-siècle, des amies.
En 1854, les deux premières seulement
désignaient la ligne; on « espérait » la
troisième. Je me rappelle fort bien être
parti, à cette époque, de Toulon pour
Paris, en diligence. Au bout de quatre
jours pénibles nous arrivâmes à Lyon. Là,
notre voiture fut soulevée par une grue,
et, la tête à la portière, un peu effarés,
nous montâmes dans les airs… Notre
lourd véhicule fut posé et arrimé sur un
wagon de marchandises, et c’est ainsi
que pour la première fois, j’arrivais dans
la capitale… Ce fut inoubliable. Aussi,
lorsqu’aujourd’hui nous nous élançons,
du pavé de Paris, dans un rapide PLM,
tous les émerveillements s’emparent à la
fois de nos esprits… Pour moi, tandis que
court vers la Méditerranée le train
magique, il me semble que je possède
mieux toute ma France et un peu de l’uni-
vers… Et c’est vrai.
Telle est la sensation qu’éveillera en nous
tous, au coin du feu, la revue PLM,pour
laquelle j’écris, avec plaisir et reconnais-
sance, cette page de présentation au
public.
On y trouve un texte sur Les Baux,
signé du directeur général de la com-
pagnie, Gustave Noblemaire: un site
découvert depuis peu, rendu accessi-
ble du 15mars 1914 au 1
juin par
un service d’autocar PLM circulant
entre Arles et Avignon. Le docteur
parisien Bardet rappelle les vertus des
nombreuses stations d’eaux minérales
que dessert le PLM,
« les plus impor-
tantes »,
dont Vichy en premier lieu.
Et c’est à L. Boulanger qu’il revient
d’ouvrir la rubrique «Le PLM ignoré»
en proposant un parcours à partir de
Gap,
« au bord de la Durance ».
Enfin,
une nouvelle humoristique est pro-
posée par Jean Drault, « Le Crime de
Poil d’Haricot »
série de quiproquos
engendrés par un voyageur camou-
flant 15l d’eau-de-vie sous son man-
teau.
Évidemment, cette initiative restera
sans lendemain, devenue inappropriée
depuis l’attentat de Sarajevo, le
28 juin, engendrant la montée des
tensions internationales jusqu’à la
déflagration de la guerre, début août.
Georges Ribeill
1. G. Ribeill, « Le goût du luxe à la Belle
Époque… selon le PLM »,
Historail,
n°24, janvier 2013, pp. 68-73.
À gauche, fête
des Fleurs à Nice:
sortie des usines
de Puteaux,
la 8 cylindres
prestigieuse
De Dion-Bouton
parade au Carnaval
fleuri à Nice.
À droite, la rapidité,
une valeur partagée
au moins par deux
types de machines!
Coll. G. Ribeill
O
n sait l’importance des amicales
parisiennes regroupant des
compatriotes originaires de la même
province. Louis Bonnet (1856-1913),
fondateur de l’importante associa-
tion
L’Auvergnat de Paris,
eut ainsi
l’idée en 1904 d’affréter de tels trains
composés uniquement de voitures
de 3
classe et réservés aux membres
des amicales de provinciaux. Quit-
tant Paris-Austerlitz en soirée, les
« trains Bonnet » desservaient en
omnibus toutes les stations de leur
parcours terminaux, sur les lignes
d’Auvergne, du Cantal ou du
Rouergue.
