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• Talon: de la torpille ferroviaire à l’autocar rail-route
• La grève vue d’en face
• Marseille, premier métro de province
• Triage (2
e
partie)
F:
9,90
– RD
Paris 1937
Le train au cœur de l’Expo
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COLLECTION : IMAGES DE TRAINS
Les trains de voyageurs
Didier LEROY et Pierre-Yves TOUSSIROT
En vente par correspondance à:
La Vie du Rail- Service commandes
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70074 – 59963
Croix Cedex
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Rapides, Express, Directs, Semi-directs, Omnibus,
telles étaient les dénominations de ces trains qui
parcouraient les lignes de la SNCF issues des anciennes
Compagnies. Les auteurs ont voulu offrir aux lecteurs des
tableaux où les visages des employés et voyageurs
apportent une force irremplaçable et profondément
humaine à ce livre. Les chapitres traitent de certains
aspects moins connus, tels que les grandes révisions
d’une voiture en atelier ou les livrées des voitures
et fourgons, un sujet cher à ceux qui désirent reproduire
de manière authentique des véhicules de cette période.
L’iconographie fait appel à des documents méconnus,
aussi bien en noir et blanc qu’en couleurs, et d’une grande
diversité, digne reflet de ces gares. Les quelque
300 photographies de ce livre sont le fruit d’une longue
recherche pour mettre en avant cette histoire
du rail français.
Format: 240mm x 320mm.
160 pages.
Réf.: 110 322
45
Dans la même collection:
Images de trains Tome XXVI
1965-1985, vingt années qui ont changé le train
Jean-Claude Marachin
Son titre résume bien son contenu et réunit les meilleures
photographies de l’auteur, prises au cours des décennies soixante
et soixante-dix. Des heures durant, le photographe a voulu figer
sur la pellicule tous les modes de traction, privilégiant le chemin
de fer traditionnel au soir de sa vie, mais aussi les locomotives,
les dépôts vapeur et la signalisation mécanique. Son regard offre
des prises de vues originales, telles que sont les photos
nocturnes. La majorité des images est en couleurs et provient de la célèbre
diapositive Kodachrome. Le lecteur va aisément se plonger sur le réseau national français
au tournant de son histoire.
240mm x 320mm. 160 pages.
Réf.: 110 320
45
NOUVEAUTÉ
Octobre 2015
Historail
S
i une Exposition internationale se doit d’être la vitrine de son temps, celle de Paris,
à l’été 1937, n’avait certes plus l’attrait de celle qui l’avait précédée: 1900,
la Belle Époque de la traction à vapeur, et de ses locomotives puissantes. En 1937,
ce sont les autorails et automotrices qui ont la vedette, témoins de la nécessaire riposte
«low cost»
du Rail à l’agression de la Route à laquelle il doit faire quelques emprunts!
Durant ces années 30 de trafic lourd déclinant, l’heure est à la rationalisation
progressive des métiers du rail. Dans des triages élargis, pointe l’organisation
méthodique scientifique des tâches, accélérant la course des
saboteurs
, alors que
les réseaux refusent toujours d’adopter l’attelage automatique Boirault!
Chant du cygne donc que cet été 1937: à quelques pas de la gare des Invalides
accueillant le
Palais des chemins de fer,
au ministère des Travaux publics,
boulevard Saint-Germain, se négocie âprement le rachat par l’État des concessions
des compagnies, conclu le 31août par l’accouchement d’un être gigantesque,
notre SNCF actuelle.
À lire encore dans ce numéro35 d’
Historail
un document assez exceptionnel qui est
le récit par Pierre Lubek, ancien directeur financier de la SNCF, d’un conflit social
à Rouen alors qu’il était directeur de la région Normandie.
À voir enfin des photos inédites récemment retrouvées de la construction du métro
de Paris. Impressionnant.
Georges Ribeill
Carte postale
de l’Exposition
internationale
de 1937
(© Éditeur:
H. Chipault/DR).
La lettre de l’éditeur
© Coll. RATP
RATP
Les photos
inédites
Retrouvées
par hasard dans
les archives,
des photos inédites
ressurgissent qui
nous racontent
la construction
du Nord-Sud
et les heures de
guerre de l’atelier
de Championnet.
© Coll. RATP
Octobre 2015
Historail
Ingénieur de la Voie
au service central
de la Compagnie du Midi
Augustin Talon naît à Marvejols le
21juin 1881 dans une famille de tis-
serands lozériens de Saint-Chély-
d’Apcher. Son père François aban-
donne le métier ancestral peu après sa
naissance: il sera cantonnier à la Com-
pagnie du Midi, et son épouse garde-
barrière. L’arrivée de trois autres enfants
permet de suivre les pérégrinations du
ménage à Sévérac (Aveyron), Roffiac
(Cantal) et Riols (Hérault). Il se fixe enfin
à Béziers au PN 281 du Capiscol, sur
la ligne de Bordeaux à Sète, François
étant alors chef de canton.
En 1901, Augustin, âgé de 20 ans, a
quitté la maisonnée: études puis
service militaire au 17
régiment d’in-
fanterie de novembre1902 à sep-
tembre1903. Le 1
novembre 1903,
à peine libéré, Augustin entre comme
surveillant stagiaire au service de la
Voie de la Compagnie du Midi
. Le
6juillet 1904, il épouse à Quillan
(Aude) une jeune fille de trois ans sa
cadette native de Perpignan, Élisabeth
Salva, qui lui donnera trois enfants
entre 1907 et 1912. Commissionné
le 24novembre 1905, Talon amorce
son ascension: dessinateur à Castel-
naudary le 1
janvier 1906 puis
conducteur de la voie (chef de district)
à Perpignan le 1
janvier 1911. Mobi-
lisé le 2août 1914 à la 7
section de
chemins de fer de campagne, il sert
successivement en Artois (Frévent),
dans le Nord (Hazebrouck) et en
Champagne où il assure les fonctions
de chef du service de la voie sur la
ligne stratégique de Saint-Hilaire-au-
Temple à Sainte-Ménehould. Démo-
bilisé le 1
novembre 1917, il devient
chef de bureau technique au 3
arron-
dissement de la voie à Béziers le
décembre suivant. Le 1
mai 1918,
sur proposition de Paul, directeur du
Midi, il intègre le service central de la
Voie à Paris en qualité d’inspecteur
faisant fonction de chef de bureau
administratif. Sous-ingénieur en
1920, ingénieur adjoint le 1
janvier
1921, ingénieur le 1
janvier 1924,
Annuaire Marchal
de 1932 le réper-
torie à la quatrième position au sein
de la division de la Voie. Il tient à trois
reprises le secrétariat de la Conférence
des ingénieurs en chef de la Voie des
grands réseaux, instance importante
où l’on débat au plus haut niveau et
quelque peu confidentiellement des
questions autant techniques que
sociales. Affecté à la SNCF au service
de la Voie de la région Sud-Ouest,
chevalier de la Légion d’honneur le
31décembre 1938, Talon part en
retraite le 1
février 1939, « ingénieur
principal honoraire ».
Notre Métier,
dans sa rubrique des départs en
retraite
, souligne la perte d’un chef
parmi «
les plus aimés (…), dont cha-
cun a pu apprécier les vastes connais-
sances administratives et techniques,
l’autorité bienveillante et l’exquise
courtoisie.»
C’est près de Quillan, à
Belvianes, petite localité de 300 habi-
tants dominant la vallée de l’Aude au
fond de laquelle serpente la ligne
Carcassonne – Rivesaltes, qu’il jouira
d’une longue retraite puisqu’il décède
à Espéraza le 27mai 1972 à 91 ans.
Une préfiguration
du TGV: la torpille
ferroviaire Hirshauer-Talon
Dès avant 1914, Talon déploie un
esprit inventif comme en témoigne sa
participation infructueuse, alors qu’il
est en poste à Perpignan, au concours
international d’attelages automatiques
de 1912
. Au sortir de la guerre, il
cherche à améliorer le rendement des
transports au moyen de formules ori-
ginales combinant les techniques fer-
roviaires, aériennes et automobiles.
En 1927, la première invention dont il
partage la paternité avec l’ingénieur
en chef de l’Aéronautique Louis
Hirshauer, réside dans la
«formule
ferroviaire des transports extralégers
et ultrarapides à grand rendement.»
Partant des travaux de l’ingénieur
Marié
et considérant que
«dans la
course à la vitesse, le rail est loin
d’avoir dit son dernier mot»,
auteurs proposent d’assurer des trans-
ports extralégers (postes, finances) sur
des parcours à grand trafic relative-
ment courts au moyen d’
«obus élec-
trodynamiques ultrarapides suivant
des réalisations qui, dans la pratique
de l’industrie automobile et métallur-
gique, sont de l’ordre des possibilités
actuelles.»
Ces automoteurs dotés
Louis Hirshauer, ingénieur de l’Aéronautique
Ancien élève de l’École agronomique puis de l’École nationale des eaux et forêts
et docteur en droit, L. Hirshauer (1885-1939) s’intéresse très tôt à l’aviation dont
son père, le général Auguste-Édouard Hirshauer, est l’un des pionniers. Versé dès
la déclaration de guerre dans l’aérostation, il commande une compagnie de ballons
d’observation avant de devenir observateur en avion en 1915 et d’obtenir son brevet
de pilote. En 1920, il prend la direction du service des collections de l’aéronautique
à Chalais-Meudon et crée avec l’aéronaute Charles Dollfus (1893-1981) le musée
de l’Aéronautique puis
L’Année aéronautique
. Ingénieur en chef en 1925, chargé de
l’aviation privée au ministère de l’Air en 1932, inspecteur général de l’Aéronautique,
président de la commission sportive de la Fédération aéronautique internationale
et de celle de l’Aéro-club de France, conférencier international, il donne aussi
un cours d’histoire de l’aviation à l’Ensa, publie dans des revues spécialisées et livre
Histoire de la locomotion aérienne
DR/Coll. Malfant
Les travaux
d’Augustin Talon
avaient pour objectif
l’amélioration
du rendement
des transports.
l’ingénieur en chef de l’Aude sur pro-
position de l’exploitant après accord
de la SNCF. Un contrat passé le
17mai 1943 entre Talon et les entre-
prises routières règle les conditions
d’équipement des autocars – avec
huit diplorys
freinés vendus à Talon
par la SNCF – et de mise au point du
dispositif rail-route ainsi conçu:
«deux jumelages de diplorys soute-
nant l’autocar sur les rails »
selon une
note présentée au conseil d’adminis-
tration de la SNCF le 26mai 1943.
L’excédent de puissance dû au roule-
ment sur rail permet de tracter une
remorque légère Decauville de
15,200t, portant ainsi la capacité
totale à 150 personnes dont 50 dans
l’autocar et 100 dans la remorque.
Celle-ci facilite de plus le chargement
des bagages et sacs postaux. Avec
quatre allers-retours quotidiens assu-
rés par un autocar et une remorque
contre huit navettes routières, le sys-
tème permet donc une économie de
50% sur les carburants et de 80%
au moins sur les pneus pour une
capacité accrue de près de 50%. Vers
1944-1945, les roues jumelées arrière
et leur diplory de guidage seront rem-
placées par des roues automobiles
bandagées pour accroître l’adhérence
par temps de pluie et, surtout, sup-
primer toute usure de pneus,l’autocar
ainsi modifié devenant un
«autorail-
bus»
«railbus».
Après des essais en février et mars
1943, le nouveau service débute le
24-
Historail
Octobre 2015
MATÉRIEL
DR archive SNCF
Coll. Y. Broncard
En haut: en 1943,
l’improbable
attelage à Quillan,
(photo extraite
du PV SNCF de la
séance du conseil
d’administration
du 26mai 1943).
Ci-dessus: extrait
de l’indicateur
Mayeux du 1
er
nov.
1943. Au tableau
686 figure la relation
Carcassonne –
Quillan, assortie
de la mention
de l’exploitation par
«autobus rail-route,
classe unique».
Octobre 2015
Historail
amphibies mais compliquées du
wagon roulant sur routeou du
camion circulant sur rail! Selon nous,
cet échec peut s’expliquer par,
primo,
des raisons de principe: la concession
de l’exploitation à des tiers, en l’oc-
currence des entrepreneurs routiers
indépendants, aurait «désintégré»
le système ferroviaire en séparant la
gestion de l’infrastructure de l’exploi-
tation. Cette formule alors révolu-
tionnaire ne pouvait que rencontrer
l’hostilité des administrations ferro-
viaires et de leur personnel…;
secundo,
des motifs techniques: com-
plexité du système, absence de réver-
sibilité, inadaptation de la construc-
tion automobile pour un usage
ferroviaire, rusticité des autocars de
l’époque, etc.
Rançon du contexte de l’unique
utilisation commerciale de l’autocar
rail-route, le nom de Talon reste
aujourd’hui associé de façon réduc-
trice à l’expédient décrit par
L’Illustra-
tion
en 1943:
«Nous nous trouvons
en présence d’un outil qui, né dans
une période d’exception, satisfait des
besoins d’exception. Ce n’est déjà pas
si mal. Bien mieux, c’est avec une sorte
de pitoyable tendresse que nous
devrions considérer ce produit, si
archaïque dans sa configuration, si peu
«chemin de fer» dans sa chétivité
(sic)
et cependant si ambitieux et si grand
dans son objet et son symbole.»
Il était donc juste de rappeler l’am-
pleur et la richesse de la réflexion obs-
tinée de Talon qui, après avoir travaillé
sur les très grandes vitesses ferro-
viaires, a proposé avec le chemin de
fer automobile une formule de coor-
dination des transports articulée sur
le rail, ce
« chemin de roulement
idéal »
Philippe Marassé
Nous remercions M. Francis Malfant
qui a bien voulu nous ouvrir
les archives et nous communiquer
un portrait de son grand-père.
1. Ses deux frères Honoré et Lucien firent
carrière au Midi, mais à l’exploitation.
2.
Notre Métier,
n°7 du 15mai 1939,
supplément «Échos du Sud-Ouest», p. V.
3. Voir
Historail,
n°34, juillet 2015, p. 37.
4.
Le Génie civil,
14 janvier 1928 (note
de Hirshauer et Talon présentée le
27 décembre 1927 devant l’Académie
des sciences) et
La Nature,
15 avril 1928.
5. En vue de combiner stabilité et
confort, le polytechnicien Georges Marié
mena au PLM de nombreuses recherches
que résume son impressionnant
Traité
de stabilité du matériel des chemins
de fer
(Béranger, 1924).
6. Sur l’histoire de cette entreprise
singulière, voir Didier Leinekugel
Le Cocq,
Histoire de la famille Arnodin
Leinekugel Le Cocq de 1872 à 2001,
Éditions de La Vie du Rail, 2010.
7.
Le Génie civil,
7décembre 1929.
8. «Note sur l’application de la formule
des transports automobiles à grand
rendement au redressement des
transports régionaux et de l’économie
nationale» (1946).
9. Brevets consultables sur le site
de l’INPI. Talon déposera également
des brevets aux États-Unis.
10. Collet livre en 1938 une camionnette
Citroën et un camion Latil rail-route au
service VB de la région Nord de la SNCF.
11. Convention provisoire en date à Paris
du 19mai 1943 signée pour la SNCF par
Le Besnerais et approuvée par le ministre
Bichelonne le 8juin 1943. Le dispositif
rail-route n’ayant jamais été utilisé
en service commercial, ce texte règle
les modalités de la période d’essai de
3 mois jugée nécessaire pour sa mise au
point et arrête les conditions générales
de l’accord définitif à intervenir en cas
de reconduction du système.
12. Fixée à forfait à 7 fr pour la période
d’essai. Pour le régime définitif, la
convention provisoire prévoyait une
redevance basée sur l’économie réalisée
par le nouveau mode. Les dépenses
effectives ayant dépassé les estimations
et devant l’importance des recettes
supplémentaires perçues, la convention
définitive présentée au ministre le
28septembre 1943 conserve le forfait
en le portant à 8,50 fr par kilomètre
mais supprime le fonds de réserve
institué par l’accord provisoire.
13. Ces diplorys sont encore une invention
d’Albert Collet brevetée en 1910 et
utilisée par les équipes VB pour transporter
leur outillage et le matériel de la voie.
14. En cas de détresse en pleine voie,
le conducteur pouvait appeler une gare
avec un appareil téléphonique portatif
fourni par la SNCF.
15.
Midi Libre,
20décembre 1945.
16. Ce qui excluait de fait la
Société des
Transports départementaux de l’Hérault
(STDH), filiale de la tentaculaire SGTD!
[ de la torpille ferroviaire au chemin de fer automobile…]
Sources et bibliographie
– AD Hérault, notamment 6 M 271, 1 R 1153 et 898W
129; SNCF, Centre des archives multirégional de Béziers,
registres 1998/021/livre/0268/129, 1998/021/livre/0446/021
et microfilm 1978/89; Centre des archives historiques
du Mans, 0204LM0003-006 et 0505LM0031-001.
– «Un autorail hybride»,
L’Illustration,
n°5243,
4septembre 1943.
– «L’autocar rail-route système Talon»,
Revue générale
des chemins de fer,
mars-avril 1944, p. 41-42.
– J.-C. Christol et Y. Guimezanes, «Le système T comme
Talon»,
Connaissance du Rail,
n°133, mars1992, p.10.
– Y. Broncard, «L’expérience Dunlop»,
Autorails de France,
T. I,
La Vie du Rail
, 1992, p. 233-240; «L’autocar et le
système rail-route de M. Talon »,
Autorails de France,
T. IV,
La Vie du Rail
DR/Coll. Ph. Marassé
Le 20février 1946,
l’autocar système
Talon attelé à
une voiture Hérault
arrive à Rabieux.
Après retournement
sur le pont tournant
placé sur la voie de
droite, il repartira à
Montpellier-Chaptal.
À l’arrière du car,
noter la substitution
de roues bandagées
aux roues jumelées
à pneus.
E
n 1932, supporté par la Ville de
Paris et l’État, le principe d’une
exposition internationale qui se dérou-
lera à Paris l’été 1937 est agréé par
le Bureau international des Exposi-
tions. Après Barcelone en 1929, Chi-
cago en 1933, Bruxelles en 1935 (où
sera célébré le centenaire de la pre-
mière ligne belge reliant Bruxelles à
Malines), voici donc revenu le tour de
Paris depuis 1900
. Mais la Belle
Époque est révolue, et les modestes
crédits votés en 1934 pour cette
future
Exposition internationale des
arts et techniques dans la vie moderne
visent une manifestation « à l’écono-
mie » dans le contexte de crise éco-
nomique des années 30…
C’est du moins une opportunité
heureuse pour les chemins de fer fran-
çais: 1937 permet d’évoquer la pre-
mière ligne ouverte au grand public,
un siècle plus tôt, de Paris à Saint-
Germain. Mais il a été convenu, plutôt
qu’une exposition rétrospective, de
souligner les progrès les plus récents.
« Le Rail, créateur de la France
moderne (1837-1937) »,
telle est la
trame imposée aux exposants ferro-
viaires.
« Nous voulons donner à notre Expo-
sition une allure de démonstration »
tel est le mot d’ordre du commissaire
général Edmond Labbé, repris dans
Guide officiel
« On a cherché
moins à étonner votre imagination
qu’à séduire votre intelligence en la
mettant à même de comprendre la
multiplicité des problèmes qui se
posent constamment à elle et sur les-
quels il est nécessaire que vous soyez
éclairé »
. Préfaçant le guide propre
au Palais des chemins de fer
, Henry-
Gréard, directeur général du PO-
Midi
, justifiait ainsi cette option dans
le monde des chemins de fer:
public voit, s’étonne, admire parfois,
mais ne pénètre pas ce monde tech-
nique assez mystérieux pour lui »
, ce
« mécanisme dont il voit chaque jour,
en surface, le fonctionnement (…)
C’est dans cet esprit que les organi-
sateurs de l’Exposition ont éliminé les
évocations qui eussent retracé l’his-
toire déjà longue et glorieuse du
chemin de fer, préférant consacrer
ce vaste et beau palais à une riche
sélection des réalisations les plus
récentes. »
Seuls exposants prévus à l’origine avec
la Compagnie des Wagons-Lits, les
sept réseaux français (Est, Nord, PO,
Midi, PLM, État et AL) optèrent pour
exposer maquettes animées ou com-
posants grandeur nature les plus
novateurs, se limitant à deux loco-
motives: réalisé dans les ateliers de la
Compagnie du Nord, l’écorché d’une
232 Hudson compound à vapeur sur-
chauffée
, et une locomotive 2D2 du
PO-Midi dont le public pouvait tra-
verser la cabine. Une mise en scène
donc plus pédagogique que specta-
culaire, d’un coût bien inférieur à celui
qu’aurait nécessité une exposition plus
ample de matériel roulant. Mais en
vertu de la règle réservant un tiers de
la surface aux pays étrangers souhai-
tant exposer, il fallut faire place à neuf
nations désireuses d’exposer du maté-
riel roulant ferroviaire, ou des com-
posants.
Un
Palais des chemins
de fer
très éclectique!
Prévue pour le 1
mai, l’ouverture dut
être reportée en raison de la grève
perlée des ouvriers du bâtiment occu-
pés dans ces chantiers fort opportuns.
Inaugurée « dans les plâtres » le
24mai, l’Exposition allait se tenir du
25mai au 25novembre. Frédéric
Surleau, émule de Dautry et reconnu
comme un puissant organisateur, avait
quitté le Réseau de l’État en décembre
1935 pour diriger l’AL. Il est appelé le
15juillet pour prendre en mains les
Octobre 2015
Historail
Dans le sous-sol du
Palais des chemins
de fer, la fresque
de Robert Delaunay,
«Rythme sans fin»,
surplombant
la 3.1102 Nord
«écorchée».