Il est intéressant d’évoquer comment
l’une de ces entreprises présentait son
offre pour l’été 1914 dans son
Guide
de 44 pages, vendu 50 centimes. Il
s’agit des « trains Cocula », une entre-
prise fondée en 1908, sise 223, bou-
levard Raspail à Paris et venant concur-
rencer les « trains Bonnet » sur ses
mêmes terres d’élection, plus large-
ment même, en se disant l’unique
organisation de «
voyages à bon
marché
pour le
Centre,
Midi
Pyrénées
». Avec une autre diffé-
rence essentielle qu’explique cet
« AVIS IMPORTANT »: « Il n’est rien
demandé à personne dans nos
bureaux, que le prix du billet; cela ne
gâte rien,
mais il n’est pas néces-
saire d’appartenir à une associa-
tion
pour prendre nos trains. Notre
organisation a pour but de faciliter
à tous
un voyage au pays du soleil et
un séjour à la campagne pendant
90 jours si l’on veut; c’est une œuvre
générale qui s’étend
à tous
: ce serait
une mauvaise action que de vouloir
la restreindre à quelques-uns. »
Assorti de la condition d’un retour
effectué au plus tard 90 jours après le
jour du départ, le billet personnel aller-
retour bénéficie d’une réduction de
42,50%. Des tarifs forfaitaires s’ap-
pliquent à neuf zones concentriques,
de 26,20 fr pour la 1
zone desservie
(de 430 à 460km de Paris, touchant
les deux seules gares de la Coquille en
Dordogne et Saint-Yrieix en Haute-
Vienne), à 41,20 fr pour la plus éloi-
gnée (de 701km à 740km, soit les
gares comprises entre L’Isle-sur-Tarn
et Montrabé ainsi qu’Albi-PO).
Trois trains spéciaux circulent au
départ de Paris à des dates détermi-
nées
. Ainsi, ces jours-là, partant à
86-
Historail
Octobre 2014
PUBLICITÉ
Les trains Cocula
:
des « trains
charters » pour les
émigrés parisiens
Aux antipodes de la clientèle de luxe que
veut attirer en 1914 le PLM sur son réseau
par son
PLM illustré,
des entreprises spécialisées
proposaient aux Auvergnats, Rouergats et autres
populations du Midi émigrées à Paris, des conditions économiques
de rapatriement dans leurs villages natals durant la saison d’été.
Gare
Département
Prix
Arrivée
Changement à
Départ
Agen
Lot-et-Garonne
37,20fr
4h45
Agonac
Dordogne
28,20fr
7h 56
Limoges
5h 40
Albi
Tarn
41,20fr
7h 53
Brive
2h 47
Albias
Tarn-et-Garonne
37,20fr
8h36
Cahors
7h 00
Dordogne
33,20fr
6h 12
Le Buisson
6h 03
Arcambal
Lot
35,20fr
7h 30
Cahors
7h 11
Lot
33,20fr
4h 07
Brive
2h 47
Ayen-Juillac
Corrèze
29,20fr
8h 30
Brive
6h 46
17h 23 de Paris-Austerlitz, un train
direct atteint Toulouse vers 6h, après
des arrêts dans les gares de Limoges,
Brive, Souillac, Gourdon, Cahors,
Caussade, Montauban, d’où partaient
des omnibus desservant toutes les
autres gares. Un autre train atteint
Périgueux et Agen, le troisième Brive,
Figeac, Villefranche-de-Rouergue,
Lexos, Albi et Gaillac.
Évidemment, pour parer à un certain
inconfort à voyager de nuit, à l’étroit
dans un compartiment bien rempli de
classe, un appui-bras était proposé
pour 1,50 fr, permettant de pouvoir
dormir…
En marge de ces « trains charters »
avant la lettre, une offre de séjours de
vacances en Quercy, dans un village
du Lot, à Vayrac, était proposée. Ainsi
que toute l’année, des excursions en
région parisienne (Fontainebleau,
Compiègne et château de Pierre-
fonds).
Georges Ribeill
1. Des jours loin de correspondre à nos
« week-ends » de grand départ: mardi
7avril, samedi13 et 27juin; en juillet,
les dimanche5, mercredi15, samedi18,
dimanche19, lundi27, mardi28;
en août, les lundi3, mardi4, jeudi6,
dimanche9, lundi10, mercredi12,
mardi18, samedi22, mardi25,
vendredi28, lundi 31août;
en septembre, vendredi4, mardi8,
jeudi17 et vendredi25.
Évidemment, l’entrée en guerre début
août chamboulera toutes ces prévisions!