Lelaidier/Photorail
Octobre 2015
Historail
Rothschild, président de la Compa-
gnie du Nord, les directeurs généraux
de la SNCB et de la Compagnie du
Nord, Rulot et Le Bernerais, président
et vice-président de l’Association inter-
nationale, Grimpret, directeur géné-
ral des chemins de fer au ministère,
ainsi qu’une pléiade de dirigeants de
réseaux français et étrangers. Oppor-
tunément, Bedouce évoque un « cen-
tenaire », mais plutôt que celui de la
ligne de Saint-Germain, c’est celui du
premier grand débat politique en
France sur le régime ferroviaire en
1837, sur les rôles respectifs de l’État
et des compagnies privées… Avant
de déléguer au baron Rothschild la
présidence effective:
« Sa longue
expérience des chemins de fer, les
résultats remarquables que sa com-
pagnie a obtenus le désignent pour
mener nos travaux à des résultats
tangibles. »
Lequel baron rappelle les
crises économique et financière qui
affectent sévèrement la situation poli-
tique actuelle et fait un discours som-
bre:
« Aujourd’hui, notre congrès tire
des circonstances troubles que nous
traversons une importance capitale
pour l’amélioration des rapports éco-
nomiques entre toutes les nations. Le
monde entier est en évolution et en
transformation »
. Mais s’il y a bien
une crise mondiale économique,
« c’est la concurrence des autres
moyens de transport qui a causé un
tort bien plus considérable aux
réseaux»
, contraints
« de subir une
éclipse »
mais réagissant avec un
nouvel atout:
« les autorails, à peine
sortis de chez les constructeurs et
expérimentés, ont pris droit de cité
dans l’exploitation»,
devenus à
l’heure actuelle
« des instruments de
précision fonctionnant avec une régu-
larité surprenante, une souplesse
incomparable, et présentant des avan-
tages tels que les voyageurs revien-
nent au rail avec empressement. »
Objets de rapports préliminaires,
12 questions vont être débattues en
commissions: voie moderne sous
charges lourdes à grande vitesse; rails
longs soudés; entretien méthodique
des ponts métalliques et signaux;
automotrices; économies de courant
en traction électrique; exploitation
économique des lignes secondaires;
organisation rationnelle du transport
des marchandises; commande des
signaux et cab-signal; effets de la crise
mondiale et de la concurrence auto-
mobile sur la situation des chemins
de fer; sélection, orientation et ins-
truction du personnel; coordination
des grands réseaux et chemins de fer
économiques; spécifications pour les
voies à faible trafic. À l’évidence, les
répercussions de la crise mondiale sur
les exploitations ferroviaires, en quête
d’économies, de rationalisation et de
compétitivité, ont pesé sur ce menu,
où les automotrices font significative-
ment irruption, riposte technique
possible à la concurrence de l’au-
tomobile et de l’autocar.
En dehors des séances de travail,
des visites sont proposées: le
9juin la visite du Palais des che-
mins de fer inachevé, ce sont au
choix le banc d’essai des loco-
motives de Vitry-sur-Seine, la centrale
électrique Arrighi de l’Union d’électri-
cité à Gennevilliers, le poste de trans-
formation de Chevilly à 220kV du
PO, les triages du Bourget et de
Vaires, la commande centralisée de la
gare Saint-Lazare, le dépôt de la Cha-
pelle, l’entretien du matériel du Landy,
l’atelier de la voie de Moulin-Neuf, la
nouvelle gare de Versailles-Chantiers
et le laboratoire de psychotechnique
de la STCRP. Des excursions sont aussi
proposées: visites de Paris et des châ-
teaux de la Loire. Programme copieux
agrémenté d’une soirée à l’Opéra,
d’une réception à l’Hôtel de Ville de
Paris et d’une garden-party à l’Élysée.
Le congrès fournit l’occasion à la
Revue générale des chemins de fer
de publier un numéro spécial entière-
ment trilingue, en français, anglais et
allemand,
Les Chemins de fer français
[ à Paris en 1937, le train au cœur de l’Exposition]
Ci-contre:
tout le «gratin»
international du rail
rassemblé
en congrès.
Ci-dessous:
un hors-série
trilingue de la RGCF
en guise de livret
d’accueil
par la France.
À l’occasion
du congrès, les PTT
(Postes, télégraphes
et téléphones)
émirent
deux timbres,
de 30 centimes et
1,50fr, représentant
une 2D2 PO
et la 3.1280 Nord
carénée (DR).
des lignes de Corbeil et Melun, le
poste 5 est avisé à 22h49 par l’ap-
pareil Jousselin de l’annonce du train
551 se dirigeant sur Lyon. Aiguille et
disque sont ainsi commandés pour
Lyon. Mais deux minutes après, le
poste est informé par le dispatcher
que ce n’est pas le 551 qui arrive
mais le 1017 se dirigeant vers Saint-
Étienne. Le chef aiguilleur effectue
les opérations nécessaires tandis que
son aide regarde à la fenêtre pour
s’assurer que le train ne vient pas.
Ne voyant rien venir, il effectue la
manœuvre d’aiguillage, actionnée
par un moteur électrique. Au même
moment, le train arrive sur l’aiguille
entrebaillée. Alors que la locomotive
est entraînée vers la gauche, le four-
gon et le wagon-poste sont dépor-
tés vers la droite. Les wagons suivant
se chevauchent et retombent sur le
ballast.
Contenant une centaine de pèlerins
se rendant à Lourdes
Saint-Étienne,
un wagon de bois de 3
écrasé par les wagons métalliques qui
le suivent. Faute de secours rapides,
de nombreux blessés vont agoniser
sur place: on décomptera au total 29
morts et 111 blessés plus ou moins
grièvement. Les trois ministres rendus
sur place, Queuille, Chautemps et
Dormoy, ministre de l’Intérieur, sont
frappés par le sort contrasté des trois
types de voitures composant le
convoi: les voitures métalliques sont
indemnes, la voiture semi-métallique
a résisté à demi, celle en bois est com-
plètement écrasée.
La question du remplacement des
wagons en bois est aussitôt relancée:
le conseil des ministres du 30juillet
est unanime à prôner le remplace-
ment accéléré des wagons en bois.
Alors que le débat, lancé à la suite de
la catastrophe de Lagny (23décem-
bre 1933), avait tourné court devant
l’ampleur du coût d’un tel remplace-
ment, cette fois-ci, les deux ministres
des Travaux publics et des Finances
s’accordent pour reprendre le pro-
gramme de commande de wagons
métalliques interrompu.
Octobre 2015
Historail
Vue aérienne de l’accident du PLM survenu à Villeneuve-Saint-Georges le 29 juillet 1937
(«Life Magazine», 18octobre 1937).
Magazine LIFE 18 oct. 1937
Les responsabilités dans la catastrophe
ferroviaire de Villeneuve
Louis Sontag, chef aiguilleur, prenant ses responsabilités, après avoir été entendu
par le juge d’instruction, a fait la déclaration suivante:
«N’accusez pas le dispatcher. Je n’ai aucun ordre à recevoir de lui et je prends
mes responsabilités: je suis chef aiguilleur et je suis chargé de diriger les trains d’après
mon graphique. Hier soir, j’ai omis de fermer le levier trancheur qui empêche les
manœuvres d’aiguilles.
Malheureusement, au moment où le 1017 arrivait sur la voie, je n’ai pas vu mon aide,
Jules Dauvergne, qui manœuvrait inopportunément derrière mon dos une aiguille.
Si j’avais pu l’apercevoir à temps, cette catastrophe ne serait pas arrivée.
Je vous le répète. Je prends mes responsabilités Je ne veux accuser personne.
J’ai vingt-six ans de services à la compagnie sans défaillance; mais désormais, malgré
mes trois enfants que j’adore, le considère ma vie comme finie, car rien ne pourra
m’enlever de la mémoire tous ces cadavres étendus et ces cris de mourants. »
Le 15mars 1938, le tribunal correctionnel de Corbeil rendait son jugement: un mois
de prison avec sursis et 75francs d’amende pour Sontag, 20 jours de prison
et 50francs d’amende pour Dauvergne, 10 jours de prison avec sursis et 50francs
d’amende pour le mécanicien Louis Rafin, la jeune SNCF étant déclarée civilement
responsable.
Retour à l’exposition
des chemins de fer
Qu’ont vu les visiteurs du Palais des
chemins de fer? On peut gager qu’ils
ont été intéressés plus par le matériel
roulant que par les composants,
moteurs, bogies et essieux, plus
même par le matériel moteur où
dominent significativement autorails
et automotrices.
Côté France,en dehors de l’écorché
de 232 et de la 2D2, c’était l’auto-
motrice Bugatti apte à 140km/h,
l’autorail Renault AEJ de 300CV, une
automotrice standard
à 58 places
conçue par un consortium de
constructeurs, l’automotrice élec-
trique rapide de grande banlieue
Budd, témoignant de l’enjeu de cette
nouvelle option technologique qu’est
devenue la « traction nouvelle
Côté Belgique,c’était l’autorail Gard-
ner à deux essieux, adopté par la
Société des chemins de fer vicinaux
SNCV; le Danemarkexposait son
train Éclair,
rame automotrice rouge
vif rayé de blanc, équipée de quatre
moteurs diesels de 250CV, assurant
depuis 1935 les relations rapides
entre Copenhague et les principaux
points du territoire. Le constructeur
milanaisBredaprésentait un
Électro-
train
apte à 160km/h et une auto-
motrice électrique, tandis que le
constructeur turinois Fiat exposait une
automotrice électrique double et une
rame automotrice diesel, tous les
engins électriques fonctionnant en
3000 volts continu. La Suède pré-
sentait un autorail léger de 130CV.
Outre une Pacific carénée, la
Pologne présentait un « train-croi-
sière » réservé aux skieurs, rame
comprenant en plus d’une voiture-
couchette de 2
et 3
classes, une
voiture salon-dancing avec buffet-
bar et cinéma parlant et une voiture
sanitaire comprenant deux salles de
bains, quatre cabines de douche et
un salon de coiffure!
Plus éloquent était le stand de la
Reichsbahn, où, aux côtés d’une loco-
motive diesel à transmission hydrau-
lique Voith-Maybach et moteur MAN,
construite par Krauss Maffei, d’une
locomotive électrique de grande
vitesse sortie des ateliers AEG, apte
à 150km/h et d’un locotracteur de
36-
Historail
Octobre 2015
ÉVÉNEMENT
Page de droite,
de haut en bas
et de g. à dr.: bogie-
moteur d’autorail
De Dietrich et
autorail Standard
français; rame
Budd; stand Renault
avec bogie-moteur
d’automotrice.
Ci-dessous:
batterie de trains
Éclair, au Danemark;
Électro-train italien;
autorail suédois ;
motrice électrique
des SNCV.
Photos DR/Photorail
Octobre 2015
Historail
[ à Paris en 1937, le train au cœur de l’Exposition]
DR/Photorail
DR/Photorail
Lelaidier/Photorail
Tirage disponible
cf.
p. 4
Réf. 350371
Octobre 2015
Historail
1. Ph.-E. Attal a retracé la situation des
transports publics à la veille de l’Exposition:
« Des transports pour l’Exposition de 1937 »,
Historail,
n°33, p.70-85.
2.
Palais des chemins de fer. Catalogue officiel,
édité par L’Art vivant. Texte de Marcel Zahar,
« Le Palais des chemins de fer ».
3. Le PO-Midi semble avoir le principal
contributeur de la « section ferroviaire » 65 a,
sous-section de la classe 65 des transports:
basée 41, boulevard de la Gare, elle est présidée
par Octave Henry-Gréard, secrétariat et
trésorerie étant assurés par des cadres: Barois
(Service MT), du Plessis d’Argentré (Œuvres
sociales) et Naudy (Comptabilité).
4. Un éclairage mobile permettait de suivre les
circuits parcourus par les gaz chauds, l’eau et la
vapeur, jusqu’à la transition du mouvement aux
roues motrices. Cet écorché préservé atterrira
au musée des Chemins de fer de Mulhouse.
5. Voir ses mémoires:
Autobiographies
professionnelles de Frédéric Surleau (1884-1972)
et Robert Lévi (1895-1981), Revue d’histoire des
chemins de fer,
hors série n°8, 2007, p. 7-210.
6. Suite au report de la ligne d’Argentan-
Granville à Montparnasse, la gare des Invalides
ne dessert plus que les gares de Viroflay et
Versailles-Rive-Gauche.
7. «Attraction plus ou moins bidon, genre fête
foraine», taxée de 1 franc par visiteur, juge
sévèrement M. Doerr («Il y a 50 ans.
L’Exposition de 37 et ses mystères»,
La Vie
du Rail,
n°2106 1987, p. 44-48).
8.
La Croix,
23mai.
9.
L’électrification de la ligne Paris – LeMans,
mai 1937, Éd. Perceval.
10. Voir l’article de Bruno Carrière, « Il y a 50 ans
naissait la SNCF », et son interview de Charles
Marcy parus dans
La Vie du Rail,
31décembre
1987; G.Ribeill, « Y a-t-il eu des nationalisations
avant la guerre? La nationalisation des chemins
de fer »,
Les nationalisations de la Libération. De
l’utopie au compromis
(dir. Cl. Andrieu, L. Le Van,
A. Prost), Presses de la Fondation des sciences
politiques, 1987, p. 40-52; Jean Kalmbacher,
« La convention du 31août 1937 »,
in Revue
d’Histoire des chemins de fer,
hors-série n°4,
février 1996, p. 89 et
sq.
11. Voir Barois, « Les autorails à l’Exposition
de 1937 »,
Traction nouvelle,
septembre-octobre
1937.
12. Dzerjinski, dirigeant de la première heure
de la Russie soviétique, y créa sa fameuse police
politique, la
Tchéka.
Proche de Staline, décédé
brutalement en 1926, on érigea, sous diverses
expressions, le culte de sa personnalité.
13. M. Doërr, «Il y a 50 ans. L’Exposition de 37
et ses mystères»,
La Vie du Rail,
n°2106 1987,
p. 44-48.
14. Sur l’Exposition de 1900, «vitrine
technologique internationale des grands
réseaux», voir G. Ribeill, «Les progrès de la
traction fin
XIX
e
-début
e
siècles. 1890-1900:
d’une Exposition à l’autre, une décennie de
progrès accélérés»,
Historail,
n°25, avril2013,
p.81-82.
Ce 25octobre
les visiteurs se pressent
autour de la 142
n°20-241 de la classe
JS (Josef Staline).
L. Hermann/Photorail-SNCF ©
Octobre 2015
Historail
La question de l’attelage
automatique relancée
au plan international
C’est à la Conférence internationale
tenue à Washington en novembre
1919 que furent créés, dans le sillage
de la Société des Nations, l’
Organisa-
tion internationale du travail
(OIT) et
son instrument exécutif, le
Bureau
international du travail
(BIT). Le socia-
liste français Albert Thomas,qui avait
joué durant la Grande Guerre un rôle
éminent efficace dans la mobilisation
sociale des fabrications de guerre, s’en
voit confier la direction.
De leur côté, les travailleurs syndiqués
des transports disposent d’une inter-
nationale apte à dialoguer avec le BIT:
c’est la
Fédération internationale
des ouvriers du transport
(ITF), basée
à Amsterdam. Débattu à ses congrès
de Londres (1920) et Genève (1921),
« l’attelage automatique constitue
avec le système de freinage perfec-
tionné et celui de la répétition des
signaux en cabine un des perfection-
nements les plus importants et les plus
indispensables »
, juge l’ITF
. S’il ne lui
appartient pas de choisir tel système,
du moins
« le fait essentiel, c’est que
l’attelage automatique soit appliqué
dans le plus bref délai »
, car
« peu de
métiers comportent des dangers aussi
multiples et redoutables que celui de
l’agent du service des manœuvres.
Exposé à toutes les intempéries, il doit
exécuter un travail physique haras-
sant et trop souvent sa vie ou sa mort
dépendent d’un pur hasard »
. Et donc
de solliciter que l’ITF puisse participer
à une commission tripartite aux côtés
des représentants des réseaux et des
gouvernements…
À la tête du BIT, Albert Thomas eut
quelque sentiment de revanche à
pouvoir imposer aux représentants
des réseaux l’étude de l’attelage auto-
matique qu’il avait défendu en vain
avant guerre
. Lors de la Conférence
internationale du travail du 29octobre
1923, le BIT se voit confier le soin de
« se renseigner auprès des gouverne-
ments et des organisations interna-
tionales sur la question de l’accro-
chage
(sic)
automatique, afin de déter-
miner si une enquête internationale
est désirable en la matière, dans l’in-
térêt des travailleurs »
. Fondée en
1922, dirigée par les réseaux français,
l’Union internationale des chemins de
fer est l’interlocuteur patronal natu-
rel
. En mars1924 Thomas transmet
à son secrétaire général une lettre
l’invitant à
« rechercher les moyens
susceptibles de favoriser une entente
internationale pour l’adoption d’un
appareil d’attelage dont le type aurait
été reconnu par des organismes tech-
niques susceptible d’être adapté au
matériel roulant des divers pays qui
ont entre eux des communications
par voies ferrées
. Peu après, le BIT
publiait une étude statistique sur la
question
L’attelage automatique et
la sécurité des travailleurs des chemins
de fer,
visant à
« déterminer dans
quelle mesure la nécessité de l’atte-
lage automatique est démontrée par
les faits »
Ceci va déclencher une longue bataille
de chiffres, de démonstrations statis-
tiques dont la réputation de se
prêter à n’importe quelle
interprétation est bien
connue… Faute de défini-
tions et mesures homo-
gènes, d’indicateurs com-
muns (taux d’accidents
mortels ou non mortels calculé
par millier d’agents ou par kilo-
mètres-trains, accidents d’attelage
rapporté à un « nombre total d’acci-
dents »), la comparaison des statis-
tiques nationales durant des périodes
d’observation de surcroît différentes,
étalées entre 1905 et 1920, se heur-
tait à des difficultés certaines d’inter-
prétation. Mais s’intéressant précisé-
ment aux « accidents survenus lors
d’accouplage ou découplage de
wagons » dans une quinzaine de pays
(Allemagne, Autriche-Hongrie, Bel-
gique, Canada, États-Unis, Finlande,
France, Inde, Luxembourg, Norvège,
Pays-Bas, Roumanie, Royaume-Uni,
Suède, Suisse), les compilations sta-
tistiques du BIT et de l’ITF conver-
geaient pour admettre les bienfaits
de l’attelage automatique.
Ci-dessus:
Albert Thomas
(© George
Grantham Bain
Collection).
Page de gauche:
enrayeur dans
un triage avec
sa tavelle pour
le retrait sans risque
du sabot.
Ci-dessous:
débranchement
manuel au triage
de Jarville.
DR/Photorail
Tirage disponible
cf.
p. 4
Réf. 350451
Contre-attaque
des réseaux français
et inertie de l’UIC
Le délégué patronal français à Genève,
Lambert-Ribot, allait transmettre le
rapport du BIT au Comité de direction
des grands réseaux, instance de déci-
sion stratégique commune, renvoyant
lui-même ce rapport aux deux confé-
rences interréseaux des ingénieurs en
chef de l’Exploitation et du Matériel
et de la Traction
. Les archives de l’UIC
révèlent la contre-attaque des réseaux,
arguant de
« statistiques établies dans
des conditions tellement différentes
que les chiffres qu’on peut en déduire
ne sont nullement comparables entre
eux et n’ont aucune valeur compara-
tive »
« aucune déduction favorable
ou non à l’adoption de l’attelage auto-
matique en Europe »
ne pouvant donc
être établie.
De commission en commission, l’UIC
joua la temporisation, Albert Thomas
se résignant en 1926 à admettre
qu’un sérieux bilan statistique des
accidents d’attelage devrait précéder
l’examen du fond du problème. Les
réseaux français invoquaient de leur
côté l’essai d’une nouvelle
perche
d’accrochage
en aluminium comme
pouvant réduire à peu de frais les
risques des atteleurs. La crise écono-
mique des années 30 et la récession
induite des trafics ferroviaires vinrent
réduire à néant les perspectives d’une
prochaine conversion très coûteuse
des réseaux européens à un attelage
automatique commun; les travaux de
la commission spéciale de l’UIC se
réduisent à de simples échanges de
vues, proposant même en mai 1939
la mise en sommeil des études statis-
tiques. Ainsi allait sombrer en dou-
ceur dans l’entre-deux-guerres l’im-
pulsion sociale du BIT!
En France, des essais
intermittents
Datée du 9novembre 1920, une cir-
culaire du ministre des Travaux publics
Le Trocquer relance les expériences
46-
Historail
Octobre 2015
EXPLOITATION
L’attelage Boirault réclamé par la Fédération CGT des cheminots
Affiliée à la CGT, la Fédération nationale des travailleurs des chemins de fer publie
en 1927 un copieux cahier de revendications
qui, en matière de sécurité des agents,
pointe le métier dangereux des saboteurs:
« Dans les gares de triage où on pratique
l’arrêt au “sabot”, il est inconcevable qu’un homme ait à surveiller cinq, six et sept
voies dans les manœuvres à la déclivité. Non seulement, l’homme, par suite d’un faux
pas ou d’une glissade, peut être écrasé par le véhicule qu’il doit arrêter, mais dans
sa précipitation, il n’a pas toujours le temps matériel pour bien calculer la distance
à laquelle il doit placer son sabot. Quand cette distance est trop courte, le véhicule
va tamponner avec violence les autres wagons; résultat: matériel détérioré,
marchandises détruites ou avariées, dommages considérables à payer. La surveillance
de deux ou trois voies serait grandement suffisante. À nous de démontrer
que ce serait tout bénéfice pour le réseau comme pour le personnel. »
Évidemment, au personnel réclamant l’application de l’attelage automatique,
« les réseaux répondent que les expériences continuent. Des concours nationaux et
internationaux ont démontré la supériorité du système Boirault; les réseaux répondent
que des mises au point sont indispensables avant que son application soit généralisée. »
Le freinage continu, la répétition des signaux ou l’appareil Rodolausse
sont encore
réclamés pour améliorer la sécurité des agents, mais en vain aussi!
« En résumé, les dirigeants des réseaux français ont une répulsion marquée contre
l’extension du progrès technique dans leur industrie particulière. Cette répulsion
est presque poussée à la fureur quand l’inventeur n’appartient pas aux chemins
de fer et se trouve sans diplôme officiel. Si l’inventeur est un “camarade” de la Sainte
École, des millions seront sacrifiés pour des expériences et des applications
d’une courte durée. Les autres inventeurs, comme ceux de l’extérieur, sont considérés
comme des intrus et n’ont aucun droit à la bienveillance de ces messieurs. »
Les principales revendications des cheminots et la Fédération Confédérée,
oct. 1927, p. 33-34.
** Sur l’inventeur Rodolausse, mécanicien agricole à l’origine, voir G. Ribeill, « Un filet de
secours… crocodile, Rodolausse, KVB? »
Historail,
n°29, avril 2014, p.48-61. On retrouve avec
les appareils Boirault le même type de scénario d’essais et de commissions répétés sans fin.
Automotrice série Z 1411 à 1488 utilisant le système Boirault (© J.-C. Roca/Photorail).
50-
Historail
Octobre 2015
EXPLOITATION
Aussi les réseaux comme les indus-
triels privés utilisent-ils d’abord les
appareils protecteurs habituels, cou-
vre-engrenages, grilles de protection,
lunettes spéciales, masques, gants,
chaussures protectrices, échelles
munies de semelles antidérapantes…
que l’on trouve dans les ateliers bien
aménagés. (…)
Voyons le cas de l’attelage à main des
wagons. À défaut de l’attelage auto-
matique, qui existe dans certains pays
(Amérique et Japon), mais que des
difficultés d’ordre économique et
d’ordre international ont empêché
jusqu’ici de généraliser en Europe,
plusieurs réseaux ont mis en service,
depuis quelques années, une perche
à accrocher qui permet d’atteler les
véhicules sans pénétrer entre les tam-
pons comme cela se pratique d’ordi-
naire. Pour combattre la routine et
généraliser l’usage de cet appareil, des
primes spéciales sont versées aux
agents qui l’emploient.
Les manœuvres des gares de triage
ne sont pas moins délicates que celles
de l’attelage des wagons. Pour réduire
le nombre des accidents dus à l’en-
rayage, au moyen d’un sabot-frein,
des wagons qui sont dirigés à la gra-
vité sur un faisceau du triage, les
réseaux ont mis en service des dispo-
sitifs nouveaux qui permettent, d’une
part, de réduire l’effectif des agents
chargés de placer à la main le sabot-
frein d’enrayage, d’autre part de régu-
lariser la vitesse des wagons à enrayer.
Tels sont les appareils ralentisseurs
Deloison qui réalisent la commande
électrique des sabots-freins par un
agent situé dans une cabine; tel est
encorel’appareil R qui constitue une
solution très complète du problème
en supprimant entièrement l’enrayage
à la main. »
Dispositifs foisonnants, qui participent
à la modernisation des triages dans
l’entre-deux-guerres.
Années 30:
la modernisation
accélérée des triages
Les premiers triages entourant les
gares parisiennes sont devenus trop
à l’étroit en raison notamment
d’échanges accrus avec la Grande
Ceinture, en suscitant la création de
nouveaux triages, tels Vaires ou
Trappes; ailleurs, c’est leur moderni-
sation qui signifie l’extension ou la
multiplication des faisceaux
. La mul-
tiplication des articles parus sur ce
sujet dans la
Revue générale des
chemins de fer
dans les années 30 est
éloquente quant aux préoccupations
de rationalisation et d’industrialisa-
tion, bref d’une organisation scienti-
fique du travail qui n’ose se référer
explicitement au taylorisme, bien plus
approprié il est vrai aux tâches répéti-
tives des usines et à la production
industrielle en grande série
Le premier des sept articles parus,
signé du polytechnicien Jean Rabour-
din, ingénieur de l’Exploitation à l’Est,
résume sa conférence faite le 28avril
1930 à la Maison des X, illustrée de
projections cinématographiques
Mise en œuvre orthodoxe de l’orga-
nisation du travail dans les trois
séquences, – préparation, réalisation
et contrôle du travail –, appliquée
au « triage-type » de Blainville, proche
de Nancy. Au faisceau de débranche-
ment, étroite spécialisation des
agents communiquant par signaux
acoustiques et optiques:
« le chef de
manœuvre placé sur la bosse de
La gare de triage
de Trappes.
Au triage de
Blainville, le poste
de commande
des aiguilles installé
sur une passerelle
est un observatoire
commode
des voies.
DR/Photorail-SNCF ©
RGCF
débranchement donne ses ordres au
mécanicien au moyen, d’une part,
d’une
trompe Ténor
, et d’autre part,
d’un signal en cocarde à trois feux:
blanc, vert et rouge orangé »
, alors
appareil Demm
assure les trans-
missions entre la bosse et l’aiguilleur,
placé dans un
poste électrique
installé
sur une passerelle dominant toutes les
voies.Un seul bouton-poussoir com-
mande l’accès à chaque voie du fais-
ceau. Cadence accrue, de huit à 10
wagons par minute, suppression de
25 agents, tels sont les gains de pro-
ductivité ainsi réalisés au débranche-
ment.
Divers systèmes de freinage successifs
règlent la vitesse de chaque wagon
descendant:
appareil ACEC
serrant les
boudins des roues;
appareil Deloison
et Deyon
(deux ingénieurs du Nord)
sur chacune des quatre voies mères:
un sabot-cale coulisse sur une glissière
longeant le rail, commandé depuis la
Octobre 2015
Historail
[ du triage par gravité à l’attelage automatique
e
partie)
Pour relater
« le calvaire du Réseau du Nord »
ayant débuté
« cette année fatidique »
, la Compagnie du Nord
publie une brochure en 1936 où elle souligne sa situation
délicate: si son réseau représente 10,9% du réseau
français, il supporte 20% du tonnage kilométrique total
des marchandises transportées, et depuis 1930, son trafic
PV décline, les recettes encore plus vite. Victime
de la concurrence des camions sur les routes, des bateaux
automoteurs sur les canaux, la réduction des effectifs
s’impose depuis 1930, et 24% d’économies sur les dépenses
de personnel ont été réalisées de 1930 à 1935.
Parmi les mesures de réduction des coûts d’exploitation,
« l’industrialisation des gares de triage »
dont
« la réussite
a été complète »
, ainsi expliquée:
« L’opération qui consiste à séparer les wagons arrivés
par rames pour les classer ensuite, s’appelle
le “débranchement”. Chaque wagon est conduit sur
une butte, ou sur un chantier légèrement en pente, d’où
il dévalera, sous la seule force de son poids, vers la nouvelle
voie qui lui est assignée. Il s’agit ensuite de reprendre un à
un ces wagons pour former le train de départ, en ayant soin
de réunir dans la même partie du train tous ceux qui sont
destinés à une même gare. C’est grâce à cette précaution
qu’une seule manœuvre suffira, au passage de chaque gare
destinatrice, pour le détacher et les amener à leur point
d’arrêt.
Jusqu’à ces dernières années, ce travail s’accomplissait
péniblement et exigeait beaucoup de temps, car on avait
recours à des méthodes anciennes, celles de toujours. Mais
ici encore, on a “industrialisé” les procédés, à la manière
de ceux qui sont employés dans les usines et dans les ateliers
les plus modernes et un outillage approprié remplace
maintenant certains efforts dangereux dont il fallait naguère
charger le personnel. D’où une grosse économie d’effectifs
et d’heures de machines. À Lille-Délivrance, pour ne citer
qu’un exemple, le rendement des machines de manœuvres
a pu être augmenté de 24% : étendue à tout le réseau,
cette heureuse réforme représente une dépense en moins
de plusieurs millions! Ces mesures d’organisation ont eu,
en outre, pour corollaire, une amélioration de la charge
des wagons et des possibilités techniques du réseau. »
Le Réseau du Nord devant la crise
Extraits de la brochure
Le Réseau du Nord devant la crise:
à gauche, l’effondrement du trafic PV en courbes; à droite, le triage moderne expliqué en deux schémas.
DR/Coll. G. Ribeill
52-
Historail
Octobre 2015
EXPLOITATION
Saboter:
« un jeu, une façon de sport… »
Peu importe de savoir qui est l’auteur de
L’autre enfer,
ce
« manuscrit tombé entre
les mains »
des deux prétendus
« signataires »
de l’ouvrage
: il s’agit pour le moins
d’un rare témoignage littéraire sur la condition des wagonniers de « La Plaine »
et des saboteurs du triage de « Vieilleville », deux sites qui pourraient bien se situer
dans la France du Nord ou de l’Est…
Qui n’a pas vu par une nuit de
« bourrage »,
dans le faisceau de
Vieilleville, manœuvrer l’équipe
des saboteurs n’a rien vu sur le
rail. Cela, c’est un métier!…
Il exige, réunis dans un seul être,
l’agilité, la souplesse, la sûreté
des jarrets d’une première
danseuse; d’un coureur pédestre,
l’endurance, le souffle, la vitesse;
le coup d’œil exercé aux évaluations des distances
d’un arpenteur; d’un mathématicien, la science du calcul mental
des vitesses proportionnelles au poids déplacé, et par-dessus tout,
pour ne pas y laisser sa peau, une veine de cocu.
Chacun sait ce qu’est un sabot, à avoir peu ou prou manié cette
sorte de cale en acier, s’adaptant au rail, sur quoi vient buter
la roue d’un véhicule lancé sur la déclivité par l’agent
des manœuvres
« débranchant »
un convoi.
L’opération du sabotage, en elle-même, peut paraître, à première
vue, fort simple, consistant en somme, tout uniment, à maîtriser
l’élan d’un wagon pour le faire
« se recevoir en douce »
sur les derniers tampons d’une rame en formation.
Je me suis essayé plusieurs fois à ce joli jeu. À passer sous silence
les coups où, sans la poigne solide de Salpingois, mon ami
le saboteur, j’ai risqué d’y laisser un membre, sinon la tête,
je n’ai jamais pu encore poser convenablement, en temps voulu
et à bonne distance, un sabot. Ou, freiné de trop loin, le wagon
restait en panne à 20m de la rame visée, semblable au gamin
boudeur se refusant à frayer avec les autres, ou, calé de trop près,
il allait s’écraser sur les tampons, tel un collégien turbulent,
à s’y mêler bousculant tout le monôme.
Car tout est là pour le saboteur: savoir discerner, au premier coup
d’œil, l’instant précis et la juste distance où placer le sabot. Au dire
de Salpingois, maître en sabotage, ceci ne s’apprend pas. On naît
saboteur, on ne le devient jamais. Il en est, jure-t-il, dans le triage
qui, depuis dix ans à
« manier le sabot »,
ne savent pas encore
poser le morceau de fer et jusqu’à la retraite, dans
une des meilleures voies de Vieilleville, vous
« gerberont »
les plus stables
« HP ».
Mais là n’est rien encore en fait des difficultés. Le faisceau
de Vieilleville se compose de 94 voies. L’équipe de sabotage
comprend 12 unités, chacune chargée de la surveillance de sept
à huit voies. Par les grands soirs de
« bourrage »,
Vulpin
ou Langlemay, agents de manœuvre
« aux Buttes »,
lancent
dans la déclivité un wagon toutes les trois secondes. C’est donc
20 véhicules envoyés par 60 secondes sur l’éventail des 94 voies.
Pour un saboteur surveillant huit branches de l’éventail, cela
revient, à peu près, à freiner un wagon par minute. On voit tout
de suite, par ce simple exposé, combien la partie peut devenir
passionnante à voir jouer.
Car, à négliger les incessants dangers du métier, cela semble bien
un jeu, une façon de sport; une manière de course de vitesse
entre le saboteur et les wagons venant sur lui. Or, quand on sait
qu’il est un point précis du rail où le sabot doit être posé,
le saboteur pratiquement s’en trouvant toujours autant éloigné
que le véhicule même, cela reste bien dans les conditions
d’une course à qui des deux arrivera bon premier.
Et dame, si parfois le saboteur rate le wagon, celui-ci, en revanche,
manque rarement le maladroit saboteur.
Mais cette règle de jeu, trop simple, se complique de conventions,
pour le plus grand amusement des partenaires. Prenons la partie
de mon ami Salpingois.
Son terrain de voltige tient entre la « voie 23 » et « la 37 ». Il
vient, sur la 25, juste à fleur de rame, de « caler » net un houiller
chargé. Il laisse patiner un peu, puis hop, à la force du poignet,
enlève son sabot. Mais pour lui, cela vient toujours. Sur « la 31 »,
descend une plate-forme à vide. Sur « la 35 », un foudre plein
vient de s’engager. Comment Salpingois va-t-il jouer ce coup-là?
C’est ici qu’intervient le coup d’œil du saboteur.
La plate-forme a une avance nettement marquée, mais elle est
vide, donc vitesse moindre. Optant pour « la 35 », Salpingois saute
quatre voies, dont une « engagée », et sabote le foudre. Tant pis
pour lui, si, calculant mal, il rencontre, dans « la 31 », la plate-
forme au passage.
Car il a des wagons traîtres comme des hommes. Regardez-les
venir, ils semblent flânocher. Traversez la voie, ils sont sur vous.
Cela, c’est le jeu. Admettons la parade réussie. De
par
un brusque crochet, Salpingois revient à
placer son sabot
devant le nez de la plate-forme. Mais un autre houiller est déjà
en mouvement sur
et là-haut, à l’aiguille, Vulpin, agent
de manœuvres, hurle encore:
« la 35 et à suivre la 29. »
Vous voyez d’ici le joli coup triple à bien jouer.
Saute, saute, saboteur!… De « la 25 » à
De
. Et cependant qu’à la crête de la Butte d’autres toujours
surgissent, se lancent, descendent vers toi: houillers, fourgons,
foudres, plates-formes, à vide ou chargés.
D’autres encore, d’autres toujours…
« La 23 et à suivre la 37 »
Saute, saute, saboteur!
Pour toi, leur adversaire, ils ont tendu mille pièges: attention
aux chaînes, aux cordes qu’ils laissent pendre invisibles autour
de leur lourde masse, pour, au bras, au mollet, te happer.
Gare à la traîtrise de leurs marchepieds, rasant le sol, de leurs
crémaillères faussées, fauchant l’entrevoie.
Prends garde à tout. Aux rails, aux fils de commande, aux pierres
du ballast. Souviens-toi que telle traverse bouge sous le pied,
que ce boulon accroche le talon. Saute, saute, saboteur!…
Lequel te gagnera?… Est-ce cette antique plate-forme, sous son
chargement de paille mal arrimé, oscillant sur le rail, l’air d’une
grosse femme alourdie par l’âge? Ou ce foudre fonçant rapide
sur la rame, malgré sa ronde bedaine clapotante?
Cette ballastière, de son levier tordu, que tu n’as pu descendre,
t’a manqué de bien peu. L’entends-tu, se poussant lourdement
sur les autres, se gaudir de toi du rire grinçant de ses essieux?
Et toujours là-bas, en haut de la Butte, à l’aiguille, Vulpin vocifère:
« la 31 et à suivre la 25 »
… Saute, saute, saboteur!…
Et cela – sur le rail – c’est un métier!
* Fred Rolland et Henri Maheu,
L’autre enfer…,
Éditions Serres, 1928, p. 128-134.
54-
Historail
Octobre 2015
EXPLOITATION
Des trafics marchandises contrastés aux enjeux du triage:
de grandes variations entre réseaux
À juste titre, Robert Lévi rappelait en 1936 que le
« chemin
de fer est par excellence l’outil de transport des grandes
masses. »
D’où l’enjeu clé du triage des wagons et rames:
« Pour conserver le plus longtemps possible le bénéfice
du transport par fer des masses, le chemin de fer s’ingénie
à grouper dans des trains complets au sens technique
du mot, les wagons en provenance de localités voisines
et à destination, soit d’une même région, soit de régions
distinctes dont les itinéraires d’acheminement ont un tronc
commun étendu. »
Mais dispensés du passage dans les triages, en France,
les trains complets,
circulant sans rupture de charge entre
mines, usines, etc., ne représentent en moyenne que
le cinquième du tonnage total acheminé sur rail. Wagons
complets ou en charge des expéditions de détail, des colis,
représentent l’essentiel du tonnage. Mais avec des
différences énormes d’un réseau à l’autre comme le reflète
dans le tableau ci-dessous, le contraste des chiffres entre
réseaux desservant la France industrielle (Nord, Est et AL)
et la France agricole (État, PLM et PO-Midi).
Répartition du tonnage PV expédié par réseau
Trains complets
Rames de wagons complets
Expéditions de détail
Total
34,7%
Est
49,4%
Nord
15,3%
PLM
1,9%
PO-Midi
0,7%
État
6,2%
Total
Source: R. Lévi, «À propos de la modernisation du triage de Rennes»,
RGCF,
juin1936, p.415.
Longeron/Photorail
Octobre 2015
Historail
cabine; enfin
appareil Rosenbaum
sabot-cale placé à la main, qu’une
entaille en sifflet dans le rail libère au
bout d’un parcours approprié. Sur les
faisceaux de formation, des
tableaux
synthétiques
servent à matérialiser l’en-
chaînement des opérations revenant
aux divers agents, précieux
« dispositif
de contrôle »
de la direction aussi. Des
abaques définissent le rendement opti-
mum attendu, variable en fonction de
la température extérieure. Un bureau
est voué à l’établissement de la
grati-
fication de bon rendement
(GBR) reve-
nant à chaque agent, fonction de
l’écart observé avec ce rendement
optimum. Au total, le rendement est
accru de 127% au débranchement,
de 73% aux formations!
Au Nord, Buzenet et Boyssou ont
introduit la méthode du
débranche-
ment à la fiche
, palliant les moyens
de communication traditionnels
devenus insuffisants en raison de
l’étendue considérable des triages
modernes. Tel le marquage à la craie
du tampon avant du premier wagon
débranché du numéro de sa voie de
destination, effacé par la pluie ou peu
lisible la nuit: les aiguilleurs, dont la
vue fatigue outre mesure, commet-
tent des
dévoyés,
tandis que le mar-
quage doit s’effectuer sur la rame en
mouvement par l’agent démailleur
reculant!
Le déroulement complet
des opérations peut être anticipé et
retranscrit sur une
fiche de débran-
chement
remplie en amont par
l’agent chargé du démaillage du train,
puis retransmise aux autres interve-
nants en aval: aiguilleurs et enrayeurs
se dirigeant en temps opportun et
anticipé aux points utiles prévisibles.
Après une semaine d’essais en janvier
1931 au triage d’Aulnoye, le procédé,
apprécié du personnel, allait être
appliqué aux triages de La Délivrance,
Longueau, Tergnier, Laon.
La gare de triage de Trappes est
modernisée en 1932: on a adopté
pour leur puissance et modérabilité
quatre freins de voie à mâchoires du
type Frölich fabriqués par l’allemand
Thyssen, et le très ingénieux poly-
technicien Robert Lévi a inventé un
système de
commande semi-auto-
matique des aiguilles
par le wagon
lui-même
. L’avancement des wagons
est matérialisé par le mouvement
d’autant de billesd’acier cheminant
dans un tube vertical associé à chaque
voie du triage. Le
meuble à billes,
2,12m sur 1,53m, gouverne 31 iti-
néraires, avec la possibilité de repasser
à la commande manuelle des aiguilles
en cas d’incident. Construit par la
société
L’Aster,
la confection des iti-
néraires est ainsi automatisée, une
accélération induisant même le risque
de rattrapage des wagons lancés sur
une même voie: ce qui obligera à
réduire la cadence maximale du
débranchement de 12 wagons à la
minute à 10, avec un gain de 25%
sur la commande manuelle.
Pour pallier les insuffisantes capacités
de Bobigny et Noisy-le-Sec conçus en
1884, entre les gares de Vaires et de
Chelles, l’Est construit un nouveau
triage à Vaires
. La nouveauté réside
en particulier dans le déploiement des
appareils R,
appareils de freinage auto-
matique: une série de 12 sabots suc-
cessifs sur les cinq voies du faisceau
pair de débranchement, permet de
supprimer tout calage à la main sur ces
voies! En effet, ces appareils impriment
aux wagons, quelles que soient leurs
conditions de roulement à l’entrée
dans l’appareil, une vitesse déterminée
en fonction du remplissage de la voie
et des circonstances atmosphériques.
C’est le polytechnicien Rabourdin déjà
cité qui a inventé cet automatisme
fondé sur d’astucieux servoméca-
nismes électromécaniques: réglage
[ du triage par gravité à l’attelage automatique
e
partie)
De gauche à droite:
au triage de Vaires,
le poste
de commande
du débranchement
système Demm;
au triage
de Blainville,
une voie équipée
de l’appareil R;
au triage de Lille-
Délivrance, le poste
de commande des
sabots d’enrayage
Deloison.
DR/Photorail
DR/Photorail
d’après le degré de remplissage de la
voie de débranchement (par un sys-
tème de cantonnement des voies de
débranchement), d’après les condi-
tions générales de roulement (par sim-
ple comparaison entre vitesse réelle et
vitesse effective mesurée sur une sec-
tion d’étalonnage en amont). Tout l’art
empirique du saboteur
[voir encadré
p.52: «Saboter: “un jeu, une façon
de sport…”»]
mis en équation et
converti en automatisme en somme!
Un Rabourdin amélioré, l’
Appareil RA,
est conçu à la veille de la guerre, aux
indéniables atouts
: outre les éco-
nomies sur les avaries du matériel et
des marchandises et la suppression de
tous les caleurs, le débranchement
peut fonctionner à plein rendement,
malgré une extinction accidentelle de
l’éclairage du chantier ou imposée par
les circonstances.