Octobre 2014
Historail
Coll. G. Ribeill
Extraits du
Guide 1914
des trains Cocula.
L
a Belgique depuis sa création est
au cœur des relations euro-
péennes. Née en 1830 après une scis-
sion du royaume des Pays-Bas, elle se
trouve dans une position stratégique
entre ses puissants voisins, la France,
l’Allemagne et, de l’autre côté de la
Manche, l’Angleterre qui garantit son
indépendance. Cette situation incon-
fortable va conduire le pays à s’enga-
ger dans la voie de la neutralité à
l’heure où vont monter les tensions
des deux côtés du Rhin. Une position
qui va inspirer toute la politique du
pays jusqu’au premier conflit mondial
qui va se conclure par l’invasion de la
majorité du territoire par l’armée alle-
mande.
Publié aux éditions Racine,
Destina-
tion le front
revient sur les consé-
quences de la guerre en Belgique à
travers son réseau de chemin de fer.
Divisé en trois parties, l’ouvrage décrit
d’abord le formidable essor du rail au
milieu du XIX
siècle. La révolution
industrielle va en effet transformer ce
petit pays en puissance économique
de premier ordre où le chemin de fer
va jouer un rôle déterminant. Bart Van
Der Herten nous expose comment
l’État tout d’abord puis les compa-
gnies privées à travers des concessions
vont tisser leur toile, quadrillant l’en-
semble du territoire. Les pays voisins
vont venir également engager des
capitaux, l’Angleterre notamment aux
alentours de 1845, mais aussi les
compagnies françaises comme les
chemins de fer du Nord ou ceux de
l’Est qui considèrent souvent la Bel-
gique comme le prolongement natu-
rel de leur propre réseau. Les indus-
triels belges vont pareillement
fortement investir conduisant à une
mainmise du privé sur 80% du
réseau. Cette situation va amener
l’État à reprendre la main à partir de
1870, puis dans une seconde phase
dans les dernières années du XIX
cle, conduisant progressivement à un
quasi-monopole public.
Construit à des fins économiques, le
réseau va bientôt se trouver au cœur
des enjeux militaires. L’armée va inter-
venir sur la construction de certaines
lignes comme Malines – Anvers où le
passage à proximité des fortifications
d’Anvers ne sera accordé qu’à la
condition qu’une remise en état d’ori-
gine soit exécutée si nécessaire sur
simple demande du gouvernement.
Au déclenchement de la guerre
franco-prussienne de 1870, la préoc-
cupation majeure de la Belgique sera
là encore de garantir l’inviolabilité de
son territoire.
Si le pays n’est finalement pas envahi,
la guerre de 1870 va servir de répéti-
tion générale pour le premier conflit
mondial. Paul Van Heesvelde revient
dans le détail dans une seconde par-
tie sur cette guerre qui aurait dû épar-
gner la Belgique. Les plans d’invasion
allemands mis au point dès la fin de
la guerre de 1870 avaient déjà scellé
le sort du pays et c’est bien à travers
son territoire qu’ont déferlé les
armées allemandes. Dès les premiers
jours de la mobilisation en août1914,
le rail va jouer un rôle déterminant.
Il s’agit d’abord d’acheminer les
troupes sur leurs positions tandis que
les convois civils sont suspendus. La
demande de trains sous-évaluée par
le ministère de la Guerre va conduire
à l’acheminement d’urgence de
6000 wagons vers les différents
points de chargement.
À l’heure de l’attaque allemande, une
bonne part de l’armée se replie par
voie ferrée sur les positions fortifiées
du pays, en particulier celle d’Anvers
après la chute de Namur et Liège.
L’atelier d’Anvers-Nord est reconverti
pour l’entretien des canons et la pro-
duction de trains blindés.
88-
Historail
Octobre 2014
BONNES FEUILLES
Destination le front,
le rail belge sous les drapeaux
Écrasée entre ses puissants voisins, la Belgique
va se retrouver malgré sa neutralité
au cœur du premier conflit mondial. Publié
en collaboration avec la SNCB,
Destination
le front
nous apporte un éclairage nouveau
sur les chemins de fer belges avant et après
la guerre de 14.