Nouet, inspecteur au Nord, mortelle-
ment blessé le 14mars 1934 lors d’es-
sais d’un cataphote de son invention
permettant de mieux repérer la posi-
tion des sabots la nuit, avait entrepris
d’améliorer le travail de l’enrayeur
Plutôt que de lui laisser le choix des
points où il doit disposer son sabot-
frein Deloison, cette longueur d’en-
rayage est déterminée à l’avance
à partir de calculs théoriques, puis
communiquée au personnel sous
forme de barèmes et graphiques: divi-
sion du travail entre préparation et
exécution, bien conforme aux prin-
cipes modernes de l’organisation du
travail…
En juin 1936, Robert Lévi revient sur
son poste à billes dont sont dotés les
triages de Sotteville et de Rennes
Par contre, un nouveau type de frein
de voie à mâchoires a été adopté à
Rennes, construit par les usines Saxby
de Creil, c’est le frein Marchais, modé-
rable: l’effort de serrage est propor-
tionnel au poids des wagons.
En 1939, c’est au tour du PLM de
publier sur ses freins de voie élec-
tropneumatiques: construits par la
Compagnie des Freins et Signaux
Westinghouse, ils sont testés dans
deux triages: celui de Saint-Germain-
56-
Historail
Octobre 2015
EXPLOITATION
De haut en bas:
au triage de
Trappes: le freineur
à son poste ;
depuis le poste D,
la commande des
freins Saxby R.58.
Poullennec/Photorail
G. Piot/Photorail
au-Mont-d’Or et, fort à propos, celui
de Chasse
où jusqu’alors on triait
toujours « au lancer » les wagons GV
remontant vers le Nord, chargés de
délicats fruits et primeurs du Midi et
de l’Afrique du Nord…(
À suivre)
Georges Ribeill
1. ITF,
L’Attelage automatique des trains,
brochure, 1924, p.4.
2. On a évoqué son vain combat dans
l’article précédent:
Historail,
n°34, p.41.
3. Sur l’UIC aux prises avec l’enjeu
de l’attelage automatique entre les deux
guerres, voir ma série d’articles parus
dans
Chemins de fer,
n°501, novembre
2006, p. 34-40; n° 503, avril 2007,
p. 39-42; n° 505, août 2007, p.33-39;
n°506, octobre 2007, p.35-38.
4. Archives UIC, dossier 4026.
5. BIT,
Études et documents,
Série F bis,
Sécurité n°1, Genève, 1924, 72p.
6. Archives UIC, dossier 4026.
7. L’
Office central des études de
matériel,
bureau d’études commun à
cinq réseaux, État, AL, PO, Midi et PLM,
créé après guerre.
8. F. André,
Le Messager de la Vendée,
6octobre 1923.
9. Paul Aubriot (1873-1959), secrétaire
général avant guerre de la Fédération
des employés CGT, fut député
de la Seine de 1910 à 1928, élu en 1924
sur la liste du Cartel des gauches.
10. Liée au grand patronat, la
Chronique
des Transports
se fait le porte-parole
de cette opposition récurrente et
systématique à l’attelage automatique;
voir notamment: 25novembre 1927;
10avril 1929; 25mars 1931…
11. Jules Moch (1893-1985),
polytechnicien, devint le spécialiste
des questions de chemins de fer au sein
du Parti socialiste SFIO.
12. Voir « Les Derniers
perfectionnements en matière d’attelage
automatique des wagons: L’appareil
Boirault-Compact »
Le Génie civil,
5, rue
Jules-Lefebvre, 1937, 8 p.; Jacques
Henricot, « Attelages automatiques
de traction légers pour les chemins de
fer principaux européens »,
Bull. AICCF,
octobre 1937, p.2333-2338.
13. A. B., « L’application de l’attelage
automatique aux wagons de chemins
de fer européens. L’attelage
Compact-
Léger
»,
Le Génie civil,
25décembre
1937, p.548-550.
14. Système Willison: système
inspiré de l’attelage Janney
alors adopté aux USA et au Japon.
15.
Bull. AICCF,
février 1927, p.177-183.
16. « Attelages automatiques
sur les chemins de fer français. Récentes
applications d’attelages Willison »,
Bull.
AICCF,
novembre 1934, p.1334-1338.
17. « Appareils spéciaux pour assurer
la prévention des accidents », in
L’Effort
social des grands réseaux de chemins
de fer en faveur de leur personnel,
Le Musée social, p. 68-69.
18. Sur l’extension de la superficie
des triages, en raison de l’intérêt de
la multiplication de faisceaux spécialisés
(réception, triage, formation, attente,
faisceaux des omnibus, faisceaux
auxiliaires), voir le chapitreXIII, « Gares
de triage » du
Cours de chemins de fer,
5
e
partie,
Exploitation technique,
signé
des ingénieurs du PLM, Tuja et Marois
(Librairie Eyrolles, 1936, p. 186-207).
19. Il faudra traiter prochainement de
ces rapports entre taylorisme et chemins
de fer entre les deux guerres: une
pénétration dans les ateliers du Matériel
des compagnies que freine l’extrême
variété de leurs parcs, locomotives,
voitures et wagons. C’est avec
l’introduction en France après guerre
des 141 R, que l’on taylorisera leur
exploitation: conduite en ligne, entretien
au dépôt, réparation en atelier,
le modèle diffusant progressivement: la
141-R « cheval de Troie du taylorisme »
à la SNCF: voir G.Ribeill,
Les Cheminots
,
La Découverte, 1984, p. 54-55.
20. Rabourdin, « Conférence sur
l’organisation des gares de triage
le 28avril 1930 à la Maison des X »,
mai 1931, p. 537-541.
21. Buzenet et Boyssou, « Emploi
de la fiche de débranchement pour
le triage des wagons à la gravité »,
mars 1932, p.201-210.
22. R. Lévi et Boillot, « Transformation
et modernisation des aménagements
de Trappes-Triage », février 1934,
p.128-146.
23. Ridet, « La gare de triage
de Vaires », mai 1934, p.434-451;
juin 1934, p. 514-532.
24. Voir aussi le
Bulletin de l’AICCF,
sept. 1933.
25. Vinot, « Un appareil de freinage
entièrement automatique pour voies
de triage par la gravité », juin 1939,
p. 434-444. Allusion évidente
aux risques prochains de guerre.
26. Noret, « Amélioration de l’emploi des
sabots d’enrayage dans les gares de
triage du Réseau du Nord », juillet 1934,
p. 3-16.
27. R. Lévi, « À propos
de la modernisation du triage de Rennes.
Le frein de voie Marchais », juin 1936,
p.415-421.
28. Bouvet et Cureau, « Essais
et application des freins de voie
électropneumatiques», janvier 1939,
p.18-33.
Octobre 2015
Historail
[ du triage par gravité à l’attelage automatique
e
partie)
Au triage
de Trappes, vue de
la tête de faisceau
depuis le poste D.
Cinq wagons-
tombereaux passent
dans les freins
Saxby R.58.
Poullennec/Photorail
«
Là, vous voyez, c’est les pointil-
lés. De ce côté-là, c’est chez
vous, vous avez la table de réunion et
cette porte. De ce côté-ci, c’est chez
moi, j’ai mon bureau et ma porte. Et
on ne franchit pas les pointillés! ».
désignais du doigt au sol une droite
imaginaire, coupant en deux parties
à peu près égales mon bureau. Par
bonheur, il était assez grand et il
avait deux portes. À chaque camp la
sienne. La trentaine de cheminots qui
avaient envahi quelques minutes plus
tôt le bureau du directeur de région,
moi, fixaient cette frontière invisible, et
leurs chefs émirent un grognement
d’accord. Je me sentais revenir de loin,
même si je ne savais absolument pas
où j’allais.
Lorsqu’ils étaient rentrés soudain
d’un bloc, en ce début d’après-midi
du 5octobre 1981, c’était pour me
lire mon acte de destitution. Il était
ainsi rédigé, en fin de tract:
« … Ce
jour 5octobre, aux cheminots de
Flers venus le voir une nouvelle fois
pour tenter de reprendre le dialogue,
le directeur, s’enfermant dans une
attitude de dignité outragée, répond
qu’il n’a rien à ajouter. Pourquoi une
telle attitude? À l’évidence pour plu-
sieurs raisons: 1°) Le nouveau direc-
teur de la région de Rouen est un
nostalgique du passé giscardien, et
c’est pour des raisons politiques qu’il
refuse la discussion avec les chemi-
nots, leurs organisations syndicales
et qu’il tente de retarder la concré-
tisation des nouvelles orientations
et directives gouvernementales au
niveau de la région normande.
2°) L’intransigeance du directeur a
aussi un second but, c’est de mas-
quer ses propres insuffisances tech-
niques en matière ferroviaire. Dans
ces conditions, compte tenu que les
raisons évoquées ci-dessus font
apparaître un refus caractérisé de
s’inscrire dans le changement de
politique voulu par la majorité des
Français et de ses incompétences
techniques et sociales à régler par la
discussion les conflits qui l’opposent
aux travailleurs, les cheminots de la
région de Rouen et leurs syndicats
CGT et CFDT demandent le rappel
de M. Lubek et son remplacement à
la direction de région de Rouen.».
Le tract se poursuivait par un appel
« à l’ensemble des cheminots de
tous grades et de tous services à ces-
ser immédiatement le travail, à éta-
blir leurs cahiers revendicatifs et à
exiger des négociations sur toutes
les revendications qui relèvent de la
compétence des directions locales
et régionale (effectifs, conditions de
travail, libertés, etc.) ».
À peine arrivé,
j’étais mal parti! La grève entrait
alors dans son 10
jour. Elle avait
débuté le 26septembre, après
l’échec des négociations qui s’étaient
entamées quelques jours plus tôt au
sujet de la suppression de deux
postes de travail devenus sans objet,
en Basse-Normandie, à Domfront et
La Selle-les-Forges. Je la savais iné-
vitable. Si ce n’avait été pour ce
motif, ils en auraient trouvé un autre.
Ils voulaient assurément en finir vite
avec ce jeune blanc-bec que Paris
leur avait collé comme directeur.
Faire un exemple. Montrer que le
10mai – l’élection d’un président
socialiste soutenu par le Parti com-
muniste – était passé par là.
L’été précédent, j’avais été reçu, pour
parler de mon avenir, par Paul Gen-
til, directeur général. À cette époque,
la SNCF était bicéphale, un président
et un directeur général, mais le vrai
patron, pour tous les cheminots, était
le directeur général. Le président
gérait la relation avec l’État, c’était un
« grand commis ». Jacques Pélissier,
le président, était un ancien préfet
de région, que j’avais bien connu à
Rennes, en 1968: j’accomplissais
auprès de lui le stage d’un an qui
tenait lieu de première année de
l’ENA. C’est ainsi que, pendant le
beau mois de mai1968, j’étais, sym-
boliquement s’entend, derrière les
grilles de la préfecture, à l’abri de ran-
gées de CRS, tandis que Marianne,
que je n’avais pas encore retrouvée,
escaladait les barricades du boulevard
Saint-Michel lorsqu’elle ne participait
pas aux AG étudiantes dans la Sor-
bonne occupée. Passons, c’est un
autre sujet. Lorsque, en 1977, j’en-
trais à la SNCF, détaché de l’inspec-
tion générale des finances, je rendis
visite à Jacques Pélissier, par courtoisie,
et pour qu’il sache que je travaillais
désormais dans son entreprise. Il s’en
souvint six mois plus tard lorsque son
directeur de cabinet le lâcha. C’est
ainsi que je devins son principal col-
laborateur, chargé de la liaison de la
présidence avec l’ensemble des direc-
tions centrales et régionales. J’occu-
pai cette fonction pendant un peu
plus de deux ans. J’assistais, sur un
coin de table, aux réunions hebdo-
madaires du comité de direction, et
je participais aux réunions mensuelles
réunissant, autour des directeurs cen-
traux au complet, l’ensemble des
60-
Historail
Octobre 2015
MÉMOIRE
La grève avait débuté après l’échec de négociations au
sujet de la suppression de deux postes de travail […]
Ch. Besnard/Photorail
Paul Gentil,
directeur général
de la SNCF
de 1974 à 1985.
matière, presque une
maestria
qui n’étais qu’observateur dans les
négociations, je le trouvais néanmoins
sévère et pessimiste à l’excès, lorsque
nous en parlions à deux. À ses yeux,
on ne pouvait décidément rien atten-
dre de bon pour le chemin de fer de
la relation avec les syndicats. Les rôles
(eux les gentils, nous les méchants)
étaient distribués et institutionnalisés
depuis très longtemps et une fois
pour toutes, et jamais la direction
n’aurait le crédit d’une action posi-
tive, sauf si elle renonçait à diriger.
C’est armé de cette brève expérience
que je fus nommé, au 1
juillet 1981,
directeur de la région de Rouen, dont
la zone d’action s’étendait sur la Haute
et la Basse-Normandie, et qui comptait
environ 10000 cheminots, syndiqués
pour l’essentiel à la CGT et à la CFDT.
Lorsque, quelques semaines aupara-
vant, j’allai voir mon prédécesseur,
André Blanc, un centralien de plus de
dix ans mon aîné (fou de trains au
point d’avoir consacré dans sa mai-
son une pièce entière aux modèles
réduits, à grande échelle, qu’il avait
lui-même fabriqués de toutes pièces,
y compris des locomotives à vapeur
qui fonctionnaient vraiment), aussi à
l’aise en trinquant avec le préfet ou
un armateur duHavre qu’en se col-
letant avec les délégués du person-
nel, il m’exposa ce qui était matière à
conflit potentiel avec les syndicats: la
réorganisation de la desserte des mar-
chandises sur une petite ligne de la
zone de Flers. Elle était permise par
une modification récente de la régle-
mentation ferroviaire, qui autorisait
l’aide-conducteur du train à descendre
au sol pour manœuvrer un aiguillage
mécanique. Auparavant, y toucher lui
était rigoureusement interdit. Ques-
tion de filière professionnelle. Il fallait
donc, pour aiguiller un train vers la
voie de desserte d’une usine, par
exemple, faire venir un agent de la
filière dite « Exploitation ». Le temps
qu’il arrive sur place, qu’il effectue la
manœuvre pour ouvrir l’aiguille, puis
la referme après le passage du train,
enfin retourne dans sa gare d’attache,
il pouvait s’écouler facilement deux
heures. Le coût de cette seule
manœuvre d’aiguille était de deux
heures d’agent. Avec la réforme du
règlement, le train stoppait devant
l’aiguille, l’aide-conducteur (qui d’ail-
leurs n’était dans la machine que pour
remplacer le mécanicien en cas de
malaise) pouvait descendre sur la voie,
abaisser le levier, puis, après le pas-
sage du dernier wagon le relever en
position d’origine, remonter à sa
place, et le tour était joué. Coût égal
à zéro, puisque l’aide-conducteur était
déjà payé pour ce temps de travail. Il
en résultait, au cas précis de la des-
serte des wagons marchandises de la
zone de Flers, un gain de deux postes
de travail, l’un à Domfront, l’autre à La
Selle-les-Forges, pour gérer un trafic
dont je crois me souvenir qu’il ne
dépassait pas dans chaque cas trois
trains par jour. Économie modeste
certes, mais qui allait dans le bon sens,
face à la concurrence féroce des
camionneurs. Suite à une première
grève à ce sujet à Flers, et pour ne pas
quitter son poste sur un abcès, André
Blanc différa la mise en œuvre (pré-
vue en juin), me laissant le soin d’en
décider. Je n’eus aucune hésitation.
Non seulement il fallait le faire
mal-
le 10mai, il le fallait encore davan-
tage
à cause
du 10mai. Renoncer à
une réformette ponctuelle dont l’évi-
dence sautait aux yeux (et qui natu-
rellement ne mettait personne au
chômage, les cheminots en étant
protégés par leur statut) eût été
donné sur la signification du 10mai
un signal dramatique. Cela eût barré
pour l’avenir toute réorganisation
intelligente du service ferroviaire et
condamné le rail à l’asphyxie par la
fuite des clients devant l’empilement
des surcoûts. J’étais convaincu que le
10mai 1981 – auquel j’avais moi-
mêmecontribué en tant que citoyen –
ne pouvait signifier le renoncement
des directions des entreprises publiques
à assumer leur rôle pour se mettre à
la remorque des revendications syn-
dicales, si déraisonnables fussent-elles,
juste pour statufier l’existant.
Le 22septembre, je recevais les orga-
nisations syndicales suite à leur dépôt
de préavis de grève. C’est là que je me
fis en quelque sorte piéger par les
mots. Les délégués faisaient un amal-
game entre la suppression des deux
postes de Domfront et La Selle-les-
Forges et l’application du « rapport
Guillaumat », qui avait inspiré la poli-
tique gouvernementale de l’avant-
1981 visant à reporter sur route, par
autocar, des dessertes voyageurs très
peu fréquentées et lourdement défici-
taires. Et ils ajoutèrent, l’index mena-
çant
« Le rapport Guillaumat, on va le
brûler!».
Ce à quoi je répondis, pen-
sant par réflexe atavique aux bûchers
de 1938 à Berlin ou par cinéphilie à
Farenheit 451,
que j’étais par principe
« opposé aux autodafés ».
Échange
qui se résuma, dans le tract se termi-
nant par la demande de mon renvoi,
par la phrase
« M. LUBEK n’a-t-il pas
déclaré le 22septembre aux représen-
tants des cheminots que la remise en
cause du rapport GUILLAUMAT consti-
tuait à ses yeux un autodafé? »,
for-
mulation qui fut ensuite reprise dans
de nombreux tracts suivants et même
dans une lettre ouverte au ministre des
Transports, Charles Fiterman. Se sen-
tant pousser des ailes depuis que
Charles Fiterman, avec rang de minis-
tre d’État, était aux commandes, mes
syndicalistes ne pouvaient envisager
62-
Historail
Octobre 2015
MÉMOIRE
Médiathèque SNCF
Jacques Pélissier,
président
de la SNCF
de 1975 à 1981.
Ils écarquillaient les yeux après les
oreilles! Mais je ne faisais pas là de
provocation. Je voulais vraiment savoir
ce que Charles Fiterman disait dans
«l’Huma»
sur la manière de piloter le
rail. J’aurais bien lu
Le Figaro,
s’il s’y
était exprimé! N’empêche, pour mes
occupants, je ne jouais pas mon rôle.
Je dérivais. Je mélangeais tout. J’em-
piétais sur leurs terres, je m’arrogeais
leurs prérogatives. Dans une institu-
tion comme la SNCF, chacun est censé
connaître parfaitement sa partition, la
jouer clair et net, et s’y tenir. Le syn-
dicaliste est de gauche, le patron est
de droite. Point. Le syndicaliste défend
le rail, le patron veut fermer les lignes.
Point. Le syndicaliste défend le service
public, le patron a une vision capita-
liste, purement comptable. Point. Le
syndicaliste veut créer des emplois, le
patron veut les supprimer. Point. Voilà
la dichotomie simple et claire qui règle
les comportements! Ce que je faisais,
au fond, en brouillant les cartes, était
déloyal! Et mon allure: pas directo-
riale! Un directeur de région est
tou-
jours
en veste-cravate, de jour comme
de nuit. Cela fait partie de son iden-
tité. Admettons qu’il puisse ôter la
cravate, dans certains cas. Mais atten-
tion: le
jeans,
la chemise ouverte à
carreaux (rouge qui plus est) sont
réservés aux travailleurs!
L’homme s’habitue à tout: vers 4h du
matin, malgré les chansons, l’un de
mes occupants s’assoupit bruyam-
ment, et les autres somnolaient. Je fis
ce qui m’était en toute logique inter-
dit: je franchis le pointillé. J’allai
jusqu’à la table et lui tapotai l’épaule:
« S’il vous plaît, une occupation est
une occupation! Restez éveillé! Si
vous voulez dormir, rentrez chez
vous! On ne dort pas dans ce
bureau! ».
Il eut une réaction qui
montra combien il avait sombré dans
un profond sommeil: il en avait oublié
ma destitution. Il se redressa d’un
coup en murmurant
« Pardon, Mon-
sieur le Directeur! ».
J’eus un éclair
d’empathie.
Le lendemain, 6octobre, le poste de
commandement central (PCC) de la
SNCF diffusait à tous les directeurs
centraux et régionaux l’information
suivante, sur le feuillet jaune réservé
aux comptes rendus des mouvements
sociaux:
« L’arrêt de travail des agents
de la CE [circonscription d’exploita-
tion] d’Argentan se poursuit. Le mou-
vement est toujours très suivi. Les
gares de Surdon, Flers, Folligny, Saint-
Lô et Lison sont toujours occupées.
Depuis l’après-midi du lundi 5octo-
bre 1981, le bureau du directeur de la
région de Rouen est occupé par des
grévistes. Le directeur régional est
présent dans son bureau et est libre
de ses mouvements. Depuis 22h, les
agents du dépôt de Sotteville ont
cessé le travail pour soutenir les gré-
vistes de la CE d’Argentan ».
Durant la journée du 6octobre, en
effet, la grève s’étendit encore. Un
tract fut édité dans la nuit par la CGT
de Sotteville, appelant à la grève et
intitulé sobrement
« Les traîne-savates
du changement ».
Il commençait
ainsi:
« La politique engagée par le
nouveau gouvernement aurait pu lais-
ser espérer un arrêt de la compres-
sion des effectifs. C’était sans compter
sur les nostalgiques de la rentabilité
financière prônée par l’ancien régime.
Sur la région, un de ceux-ci sévit
depuis quelques semaines, le sieur
LUBEK, directeur de région (agrégé
sciences politiques [là ils allaient trop
loin!], hautes études commerciales,
élaborateur du 7
Plan, éminence grise
de PÉLISSIER, ex-président du conseil
d’administration de la SNCF). Ce brave
homme s’est distingué en voulant
supprimer deux postes en gare de
Flers (Bifur de La Selle-la-Forge, Dom-
front). C’était sans compter sur la
détermination des cheminots de Flers
appuyés par la CGT. Nos camarades
en sont aujourd’hui à leur 10
jour de
grève et le mouvement s’est étendu à
l’ensemble de l’agence d’Argentan.
La hargne de ce sinistre citoyen
devant les cheminots en lutte
débouche sur la mise en place à
grands frais d’un transbordement rou-
tier entre Vire et Argentan au lieu de
négocier. Aujourd’hui il a gagné, les
cheminots de l’agence sont dans son
bureau, bien déterminés à aboutir.
(…) Les patrons, les dirigeants de la
SNCF, les nostalgiques de l’ancien
régime peuvent faire leurs valises! ».
Un autre tract commençait par une
contre-vérité et se poursuivait dans le
grotesque:
« Monsieur LUBEK, nou-
veau directeur de la région, habite
PARIS et travaille à ROUEN. IL EN A LE
DROIT!… Mais, sous Giscard, Barre,
Ceyrac ou leurs aînés, des postes ont
été supprimés et, CONTRE LEUR GRÉ,
les cheminotes et les cheminots ont
connu l’EXIL, la DÉPORTATION. Une
dame de Nonan-le-Pin ne finit-elle pas
sa carrière à Flers tandis qu’une dame
de Flers termine la sienne à Argen-
tan? (…) Ces exemples sont foison,
et vous voudriez que ça dure, que l’on
connaisse encore des déplacements
autoritaires? NON, Messieurs de la
direction, vous n’avez pas remis vos
montres à l’heure! ».
Ainsi s’écoula la journée. De temps à
autre, Guérin me relayait pour assurer
la présence directoriale dans le
bureau. Du côté de la table de réu-
nion, domaine syndical, on se relayait
aussi, et on tapait le carton. L’occu-
pation était tombée au niveau sym-
bolique de quatre personnes, belote
oblige, mais sur le plan des principes,
elle perdurait. Je ne pouvais naturel-
lement passer depuis mon bureau
mes coups de téléphone, les oreilles
étaient aux aguets, mais je pouvais
aller dans celui de Guérin. J’eus plu-
64-
Historail
Octobre 2015
MÉMOIRE
La grève avait gagné le site stratégique de Sotteville
et l’ensemble de la zone de Caen. Les syndicats
appelaient à cesser le travail sur toute la région […]
Octobre 2015
Historail
sieurs fois au téléphone le préfet, le
président de la chambre régionale de
commerce, le sous-préfet duHavre.
Tous étalaient leur incompréhension
devant le désastre des trains de mar-
chandises bloqués, des trains de voya-
geurs touchés. Avec quelques pré-
cautions oratoires, ils me sommaient
de plier, sinon bagage, du moins aux
revendications, de rétablir les deux
postes sur Flers que j’avais supprimés.
La presse s’en empara. L’édition de
Ouest-France
en date du 7octobre
(écrite le 6 au soir) titrait:
« La grève
SNCF s’étend. Partie de Flers pour la
défense de deux postes, elle gagne
toute la Normandie ».
Le corps de
l’article n’était pas tendre pour moi,
dénonçant une grève
« paradoxale
surtout par l’intransigeance de la
direction générale de Rouen, se refu-
sant à entamer le dialogue avec une
telle obstination que les organisations
syndicales dénoncent “une manœu-
vre”, etc. ».
Tel un feu de brousse, la
grève avait gagné le site stratégique
de Sotteville (dépôt de locomotives,
atelier, gare de triage), et l’ensemble
de la zone de Caen, dont les diri-
geants syndicaux
« qui appellent à
cesser le travail sur toute la région»,
ne pouvaient, selon leur communi-
qué,
« rester indifférents devant ce
qu’on peut appeler un sabotage déli-
béré de la part d’un haut fonction-
naire ». Ouest-France
ajoutait, incisif,
que l’appel syndical à la grève géné-
rale
« soulignait le fond du pro-
blème »
en exigeant
« son remplace-
ment immédiat
[le mien]
en même
temps que de véritables négociations
avec des responsables dignes de ce
nom. ».« Dignes de ce nom »!
pourquoi
Ouest-France
ne cherchait-
il pas à m’interroger?
Quand je quittais mon bureau, c’était
pour téléphoner, depuis celui de Gué-
rin, ou de Quellier, le chef de la division
du Personnel. J’essayais, en vain, de
convaincre le préfet, le président de la
chambre de commerce, et le sous-pré-
fet duHavre, que j’étais encore bien
plus désolé qu’eux de la tournure des
événements, y compris parce qu’eux-
mêmes s’alliaient à mes syndicalistes
dans le chœur des condamnations, au
lieu de chercher à comprendre, en tant
que responsables de services publics,
que je ne pouvais renoncer à assumer
mes responsabilités de gestion, et que
rétablir les postes supprimés eut été
une capitulation définitive, d’une por-
tée dépassant la SNCF et les impli-
quant eux-mêmes. Je leur expliquais
que j’avais déjà, au cours de trois réu-
nions, retourné la question dans tous
les sens sans qu’apparaisse, du point
de vue de mes interlocuteurs, d’autre
solution acceptable que le rétablisse-
ment du
statu quo ante.
De plus, je
ne pouvais envisager de négocier
quoi que ce soit avec mes joueurs de
belote, leurs chefs n’ayant pas réap-
paru dans mon bureau depuis la veille
au soir: ils étaient dans les dépôts et
les ateliers, entretenant la flamme au
plus près de leurs troupes, très peu
enclins à se mettre à l’éteindre.
Je rentrai rue de la Maladrerie
quelques heures, en début de soirée,
retrouver Marianne (les enfants
étaient déjà couchés), et elle non plus,
animée par son militantisme d’ex-
soixante-huitarde, ne voyait pas pour-
quoi je pensais avoir raison contre les
grévistes. Ne défendaient-ils pas l’em-
ploi? Maintenir l’emploi n’était-il pas
une demande raisonnable? La grève
n’était-elle pas la seule arme des
ouvriers – arme conquise de haute
lutte, arme légitime – pour se faire
entendre des toutes puissantes direc-
tions qui, sinon, n’écoutent rien, à la
SNCF comme ailleurs? C’était dit de
manière douce, car elle voulait mal-
gré tout me réconforter, mais c’était
dit. D’une certaine manière, le
méchant, pour elle, c’était moi. Pas
ma personne, mais ce que je repré-
sentais. Je jouais le rôle du méchant.
Ce qui néanmoins la fit moduler son
avis furent, quelques soirs plus tard,
les menaces de quelques grévistes, à
l’adresse de la baby-sitter qui gardait
David et Julien. Le téléphone sonna à
notre domicile:
« Vous êtes qui?…
Ah vous gardez les mioches! Vous
êtes la bonniche! Attendez, on arrive!
On va s’occuper de vous!».
La jeune
fille était naturellement terrifiée. Mais
ils ne vinrent pas. C’était juste pour
faire peur, et c’était réussi. Le lende-
main, j’appelai Leroy et Philippe, les
responsables régionaux CGT et CFDT,
pour leur demander de faire le néces-
saire pour que ce type de déborde-
ment ne se reproduise plus, et ils pro-
testèrent – juré-craché – que cela ne
pouvait venir de leurs rangs. Il fallait
que je regarde vers les gauchistes, les
incontrôlables.
Pendant ces heures que je passai chez
moi, Guérin assurait une présence sur
le siège directorial, et ces moments
furent pour lui comme une consécra-
tion fugitive: quelques mois plus tard,
il prenait sa retraite dans son poste de
directeur adjoint. Mais, en ces jours
et ces nuits où il occupa mon bureau,
il s’en montra digne.
Depuis le début de la grève à Flers, le
26septembre, j’avais bien entendu
été en relation téléphonique presque
quotidienne avec la direction géné-
rale, soit Paul Gentil, soit Jean Dupuy.
Jean Dupuy, alors l’un des directeurs
généraux adjoints, était « l’homme
fort » de la SNCF: X-Mines comme
Paul Gentil, mais, nuance, issu de la
filière du Matériel, dont il avait été
[ la grève vue d’en face]
C. Recoura/Photorail-SNCF ©
Jean-Marie Metzler,
ingénieur en chef
de la direction
du Matériel dans
les années 80.
Il a dirigé entre
autres les marches
d’essai sur la
première ligne de
TGV Paris – Lyon.
Chauffeur au PLM,
mécanicien à la SNCF
Mon père, Camille Roy, né le
6novembre 1912 à Magny dans
l’Yonne, fut cheminot au dépôt des
Laumes de 1936 à 1944. Son père,
François Roy, agriculteur, souhaitait
que Camille assure la continuité de la
petite exploitation. Mais, plutôt doué
pour la mécanique, Camille se fit
embaucher chez Chaumard, un
garage automobile d’Avallon du
30mars 1930 au 30septembre 1933.
Puis, sur les indications du curé local,
il laissa le garage au profit du PLM
qu’il intégra le 5octobre 1936 au
dépôt des Laumes comme ouvrier
ajusteur (OAJ). Nommé chauffeur de
route (CFRU) le 5avril 1938, puis
mécanicien de manœuvre (MECMV)
le 27janvier 1941, il avait rencontré
entre-temps Lucienne, une jeune fille
parisienne qui avait perdu ses parents
et était placée chez un notable local.
Ils se marièrent le 27mai 1936, elle
avait 17 ans. Trois enfants naquirent
de cette union. Les hostilités avec l’Al-
lemagne démarrant le 3septembre
1939, mon père rejoint alors son unité
le 11septembre. Fait prisonnier le
21juin 1940 à Baccarat, il retourne
au dépôt des Laumes le 6août 1940
et reprend dès le lendemain son
service de chauffeur
Carnet de route
qu’il a tenu débute
en janvier1942. Il semble qu’il alterne
les périodes d’atelier et de route. Le
6juillet, il chauffe la machine 151A6
avec le train 6184 et le 14juillet, la
A5 avec le 5009. Nous voyons aussi
apparaître la C27 (231 C27 ou
141C27?). Le 30août, il est à nou-
veau sur la A5 pour rodage. Il chauffe
encore la A5 ce 1
septembre. Au
hasard, le 19septembre il est sur la
240 A 186 vers Thury (gare avant Épi-
nac-les-Mines) avec le mécano Dufoy.
D’après ma mère Lucienne, il est très
souvent avec le mécanicien Garnier
sur la A5. Mais on voit là que mon
père assure un service très varié. Il note
des incidents comme ce 19septem-
bre:
« retour en EV (en voiture) après
le 5009 +6172: bielle chauffée»
. Le
23décembre, il est à Avallon pour le
9223, le lendemain 24 il assure le
rodage de la E660 (141E 660?) avec
Brocard son mécano. Le 26janvier
1943, il est à Laroche et le 27 à Cha-
gny. Les mois suivants, il chauffe
presque exclusivement la 151 A5. Les
tournées se succèdent avec de temps
à autre, un rodage en ligne, des trains
de travaux. On note le 15juillet, un
« spécial grue »
Laroche. En octobre, il
est détaché au réseau Nord du 18 au
29 sans autre précision, en régime de
68-
Historail
Octobre 2015
MÉMOIRE
Camille Roy:
la carrière brisée
d’un roulant d’après
son
carnet de route
René Roy, de la première fournée des conducteurs de
TGV, livre ses souvenirs de fils d’un roulant affecté au
dépôt des Laumes. Alors qu’à partir de 1943 nombre
de roulants seront exposés dans leur locomotive
aux mitraillages, bombardements ou déraillements
organisés, le 23octobre 1944, son père est victime
d’un accident inimaginable dans des circonstances
entachées jusqu’à ce jour de quelque flou.
Tirage disponible
cf.
p. 4
Réf. 350681
car les moyens de transport étaient
extrêmement réduits en 1944. À
noter cette bizarrerie: le mécanicien
n’a pas été convoqué! Pierre Saillard
fit un rapide bilan de la carrière de
mon père et ne contesta pas la maté-
rialité des faits. Quant à ma mère,
âgée alors de 25 ans, elle déclina son
identité et mentionna la présence de
ses trois enfants, René, Yvette et Jean,
âgés respectivement de 6 ans, 3 ans
et 18 mois.
Le chef de train fit un compte rendu
circonstancié. C’est le seul qui était
sur les lieux et qui s’est exprimé sur
l’accident car le cantonnier, hospita-
lisé à Alise-Sainte-Reine au moment
de l’enquête, en a été dispensé. Le
chef de train dit en substance
qu’après la gare de Pouillenay, le train
roulait de 20 à 30km/h mais, à l’ap-
proche du km 59 (le pont de
Posanges sur la N5 est au km 58,771,
soit à 229m) le cantonnier invita le
mécanicien à ralentir. La vitesse est
tombée à 15km/h. Puis, a augmenté
de 18 à 20km/h ce qui suppose la
présence du chef de train et du can-
tonnier sur la machine (?). Sinon,
comment estimer avec autant de pré-
cision la vitesse. Après, et à deux
reprises, le chef de train et le canton-
nier ont crié au mécanicien de ralen-
tir. Sans succès d’après eux, la vitesse
augmentait toujours. Le cantonnier a
sauté sur le ballast, suivi du chef de
train. Le mécanicien sauta égale-
ment… laissant le chauffeur seul.
Interrogations sur
les causes de l’accident
À la lumière de mes connaissances du
rail, Roger Ménétrier devait être en
marche à vue à l’approche du pont.
Il est vrai qu’à cette époque-là, la
marche à vue n’imposait pas de limite
de vitesse mais, à cet endroit, elle était
de 30km/h. Quoi qu’il en soit, il aurait
dû d’abord penser à son chauffeur
avant de sauter. Le reste des véhicules
est heureusement resté sur les rails.
La région des Laumes étant libérée le
10septembre 1944, l’accident avec
perte d’un homme et d’une machine
eut lieu le 23octobre en pleine
euphorie de la Libération…
Il y a deux cas possibles qui ont pu
amener la machine à dépasser son
point d’arrêt: anomalies techniques
ou faute professionnelle. Les freins
ont-ils cessé de fonctionner? La
conduite générale n’est pas reliée
aux véhicules? Le frein direct ne fonc-
tionne pas?
Après avoir évoqué le problème avec
des vaporistes, d’autres hypothèses
sont envisageables. On peut imaginer
un blocage mécanique du régulateur.
La machine deviendrait alors incon-
trôlable? Sauf qu’en agissant sur le
volant de commande des tiroirs, il est
possible, volant à 0, d’alimenter à part
égale les deux côtés des pistons, voire
d’inverser le sens de marche. Que
s’est-il donc passé?
Certains de ses collègues avaient pré-
tendu, à l’époque, que le mécanicien
était moins attentif à son travail
qu’aux gens doublés sur la nationale5
longeant la voie ferrée sur sa droite. Le
poste de conduite était, en effet, à
72-
Historail
Octobre 2015
MÉMOIRE
Vilain/Photorail-SNCF ©
Ci-dessus:
la 230 A 81 écrasée
sur la N5.
En haut: une 230 A
au dépôt des
Laumes en 1945.
Tirage disponible
cf.
p. 4
Réf. 350721
Octobre 2015
Historail
droite sur ces engins. J’avais toujours
imaginé la situation à l’image du
poste de conduite traditionnel, c’est-
à-dire la position du mécanicien à
gauche dans le sens de marche, les
signaux étant à gauche en France sauf
en AL. Mais, il n’en est rien
Il est probable que les événements se
précipitant à l’approche du pont, les
uns et les autres ont pris la décision
de « quitter le navire», y compris
donc « son capitaine », le mécanicien.
Il y a tout lieu de penser que le chauf-
feur a, par tous les moyens, essayé
d’éviter le pire en se précipitant sur le
frein automatique, sur le frein direct
ou sur le frein à main, sur le régula-
teur, sur le volant de « marche », que
sais-je. Il n’a pas dû se rendre compte
qu’il était trop tard. Il est probable qu’il
a perdu la vie en essayant de sauver la
machine. Sur le document de cessa-
tion de fonctions pour cause de
décès, il est précisé:
« Le décès n’est
pas dû à un attentat subi en cours de
fonctions, il n’est pas la conséquence
d’un acte de dévouement… »
À voir!
L’appel de la traction,
en héritage
Ainsi, ma mère Lucienne s’est retrou-
vée seule avec ses trois petits. En per-
dant son mari, elle perdait également
le logement de fonction du couple
dans les cités SNCF des Laumes. La
SNCF allait lui proposer un emploi de
garde-barrière, refusé car s’imaginant
mal dans ce cadre avec ses trois
enfants en bas âge. Elle accepte plu-
tôt d’être embauchée à Villeneuve-
Voiture (VVO) le 4juin 1945, comme
auxiliaire bureau. Passée par le bureau
de location de la gare de Lyon, elle
terminera sa carrière à la CNC, la filiale
de la SNCF, et décédera le 4octobre
2011 à Soisy-sur-Seine.
Plus tard, et malgré sa réprobation
appuyée, j’ai suivi le parcours profes-
sionnel de mon père. J’étais en effet
fasciné par ces énormes machines…
Toutefois, c’était la traction électrique
qui tirait les trains au Sud-Est depuis
les années 50: va donc pour la
conduite des trains sous cette forme,
qui m’amènera, à partir de 1980, à
être dans la première fournée des
conducteurs « tégévistes », jusqu’à
ma retraite en 1988.
Dès 1957 et avant le service militaire,
j’ai donc roulé comme aide-conduc-
teur à 19 ans, en été, au dépôt de Vil-
leneuve-Saint-Georges. J‘ai eu la
chance de rencontrer les conducteurs
des Laumes reconvertis de la traction
vapeur aux machines électriques en
1949-50. Les trains de marchandises
tirés par les BB 8100/200, étaient limi-
tés à 1600t de charge mais, dès
1250t, on roulait en double traction.
Il y avait une machine en renfort pla-
cée en tête à partir des Laumes
jusqu’à Dijon. Alors, l’aide-conducteur
montait sur la machine de tête, sou-
vent une BB 1 à 80, ces fameuses
«biquettes». Et là, c’était fréquem-
ment un conducteur des Laumes qui
prenait les commandes.
J’ai pu revoir d’anciens voisins de mes
parents: ainsi Gallois, ou Louis Villet
qui habitait toujours dans les cités,
route d’Alise, qui n’avait pas manqué
de m’inviter chez lui à l’occasion d’un
repos hors résidence. Un jour donc,
alors que nous étions devant la mai-
son, il me fit remarquer un person-
nage qui se déplaçait avec des cannes,
venant d’Alise-Sainte-Reine. Je fus très
surpris car il eut des mots extrême-
ment durs à son égard, c’était Roger
Ménétrier. Je n’ai pas eu la présence
d’esprit d’aller à sa rencontre pour
avoir son point de vue sur l’accident…
Je le regrette encore…
René Roy
1. Plusieurs cheminots prisonniers
bénéficièrent de ce régime de faveur,
les autorités allemandes étant bien
conscientes de leur meilleur emploi
à la SNCF que dans un stalag [ndlr].
2. Sujet débattu dans
Historail,
n°32, que ce basculement historique
du poste de mécanicien de droite
à gauche [ndlr].
[ Camille Roy: la carrière brisée d’un roulant d’après son carnet de route]
Profil de ligne
Épinac-les-Mines –
Les Laumes-Alésia
datant de 1959.
On voit nettement
qu’entre
Les Laumes
et un peu avant
Saint-Thibault
(environ 54km),
la ligne ne cesse
de monter.
Octobre 2015
Historail
signée en 1873 visant à l’établisse-
ment de lignes de tramways. C’est
le 23juillet 1876 que la CGFT, Com-
pagnie générale française de tram-
ways va ouvrir sa première ligne sur
la Canebière, la célèbre artère de
Marseille.
Ce réseau qui se voulait à l’origine à
traction hippomobile va se heurter à
une topographie peu favorable. Dans
plusieurs endroits, de fortes rampes
rendent difficile l’usage du cheval et
on va rapidement s’orienter vers un
tramway mécanique capable de
déployer une force de traction plus
importante. En 1892, on va introduire
la vapeur rapidement suivie, dès la fin
du XIX
siècle, des premiers tramways
électriques. Ce matériel va se géné-
raliser à mesure que le tram s’impose
comme le mode incontournable de
déplacements dans la cité. La CGFT
va progressivement déployer un
réseau d’importance qui quadrille la
ville. Mais la compagnie n’est pas en
situation de monopole. Des omnibus
circulent déjà qui ont précédé les
tramways. Ces compagnies privées se
retrouvent peu à peu dans une situa-
tion difficile et elles décident de se
regrouper dès 1877 pour former la
Compagnie générale des omnibus de
Marseille. Cette fusion ne sauvera pas
les omnibus de la ville et, en 1883, la
faillite est prononcée entraînant la
liquidation du réseau.
Deux réseaux de tramway
et l’amorce d’un métro
La CGFT va se retrouver en situation
de concurrence, sur son propre terrain
cette fois. Jacques Laupiès dans
Mar-
seille et son Métro
raconte comment la
compagnie de l’Est-Marseille va obtenir
en juillet 1891 la concession d’une
ligne de chemin de fer entre la place
du marché et le cimetière de Saint-
Pierre. La particularité de l’Est-Marseille
est de circuler en souterrain entre son
terminus proche de la Canebière et le
boulevard Chave. Ce tunnel de 635m
va lui permettre de s’affranchir de la
configuration de la voirie. L’ouvrage,
haut de 4,50m sur une largeur de
6,50m, permet l’établissement d’une
double voie métrique sur toute sa lon-
gueur à l’exception du débouché sur
le boulevard Chave à voie unique.
La ligne est ouverte en décembre 1893
entre le marché des Capucins et Saint-
Pierre. Elle est exploitée en raison du
tunnel avec de courtes locomotives
sans foyer Lamm-Francq tractant des
remorques. À Marseille, le système sans
foyer vise à s’affranchir des fumées
dans le tunnel de Noailles. Il implique
une recharge en eau à 200°C assez
régulièrement. La courte longueur de la
ligne (environ 3km) permet ainsi un
réapprovisionnement de la machine à
chaque passage au terminus de Saint-
Pierre. Néanmoins, cette nécessité va
bientôt apparaître contraire à une
bonne exploitation.