Octobre 2014
Historail
Alors que l’armée allemande pensait
traverser le pays en quelques jours, la
résistance de la Belgique va considé-
rablement ralentir sa progression, per-
mettant notamment aux alliés de réor-
ganiser leur défense. L’utilisation de
trains blindés, le recours à des trains
fantômes, convois bourrés d’explosifs
lancés contre l’ennemi et les installa-
tions ferroviaires qu’il pourrait utiliser,
vont venir contrecarrer l’optimisme
allemand.
À l’heure où le front se stabilise et que
les hommes s’enterrent dans les tran-
chées, l’essentiel du pays est occupé à
l’exception du Sud-Ouest. Les che-
mins de fer belges ont encore un rôle
à jouer aux côtés des alliés. Une par-
tie du matériel est rapatrié en France
au compte-gouttes, livrant le reste
aux armées allemandes.
Michelangelo Van Meerten dans une
troisième partie va revenir sur la remise
en état des chemins de fer à la fin
du conflit. Les reconstructions vont
d’abord apparaître comme une oppor-
tunité de moderniser le réseau et de
procéder notamment à son électrifi-
cation. Pour autant, la jonction Nord
Midi entre les deux principales gares
de Bruxelles (finalement réalisée après
la Seconde Guerre mondiale) est
repoussée à des jours meilleurs. La
priorité est d’abord à la remise en état,
la situation du réseau étant jugée
préoccupante. Lors de leur retraite, les
Allemands ont abandonné en masse
un grand nombre de wagons de mar-
chandises, 30000 sont ainsi éparpillés
à travers le pays chargés de munitions,
de matériels ou de butin de guerre.
Mais ce sont surtout les infrastructures
qui ont souffert. 1419 ouvrages d’art
dont 350 viaducs et tunnels ont été
détruits. Les ateliers, les dépôts, le
réseau téléphonique sont à recons-
truire. Sur les 4370 locomotives
d’avant guerre, seules 1700 sont
encore opérationnelles. Dès 1919,
40000t de rails sont livrés par l’in-
dustrie belge, 34000t achetées au
Canada et aux États-Unis. Les traités
vont également prévoir des répara-
tions de guerre versées par les Alle-
mands pour compenser les dégâts. En
1922, une bonne partie des locomo-
tives et les trois quarts des wagons du
réseau sont de fabrication allemande.
En format à l’italienne, l’ouvrage est
très largement illustré de photos et
documents d’époque, complétés par
une cartographie détaillée. En paral-
lèle, des photos contemporaines pré-
sentent au lecteur les vestiges de cer-
taines des lignes au cœur du conflit.
Philippe-Enrico Attal
Un ouvrage de 144 pages au format
27,5 x 21,5 cm. En vente à la librairie de
La Vie
(gare Saint-Lazare, 13, rue d’Amsterdam,
75008 Paris) ou par correspondance (
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La
Flèche-d’Argent
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(1964-1969) • Les services
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Capitole:
la Flèche rouge
de Toulouse •
Le dépôt de Paris-Sud-Ouest
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N°21 •
Cinéma, guerre et chemin de fer
N°22 •
Louis Armand: «L’orgueil de ma
fatigue». Portfolio. À la belle époque des trains
de marchandises
N°23 •
1934, la fin de la Petite Ceinture
N°24 •
Innovations des années 1970
N°25 •
La Chapelle • Le tramway de Paris •
Traction (1889-1900) • Les stèles après guerre
à la SNCF
N°26 •
Gare de l’Est, un réseau mythique •
Les 150 ansdu métro de Londres • Histoire