Les locomotives assez courtes d’envi-
ron 4m sont chargées de tracter des
convois de deux voitures de 9,60m.
La ligne à son ouverture est exploitée
au quart d’heure et il faut entre 20 et
25 minutes pour en parcourir la tota-
lité. Le succès est au rendez-vous et
l’Est-Marseille envisage une extension
depuis Saint-Pierre vers La Pomme et
Aubagne.
Dans le même temps, Marius Cayol,
un entrepreneur, dépose une demande
de concession sur une ligne desser-
vant pareillement La Pomme avec un
tracé en centre-ville assez parallèle à
celui de l’Est-Marseille. Après diverses
péripéties, il cède ses droits à la CGFT
qui met en chantier deux nouvelles
lignes, du boulevard Dugommier à
La Pomme et du Vieux Port à Saint-
Pierre. Ouvertes en juillet 1900, elles
viennent directement concurrencer
l’Est-Marseille. Les moyens mis en
œuvre par la compagnie des tram-
ways vont rapidement placer l’Est-
Marseille dans une situation financière
difficile. Bientôt, la compagnie se
retrouve en faillite et doit cesser son
activité. Il est décidé de trouver un
repreneur et c’est la CGFT, alors en
plein essor, qui va intégrer la ligne à
son réseau. Elle entreprend la moder-
nisation complète de l’infrastructure
afin de rendre économiquement ren-
Sur la Canebière,
la célèbre artère
de Marseille,
le tramway règne en
maître. Les premiers
projets de métro
viseront à faire
place nette
en enterrant
les trams pour
laisser l’espace
à la circulation
automobile.
(DR/Photorail-
SNCF ©).
Octobre 2015
Historail
Des projets, des projets,
encore des projets
Néanmoins, ce métro va en inspirer
d’autres qui vont l’adapter à leur
manière. Durant l’entre-deux-guerres,
plusieurs projets vont voir le jour,
chacun présentant des solutions ori-
ginales et performantes. L’idée de
construire des tunnels pour tramways
va en partie renaître dans la réalisa-
tion d’un réseau complémentaire de
lignes de banlieue qui devront trou-
ver leur place dans leur arrivée en cen-
tre-ville. On propose alors d’établir
une « chaussée réservée », autrement
dit un site propre, complétée par un
viaduc pour tramways longeant les
quais et des tunnels de pénétration
avec stations intermédiaires. Le pro-
jet présenté en 1927 imagine d’en-
terrer les tramways des boulevards
extérieurs à la place Sadi-Carnot, tout
comme du cours Joseph-Thierry à la
place Sébastopol. On propose égale-
ment un tunnel de la Bourse à Cas-
tellane et un prolongement de la ligne
Noailles-Saint-Pierre en tranchée
jusqu’à la Parette et Saint-Loup.
Ce plan comme les autres après un
long examen par le conseil municipal
sera écarté pour ne pas avoir suffi-
samment pris en compte les lignes du
centre-ville. En 1933, un complément
à ce projet va ainsi proposer la dispa-
rition des tramways des artères du
centre, enterrés dans des tunnels à
construire. Deux souterrains sont pro-
jetés, dans le sens est-ouest sous la
Canebière, et nord-sud de la place
Jules-Guesde à Castellane.
Ces différents projets d’enfouissement
vont conduire à imaginer une gare
centrale des tramways dite des Allées.
Il s’agissait en fait d’établir trois gares,
du Nord, de l’Est et du Sud, en cor-
respondance sous la Canebière et les
allées Gambetta servant de terminus
central aux lignes de tramways qui
auraient convergé en tunnels vers le
cœur de Marseille. Là encore, on a
conçu un important réseau de gale-
ries destinées à dégager les artères
encombrées du centre-ville de ce
tramway que l’on commence à trou-
ver un peu gênant.
Un métro ou un tramway
souterrain?
Mais l’idée d’un métro reste dans l’air.
À Paris l’essentiel du réseau actuel est
en grande partie construit et le nom-
bre de voyageurs ne cesse d’aug-
menter. C’est là que ressurgit la
Société pour l’étude du chemin de fer
métropolitain de Marseille qui rap-
pelons-le a été créée en 1919 pour
99 ans. En 1935, la CGFT est entrée
au conseil d’administration, histoire
d’avoir son mot à dire. En 1937, la
société propose un réseau de métro
déployé sur le tracé des lignes de
tramways. Elle s’assure ainsi une clien-
tèle et donc une rentabilité lui per-
mettant d’engager des travaux impor-
tants tout en débarrassant la ville de
« ses encombrants »
tramways. Elle
imagine trois lignes principales com-
plétées par la suite d’embranche-
ments:
la ligne 1 relie les Chartreux à la
Bourse par la Canebière;
la ligne 2, la place Saint-Eugène à
la Cathédrale autour du Vieux Port;
la ligne 3 sur un axe nord-sud relie
le boulevard Mirabeau à Menpenti
en passant par la gare Saint-Charles
et Castellane.
Il y a environ 10km de tunnels à
construire desservant 21 stations. Le
développement futur du réseau pré-
voit 8,3km supplémentaires. Ce pro-
jet avait un coût en rapport de nature
à freiner un peu les ardeurs. Le direc-
teur du réseau des tramways de Mar-
seille va donner le coup de grâce en
réclamant en plus le rachat de la
concession de la CGFT avec indemni-
sation dans la mesure où les tramways
de Marseille seraient devenus avec ce
métro sans clientèle et sans fonde-
ment. Une raison supplémentaire pour
ne pas inciter la municipalité à s’en-
gager dans cette périlleuse aventure.
La ville va préférer s’orienter vers une
modernisation
du réseau de surface
consistant à remplacer les tramways
par des autobus et surtout des trol-
leybus. Ils ont l’avantage de conser-
ver la ligne aérienne électrique tout
en disposant d’une plus grande sou-
plesse sur la chaussée permettant de
se faufiler facilement dans la circula-
Cours Belzunce, à
deux pas du Vieux
Port, le tramway
assure l’essentiel
des déplacements.
Jugé un temps
encombrant,
il a depuis fait
son retour sur
le cours emprunté
désormais par
les nouvelles
lignes T2 et T3.
(DR/Photorail-
SNCF ©).
tion. À mieux y regarder pourtant, sa
plus faible capacité et l’obligation de
renouveler le parc plus régulièrement,
cumulés à l’entretien de la ligne élec-
trique, seront finalement pour le trol-
leybus des handicaps de taille.
Faute de pourvoir rapidement suppri-
mer les tramways, on va à nouveau
proposer de les enterrer pour déga-
ger le centre. Une fois encore, on est
bien dans la philosophie du pré-métro
qui va se développer fortement dans
les années 60 en Europe.
Le réseau des tramways qui sait jouer
sa survie dans l’affaire va s’impliquer
fortement dans cette transformation.
Le dernier projet présenté date de
1941. Le contexte est désormais dif-
férent. Depuis l’armistice de juin 1940,
le pays vit au ralenti. Marseille bien
qu’en zone libre (non occupée par les
Allemands avant novembre 1942) ne
dispose plus que de ses tramways
pour assurer les déplacements. L’es-
sence devient rare, les autobus ont
été pour l’essentiel réquisitionnés et
les tramways vont connaître des
affluences records. La CGFT va dès
1940 commencer à imaginer les
adaptations nécessaires à cet enfouis-
sement des tramways. En premier
lieu, il faut modifier le matériel rou-
lant à défaut d’en commander un
nouveau. À Alger, les rames Satramo
ont été livrées en 1937-38 en vue
d’une mise en souterrain rapide des
tramways. Véritables métros de sur-
face, ces matériels vont préfigurer les
rames modernes qui circuleront plu-
sieurs décennies plus tard.
À Marseille, faute de moyens, on s’en-
gage dans une modification complète
du parc. Il s’agit d’empêcher les voya-
geurs en surcharge de prendre place à
l’extérieur en se posant sur les mar-
chepieds, en s’agrippant aux poignées
des portes ou en montant sur les tam-
pons. Un prototype modifié en ce
sens est engagé en ligne à partir de
1940 afin d’étudier le comportement
des voyageurs. Cette rame dite
« standard » est réalisée à partir d’une
motrice de 1932. On y a installé des
portes coulissantes à commandes
pneumatiques, des marchepieds esca-
motables tandis qu’à l’intérieur l’amé-
nagement a été modifié avec sépara-
tion du wattman placé dans une
cabine isolée. On prévoit une modifi-
cation de l’ensemble du matériel rou-
lant sur 5 ans, le temps de construire
les tunnels du centre-ville. Le contexte
de guerre va compliquer la réalisation
de ce programme. Sur les 147
motrices, 65 seront effectivement
modifiées en 1945. Ces transforma-
tions se poursuivront jusqu’en 1956
sur un peu plus d’une vingtaine de
rames supplémentaires.
Enfin, on creuse!
Le projet de tramways souterrains de
décembre 1941 propose d’établir un
tunnel de 1800m entre le cours
Joseph-Thierry et la préfecture sous la
Canebière et la rue Saint-Ferréol. Plu-
sieurs trémies aux différentes extré-
mités doivent permettre à un grand
nombre de lignes d’y accéder. Quatre
stations souterraines sont prévues, Les
Mobiles, Dugommier, Canebière et
Saint-Ferréol. Le projet envisage la
reconstruction de la gare de Noailles
sur deux niveaux recevant les trams
des lignes de Saint-Pierre et Aubagne
et ceux du boulevard Garibaldi.
L’accueil du projet est excellent et on
prévoit sa réalisation dans les 5 ans,
permettant dès 1946 aux tramways
de traverser le cœur de Marseille en
sous-sol. On y croit tellement que les
travaux commencent. Trois puits de
sondage sont creusés en 1941 sous la
Canebière, à la station Saint-Ferréol
et à la préfecture. Dans la foulée, on
envisage de compléter le puits Saint-
Ferréol par une galerie de 30m consti-
tuant l’amorce de la future station.
Malheureusement l’invasion de la
zone sud par l’armée allemande va
freiner ce bel enthousiasme. Le pro-
jet n’est pas pour autant abandonné.
Il est amendé fin 1942, portant à
2800m la longueur des sections sou-
terraines pour compléter le désen-
gorgement du centre-ville. En 1943,
on décide de creuser de nouveaux
tunnels… sur le papier, complétant le
réseau pour atteindre cette fois
3200m et 11 stations. On se rap-
proche du métro sans vraiment se
décider concrètement. Le projet va
rester plus ou moins d’actualité durant
78-
Historail
Octobre 2015
Viale/Photorail
Les travaux
du métro devant la
gare Saint-Charles
en mars 1975.
La station édifiée
sur sept niveaux
constitue le cœur
du réseau.
moyenne se situant aux alentours de
400000.
La ville va décider en juin 1967 de
s’engager officiellement dans la
construction d’un transport en com-
mun en site propre. On est alors assez
optimiste, pensant engager les tra-
vaux dès 1968 pour une mise en ser-
vice en 1975. C’est peut-être encore
aller un peu vite en besogne même si
on est finalement assez proche de ce
calendrier en ouvrant le réseau en
novembre 1977. La procédure admi-
nistrative étant ce qu’elle est, c’est en
juillet 1968 que le ministre des Trans-
ports invite la ville à procéder à des
études complémentaires confiées
cette fois à la Somica, Société mar-
seillaise mixte communale d’aména-
gement et d’équipement, assistée de
la Sofretu. L’année suivante, elle pré-
sente son projet de métro articulé sur
deux lignes. La ligne bleue s’étend de
la Rose à la Blancarde sur 11,5km et
15 stations. La rouge relie Arenc à
Mazargues sur 9,5km et 13 stations.
La particularité de ces deux lignes est
de former une boucle en centre-ville
en correspondance à Saint-Charles et
Castellane.
L’avant-projet Somica est adopté le
30juin 1969 par le conseil municipal
qui décide en juin 1970 la constitu-
tion d’une Société du métro de Mar-
seille, société d’économie mixte
chargée entre autres de la maîtrise
d’ouvrage déléguée, des ouvrages de
génie civil, des divers équipements et
de la commande du matériel roulant.
On n’est pourtant pas encore totale-
ment au bout du tunnel et le projet
Somica comporte quelques faiblesses.
Son principal défaut réside dans le
manque de complémentarité avec le
réseau existant, en particulier la ligne
de tram 68. À la faveur des élections
municipales de 1971, un contre-pro-
jet « Opération 2000 » va voir le jour
qui revient sur les lacunes du projet
pour envisager un réseau véritable-
ment intégré. Sans entrer dans le
détail, ce métro reprend en partie les
propositions de la Somica tout en les
complétant avec notamment l’inté-
gration de la ligne de tramway pro-
longée vers des quartiers à plus faible
trafic. Soutenue par l’opposition muni-
cipale, Opération 2000 va sombrer
après la victoire électorale de l’équipe
sortante.
L’État fait machine arrière
L’autre mauvais coup viendra du
ministère des Transports qu’on pen-
sait jusqu’alors acquis au projet de
métro. En mars 1971, l’État décide de
« subordonner sa subvention aux
résultats d’un concours international
sur tous les moyens susceptibles d’as-
surer les déplacements aux heures les
plus chargées »
. En clair, c’est d’accord
pour un TCSP, mais pas forcément un
métro.
Pour bien comprendre cette volte-face,
il faut se replacer dans le contexte du
début des années 70. C’est l’époque
où l’on développe des moyens de
transport les plus extravagants. Dans
les airs, c’est le Concorde, sur terre
l’Aérotrain, bientôt le TGV et dans les
transports en commun, ils sont nom-
breux à penser que le rail a fait son
temps. À Lille, on développe le VAL
qui n’est pas encore un simple métro à
faible gabarit mais un module auto-
matisé. La plupart de ces projets som-
breront définitivement en France à
mesure qu’on prendra conscience des
enjeux d’un transport de masse des-
tiné non pas à quelques individus mais
à des millions de voyageurs.
C’est heureusement le bon sens qui
va l’emporter, tous les projets propo-
sant un métro. Ce dernier obstacle
levé, plus rien ne pouvait empêcher la
mise en chantier du métro et en août
1973, les travaux commencent enfin.
80-
Historail
Octobre 2015
URBAIN
En haut:
le nouveau métro
(vu ici en 1978)
circule en viaducs
en périphérie,
le roulement
sur pneus limitant
les nuisances
sonores.
Ci-dessus:
véritable métro
de surface avec
ses rames PCC,
le tram 68 a été
intégré au réseau
dont il constitue
quasiment
la 3
ligne.
Une rame en unité
double arrive
au terminus
de Saint-Pierre,
le 21août 1990.
J.-H. Manara
Ph.-E. Attal
Octobre 2015
Historail
On prévoit un délai de 4 ans pour la
mise en service. Réalisée par étapes,
c’est donc une ligne La Rose – Saint-
Charles est qui livrée au public le
26novembre 1977 avec huit nouvelles
stations. La section entre Saint-Charles
et Castellane prévue pour le printemps
suivant sera finalement ouverte assez
rapidement le 11mars 1978.
Cette première ligne de 8,819km
alterne des sections souterraines en
centre-ville, et en viaduc en périphé-
rie nord. Les tunnels sont de type
monotube pour l’essentiel sauf dans
les secteurs où l’instabilité du terrain
a imposé de séparer les galeries. Le
métro est creusé à une profondeur
variant entre 15 et 30m pour s’af-
franchir de la topographie de surface.
Les stations sont à quai latéral ou cen-
tral de 70m, un peu plus long que les
rames de trois voitures. Avec l’ajout
d’une 4
voiture par la suite, les rames
occuperont presque l’essentiel de la
longueur des quais. Sur cette première
ligne, les stations La Rose, Frais-Vallon
et Malpassé sont aériennes. Cette par-
tie nord de la ligne est en partie tra-
cée sur le terre-plein central de l’au-
toroute S8. La station Saint-Charles
constitue l’ouvrage le plus important.
Construit sous la gare SNCF, il s’étire
sur sept niveaux sur plus de 35m de
haut. C’est le cœur du réseau et c’est
là que sont établies les voies de rac-
cordement permettant de passer
d’une ligne à l’autre. L’autre corres-
pondance entre les deux lignes est
prévue à Castellane.
Ce métro moderne se veut dans l’air
du temps. La décoration des stations
est résolument 70’s. Les couleurs
inscrites dans leur époque possèdent
chacune leur dominante qui varie
selon les stations du rose au jaune, du
orange au vert en passant par le bleu
marine et le mauve.
Un métro sur pneus
un peu parisien
Le nouveau métro de Marseille se veut
au top de la technologie. Le matériel
roulant reflète cette modernité et le
confort attendu des voyageurs. Au
début des années 70, cette exigence
passe par le roulement sur pneus
inventé par la RATP. À Marseille, on a
engagé des études comparatives sur
le type de roulement à retenir. Rapi-
dement, on en arrive à la conclusion
que le pneu revient moins cher tout
en ayant de meilleures performances
d’adhérence pour un confort accru.
Le métro de Marseille sera donc sur
pneus, en partie inspiré du MP73 intro-
duità Paris sur la ligne6. S’il existe un
air de famille, les différences sont mal-
gré tout notables. À Marseille, les
rames sont composées de trois voi-
tures, deux motrices (16,645m) enca-
drant une remorque (15,780m) le
tout formant des trains d’une lon-
gueur d’environ 49m. La largeur rete-
nue est de 2,50m. Chaque voiture
est dotée de trois accès à doubles
portes coulissantes facilitant la montée
et la descente des voyageurs. Chaque
train peut en transporter 352 dont
136 assis. Les rames ont une forme
arrondie avec une livrée blanche. À
l’intérieur, rouge, orange et jaune
dominent. Par la suite, on portera la
longueur des rames à quatre voitures,
deux motrices encadrant deux
remorques. L’alimentation électrique
se fait par 3
rail à 750 volts. Le métro
est doté comme à Paris du pilotage
automatique partiel et d’une signali-
sation en cabine. Le marché de
construction est remporté par SGTE,
un consortium qui regroupe les entre-
prises CIMT (caisses), ANF (boggies),
STCO (moteurs) et MTE (équipements
électriques). Les rames sont livrées à
partir de 1976. Après cette première
série, une commande complémen-
taire est passée en 1983 pour équi-
per la ligne 2. Trente-six trains com-
posent le parc de Marseille permettant
d’assurer l’exploitation des deux pre-
mières lignes et des prolongements
envisagés. Ce matériel, qui va bientôt
fêter ses 40 ans, devrait rouler encore
quelques années avant qu’on n’envi-
sage son renouvellement.
[ 1977, Marseille inaugure le premier métro de province]
En haut:
dès les premières
semaines,
on se bouscule
dans le métro.
Les stations sont
à quai latéral ou
central comme ici
à Réformés-
Canebière
en novembre 1977.
Ci-dessus: intérieur
très “seventies”
avec ces couleurs
chaudes pour le
métro de Marseille,
le 12avril 2010.
Ph.-E. Attal
Avenas/Photorail
82-
Historail
Octobre 2015
URBAIN
Une 2
ligne rouge
70000 voyageurs par jour emprun-
tent déjà en juillet 1978 cette première
ligne avant que ce chiffre ne monte à
100000 après la restructuration du
réseau. Néanmoins, le métro n’est pas
encore achevé. Après livraison de la
ligne bleue, la seconde ligne rouge est
mise en chantier. En octobre 1980
commencent les travaux de l’axe entre
Bougainville et Sainte-Marguerite-
Dromel. Longue de 8,794km, elle sera
ouverte par étapes. Sa mise en service
va permettre en centre-ville d’établir
cette boucle entre les stations Saint-
Charles et Castellane qui constitue une
grande part de l’intérêt du réseau. Le
tronçon entre Joliette et Castellane va
être livré en première phase le 3mars
1984. La section nord Joliette – Bou-
gainville attendra le 1
février 1986.
Au sud entre Castellane et Sainte-Mar-
guerite-Dromel, le métro sera mis en
service le 14février 1987.
Cette seconde ligne compte 12 sta-
tions dont trois sont en correspon-
dance, avec la ligne 1 mais aussi avec
le tramway. La nouvelle ligne permet
d’intégrer le 68, seul survivant de l’im-
pressionnant réseau de tramways. À
Noailles, c’est donc un ouvrage com-
mun métro et tram qui est construit,
les rames du 68 délaissant le niveau
supérieur de la gare de l’Est-Marseille
pour se rapprocher du nouveau métro.
Entre-temps, la ligne dont la fréquen-
tation ne s’est pas démentie a été
modernisée. Sa principale innovation
a été l’introduction de motrices PCC
dérivées des rames belges. Sa mise par-
tielle en site propre (essentiellement
par simple marquage), ses conditions
d’exploitation en ont progressivement
fait un véritable métro de surface.
Sur la ligne 2, seules les deux stations
extrêmes de Bougainville et de Sainte-
Marguerite-Dromel sont établies à l’air
libre. Le rabattement des autobus et
du tramway va doper considérable-
ment la fréquentation des transports
tous modes confondus qui passe de
140millionsà 164millions annuels
avec l’ouverture de la ligne. Le métro
apporte 60millions au réseau,
29,5millions pour la seule ligne 2. En
1987, sa fréquentation dépasse celle
de la ligne 1 avec plus de 110000
voyageurs par jour.
Prolonger le métro
C’est dans ce contexte que l’on com-
mence à étudier d’éventuels prolon-
gements. De nombreux quartiers res-
tent encore à desservir et le choix est
difficile entre les priorités qui se font
jour. Dès le projet Somica, on a défini
les possibles extensions du métro. La
ligne 1 pourrait ainsi pousser au nord
de la Rose vers Château-Gombert et à
l’autre extrémité depuis Castellane vers
la Blancarde. De son côté, la ligne 2
pourrait continuer au nord de Bou-
gainville vers Saint-Louis tout comme
depuis son autre terminus de Sainte-
Marguerite vers Saint-Loup et Saint-
Marcel. Ces projets intègrent égale-
ment le tramway 68 qui pourrait filer
au-delà de Saint-Pierre vers les Caillols
et Saint-Marcel à la rencontre du pro-
longement de la ligne 2. On parlera
longtemps de ce prolongement du 68
qui restera d’actualité jusqu’à la
refonte du réseau de trams et son
redéploiement en trois lignes.