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Un filet de secours pour les mécanos:
crocodile, Rodolausse, KVB? • Les facilités
de circulation des cheminots • La question
du travail dominical dans les chemins de fer
N°30 •
Le massacre d’Ascq • Pour découvrir
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de fer • Des transports pour l’Exposition
universelle de 1900 • Des coopératives pour
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N°31 •
Guerre 1914-1918. Comment
un « immobilisé » a perçu « Paris pendant
la mobilisation » • De gares en trains, des
mobilisés témoignent sur l’entrée en guerre •
La Première Guerre mondiale dans
les transports parisiens • Le sacrifice des trains
belges • Guerre 1939-1945. Le triage
de Juvisy: une cible de choix • De Moissac
à Cahors, la « ligne du chasselas »
Livres/Revues
allemandes de la ville aban-
donnée, la gare voit défiler
très tôt dans l’autre sens les
« trains rouges » d’évacuation
des blessés. Succédant à la
guerre de mouvement, la
guerre des tranchées instaure
un cours plus paisible,
jusqu’en avril1917, où la ville
est frappée par des bombar-
dements très meurtriers… La
grève de 15heures en octobre
1917 dans les ateliers
témoigne de la dégradation
du niveau de vie de leurs
ouvriers. Et durant l’été 1918,
la « bataille d’Épernay »
impose une nouvelle évacua-
tion de la ville et des ateliers…
Suscitée par la période de
commémoration qui s’ouvre,
voici donc une première
monographie exemplaire de
ces villes cheminotes confron-
tées à l’épreuve de la Grande
Guerre.
ans un ensemble éclec-
tique de six articles et
deux études, retenons Arnaud
Passalacqua traitant de l’his-
toire chaude
(La Réforme fer-
roviaire de 1997; une histoire
à rebondissements pour un
scénario original)
: l’auteur
s’étend peu sur le rôle de
Claude Martinand qui, réputé
de gauche, sera commandité
par Bernard Pons pour une
vaste consultation bouclée par
un rapport très personnel
rendu fin février 1996, puis à
nouveau par Alain Juppé pour
une mission de préfiguration
de la réforme; il aurait été utile
de développer les critiques
vigoureuses des parlemen-
taires socialistes et commu-
nistes durant le lent accouche-
ment parlementaire de la
loi du 13 février 1997; par
contre, la modestie de « la
réforme de la réforme » entre-
prise par le ministre commu-
niste Jean-Claude Gayssot est
fort bien expliquée. Benoît
Demongeot
(Les Initiatives
Cavaillé de 1975 ou le retour
du tramway sur l’agenda
national)
a conduit une
enquête passionnante, recueil-
lant opportunément les témoi-
gnages de celui qui sous
Giscard, de 1974 à 1978, fut
son inusable sous-secrétaire
d’État aux Transports, Marcel
Cavaillé (1927-2013) et de son
directeur de cabinet Raymond
Guitard (1922-2013).
« Quatre
dynamiques convergentes et
un coup de pouce »
expli-
quent comment Giscard
donna feu vert à Cavaillé pour
lancer en février 1975 une
consultation auprès de huit
villes (Bordeaux, Grenoble,
Nancy, Nice, Rouen, Strasbourg,
Toulon et Toulouse)incitées à
adopter un tramway, puis le
concours auprès des construc-
teurs pour la conception de ce
futur « tramway moderne »:
des quatre postulants, seul
Alsthom sera retenu et
Cavaillé avouera à son
intervieweur:
« Qui que ce soit
après tout, ça m’était égal.
Bien évidemment que je sou-
haitais que ce soit en France »
(p.137)
, fidèle ainsi au
« col-
bertisme high-tech »
ambiant.
Du très long mais excellent
article de saison de Pierre
Lepage (« Dans les embarras
de Rouen. Le transport de l’ar-
mée britannique à l’ouest en
1914-1918 »), on retiendra
comment il illustre parfaite-
ment les difficultés qu’aux
prises avec un réseau français
de voies ferrées relevant de
compagnies cloisonnées et
dont les normes de leur maté-
riel différaient, les autorités
militaires et civiles connurent
pour coordonner leurs tâches
logistiques. Rouen est bien
riche de quatre gares, dont
celle de Martainville relie le
port à Amiens, ligne de la
Compagnie du Nord; mais
elles s’avéreront mal raccor-
dées. Problèmes d’interpéné-
tration accrus avec l’arrivée de
matériels anglais puis améri-
cain: systèmes de freinage dif-
férents, trains anglais limités
à 50 wagons
(p.182)
, pré-
cieuses locomotives belges
sauvées des Allemands mais
de trop faible puissance et
dont le gabarit surbaissé dété-
riorait les crocodiles chers au
Nord
(p.191)
. On comprend
que les armées anglaises et
américaines aient finalement
opté pour se doter de lignes et
parcs autonomes… Avec les
articles de Gustavo Chalier
(« Capitaux français dans la
Pampa: le chemin de fer de
Rosario à Puerto Belgrano »),
Dorin Stanescu (« La gare
comme espace de cérémonials
publics. Étude de cas: la gare
de Ploiesti »), Henry Jacolin
(« Dalmatie, l’impossible
désenclavement ferroviaire »),
la revue s’ouvre largement sur
l’international (Argentine,
Roumanie et Dalmatie).
l’occasion du 70
anni-
versaire de la grève
d’août 1944, ce cahier rap-
pelle les temps forts de la
Fédération CGT des chemi-
nots, depuis la grève du
30 novembre 1938 vouée à
l’échec jusqu’à la résurrection
en août 44 de la Fédération
illégale. La qualité et l’intérêt
des documents d’archives
reproduits en couleurs, en pro-
venance pour l’essentiel des
archives de l’Institut fédéral,
les rares photos des ultimes
combats d’août 1944 (chemi-
nots résistants du dépôt de
Batignolles, milices patrio-
tiques des ateliers de Clichy-
Levallois, barricade du Faubourg
Bonnefoy à Toulouse), rendent
vivante et attrayante cette
saga où les cheminots de la
région parisienne paieront
cher pour leur concours à la
résistance corporative par des
arrestations en cascade: sept
cheminots de Vitry arrêtés par
la Gestapo, puis neuf autres
de Villeneuve-Saint-Georges
et trois encore de La Plaine
ayant manifesté pour la
libération des premiers. Sur la
fameuse journée de « grève
insurrectionnelle » du 10août,
des documents éclairent les
modalités de l’engagement à
Montrouge, aux Batignolles,
à la gare Cardinet. On peut
reprocher aux commentateurs
de ces documents de ne pas se
départir de la vision par trop
manichéenne d’une résistance
et libération cheminotes dont
les communistes cégétistes
sortis de l’ombre auraient l’ex-
clusivité.
G. R
98-
Historail
Octobre 2014
Revue d’histoire
des chemins de fer
n°45, 2011/2,
Regards sur le
e
siècle
REVUES
Les Cahiers de l’Institut
IHS-Cheminots
Le Syndicalisme cheminot
(1939-1944): de la répres-
sion à la Libération
n°51, 3
trimestre 2014, 36 pp.
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Collection Régions
Paris-
Montparnasse
et sa banlieue
Didier Leroy et Paul-Henri Bellot
La gare Montparnasse actuelle ne bénéficie pas,
contrairement à ses consœurs parisiennes,
de l’attrait d’une architecture héritée du temps
des compagnies: sa reconstruction au milieu
des années soixante l’a définitivement rangée
dans la catégorie des gares modernes,
rationnelles mais sans cachet.
Les gares de Montparnasse étaient restées
longtemps marquées de la modernisation
des années trente réalisée par le Réseau de l’État
dirigé par Raoul Dautry.
Les locomotives à vapeur 141 P fréquentèrent
pourtant la ligne de Granville et la nouvelle gare
jusqu’en 1968!
Dans l’esprit des précédents ouvrages de cette
collection, les auteurs vous invitent à découvrir
par l’image le passé de la gare Montparnasse
et de ses lignes de banlieue jusqu’à Chartres et
Dreux en choisissant des vues les plus vivantes
possibles.
À PARAÎTRE EN NOVEMBRE
Caractéristiques techniques:
240 x 320mm. 160 pages.
Prix public: 49