C’est la ligne 1 qui va connaître la pre-
mière extension à partir du terminus
de Castellane. À défaut de pousser
jusqu’à la Blancarde (où une corres-
pondance intéressante avec la gare
pourrait être établie), on va aller
jusqu’à la Timone. Ce nouveau tron-
çon s’inscrit le long du boulevard Baille
et comprend deux nouvelles stations,
Baille et La Timone. Les travaux com-
Le tramway relancé
La tentation était grande de se concentrer sur le seul métro et de négliger l’antique
ligne 68. La bonne fréquentation du tram va en décider autrement. Le plan
de déplacements urbains élaboré en 2003 va concevoir un réseau de trois lignes
qui intègre le 68 modernisé. La ligne est fermée pour 3 ans avant de rouvrir en 2007. Un
nouveau matériel roulant est commandé et c’est un réseau déployé sur deux lignes qui
ouvre par étapes, le T1 Noailles – Les Caillols qui intègre le 68 et le T2 Euroméditerranée-
Gantès – La Blancarde, qui marque le retour du tram sur la Canebière. Depuis le 30mai,
une nouvelle ligne T3 relie Castellane à Arenc-Le-Silo, et le 3
appel à projets de TCSP a
validé l’extension nord et sud d’un futur réseau de quatre ou cinq lignes. Dernier projet
en date sérieusement avancé par les élus, relier les trams de Marseille et d’Aubagne
à l’image de l’ancienne ligne 40 supprimée dans les années 50.
Un tram du T1 débouche
du tunnel de Noailles,
le 12avril 2010
(Ph.-E. Attal).
Octobre 2015
Historail
mencent en mars 1989 après un long
bras de fer avec l’État pour obtenir les
subventions attendues. Il faudra plus
de 3 ans pour réaliser ce court pro-
longement. Prenant naissance en
arrière-station de Castellane au km
9,175, il pousse jusqu’au km 10,638,
sur 227m en arrière-station du ter-
minus de la Timone. On a bien sûr
ménagé la possibilité de poursuivre
vers la Blancarde qui reste l’objectif à
atteindre. Le 5septembre 1992, la
nouvelle section est ouverte au public.
Après cette mise en service, les choses
vont un peu se compliquer. Si la ville
approuve le développement du réseau,
l’engagement des travaux se fait atten-
dre. L’extension nord de la ligne 2 de
Bougainville à Madrague-Ville est ainsi
décidée en novembre 1989, sa réali-
sation étant alors jugée prioritaire.
Cette section longue d’environ 2km
avec trois stations, Capitaine-Gèze, La
Cabucelle et Madrague-Ville va pour-
tant rester quasiment au point mort
jusqu’à aujourd’hui.
Le seul prolongement réalisé va porter
sur la ligne 1, pour rejoindre enfin
laBlancarde. Ouvert le 5 mai 2010,
le nouveau terminus de la Fourragère
vise à desservir des quartiers à forte
population. Démarrés en septembre
2005, les 2,5km du prolongement
auront nécessité plus de 4 ans de tra-
vaux. La galerie creusée par tunnelier
est un monotube de 9,75m de dia-
mètre. Quatre nouvelles stations,
LaBlancarde, Louis-Armand, Saint-
Barnabé et LaFourragère sont
ouvertes dans une architecture favo-
risant l’espace et les volumes. Réali-
sées à grande profondeur, les stations
bénéficient d’une décoration soignée
où le bois et le verre sont à l’honneur.
Passée la Timone, la station La Blan-
carde donne correspondance à la gare
SNCF mais aussi aux deux nouvelles
lignes de tram T1 et T2. Le terminus
de la Fourragère abrite une gare rou-
tière pour les autobus urbains et les
cars interurbains complétée par un
parking de dissuasion de 450 places.
La station croisera en effet la rocade
A507 en 2017, incitant les automo-
bilistes à laisser leur voiture pour
rejoindre le centre-ville en métro.
Cette extension de la ligne 1 est la
dernière mise en service sur le réseau.
Depuis 5 ans et malgré l’important
programme de prolongements étu-
dié, aucune nouvelle section n’a été
ouverte. Pour autant, les objectifs res-
tent les mêmes et l’extension jugée
prioritaire de la ligne 2 vers Château-
Gombert est toujours d’actualité.
C’est ainsi que la RTM a annoncé
début 2015 l’ouverture d’une nou-
velle station Capitaine-Gèze pour le
mois de décembre. Cette station, la
première de l’extension de la ligne 2
est en fait réalisée dans les emprises
d’arrière-gare du terminus de Bou-
gainville. Cette particularité permet
de réduire l’ampleur des travaux et
d’en raccourcir le calendrier. Capi-
taine-Gèze rallongera de 900m la
ligne 2 et constituera un pôle multi-
modal bus et trams, les lignes T2 et
T3 devant y être prolongées. Le 3
appel à projets de TCSP a également
validé l’extension du métro à l’autre
extrémité de la ligne 2, de Sainte-Mar-
guerite-Dromel vers Saint-Loup. Le
métro et le tramway déployé sur
quatre (voire cinq) lignes constitue-
ront alors le réseau intégré et com-
plémentaire dont rêvent les Marseil-
lais depuis la publication dans les
années 20 des premiers projets de
métro.
Philippe-Enrico Attal
[ 1977, Marseille inaugure le premier métro de province]
Ci-dessus:
rame du métro
à la station
Malpassé à quai
central sur la ligne 1,
une des rares
établie en viaduc,
le 12avril 2010.
Ci-contre:
l’édicule
de la station Louis-
Armand peu avant
l’ouverture
au public,
le 12 avril 2010.
Photos Ph.-E. Attal
A
ujourd’hui, la MIF se distingue
des nombreuses compagnies
d’assurance ou d’assurance mutuelle
par son statut de mutuelle. Dans
le large paysage des mutuelles che-
minotes, c’est la seule « mutuelle
d’épargne » dont les profondes
racines dans le monde cheminot n’ex-
cluent pas l’ouverture au monde exté-
rieur, sans rupture avec les travailleurs
des transports (SNCF, RATP). La célé-
bration de son cent-cinquantenaire
permet d’illustrer comment, dans son
code génétique actuel, issu en somme
dans les années 70 du croisement de
deux mutuelles, on retrouve les mêmes
gènes singuliers mais durables d’une
vocation d’épargne volontaire des
agents. Pour retrouver ces racines, un
peu de généalogie est nécessaire au
préalable.
Une origine composite
La MIF, dans sa forme actuelle, est née
en 1976 de la volonté de mutuelles
d’agents de la SNCF, dont les objets
84-
Historail
Octobre 2015
ANNIVERSAIRE
La MIF:
150 ans
d’épargne
cheminote
La Mutuelle d’Ivry
(la Fraternelle)
– se distingue
des mutuelles cheminotes
par sa vocation de mutuelle
d’épargne proposant
des produits d’assurance-vie.
Elle est issue de la fusion de la
Société mutuelle d’Ivry,
fondée
en 1865 pour les ouvriers
de la Compagnie d’Orléans,
et de la
Fraternelle des
employés de chemins de fer,
fondée en 1880 et recrutant
tous azimuts. Retour sur cette
lointaine et double origine.
Docs DR/Coll. G. Ribeill
Un logo bien trouvé
pour la
Fraternelle
(AFCF en abrégé):
« carré » signal
ferroviaire d’arrêt,
moyeu d’une roue
de huit rayons,
comme autant
de réseaux où elle
va s’implanter
(Nord, PO, PLM, Est,
État, Midi, Ceintures
et Chemins de fer
secondaires, plus
l’AL après guerre).
Octobre 2015
Historail
se recoupaient en partie, de se regrou-
per en une «union» où chaque
membre aura l’exclusivité de la cou-
verture des risques pris à sa charge.
Ainsi allaient « renaître » en 1976 trois
mutuelles remodelées, au prix de
transferts d’activités de l’une à l’autre,
aux attributions précises. Les aides aux
orphelins, les dots, les aides matérielles
aux jeunes plus largement, reviendront
ainsi à l’
Orphelinat des chemins de fer
français
fondé en 1891; la protection
et l’assurance contre le risque maladie
Mutuelle générale des cheminots
(MGC), résultant fin 1971 de la fusion
de l’
Association fraternelle des
employés et ouvriers des chemins de
fer
Protection mutuelle des
agents des chemins de fer
fondée en
1883; les assurances-retraite, vie et
décès à la
Fraternelle
et à la
Mutuelle
d’Ivry,
fusionnées ainsi pour l’occasion
en une
Mutuelle d’Ivry (la Fraternelle)
prenant effet le 1
janvier 1977.
Mutuelle d’Ivry
quitte son siège his-
torique, 41, boulevard Vincent-Auriol
(ancien boulevard de la Gare), où
gîte même la direction du Matériel
relevant du PO, puis de la région Sud-
Ouest de la SNCF… accueillie dans
l’immeuble spacieux qui abrite depuis
1912 le siège de la
Fraternelle
rue Yves-Toudic (ancienne rue de l’En-
trepôt). Bien entendu, confrontée à
la chute des effectifs de la SNCF, la
MIF devra toujours renouveler et diver-
sifier ses produits d’assurance-vie,
s’ouvrir aussi progressivement depuis
2006 aux « étrangers », enregistrant
ainsi une croissance continue
Aux origines mêmes de ces deux
composantes, deux organisations
vouées à compléter par l’épargne
volontaire de leurs membres les pen-
sions versées par les caisses des com-
pagnies, mais qu’oppose une diffé-
rence de taille: la plus ancienne, la MI
sera réservée longtemps aux agents
de la Compagnie d’Orléans; l’autre,
Fraternelle
, au contraire, était
grande ouverte à tous les agents,
– hommes et femmes –, de toutes les
compagnies, grandes ou petites,
jusqu’au métro parisien…
La participation
aux bénéfices au PO,
un système inégalitaire
Rappelons qu’au
XIX
siècle, dans les
compagnies, les agents aux métiers
spécifiquement ferroviaires ont vite
droit au
commissionnement,
la garan-
tie de l’emploi sauf grave faute pro-
fessionnelle: aux
employés
ainsi com-
missionnés s’opposent les
ouvriers des
ateliers,
payés à la journée. Lorsqu’au
milieu du
XIX
siècle les compagnies
instituent des caisses de secours et de
retraite
, ces faveurs ne concernent
que les agents les plus exposés aux
accidents et maladies propres à leur
métier. Et la porte d’accès des com-
missionnés à la retraite est souvent à
géométrie variable: les agents du
ser-
vice actif,
aux prises avec une exploi-
tation ininterrompue de jour comme
de nuit et 365 jours de l’année, y
accèdent plus tôt que les agents du
service sédentaire,
cadres et employés
des bureaux voués plutôt à des tâches
administratives. Sans intervention de
l’État ni pression de syndicats encore
inexistants, ces libéralités diffèrent évi-
demment d’une compagnie à l’autre.
Fondée en 1838, la Compagnie du
Paris-Orléans (PO) va se distinguer, ins-
tituant en 1844 la participation aux
bénéfices, dont une fraction est affec-
tée à la constitution de futures pen-
sions
. Mais trois catégories d’em-
ployés des rangs supérieur et moyen
en profitent, les petits employés et
tous les ouvriers des ateliers d’Ivry
étant exclus du partage du gâteau!
Vingt ans plus tard, en 1865, la mise
en application des conventions finan-
cières de 1859 promet de moindres
bénéfices aux compagnies assujetties
à exploiter des lignes secondaires
moins rentables que leurs artères
majeures sur lesquelles elles s’em-
branchent; alors que les employés les
plus anciens du PO vont accéder nom-
breux à leur retraite, l’assemblée
générale du 28décembre 1863
décide donc d’un nouveau mode de
répartition: le montant de la somme
attribuée à chaque employé est entiè-
rement versé, jusqu’à concurrence de
10% du traitement, sur un livret géré
par la Caisse de retraites pour la vieil-
lesse, institution étatique fondée en
1850; le surplus éventuel est divisé
en deux parts, l’une versée en espèces
à l’agent jusqu’à concurrence de 7%
de son traitement, l’autre inscrite à
son nom à la Caisse d’épargne. Il est
aisé d’imaginer combien ce nouveau
régime a dû attiser la contestation des
exclus du système!
L’initiative
d’Augustin Cochin
Charles Benoist d’Azy, membre
influent du conseil d’administra-
teur du PO, y impose en 1852
son gendre Augustin Cochin
Ci-dessous, de haut
en bas:
portrait d’Augustin
Cochin (1823-1872),
(DR);
le siège
de la
Fraternelle
23, rue Yves-Toudic:
un imposant
immeuble derrière
une façade altière.
Doc MIF
ministres, etc., vont témoigner ainsi
de leur soutien à cette
Fraternelle
n’ignorant pas son poids électoral cer-
tain, à ménager. De même, commer-
çants, artisans, industriels n’ignorent
pas l’importante clientèle des chemi-
nots, dont les « traitements » régu-
liers garantissent des ventes à
crédit.
L’association va connaître une
croissance exceptionnelle, elle
compte en 1890 60000 des
300000 membres composant
«l’armée des travailleurs des
chemins de fer »
! Elle est tenue
de placer ses réserves et fonds
très importants en titres garantis
(obligations et rentes) mais aussi,
d’un meilleur rendement, en
immeubles de rapport. Elle va
aider à l’acquisition de
maisons
à bon marché,
notamment à Bré-
tigny-sur-Orge où s’établit ainsi
une vaste cité
La Fraternelle
Banquets et fêtes:
des rituels voués
à la « grande famille »
Depuis mai 1885, la
Fraternelle
diffuse un
Bulletin officiel,
des comptes rendus de la vie de
ses sections locales, des tournées de
propagande, mais aussi du banquet
et de la fête clôturant rituellement
l’assemblée générale, où sont invités
le président du Conseil, le ministre des
Travaux publics, le président de telle
compagnie, tel parlementaire bien en
vue… Occasion de sacrifier au culte
de
« la grande famille des employés
des chemins de fer »,
qui trouve du
répondant, côté patronal, au PLM:
son directeur Gustave Noblemaire,
assidu des banquets de la
Frater-
nelle
, y rappelle les leçons de Bür-
ger:
« Vos 80000 petits ruisseaux
aurifères ont déjà amené dans votre
tirelire 29millions… »
(Lyon, 17mai
1903), et se positionne volontiers
comme
« le chef de votre et belle
famille »
(Villeneuve-Saint-Georges,
8octobre 1898), déniant pouvoir y
retrouver
« quel qu’en soit mon désir,
comme mes enfants, les 80000
enfants de notre Compagnie »
… (Aix,
13décembre 1903).
D’une mutuelle à l’autre,
l’épargne, spécificité
commune
Directeur de la Compagnie de l’Est,
François Jacqmin a pointé l’originalité
de la
Mutuelle d’Ivry
assurant à ses
membres, après un certain âge, des
pensions annuelles de retraite pro-
portionnées aux ressources de la
Société
« Attendu que les socié-
taires ont droit à la pension dès qu’ils
ont atteint l’âge réglementaire de
55 ans et alors même qu’ils restent
au service »
, pension fixée chaque
année en assemblée générale (280fr
par an en 1880), Jacqmin compare la
société à une
« caisse d’épargne »,
et le paiement des cotisations à
« un
simple placement de fonds »
Perrocheau, administrateur de la
Fra-
ternelle
, dans une conférence faite à
Angers, le 25décembre 1890, pointe
le même thème de l’épargne néces-
saire, complément de faibles reve-
nus
« Les compagnies nous traitent
avec beaucoup d’égards, beaucoup
d’estime, sinon de la sympathie.
L’Association n’est-elle pas en effet le
complément nécessaire à l’ordre des
choses existant dans les Compagnies;
celles-ci ne peuvent avoir la préten-
tion d’exiger que leurs retraités se
trouvent satisfaits de la somme qui
leur est servie annuellement; d’autre
88-
Historail
Octobre 2015
ANNIVERSAIRE
De haut en bas:
c’est à Brétigny-sur-
Orge que sera édifiée
une importante
cité ouvrière
par des sociétaires
de l’AFCF avec
son aide financière;
bulletin officiel
de la
Fraternelle
du 1
juin 1911.
DR/Coll. G. Ribeill
DR/Coll. G. Ribeill
Octobre 2015
Historail
part, les ouvriers n’ont droit à aucune
pension, quelques privilégiés reçoivent
parfois en récompense de longs et
laborieux services une faible pension,
mais ceci n’est pas un droit, c’est un
bon plaisir. Rien de plus naturel que
les employés commissionnés cher-
chent dans l’épargne le moyen d’aug-
menter leurs faibles revenus, et que
les ouvriers, de leur côté, s’assurent
la pension qui ne leur est pas garantie
par leur compagnie. »
On n’ose dire que ces propos tenus à
Fraternelle
en 1890 sont toujours
d’actualité auprès des agents de la
SNCF! Et de rappeler déjà qu’en
matière d’épargne,
« ce n’est qu’en
se groupant, en s’associant, en fai-
sant fructifier en commun les petites
économies »
dans l’Association que
l’on peut ainsi faire un placement à
6% d’intérêt!
Georges Ribeill
1. Croissance que résument quelques
chiffres significatifs, en 40 ans d’histoire,
de 1976 à 2015. Au 31décembre 1976,
la MI-F comptait 42051 membres:
26822 sociétaires, 15119 pensionnés et
110 conjoints, répartis dans 82 sections.
Au 31décembre 2014, ils sont 113745
sociétaires, répartis dans 42 sections
dont celle de la RATP.
2.
Des faveurs patronales au privilège
corporatif. Histoire du régime
des retraites des origines à nos jours
(1850-2003),
chez l’auteur, 2003.
3. Voir Jean-Pierre Amalric,
« Une institution patronale au
XIX
e
siècle:
la participation des employés
aux bénéfices dans la Compagnie
des chemins de fer de Paris à Orléans
(1838-1870) »,
Revue d’histoire
économique et sociale,
1962, n°2,
p. 238-264.
4.
Cf.
les importantes pages que
lui consacre Jean-Baptiste Duroselle:
Les Débuts du catholicisme social,
PUF,
1951, p. 651-652.
5. Voir G. Ribeill, « La question du travail
dominical dans les chemins de fer »,
Historail,
n°29, avril2014, p. 14-22.
6. Page manuscrite d’un brouillon
des statuts, conservé par la famille
Cochin et reproduite dans
La Mutuelle
d’Ivry,
1964-1964, p. 44.
7.
Société de secours mutuels
et de prévoyance des ouvriers
de la Compagnie d’Orléans,
tel était
son titre plus restrictif.
8. De 1898 à 1938, quatre ingénieurs
en chef MT du PO en assurent
sans rupture la présidence: Polonceau,
Solacroup, Lacoin puis De Boysson.
9. La subvention atteint 15000fr
en 1886, 50000 fr en 1889,
70000 fr en 1890 et, de 1892 à 1900,
100000 fr.
10. À noter ainsi l’appel lancé à tous
les employés des compagnies, d’intérêt
général ou local, telle la future
Compagnie du Métropolitain de Paris.
11.
Annuaire des chemins de fer
Marchal 1889.
12. Office du Travail,
Les Associations
professionnelles ouvrières,
TomeIV,
1904, p. 486-489.
13. Conférence de Le Bouder à Angers,
le 25décembre 1890.
14. Quinze de ses discours sont
reproduits dans son recueil
Hommes
et choses de chemins de fer,
Paris, 1905,
Impr. Paul Dupont.
15. François Jacqmin, «Étude sur
les conditions d’existence du personnel
des chemins de fer», 1880, manuscrit,
SNCF, Centre d’Archives duMans,
ChapitreVI, Retraites, p. 464-467.
16.
Bulletin officiel,
n°69, 1
er
février
1891, p. 7.
[ la MIF: 150 ans d’épargne cheminote]
Assemblées
et banquets:
des rituels durables.
De haut en bas:
congrès
de la
Fraternelle
(2juin 1967);
assemblée générale
de la
Mutuelle d’Ivry
(mai 1972).
Seckler/Photorail
Doc MIF
Photographe ferroviaire au long cours,
Jean-Claude Marachin nous livre, dans ce tome
XXVI de la collection Images de trains, une vision
très personnelle, souvent virtuose, du chemin de
fer en France à l’apogée de sa diversité en termes
de matériel roulant. En effet, on y trouvait tout
à la fois un parc vapeur encore actif, bien mis
en valeur par le noir et blanc, et des séries
électriques et diesels nouvelles et conquérantes
dont les livrées aux couleurs encore éclatantes
sont magnifiées par le Kodachrome.
90-
Historail
Octobre 2015
1965-1985
Vingt années qui ont changé le train
Jean-Claude Marachin
ÀMulhouse-Ville, la 241 P 18 de Chaumont démarre le «Train de Paris»
de l’après-midi, l’express 44, qui est venu de Bâle «en électrique» en avril1965.
Au pont de Pyrimont près de Bellegarde, une RGP1 assure l’express 5655
Lyon-Perrache – Genève-Cornavin durant l’été 1973, avec un seul arrêt,
celui de Bellegarde.
M
on activité photographique ferroviaire est née curieusement à l’École nor-
male d’instituteurs, où, en fin de scolarité, il fallait rédiger un mémoire sur
un sujet quelconque. Comme chaque week-end je voyais l’avancement des
travaux d’électrification entre Mulhouse et Colmar: j’ai acheté un Agfa Silette
(sans posemètre, ni télémètre, ni Reflex, ni objectifs interchangeables) et j’ai
commencé à mitrailler à la mesure de mes finances! Quelques photos de cet
appareil figurent d’ailleurs dans cet ouvrage! À l’ENS de Saint-Cloud, où j’ai
poursuivi mes études et les trains, j’ai découvert le labo photo noir et blanc,
où tout a commencé.
Le hasard et la chance sont également intervenus: comme je transitais par la gare
de l’Est pour rentrer de temps en temps en Alsace, j’ai fatalement découvert
l’Afac en son sous-sol légendaire, ses réseaux: son président Daniel Caire (qui
était prof de physique), Guy Laforgerie (que j’aurais beaucoup aimé mieux
connaître), le «Père» Joulain, et Bernard Porcher, le président actuel, qui m’a
poussé dans cette voie de diverses façons! Un événement majeur pour moi a été
l’organisation à cette époque, et je pense pour l’unique fois, d’un concours
photo, que j’ai miraculeusement remporté avec la photo (Arbalète dans la tran-
chée de Chaumont) parue en couverture de
Chemins de fer du TEE
, reprise
évidemment dans ce livre. Suite à cela, j’ai eu droit à la fameuse « autorisation
de photographier » qui a rendu mon bonheur ferroviaire total! Merci à ceux qui
m’ont ainsi aiguillé sur la bonne voie et ouvert les signaux qu’il fallait et pardon
à ceux que je n’ai pas cités.
(Extrait de la préface de l’auteur)
L’Accéléré 4042 et l’A1A-A1A 68528 marquent l’arrêt, en septembre1968
à Langres: la voie est un peu trop courte et l’aiguilleur a préféré dégager les
aiguilles à l’arrière afin de pouvoir recevoir d’autres trains dans le même sens.
Le train est bien arrêté, la photo est posée, il suffit de remarquer la trace ondulée
faite par la lanterne d’un agent qui vient vers la locomotive depuis le quai!
ÀPort-d’Atelier sur la ligne 4, gare de bifurcation vers Aillevillers par la ligne 16
(aujourd’hui disparue) et siège d’un grand site SNCF de fabrication et créosotage
de traverses bois, le Picasso X 3800 circule en juillet1965 en W (matériel vide)
et semble peiner à trouver une voie libre au milieu de tous ces carrés unifiés.
En arrière-plan on distingue la remise de l’ancien dépôt.
Un ouvrage de 160 pages au format 24 x 32 cm. En vente à la librairie de
La Vie
(gare Saint-Lazare, 13, rue d’Amsterdam, Paris 75008) ou par corres-
pondance voir page4 (
La Vie du Rail
, service commandes, CS 70074, 59963
CROIX Cedex) ou sur www.boutiquedelaviedurail.com – Réf.: 110320. Prix: 45
En haut: à l’automne 1968 au dépôt de Sarreguemines, l’ambiance est inespérée quand
on pense que cinq ans plus tard il n’y aura plus de vapeur, ni ici ni ailleurs à la SNCF!
Alors régalons-nous encore de cette concentration de machines fumantes, de ces portiques
impressionnants, de ces grues hydrauliques et même des tuyaux d’alimentation en TIA.
On peut voir ici les 140 C 159 et 19 ainsi que la 141 R 573.
Ci-contre: en mars1973, Sarreguemines était reliée fréquement à Sarrebrück par des
navettes allemandes et par quelques directs Strasbourg – Sarrebrück. On voit ici la machine
051 207-9 qui évolue devant le BV pour aller se placer à l’autre bout de sa rame et repartir
vers la capitale de la Sarre. Aujourd’hui c’est un tram-train, toujours allemand,
qui assure exactement la même relation.
’automne est là et pour la plupart,
les vacances sont terminées. Ces
semaines de congés qui nous semblent
indispensables ont été gagnées de
longue lutte à une époque où il pou-
vait paraître surprenant d’être payé à ne rien faire. Il y avait bien déjà
quelques privilégiés qui partaient en vacances et les compagnies
mettaient en place des services d’été renforcés pour faire face à
l’affluence. Les compagnies de chemin de fer vont rapidement pren-
dre conscience de l’intérêt économique de ces voyages d’agrément.
Se déplacer pour le plaisir davantage que par nécessité, c’est encore
une nouveauté en ce début de XX
siècle. Les compagnies doivent
donc faire elles-mêmes la promotion de leurs plus belles destina-
tions, susciter l’envie du voyage pour attirer une nouvelle clientèle.
Elles vont largement utiliser la réclame, comme on disait alors, réali-
sant de véritables campagnes publicitaires vantant souvent les facili-
tés d’accès et les tarifs promotionnels.
Dans son ouvrage
Un tour de France en affiches
, Jean-Didier Urbain
nous fait revivre cette incroyable époque de l’affiche ferroviaire. La
France est belle, riche de milliers de trésors insoupçonnés que l’affiche
est chargée de mettre en valeur.
Car il faut convaincre autant que susciter l’envie. C’est là le pari des
compagnies qui veulent élargir leur clientèle aux Français qui ne
voyagent pas encore. Cette destination de rêve doit être accessible à
tous. Les affiches sont surchargées de mentions promotionnelles
(billets de famille, prix réduits…) devant faire taire les dernières
réticences. Elles seront apposées partout, dans toutes les gares.
Notre beau pays s’y expose, mettant en avant ses incomparables
atouts, des lieux, des villes, des monuments. Jean-Didier Urbain nous
fait découvrir comment peu à peu le voyage de loisir a pris son essor.
Cette France qui travaille ne peut porter que du mépris envers ces inu-
tiles qui se déplacent sans but précis. Indéniablement, il faut changer
les mentalités, apporter un regard nouveau sur le train de plaisir et ses
(encore) étranges voyageurs.
C’est à cette tâche que vont s’employer les artistes recrutés par les
compagnies. Ils vont travailler à légitimer le voyage, le rendre incon-
tournable devant l’attrait des destinations proposées. L’ouvrage va
ainsi nous faire découvrir cette France merveilleuse, toutes les richesses
mises en avant par l’affiche. On y fait le tour du pays par régions et donc
par compagnies. Et ça commence avec la Normandie desservie par les
chemins de fer du Nord et de l’État. Le Mont-Saint-Michel, merveille de
l’Occident, Forges-les-Eaux, à 2heures30 de Paris ou le tennis club
d’Étretat. Tout incite au voyage, la mouette qui étend ses ailes devant
l’abbaye du Mont, la belle jeune fille à la taille cintrée devant l’établis-
sement thermal de Forges, les falaises d’Étretat. Chaque région a ainsi
droit à un traitement soigné, les affiches illustrant un étonnant livre
d’images d’une France enchantée. Les Vosges, la Corse, les Alpes, la
Bretagne, la Bourgogne… s’exposent souvent en pleine page dans
un attrayant jeu de couleurs et de formes. On y découvre de surpre-
nants instantanés de vie comme ces enfants à Berck-sur-Mer autour
d’un bateau à voile sur la plage. Ailleurs c’est ce petit chien qui prend
la pose sur les fesses de sa maîtresse occupée à lire, allongée sur la
plage de Mesnil-Val. On est surpris de l’aspect graphique de certaines
images, compositions parfaites à la mode Art nouveau. «Le PLM et le
théâtre d’Orange», «Marseille, porte de l’Afrique du Nord» sont des
œuvres d’une très grande qualité qu’on verrait aussi bien au musée.
Cette plongée dans la France d’avant guerre nous laisse un petit
goût de nostalgie.
Philippe-Enrico Attal
94-
Historail
Octobre 2015
LIVRES
Un tour de France en affiches
Le tourisme au temps des compagnies
Chauffour, «PLM – Vichy», 1930.
F. Hugo d’Alési (1849-1906),
«Bordeaux», 1896.
R. Broders (1883-1953), «PLM-Marseille,
porte de l’Afrique du Nord», 1930.
P.-F. Masseau, dit Fix-Masseau (1869-
1937), «Le Mont-St-Michel», 1937.
Photo SNCF/SARDO © DR
Photo SNCF/SARDO © DR, © ADAGP, Paris 2015, © PLM – Wagons-Lits Diffusion
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’auteur comble une impor-
tante page manquante de
l’histoire de la Libération de la
France sous l’angle ferroviaire,
celle de la
« bataille d’amont »,
mobilisation de moyens colos-
saux en matériel de transport
pour permettre de décharger sur
le sol anglais d’abord, puis fran-
çais, troupes et matériels de
combat de l’US Army. Principal
acteur, le MRS
(Military Railway
Service)
et ses unités en charge
du transport et de la mainte-
nance, ROB
(Railway Operating
Battalion)
et RSB
(Railway Shop
Battalion).
Des fonds de l’US
National Archives, l’auteur a
exploité rapports militaires
déclassifiés et une abondante
iconographie, d’où un texte pré-
cis illustré de nombreuses pho-
tos richement légendées.
La trame est chronologique: les
préparatifs, le chaos, le débar-
quement, la reconstruction, l’ex-
ploitation, les opérations spé-
ciales, le matériel. Des photos en
provenance de fonds allemands,
Bundesarchiv, Eisenbahnstiftung-
RVM,
témoignent de la parti-
cipation des voies ferrées
françaises à la logistique de
l’armée allemande conquérante
(concentration du matériel de
l’ALVF française capturé, p.12)
ou d’occupation
(transports des
chars Panzer sur wagons plats,
p.8, 10).
L’on découvre de rares
photos prises par Louis Boyé à
l’insu de l’occupant: train trans-
portant la Panzerdivision
Das
Reich
en gare de Brive le 8juin
(p.62)
, attente sur le quai
de Limoges le même mois
(p.37)
. Outre-Manche, le
Royaume-Uni sert de base
arrière, parc de centaines de
locomotives ou pièces
(p.6, 22)
Malgré l’absence de voies fer-
rées portuaires, Cherbourg sera
choisi comme « tête de pont »
(p.57)
: faute d’installations de
déchargement appropriées, à
partir du 26juillet, des lots de
wagons sont déchargés sur
d’impressionnantes barges à
deux voies, de 140m de long
(p.69)
. En août, les installations
opérationnelles permettent le
déchargement à la grue de
matériel lourd, locomotives 140
(p.72, 73)
. Mais auparavant, les
Américains auront trouvé dans
le dépôt une douzaine de 140
Pershing froides, héritage de
l’US Army à l’issue de la
Première Guerre mondiale
(p.78)
, la 140 A 575 étant choi-
sie symboliquement pour les
manœuvres de déchargement
(p.79)
. Le port de Marseille,
libéré le 28août, permet un sou-
tien logistique plus tardif au Sud,
les rives du Rhône, gauche puis
droite, étant rétablies les 25 puis
27septembre.
Vincent Cuny souligne à maintes
reprises les difficultés lors de la
remise en route progressive
d’une exploitation prise totale-
ment en mains par les
Américains: le mémorandum du
18juillet 1944 assigne dans une
première phase les cheminots
français à
assister
les soldats-
cheminots américains
(p.106)
en peine avec les subtilités des
techniques de la SNCF ou le jar-
gon avenant des cheminots
français, faute de documents
bilingues ou d’un lexique ferro-
viaire
(p.108)
Ce n’est qu’en octobre que la
SNCF recouvre l’exploitation de
ses lignes
« sous commande-
ment militaire »
(phase 2), puis
« sous supervision militaire »
(phase 3).
« Choc culturel »
que cette cohabitation de che-
minots qu’illustrent le signal de
départ donné d’un coup de pis-
tolet et non au sifflet, des trains
circulant sur deux voies dans le
même sens, ou leur expédition
sur la voie de droite, conformé-
ment au régime américain, une
signalisation pragmatique…, ou
de fortune
(p.122-123)
Le 10février 1945, parti de
Thionville, un premier train
pénètre enfin en Allemagne, et
ce même mois, les
Toot Sweet
Express,
trains de 20 wagons
chargés de marchandises ultra-
prioritaires, circulent de
Cherbourg à Namur et Verdun,
des camions devant assurer le
transit entre gares parisiennes;
en sens inverse, circulent trains-
hôpitaux et trains de permission-
naires. Dans un ultime chapitre,
Vincent Cuny dresse l’inventaire
complet des matériels roulants
débarqués, d’origine anglaise ou
américaine, les plus nombreuses
et emblématiques étant les 140
USA TC à simple expansion,
–2120 exemplaires seront livrés
en Europe, Afrique et Asie–,
détaillant en annexe leurs dates
de débarquement.
istorien spécialiste de l’his-
toire des entreprises et
notamment du groupe Suez,
Hubert Bonin remonte ici le
cours de l’histoire d’une de ses
récentes acquisitions, la
Société
hydroélectrique du Midi
(Shem),
filiale de la Compagnie du Midi
fondée en 1929, puis léguée à la
SNCF en 1938. S’appuyant sur
les travaux de Christophe
Bouneau (
Modernisation et terri-
toire. L’électrification du grand
Sud-Ouest…,
1997;
La dyna-
mique des réseaux régionaux.
Réseaux ferroviaires, réseaux
électriques,
2008), ou la thèse
d’un ancien de la Shem, Jean-
Claude Bosc (
La Saga du service
des usines de la Cie du Midi, de
la SNCF et de la Shem
, Toulouse,
autoédition, 2007;
Un siècle
de vie sur le barrage des
Bouillouses et l’usine de La
Cassagne. Centenaire 1810-
, Toulouse, Shem GDF
Suez, 2010), l’auteur narre le
déploiement d’équipements
hydroélectrique dans le Massif
central et les Pyrénées sous les
angles technique, économique
et juridique.
La préhistoire de l’engagement
des Pyrénées dans la révolution
de la houille blanche, de 1902
à 1918, se traduit par un foison-
nement de concessions dans les
vallées, affecté par des conflits
entre les détenteurs des droits
d’usage très attachés à leur sys-
tème communautaire d’irriga-
tion agricole et les concession-
naires des stations hydroélec-
triques.
Seules les usines pionnières de la
Compagnie du Midi, Soulom et
Eget dans les Hautes-Pyrénées,
La Cassagne et Fontpédrouse
sur la Têt dans les Pyrénées-
Orientales, répondent à une
implantation cohérente avec son
réseau en cours d’électrification.
C’est en 1929 que le Midi crée la
Shem, détenant 75% de son
capital. Bonin souligne la foi des
ingénieurs du Midi et du PO, à la
fois cheminots et électriciens,
engagés dans l’épopée de la
conquête hydroélectrique des
Pyrénées et du Massif central. Il
oppose les deux pôles du Midi et
du PO, qu’animent Bachellery et
Octobre 2015
Historail
VINCENT CUNY
Les Trains de la victoire
Le rôle du chemin de fer
dans la libération de
la France (1944-1945)
La Vie du Rail
, mai2015, 191 p.
Librairie LVDR: réf. 11 327 – 29
LIVRES
HUBERT BONIN
Les Concessions
hydroélectriques dans
le Grand Sud-Ouest.
Histoire et débats
(1902-2015)
Septentrion, 290 p., 25
Livres/Revues
Leclerc du Sablon d’un côté,
Parodi de l’autre, dont les visées
stratégiques diffèrent: la
Compagnie du Midi érige un
système pyrénéen relativement
clos et autosuffisant, alimentant
ainsi les petites lignes d’intérêt
local électrifiées de sa filiale
VFDM
(Voies ferrées départe-
mentales du Midi),
alors que le
PO, doté des deux centrales de
Coindre et Marèges épaulées
par Éguzon, visent, outre l’élec-
trification de Paris – Vierzon, l’ex-
portation de leur modèle élec-
trique au Maroc et en Algérie de
concert avec le PLM.
En 1938, l’héritage légué à la
SNCF est conséquent, 12 cen-
trales (sept Midi, deux Shem,
une VFDM, deux PO). De 1945 à
2001, la Shem alimentant la
SNCF, cohabite en paix avec EDF.
Bien que devenue « rentière »
d’installations amorties, elle
remet à niveau continûment ses
centrales, procurant à la fin les
années 70, le tiers des besoins
de sa maison mère.
Vient enfin le temps des boule-
versements! Le 22décembre
1988, la Shem absorbe les
VFDM, puis en 1991 les 19 cen-
trales de la SNCF, devenant ainsi
un « groupe » dont les agents
relèvent désormais du statut
propre aux Industries électriques
et gazières. Groupe renforcé
depuis 1993 par une stratégie
d’achat de petites centrales
hydroélectriques afin d’accroître
sa production et sa capacité
d’échange avec EDF. En 1997,
un article de
La Vie du Rail
(3mars 1999) pointe
« la filiale
la plus rentable de la SNCF »
avec 63millions de bénéfices
sur un chiffre d’affaires de
312millions!
Mais au sein de la SNCF dont le
plan d’entreprise 1996-2000
prône le « recentrage » sur les
pures activités de transport, ce
« bijou de famille » devient un
« actif de marge »
transférable
(p.229)
. Au-delà d’un simple
accord commercial en 2002
avec la société Electrabel du
groupe Suez, s’engage un pro-
cessus d’intégration progressive,
non sans un certain échauffe-
ment social: 40% du capital lui
sont bientôt cédés pour
500millions d’euros qui servi-
ront à financer le plan Fret
2006! La fusion en juillet2008
de GDF et de Suez ne change
rien à la destinée de la Shem
devenue
« le bras armé
d’Electrabel dans le grand Sud-
Ouest »(p.234)
, abandonnant
son siège historique, rue de la
Dalbade à Toulouse pour Paris.
Le comble, c’est que la remise
en jeu accélérée des conces-
sions, prévue au nom de la loi
libérale communautaire Nome
de 2008, a fait surgir de possi-
bles nouveaux opérateurs étran-
gers, dont le groupe suédois
Vattenfall auquel la SNCF s’as-
sociera en 2012 dans
Force
Hydro
pour constituer un candi-
dat potentiel
(p.253)
! Remise
en jeu des concessions procla-
mée mais bien enrayée de fait,
tant prévalent les tenants du
statu quo
, des situations
acquises.
Changée de maîtresse mais
entreprise moyenne perdurant
malgré les tempêtes agitant le
marché unique européen de
l’électricité, Bonin évoque à plu-
sieurs reprises les clefs de la
réussite de la Shem: avantage
comparatif remarquable, sa
production de courant
à la
demande
grâce à ses lacs-réser-
voirs, livrant de
« l’électricité
de pointe ou d’appoint »
, par
opposition aux centrales du
Rhône ou du Rhin livrant de
« l’électricité de volume »
(p.237)
; mais aussi une culture
d’entreprise spécifique, cultivant
l’esprit d’innovation, brassant
culture cheminote et culture
énergéticienne
(p.281)
ur un sujet austère, si ce n’est
tabou, Thierry Thauran, maî-
tre de conférences en droit privé
à l’université de Lorraine, auteur
en 2000 d’un Que sais-je?
(Les
régimes spéciaux de sécurité
sociale),
a coordonné un fort
volume, signant la plupart des
25 chapitres ordonnés chronolo-
giquement. Les premiers traitent
des régimes de retraite régaliens
institués selon le bon plaisir du
Roi Louis XIV (Invalides et Inscrits
maritimes en 1670, mais aussi
artistes de la Comédie-Française
en 1682…); suivront les pen-
sions civiles et militaires début
XIX
, puis sous le second Empire,
les caisses de retraites propres
aux employés des compagnies
de chemins de fer ou d’omnibus
parisiens; viendra tardivement le
tour des mineurs en 1894…
Alors qu’après guerre est insti-
tué un régime « général » de
sécurité sociale, de nouvelles
caisses autonomes sont créées,
en 1945 pour les agents des
collectivités locales, en 1949
pour les militaires CNMSS. Les
derniers chapitres évoquent
enjeux et problèmes d’actualité:
difficultés démographiques,
réformes engagées depuis
2000, confrontation au droit
européen, suivies de copieuses
annexes documentaires.
Dans son introduction
« Vous
avez dit spécial? »,
Frédéric
Buffin, ancien directeur de la
CPR-RATP puis de la CPRP-SNCF,
président du Club des régimes
spéciaux, commente cette
rétrospective: « réforme Fillon »
de 2003, réformes de 2007-
2008, atteignant des corps durs,
électriciens et gaziers, cheminots
et agents de la RATP, clercs et
employés de notaires, personnel
de la Banque de France… Si le
rêve à la Libération d’un régime
de sécurité sociale unique s’est
brisé sur le mur des particula-
rismes et des corporatismes
sociaux, du moins les régimes
spéciaux ont été les
« labora-
toires de la Sécurité sociale ».
aujourd’hui, il faut s’interroger
sur la pérennité des régimes spé-
ciaux des entreprises publiques
soutenus par un
« patriotisme
de caisse de la part de leurs assu-
rés »
mais touchant moins de
500000 cotisants, face aux
20millions du régime général et
aux 4,5millions fonctionnaires
de l’État et des collectivités
locales.
Signés d’Alain Grangé, docu-
mentaliste de la CPR-SNCF, deux
chapitres traitent des employés
des chemins de fer au temps des
compagnies
(p. 59-75)
puis de la
SNCF
(p. 223-234)
, dont les
règlements de retraites et de
prévoyance sont régis depuis
peu par deux décrets du 30juin
2008 et du 10 novembre 2010.
L’approche de l’auteur reste très
institutionnelle et juridique, alors
que le contexte corporatif, les
conditions de travail, le déroule-
ment des carrières et l’espérance
de vie des travailleurs ont déter-
miné les fondements écono-
miques et sociaux de leurs
régimes, tout comme les luttes
syndicales ont orienté ou bloqué
leurs possibles évolutions,
comme je l’ai illustré dans mon
Histoire du régime des retraites
des cheminots des origines à nos
jours
(2003). Nulle interrogation
sur l’enjeu de fond: des retraites
accordées par les compagnies en
charge d’un service public à leur
personnel, philanthropie désin-
téressée ou volonté d’enferme-
ment corporatiste de ce person-
nel, pour le protéger des
influences d’un syndicalisme
montant de lutte de classes?
Nulle évocation historique
des grandes réformes avortées
(Laniel, 1953; Juppé, 1995).
G. R.
98-
Historail
Octobre 2015
ASSOCIATION POUR
L’ÉTUDE D’HISTOIRE
DE LA SÉCURITÉ SOCIALE
Les Régimes spéciaux
de sécurité sociale
540 p., couverture cartonnée,
(en vente à la
Documentation française)